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À l’écoute de la Parole

Les écritures de ce dimanche nous présentent deux manières opposées d’être un ministre sacré: celle de saint Paul, qui se comporte «comme une mère qui entoure de soins ses nourrissons»; celle des scribes et pharisiens qui s’installent confortablement «dans la chaire de Moïse» en méprisant le peuple et les intérêts de Dieu. Jésus dénonce sans ménagement un cléricalisme orgueilleux et mortifère: un avertissement pour toutes les générations de prêtres.

Avant l’avènement du Christ, Dieu avait souvent exprimé son courroux contre les pasteurs d’Israël. Rappelons-nous le terrible procès qu’il avait engagé par la bouche de son prophète Ezéchiel (Ez 34) et cette déclaration vigoureuse:

«Ainsi parle le Seigneur Dieu. Voici, je me déclare contre les pasteurs. Je leur reprendrai mon troupeau et désormais, je les empêcherai de paître mon troupeau. Ainsi les pasteurs ne se paîtront plus eux-mêmes. J’arracherai mes brebis de leur bouche et elles ne seront plus pour eux une proie.» (Ez 34,10)

Avant l’Exil, ces pasteurs étaient toutes les personnes constituées en autorité: rois et nobles, scribes et prêtres, chefs de l’armée… Quelques siècles après, lorsqu’écrit Malachie (vers 450 av. J.-C.), la situation s’est encore détériorée: la monarchie a disparu, la prophétie aussi, Israël n’est plus une puissance militaire. Ne reste que la classe sacerdotale qui, dans le Temple de Jérusalem, s’acquitte non seulement du service du culte, mais aussi de la direction spirituelle du peuple par l’interprétation de la Loi. Le livre de Malachie dresse un réquisitoire implacable contre ces prêtres qui devraient être garants de l’alliance de Dieu avec Lévi. En effet:

  • Leurs offrandes sont viciées (Vous amenez l’animal dérobé, le boiteux et le malade, et vous l’amenez en offrande. Puis-je l’agréer de votre main? Ml 1,13) ;
  • Ils se marient avec des étrangères, en répudiant leurs premières femmes juives, ce qui trouble l’ascendance sacerdotale et tend à introduire des cultes païens à Jérusalem (Ml 2,10 sq.);
  • Ils ne remplissent pas fidèlement leur rôle de «guides spirituels» et leur fonction d’explication et d’application de la Loi: «Vous avez fait de la Loi une occasion de chute pour la multitude» (Ml 2,8).

Le résultat est dramatique: «vous avez détruit mon alliance avec mon serviteur Lévi» (v.8). Ce sacerdoce est sur le point de disparaître; il laissera la place au nouveau sacerdoce instauré par le Christ, comme l’explique le Catéchisme en reprenant la Lettre aux Hébreux:

«Institué pour annoncer la parole de Dieu (cf. Ml 2, 7-9) et pour rétablir la communion avec Dieu par les sacrifices et la prière, ce sacerdoce [celui de l’Ancienne Alliance] reste pourtant impuissant à opérer le salut, ayant besoin de répéter sans cesse les sacrifices, et ne pouvant aboutir à une sanctification définitive (cf. He 5, 3 ; 7, 27 ; 10, 1-4), que seul devait opérer le sacrifice du Christ.»[1]

Le livre de Malachie est le dernier de l’Ancien Testament pour le canon chrétien; il reflète une situation historique proche de celle que trouvera Jésus lors de sa venue à Jérusalem. Ses récriminations contre les «scribes et pharisiens», eux aussi chargés de la Loi, suivent la même inspiration prophétique que Malachie: c’est pourquoi nous écoutons, en première lecture, les reproches du prophète (Ml 2). Certaines expressions un peu fortes ont été laissées de côté par la liturgie: «Voici que je vais vous briser le bras et vous jeter des ordures à la figure – les ordures de vos solennités – et vous enlever avec elles» (Ml 2,3).

Au sein de ce déluge de reproches brillent deux phrases très belles, comme des perches lancées vers le Nouveau Testament, qui ne se trouvent d’ailleurs qu’à quelques chapitres de distance (lorsque Ml 3 s’achève, Mt 1 commence):

  • «Je suis un grand roi, et mon nom inspire la crainte parmi les nations» (Ml 1,14). Nous retrouverons cette théologie du «nom divin» en arrière-plan des paroles de Jésus dans l’évangile du jour;
  • «N’avons-nous pas tous un seul Père?» (Ml 2,10). Une intuition profonde qui sera réalisée par Jésus, le Fils unique qui nous ouvre à la paternité divine.

Alors qu’il vit ses derniers jours à Jérusalem, poursuivi par des ennemis qui cherchent à le prendre en défaut, Jésus enseigne dans le Temple avec une liberté de parole qui surprend. Le chapitre 22 de Matthieu a présenté deux scènes au cours desquelles Jésus a magistralement déjoué les pièges des Pharisiens (sur l’impôt), puis des Sadducéens (sur la résurrection des morts). Comme une torche qui brille au milieu des ténèbres, il a dévoilé tout le sens de la Loi avec le double commandement de l’amour (22,34-40), avant de relancer la polémique religieuse par une «contre-attaque » sur l’origine du Messie (vv.41-45) dont l’effet est immédiat: «à partir de ce jour, personne n’osa plus l’interroger» (v.46).

Jésus profite de cet ultime instant de respect dans le Temple, où ses adversaires l’écoutent encore avant la Passion. Ses apostrophes vigoureuses -l’expression «Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites!» est répétée sept fois (Mt 23, 13 etc.) – réussiront-elles à convertir leurs cœurs?

Entouré de la foule, dans l’œil du cyclone, Jésus essaie de prévenir le scandale des petits, tous ces pauvres de cœur qui l’ont suivi avec sincérité, et que ses adversaires voudraient détourner de lui: «si quelqu’un doit scandaliser l’un de ces petits qui croient en moi, il serait préférable pour lui de se voir suspendre autour du cou une de ces meules que tournent les ânes et d’être englouti en pleine mer!» (Mt 18,6)

Son discours, proclamé ce dimanche (Mt 23,1-12), se déroule sur deux plans distincts: une critique de cette forme sclérosée du judaïsme qu’incarnent les «scribes et Pharisiens» (vv.2-7); des instructions fermes pour la vie de l’Église (pour vous… vv.8-12). Comme Matthieu écrit au sein d’une communauté judéo-chrétienne qui se détache peu à peu de la synagogue, les deux plans s’influencent mutuellement. Ceci explique l’invitation, qui semblerait étrange dans un contexte paulinien, à «observer tout ce qu’ils disent» depuis la chaire de Moïse (v.3), c’est-à-dire la Loi dont ils sont les dépositaires.

Les défauts épinglés chez les Pharisiens sont donc un avertissement pour les responsables de la communauté chrétienne: nous y reviendrons dans la méditation.

Saint Paul, quant à lui, s’offre en exemple de ce qu’exige le Christ (seconde lecture: 1The 2). Il connait bien les reproches de Dieu aux pasteurs d’Israël, comme ceux de Ml 2, et affirme s’être comporté selon l’esprit de Jésus qui a «donné sa vie pour ses brebis» (Jn 10). Il expose son attitude en trois points.

Il révèle d’abord ses sentiments maternels (comme une mère qui entoure de soins ses nourrissons, v.7) vis-à-vis des nouveaux croyants issus du paganisme que sont les Thessaloniciens. Leur conversion avait ému saint Paul et les autres communautés: «On raconte là-bas comment nous sommes venus chez vous, et comment vous vous êtes tournés vers Dieu, abandonnant les idoles pour servir le Dieu vivant et véritable.» (1,9) Cette conversion fut l’occasion pour Paul d’exercer une véritable paternité spirituelle (comme un père pour ses enfants, 2,11), ce qui nous permettra, dans la méditation, de compléter les paroles du Christ sur l’unique paternité divine (vous n’avez qu’un seul Père, celui qui est aux cieux, Mt 23,9).

Ensuite, Paul n’a voulu recevoir aucune rétribution matérielle pour son annonce de l’Évangile. Il a exercé son métier de tanneur comme à Corinthe (cf. Ac 18,3), pour gagner son pain quotidien. Une différence de taille avec les prêtres dénoncés par Malachie, ou les Pharisiens par Jésus, qui vivaient confortablement aux dépens de leurs ouailles.

Enfin, Paul avait soin de transmettre l’Évangile comme une Parole qui le dépassait, la Bonne Nouvelle propagée par l’Esprit Saint, «qui est à l’œuvre en vous, les croyants». Là aussi il se démarque des pasteurs d’Israël qui mêlaient souvent à la Loi des traditions humaines, d’où le reproche cinglant de Jésus dans l’une des polémiques qui l’opposent aux Pharisiens: «vous avez annulé la parole de Dieu au nom de votre tradition… les doctrines qu’ils enseignent ne sont que préceptes humains!» (Mt 15,6.11). Cette «parole de Dieu», que Paul a transmise aux Thessaloniciens sous forme orale, sera ensuite mise par écrit pour devenir le Nouveau Testament. D’où le devoir, pour les responsables chrétiens, de ne pas en altérer l’authenticité par l’ajout de traditions humaines.

La liturgie de ce dimanche propose enfin de trouver dans le psaume 131 (130) l’attitude juste. Pour ne pas tomber dans les défauts des Pharisiens ou des prêtres dénoncés par Malachie, l’humilité est nécessaire: «je n’ai pas le cœur fier ni le regard ambitieux…» (v.1). Au lieu de se croire adulte, indépendant et auto-suffisant, il faut prendre le chemin de l’enfance spirituelle: «Mon âme est en moi comme un enfant» (v.2). Le psaume invite à imiter les pauvres gens qui se tiennent humblement dans un coin de l’église, tout envahis par un sentiment de respect amoureux vis-à-vis d’un Dieu qui est Père plein de bonté: «je tiens mon âme égale et silencieuse…». Le résultat sera la paix profonde de l’âme, d’une conscience qui se sait en communion avec son Seigneur, même si les circonstances extérieures peuvent être très difficiles. Saint Paul, au milieu de ses labeurs apostoliques, aura prié ainsi ce Psaume: «Attends le Seigneur, Israël, maintenant et à jamais!» (v.3).

⇒Lire la méditation


[1] Catéchisme, nº1540.


Homme juif avec talit (châle de prière)

Homme juif avec talit (châle de prière)


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  • La Pièce aux cent florins (Rembrandt)