lecture

À l’écoute de la Parole

Le choix des lectures s’explique facilement par le thème de l’évangile, la révélation du Messie aux nations païennes (Mt 2). L’apparition d’une étoile attire des mages d’Orient à Jérusalem, à la recherche du roi des Juifs, mais les conduit finalement à Bethléem, auprès d’un enfant immergé dans la modestie d’une famille apparemment ordinaire. Ils viennent se prosterner devant lui, en un acte d’adoration qui constitue les prémices de la vénération religieuse que toute l’humanité, au long des siècles, offrira au Christ.

En ce début d’évangile de Matthieu, l’attente messianique commune dans le Peuple élu, au temps d’Hérode, est doublement bouleversée : le Messie n’est ni glorieux selon le monde, ni réservé à Israël. Il est pauvre et universel, même si ces deux caractéristiques ne seront pleinement dévoilées que par le style de sa vie publique, et le mandat qu’il laissera à ses disciples d’évangéliser le monde entier.

Des derniers chapitres du rouleau d’Isaïe, nous empruntons un oracle qui dépeint la ville sainte resplendissante de la lumière divine, attirant à elle toutes les nations (Is 60). Mais ce passage du prophète ne mentionne pas la royauté, à l’inverse du psaume 72, qui présente le souverain idéal, dominant les autres rois et attentif aux plus faibles. Saint Paul, enfin, contemple ce mystère qu’est la vocation des païens à faire partie du peuple élu, cette extension du Salut d’Israël aux Gentils dont lui-même a été un acteur essentiel. C’est le sens de la fête de l’Épiphanie, que le Catéchisme résume ainsi :

« Leur venue [des Mages] signifie que les païens ne peuvent découvrir Jésus et l’adorer comme Fils de Dieu et Sauveur du monde qu’en se tournant vers les juifs et en recevant d’eux leur promesse messianique telle qu’elle est contenue dans l’Ancien Testament. L’Épiphanie manifeste que ‘la plénitude des païens entre dans la famille des patriarches’ (S. Léon le Grand) et acquiert la Israelitica dignitas. » [1]

La première lecture : « Debout, Jérusalem ! » (Is 60,1-6)

La première lecture, tirée d’Isaïe 60, nous offre une splendide vision de Jérusalem qui est personnifiée et magnifiée par une poésie puissante. Imaginons une vieille femme, abandonnée de tous, qui sent la mort s’approcher et s’enferme irrésistiblement dans le désespoir… Ainsi était l’état d’esprit de la Jérusalem croyante à l’époque du Second Temple, lorsque « l’obscurité recouvrait la terre » (v.2). Il y avait bien des motifs pour perdre espoir : l’humiliation récente de l’Exil, mal cicatrisée par la reconstruction difficile du Temple ; l’alternance des Empires et les grandes guerres qui s’étendaient partout, répandant la terreur et la souffrance de la population ; l’insignifiance d’Israël au milieu du grand échiquier où les nations s’affirmaient avec orgueil ; le Dieu national ignoré par tant de religions à mystères qui triomphaient partout ; sans oublier les difficultés internes à la Ville sainte, entre corruption du sacerdoce et divisions en factions politiques…

Le prophète construit alors son oracle sur l’opposition entre ces ténèbres humaines et la lumière divine qui vient redonner espoir. Le Seigneur interpelle Jérusalem, c’est-à-dire la portion croyante du Peuple saint : « Debout ! Resplendis ! Elle est venue, ta lumière… » (v.1). Il lui montre la splendeur d’un meilleur temps à venir, lorsqu’elle sera revêtue de la gloire du Seigneur. L’écrivain associe ainsi la « lumière » à la « gloire », comme le fait Baruch : « Dieu guidera Israël dans la joie, à la lumière de sa gloire, avec la miséricorde et la justice qui viennent de lui » (Ba 5,9). La lumière physique est classiquement un signe de la gloire spirituelle, comme les visages de nos saints qui rayonnent dans l’iconographie traditionnelle…

Les trois premiers versets d’Isaïe utilisent chacun le verbe « זרח, zarach, se lever », qui décrit le soleil se levant à l’aurore. La même racine forme évidemment la parole « orient (מזרח) », comme dans ce verset du même Isaïe : « Mon projet se réalisera, j’accomplirai ce qui me plaît ; j’appelle depuis l’Orient un rapace, d’un pays lointain l’homme que j’ai prédestiné. Ce que j’ai dit, je l’exécute, mon dessein, je l’accomplis. » (Is 46,10-11). Ainsi, Cyrus a été appelé de l’orient pour renverser Babylone ; le prophète voit la gloire du Seigneur s’étendre sur Jérusalem comme en l’aurore d’un nouveau temps ; la ville sera elle-même uneaurore pour les autres peuples : « les rois marcheront vers la clarté de ton aurore » (v.3).

L’équivalent de cette parole en grec est « ἀνατολή, anatolè » : le Christ lui-même sera assimilé par Zacharie à « l’Astre (ἀνατολή) d’en haut, pour illuminer ceux qui demeurent dans les ténèbres et l’ombre de la mort, afin de guider nos pas dans le chemin de la paix » (Lc 1,78-79). De même, l’étoile aperçue par les mages, dans l’évangile de Matthieu proclamé ce dimanche, s’est levée « à l’orient » (ἀνατολή), expression répétée deux fois. Elle vient s’arrêter au-dessus du Christ : l’étoile du monde cosmique désigne l’étoile du Salut…

C’est un thème qui traverse toutes les lectures du jour : la fascination pour l’Orient. À l’époque biblique, on était fasciné par ces peuples lointains dont les épices multicolores venaient garnir les tables et les légendes exotiques nourrir l’imagination. D’où la mention dans le psaume des « rois de Saba et de Seba », et dans la prophétie d’Isaïe des « chameaux de Madiane et d’Épha », ces fameuses caravanes qui traversaient les déserts : ils viennent de l’Arabie du Sud (Seba, Saba) et du Nord (Madiane, Epha), et apportent or et encens.

Mais la vision d’Isaïe s’élargit encore plus. Jérusalem recevra une nouvelle fécondité : « tes fils reviennent de loin » (v.4), alors qu’elle les croyait perdus dans la Diaspora, abandonnés aux idoles païennes, et elle-même abandonnée à sa pauvreté de petite ville de province. Bien plus : elle reflètera la gloire du Seigneur et sera un point de ralliement, non seulement pour les Juifs, mais aussi pour tous les peuples de la terre qui viendront de loin avec leurs offrandes exotiques et précieuses. Tous seront unis dans la louange du Seigneur et lui offriront leurs richesses. Nous sommes là dans une vision qui dépasse l’histoire, une sorte d’utopie qu’Isaïe avait déjà décrite avec enthousiasme, en voyant les deux ennemis d’autrefois – les Égyptiens et les Assyriens – s’associer dans la louange autour d’Israël :

« Ce jour-là, il y aura un chemin allant d’Égypte à Assur. Assur viendra en Égypte et l’Égypte en Assur. L’Égypte servira avec Assur. Ce jour-là, Israël viendra en troisième avec l’Égypte et Assur, bénédiction au milieu de la terre, bénédiction que prononcera Yahvé Sabaot : ‘Béni mon peuple l’Égypte, et Assur l’oeuvre de mes mains, et Israël mon héritage’ » (Is 19,23-25).

Ce grand rassemblement comporte une dimension liturgique, comme le souligne le v.7 : « ils monteront à mon autel en sacrifice agréable, et je glorifierai ma maison de splendeur ». La ville de Jérusalem est donc assimilée au Temple qui est en son sein : les peuples y accourent pour rejoindre Dieu qui y demeure. La même dynamique habite les mages : ils se rendent d’abord à la ville de Jérusalem mais, après avoir recueilli l’héritage des prophéties, ils se déplacent à Bethléem et honorent Dieu dans la personne de Jésus. Ainsi se profile, sous la plume du poète, un culte tout nouveau en la personne du Christ.

Le prophète contemplait de loin ce temps de gloire. Avec la venue de Jésus, son oracle se « dédouble », il acquiert deux nouveaux sens : d’abord une description messianique, car Jérusalem ne sera plus une obscure bourgade du monde antique, mais deviendra pour tous les peuples le lieu où s’opère leur salut, en Jésus-Christ. L’évangéliste Luc, inspiré par Isaïe, organisera toute sa géographie du Salut autour de la Cité sainte, point d’arrivée de l’évangile et de départ des Actes.

Ensuite, il y a une dimension eschatologique proprement chrétienne, encore à réaliser : à la fin des temps, tous les cœurs bien disposés se tourneront vers le Christ au sein de la Jérusalem contemplée par saint Jean, l’Église qui est cette mère universelle et rayonnante : « Je vis la Cité sainte, Jérusalem nouvelle, qui descendait du ciel, de chez Dieu ; elle s’est faite belle, comme une jeune mariée parée pour son époux. » (Ap 21, 2).

Le Psaume : « grande paix jusqu’à la fin des lunes ! » (Ps 72)

Le psaume 72 (71) est une grande prière qui présente la figure du Roi idéal. On attend surtout de lui qu’il exerce la justice, entendue comme la « juste relation » entre les différents acteurs d’Israël : justice sociale évidemment, mais aussi organisation correcte du culte, rayonnement à l’étranger, etc. C’est une prérogative qu’il reçoit de Dieu, le seul Juste, qui justifie les hommes et rétablit l’ordre correct entre eux. Elle se manifeste particulièrement dans l’attention envers les faibles et les opprimés : « qu’il fasse droit aux malheureux » (v.2). On rêve ainsi à la « tranquillitas ordinis » pour Jérusalem, la paix des cœurs et la satisfaction des besoins matériels.

Le psalmiste, avec la même intuition qu’Isaïe, pressent également une domination universelle, avec des expressions désignant le monde entier (« de la mer à la mer… ») et l’hommage que lui rendront les autres souverains. Le « Roi des rois » était d’ailleurs le titre préféré de l’empereur de Perse. Mais c’est une domination toute autre que va établir Jésus, qui reçoit dès sa naissance la vénération des mages, sans aucune manifestation de puissance. Il se présente au monde avec la fragilité d’un enfant blotti contre sa mère.

Il est ainsi saisissant de relire ce psaume en clé christologique. « Dieu, donne au roi tes pouvoirs » (v.1), cela peut s’appliquer à la relation éternelle entre le Père et le Fils dans la Trinité : le Père céleste donne tout au Fils, c’est-à-dire sa divinité même, et l’envoie au Peuple comme expression de sa Miséricorde, qui est le fondement du « gouvernement avec justice » (v.2).

« En ces jours-là, fleurira la justice » (v.7) : la naissance de Jésus inaugure son règne de justice et de paix, en faisant entrer l’éternité dans le temps (jusqu’à la fin des lunes), avec une autorité universelle (de la mer à la mer). « Tous les rois se prosterneront devant lui » (v.11) : c’est la réponse correcte de l’humanité devant le Sauveur, cette prostration qui exprime l’adoration et qui est mise en scène par les mages. En lui offrant leur hommage et les richesses des nations, ils manifestent bien plus qu’un simple honneur matériel : il s’agit en fait du grand retour de toute la création, rassemblée sous l’autorité de ces rois, vers le Créateur présent en Jésus, ce que saint Paul désignera par la « soumission » universelle : « Et lorsque toutes choses lui auront été soumises, alors le Fils lui-même se soumettra à Celui qui lui a tout soumis, afin que Dieu soit tout en tous » (1Co 15,28).

Enfin, le ministère de Jésus s’exercera surtout envers le « pauvre » (vv.12-13), une attitude de préférence qu’il a manifestée clairement pendant sa vie publique. Mais on peut aussi y voir l’attention particulière que Dieu prête à l’homme dans son Fils : parmi toutes les créatures intelligentes, notamment les anges, l’homme est la seule qui soit vraiment indigente et dont le Seigneur prenne un soin particulier. L’homme pécheur, à la différence de l’ange qui est pur esprit, est le « malheureux sans recours » qui ne doit qu’à la Miséricorde son élévation par le Christ. Ce sera également l’œuvre de l’Église avec ses fils : non seulement pour les pauvres matériellement, mais envers tous les enfants de l’Église qui sont ces « indigents dont il sauve la vie » (v.13).

La deuxième lecture : les nations païennes associées à l’héritage d’Israël (Ep 3,2-6)

Reprenons le thème de l’orient : la ville d’Ephèse, dans l’actuelle Turquie, se situait à l’orient de l’Empire Romain, et était une capitale des religions à mystères, où l’on venait volontiers se faire initier. Passionné par sa mission parmi les païens, saint Paul transmet à la petite communauté qu’il y a fondée, dans sa Lettre aux Éphésiens (Ep 3), son émerveillement devant le mystère qui se déploie devant ses yeux : dans le Christ, l’élection d’Israël s’est étendue à tous les peuples.

Paul a beaucoup voyagé parmi ces Gentils, aux mœurs parfois étranges, aux langues diverses, aux superstitions enracinées. Quelle surprise de voir qu’ils accueillent mieux le message chrétien que ses propres frères Juifs ! Rappelons-nous sa dernière phrase dans les Actes des Apôtres, adressée aux membres de la synagogue : « Sachez-le donc : c’est aux païens qu’a été envoyé ce salut de Dieu. Eux du moins, ils écouteront. » (Ac 28,28). En conséquence, il s’adresse ainsi aux convertis d’Éphèse : « la grâce que Dieu m’a donnée pour vous [les frères issus des nations]… » (Ep 3,2). Une porte se ferme, une multitude d’autres s’ouvrent… La Bible de Jérusalem nous offre une excellente introduction à ce passage de la Lettre aux Éphésiens :

« Dans cette contemplation suprême qui est comme le sommet de son œuvre, Paul reprend bien des thèmes anciens pour les ordonner dans la synthèse plus vaste à laquelle il est parvenu. Il repense particulièrement les problèmes de l’épître aux Romains, cet autre sommet qui couronnait l’étape antérieure de sa pensée. Non seulement il en évoque d’un mot les aperçus sur le passé pécheur de l’humanité et sur la gratuité du salut par le Christ, Ep 2,1-10, mais encore il reconsidère le problème des Juifs et des païens qui l’angoissait naguère, Rm 9-11. Et cette fois, c’est sous la lumière apaisée de l’eschatologie réalisée dans le Christ céleste : désormais les deux peuples lui apparaissent unis, réconciliés en un seul homme nouveau, et marchant de concert vers le Père, Ep 2,11-22. Cet accès des païens au salut d’Israël dans le Christ est le grand ‘mystère’, dont la contemplation lui inspire au soir de sa vie des accents inimitables : sur l’infinie sagesse divine qu’il y voit déployée (Ep 3,9s), sur la charité insondable du Christ qui s’y manifeste (Ep 3,18s), sur l’élection toute gratuite qui l’a choisi, lui Paul, le dernier de tous, pour en être le ministre (Ep 3,2-8). Ce plan du salut s’est déroulé par étapes selon les desseins éternels de Dieu (Ep 1,3-14), et son terme est le mariage du Christ avec l’humanité sauvée qui est l’Église (Ep 5,22-32). [2] »

Saint Paul, dans son épître, emploie le concept de mystère (μυστήριον – mystèrion, vv.3.4), qui était courant dans une ville comme Éphèse avec ses multiples cultes. Rappelons-nous l’épisode des troubles autour du temple d’Artémis (Ac 19). Un mystère était alors, dans la culture populaire, un secret religieux, possédé seulement par des initiés, qui leur permettait communiquer, croyait-on, avec la divinité lors de cérémonies particulières.

Paul transforme ce concept pour l’adapter à la théologie chrétienne : il s’agit désormais du dessein divin, qui était auparavant caché, d’accueillir tous les peuples dans la foi d’Israël ; le Christ l’a révélé aux Apôtres et l’a accompli en sa personne, par sa Croix. En lui, le mystère divin devient public et se fait source de Salut. En accueillant l’Évangile, tous les hommes reçoivent l’héritage des promesses faites aux patriarches, par cette cérémonie si simple qu’est le baptême. Les mages de l’évangile du jour, par leur prostration qui manifeste la foi, sont donc les prémices de cette grande récolte.

L’évangile : les mages à Bethléem (Mt 2,1-12)

Après avoir fêté la Nativité de Jésus, puis la sainte Famille, nous contemplons la manifestation précoce du Christ aux nations, avant d’aborder les débuts de sa vie publique avec son baptême, la semaine prochaine. Le récit de l’évangile de Matthieu, qui nous dévoile concrètement le mystère, déjà décrit par Paul, de l’ouverture aux nations lors de la naissance de Jésus (Mt 2), est construit en deux tableaux successifs. Intrigués par l’apparition d’une étoile, les mages recherchent d’abord le nouveau roi à Jérusalem, puisque c’est la capitale du royaume, et auprès des responsables politiques et religieux du pays. Ils font ainsi le parcours depuis les nations païennes jusqu’au peuple saint.

Les chercheurs – historiens et scientifiques – continuent à s’interroger sur le phénomène astronomique, comète ou conjonction de planètes, qui a pu se produire à l’époque du Christ et que les Mages ont pu observer. La question serait à poser aux jésuites, depuis longtemps engagés dans l’astronomie notamment avec l’observatoire du Vatican ( Specola vaticana), qu’ils ont construit et continuent d’animer. L’événement concret n’est pas si important pour le récit évangélique dont l’enjeu est ailleurs.

A Jérusalem, les Mages trouvent le « roi Hérode le Grand », un usurpateur, de souche Iduméenne, c’est-à-dire païenne : son père s’est converti au judaïsme par opportunité politique ; il est lui-même d’une telle cruauté qu’il n’hésite pas à faire assassiner ses fils pour garder le pouvoir. Matthieu, cependant, nous a expliqué dans son premier chapitre que Jésus est le véritable fils de David, l’héritier légitime du trône de Jérusalem. D’où la double émotion ressentie par le potentat en place lorsque les mages demandent candidement : « où est le roi des Juifs qui vient de naître ? » (v.2). Hérode s’inquiète d’un rival dangereux, tandis que le peuple de Jérusalem voudrait secouer le joug de la tyrannie. Le sang va couler… La prophétie messianique de Michée sur Bethléem (Mi 5), et la manifestation cosmique de l’étoile, sont utilisées pour localiser l’enfant « avec précision », sous couvert de piété ( pour que j’aille moi aussi me prosterner devant lui, v.8), en réalité pour le supprimer. Les signes sont offerts par Dieu comme autant de chemins vers lui, mais les hommes peuvent en abuser pour renforcer leurs ténèbres… Nous explorerons cette idée dans la méditation.

L’Histoire Sainte nous rappelle que Jérusalem n’a acquis de l’importance que sur le tard : Josué ne lui a pas accordé d’attention spéciale lors de la conquête de la Terre promise ; la ville n’a été adoptée par David que tardivement, après l’avoir conquise sur les Jébuséens, et pour réaliser l’unité entre les tribus du Nord et du Sud (cf. 2Sam 5). Lui-même est né à Bethléem. C’est pourquoi les mages font un deuxième parcours qui les mène de la capitale du Peuple saint jusqu’à son Messie (deuxième tableau de notre récit).

Avec une simplicité déconcertante, l’étoile désigne l’endroit, Marie présente l’enfant, et les mages se prosternent devant lui. Nous trouvons une dynamique similaire dans l’évangile de Luc, lorsque les bergers viennent voir l’Enfant grâce aux indications célestes (Lc 2). L’écrivain sacré lui donne une connotation liturgique marquée : il s’agit d’honorer l’Enfant, à travers la prostration et l’offrande. On ne saurait mieux présenter la démarche des Mages dans l’optique de l’adoration universelle suscitée et promue par l’Église, déjà du temps de Matthieu.

« À la vue de l’astre, ils se réjouirent d’une très grande joie » (Mt 2, 10) : l’évangéliste ne nous explique pas la raison de cette joie des mages. S’étaient-ils perdus ? L’étoile avait-cessé de briller ? Avaient-ils eu peur des ténèbres épaisses et menaçantes qui régnaient dans le palais de ce roi corrompu ? Est-ce la simple joie d’avoir enfin trouvé ce qu’ils avaient longtemps cherché ? En fait l’étoile reflète surtout leur cœur, elle symbolise cette recherche du Sauveur, leur désir de Dieu, elle précède la rencontre avec celui qui est la source de toute joie. Une hymne liturgique de l’Épiphanie exprime cela en trois simples mots : «Lumen requirunt lumine » : les mages cherchent la Lumière à l’aide d’une lumière [3] . Le cardinal Vingt-Trois l’explique ainsi :

« Qu’est-ce que l’Évangile veut nous faire comprendre en nous montrant ces trois hommes venus de pays lointains en suivant une étoile ? […] C’est par leur recherche, leur réflexion, leur désir de progresser dans la connaissance de la vérité, qu’ils ont fait ce long chemin et qu’ils viennent à la rencontre de celui dont on leur a dit qu’il serait le Messie, le Roi des Juifs qui vient de naître. [4] »

Nous constatons comment les évangiles de Matthieu et de Luc sont complémentaires : Luc nous présente la naissance de Jésus au sein du peuple juif, accompagnée par celle de Jean-Baptiste, et la joie de tous les fidèles du Seigneur que sont Zacharie, Élisabeth, Syméon, Anne, et bien sûr Marie. Matthieu se situe lui aussi au sein d’Israël, puisque Jésus est fils de David, fils d’Abraham (Mt 1,1), mais avec l’épisode des mages il élargit le regard vers les nations, pour nous montrer qu’elles sont invitées à la même joie qu’Israël. L’étoile est même un signe cosmique qui participe de l’événement, en attendant la grande contemplation de saint Jean, et son Prologue, décrivant l’entrée du Verbe dans le monde. Nous pouvons ainsi contempler dans les mages un cheminement de foi qui les amène à se prosterner devant l’Enfant. Saint Hilaire interprète ainsi leurs trois cadeaux :

« L’offrande des présents a exprimé l’être du Christ dans toute sa signification, en reconnaissant le roi dans l’or, le Dieu dans l’encens, l’homme dans la myrrhe. Et, par la vénération des Mages, se réalise pleinement la connaissance de l’ensemble du Mystère, de la mort chez l’homme, de la résurrection chez Dieu, du pouvoir de juger chez le roi. [5] »

Discrètement, le récit évangélique, dans sa dernière partie, inflige une humiliation à Hérode, puisque les mages lui désobéissent et se retirent sans même observer le protocole le plus élémentaire : « ils regagnèrent leur pays par un autre chemin » (v.12). Sa figure est bien pâle, voire ténébreuse, face à l’Astre qui vient de se lever. La lumière du Christ a brillé dès sa naissance à Bethléem, et nous le voyons par la foi, en attendant le jour où nous le contemplerons directement au ciel, comme l’exprime la liturgie :

« Aujourd’hui, Seigneur, tu as révélé ton Fils unique aux nations, grâce à l’étoile qui les guidait ; daigne nous accorder, à nous qui te connaissons déjà par la foi, d’être conduits jusqu’à la claire vision de ta splendeur. Par Jésus Christ… » [6]

=> Lire la méditation


[1] Catéchisme, nº528

[2] Bible de Jérusalem, Introduction aux Épîtres de saint Paul.

[3] Hymne A solis ortu cardine, du poème de Sedulius (+450). Voir la strophe : « Ibant magi, qua venerant / stellam sequentes praeviam, / lumen requirunt lumine, /deum fatentur munere. » (Les Mages allaient, suivant l’étoile qui les précédait à cet endroit, ils cherchent la Lumière par une lumière, ils proclament Dieu par leur offrande).

[4] André Vingt-Trois, Archevêque de Paris, Homélie du 7 janvier 2007 (sur Internet).

[5] Saint Hilaire, In Matthaeum, chapitre 1 nº5, SC254, p. 99.

[6] Prière Collecte de la messe de l’Epiphanie.


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