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« Au nom du Père, et du Fils, et du Saint Esprit… » : Un geste si simple, le premier que nous enseignons aux petits enfants pour la prière, celui qui commence et termine toutes les célébrations liturgiques. Un geste que nous avons peut-être rendu banal et inefficace à force de ne plus lui donner l’attention qu’il mérite. Un jour, une de ses sœurs en religion a interrogé la petite Bernadette Soubirous : « Que faut-il faire pour être sûre d’aller au ciel ? » On s’attendait de la voyante quelque remède extraordinaire, une prière spéciale, ou un secret de la sainte Vierge, mais sa réponse fut déconcertante de simplicité : « Bien faire le signe de la croix, c’est déjà beaucoup… »[1]

La célébration de ce dimanche nous permet de revenir à l’essentiel de l’essentiel, au fondement de tout : Dieu un et trine qui se révèle à nous. Le Catéchisme nous explique la place que mérite ce mystère dans l’organisation des vérités de foi :

« Le mystère de la très sainte Trinité est le mystère central de la foi et de la vie chrétienne. Il est le mystère de Dieu en Lui-même. Il est donc la source de tous les autres mystères de la foi ; il est la lumière qui les illumine. Il est l’enseignement le plus fondamental et essentiel dans la hiérarchie des vérités de foi. Toute l’histoire du salut n’est autre que l’histoire de la voie et des moyens par lesquels le Dieu vrai et unique, Père, Fils et Saint-Esprit, se révèle, se réconcilie et s’unit les hommes qui se détournent du péché. »[2]

Parcourons donc rapidement quelques autres points centraux de la foi pour voir comment ils découlent du mystère de la Trinité : la création n’est rien d’autre que la Trinité qui « pose » en dehors d’elle-même, dans un certain sens, des êtres qui ne sont pas Dieu ; mais ils restent complètement enveloppés de sa présence, lui qui leur donne l’être en permanence, et sans qui ils tomberaient dans le néant. Cette Trinité engage un dialogue progressif avec sa créature préférée, l’homme, et voilà toute l’histoire du Salut qui se met en branle… le mystère de l’incarnation : Jésus s’incarne pour révéler le Père, et répandre l’Esprit en nos cœurs ; saint Paul résume toute son œuvre par cette phrase lapidaire : « la preuve que vous êtes des fils, c’est que Dieu a envoyé dans nos cœurs l’Esprit de son Fils qui crie : Abba, Père ! » (Ga 4,6)… Nous sommes depuis lors en « chemin de retour » vers cette Trinité d’où nous venons : l’Eucharistie est notre aliment spirituel, Jésus lui-même qui nous rejoint sur terre pour que nous le rejoignons dans le Ciel. Où nous participerons sans fin et sans entraves de cette vie bienheureuse : louer le Père, dans le Fils, par l’Esprit.

Et pourtant la Trinité nous apparaît souvent comme un rivage lointain : dans notre navigation mouvementée ici-bas, ballotés par les vents contraires, elle serait une terre complètement étrangère à nos souffrances, une oasis séparée du monde que certains affirment avoir rencontrée et dont nous rêvons parfois sans y croire vraiment. Certes, du point de vue naturel, il nous est autant impossible de l’atteindre qu’à un aveugle de distinguer les couleurs. Saint Ephrem souligne ainsi, dans une très belle hymne, l’excès de lumière qui entoure la Trinité pour nos sens spirituels :

« Vois comme il t’étonne, le soleil, ta lampe, faible que tu es ! Et tu ne sais pas comment le scruter ! » [3]

C’est pourquoi nous devrons attendre la vie dans l’au-delà pour contempler sans voile le mystère éblouissant de la sainte Trinité. Le bienheureux Newman exprimait ainsi notre attente et le désir qui nous anime tous secrètement :

« Après la fièvre de l’existence, après les fatigues et les maladies, les combats et les découragements, après langueurs et agitations, luttes et échecs, luttes et réussites, après toutes les vicissitudes et les aléas de cette condition maladive et troublée vient enfin la mort, vient enfin le trône immaculé de Dieu, vient enfin la vision béatifique. Après l’agitation vient le repos, la paix, la joie ; notre lot éternel, si nous nous en montrons dignes : la vision de la Trinité bienheureuse du Dieu unique et saint; des Trois qui témoignent dans le Ciel, dans une lumière inaccessible, dans une gloire sans tache ni imperfection, avec une puissance qui ne connaît ‘aucun changement, ni l’ombre d’une variation (Jc 1, 17)’. Dieu le Père, Dieu le Fils et Dieu le Saint-Esprit ; Père Seigneur, Fils Seigneur, Esprit saint Seigneur ; Père incréé, Fils incréé, Saint-Esprit incréé ; Père incompréhensible ; Fils incompréhensible et Saint-Esprit incompréhensible. » [4]

Cependant, il serait faux de considérer l’inaccessibilité de la Trinité comme définitive, au risque de méconnaître l’œuvre de Jésus : n’est-il pas venu nous ouvrir cette communion bienheureuse ? N’est-il pas présent dans l’Eucharistie, dans notre cœur, dans l’Église, lui qui est le Fils ? Ces paroles sont bien les siennes : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera et vous viendrons vers lui et nous nous ferons une demeure chez lui. » (Jn 14,23). Nous sommes certes « en voyage » sur cette terre, vers la patrie bienheureuse qui est le Ciel, mais la très sainte Trinité est déjà réellement présente dans notre âme, depuis le baptême. Ce mystère est si profond que nous l’ignorons souvent, comme ces réserves souterraines qui nous fournissent l’eau du puits, sans que nous cherchions à savoir d’où elle vient ! Et pourtant, la simple prière du « Notre Père » devrait nous éveiller à cette réalité, comme le note le Catéchisme :

« Nous pouvons adorer le Père parce qu’il nous a fait renaître à sa Vie en nous adoptant comme ses enfants dans son Fils unique : par le Baptême, il nous incorpore au Corps de son Christ, et, par l’Onction de son Esprit qui s’épanche de la Tête dans les membres, il fait de nous des ‘christs’. » [5]

Nous nous mettons donc à « l’école de l’Incarnation » : si Dieu s’est fait homme dans le Christ, cela implique que l’humanité de Jésus est pour nous le chemin vers le Père (cf. Jn 14,6). Ne laissons donc pas la Trinité dans la sublimité inaccessible de son mystère, et n’ayons pas peur de nous la représenter humainement, selon les nécessités de notre entendement, comme le suggère St Ephrem :

« Que si le Seigneur, Qui est Dieu aussi, n’a point approché notre humanité sans user d’images,
Que l’homme lui-même, étant si infirme, recherche des voies pour que sa faiblesse accède au Très-Haut.
Ne paresse pas, Ô esprit de l’homme ! Construis des ponts spirituels et passe
vers ton Créateur ! » [6]

Dès lors, toute notre vie spirituelle est un jaillissement de la présence de la Trinité en notre âme. Nous grandissons en sainteté, dans la mesure où nous prenons conscience de ce mystère, que nous collaborons à son développement, que nous lui donnons tout notre être sans réserve. C’est l’itinéraire mystique à laquelle tant de saints nous invitent, comme par exemple sainte Thérèse d’Avila qui décrit l’âme comme un château intérieur entouré de sept demeures, au centre desquelles réside Dieu lui-même. Le chrétien, sous l’impulsion de la grâce, doit ainsi parcourir les différentes étapes qui sont une découverte progressive de l’hôte caché dans l’âme. Un grand spécialiste de sa spiritualité, le père Marie-Eugène de l’Enfant Jésus, décrit ainsi cette aventure intérieure, qui est œuvre de la grâce en nous :

« Envahissante et filiale, la grâce va accomplir son œuvre de transformation et de conquête. Greffée sur la nature humaine, avec son organisme vivant de vertus infuses et de dons du Saint-Esprit, la grâce épouse parfaitement les formes du complexe humain, en saisit toutes les puissances et toutes les activités. Envahissante, elle pénètre et domine progressivement les facultés humaines en les libérant de leurs tendances égoïstes et désordonnées. Filiale, elle les entraîne, après les avoir conquises, dans son mouvement vers ce Dieu intérieur, Père de lumière et de miséricorde, et les Lui offre désormais purifiées et fidèles, toutes soumises à ses lumières et à son action. » [7]

Cette aventure nous fait peur, nous sentons en nous mille résistances à l’aventure mystique ? Certaines biographies de saints, qui frôlent la caricature avec leurs récits de pénitences et de phénomènes extraordinaires, ne sont pas faites pour nous aider, il est vrai… Pourtant, l’essentiel n’est pas là mais dans la recherche de l’union avec Dieu qui est lui-même communion d’amour. C’est la vocation de tout baptisé, et ceux qui ont sincèrement tenté l’aventure ne le regrettent pas. Par exemple, une fille de sainte Thérèse qui vient d’être canonisée, sainte Elisabeth de la Trinité, nous offre une description très enthousiaste de la vie des âmes saisies par la grâce :

« [Ces âmes] pensent beaucoup moins au travail de destruction et de dépouillement qui leur reste à faire qu’à se plonger dans le Foyer d’amour qui brûle en elles, et qui n’est autre que l’Esprit Saint, ce même Amour qui dans la Trinité est le lien du Père et de son Verbe. Elles entrent en Lui par la foi vive, et là, simples, paisibles, elles sont emportées par Lui au-dessus des choses, des goûts sensibles, dans la ténèbre sacrée et transformées en l’image divine. Elles vivent, selon l’expression de saint Jean, en « société » avec les Trois adorables Personnes, leur vie est commune, et c’est là la vie contemplative ; cette contemplation conduit à la possession. Or cette possession simple est la vie éternelle goûtée dans le lieu sans fond. C’est là qu’au-dessus de la raison nous attend la tranquillité profonde de la divine immutabilité. » [8]

Ce dimanche est donc l’occasion de louer la très sainte Trinité, de lui offrir notre action de grâce, et de désirer toujours plus son règne en notre âme, dans l’Église et sur le monde. Pour cela, nous pouvons reprendre cette célèbre prière de la même sainte carmélite :

« O mon Dieu, Trinité que j’adore, aidez-moi à m’oublier entièrement pour m’établir en Vous, immobile et paisible comme si déjà mon âme était dans l’éternité ; que rien ne puisse troubler ma paix ni me faire sortir de Vous, ô mon Immuable, mais que chaque minute m’emporte plus loin dans la profondeur de votre mystère ! Pacifiez mon âme. Faites-en votre ciel, votre demeure aimée et le lieu de votre repos. Que je ne Vous y laisse jamais seul, mais que je sois là, toute entière, toute éveillée en ma foi, toute adorante, toute livrée à votre action créatrice. » [9]


[1] Voir le site du sanctuaire de Lourdes, qui a dédié au signe de croix son « thème pastoral » de l’année 2010.

[2] Catéchisme de l’Eglise catholique, nº234.

[3] Saint Ephrem de Nisible, Hymne LXXV, disponible ici.

[4] Newman, Sermons Paroissiaux, vol VI, 25, Les éditions du Cerf, Paris 2006, pp 314-320, disponible ici.

[5] Catéchisme de l’Eglise catholique, nº2782.

[6] Saint Ephrem de Nisible, Hymne LXXV, disponible ici . Le cardinal Newman exprimera la même idée plus explicitement : « Quand on nous présente le mystère de la Trinité, nous voyons bien qu’il dépasse absolument notre raison, mais en même temps il n’y a rien d’étonnant à ce que le langage humain soit incapable d’exprimer, et l’intelligence humaine de recevoir, des vérités touchant l’essence infinie et incommunicable du Dieu tout-puissant. Mais le mystère de l’Incarnation touche pour une part à des sujets plus à la portée de notre raison : il réside non seulement dans le fait de savoir comment Dieu et l’homme sont un seul Christ, mais dans le fait même qu’il en soit ainsi. Tout ce que nous croyons savoir de Dieu, c’est qu’il est totalement exempt d’imperfections et de faiblesses ; or il nous est dit que le Fils éternel a pris en lui-même une nature créée qui désormais lui est autant unie, lui appartient autant que les attributs et pouvoirs divins qu’il a depuis toujours » (sermon disponible ici : http://www.newmanfriendsinternational.org/french/?p=54).

[7] Bienheureux Marie-Eugène Grialou, Je veux voir Dieu, éditions du Carmel, p. 34. Il est le fondateur de l’institut Notre-Dame de Vie, cf.

[8] Sainte Elisabeth de la Trinité, Le Ciel dans la foi, Quatrième jour, première oraison, nº14.

[9] Sainte Elisabeth de la Trinité, Prière, disponible ici  avec d’autres.


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