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Les lectures de ce dimanche peuvent nous poser un problème théologique à propos de l’Esprit. Dans les Actes, il est écrit que Pierre et Jean durent « prier pour les Samaritains, afin qu’ils reçoivent le Saint-Esprit » (Ac 8,15), et la raison en est qu’ils étaient « seulement » baptisés : « l’Esprit n’était encore venu sur aucun d’entre eux. » Mais comment ont-ils pu accueillir la Parole proclamée par Philippe et croire en Jésus sans l’Esprit ? Le baptême ne leur avait-il pas déjà conféré l’Esprit ?

De même, lors de la dernière cène, Jésus promet l’Esprit à ses disciples : est-ce à dire qu’ils ne l’avaient pas ? Comment pouvaient-ils alors suivre le Christ et « observer ses commandements » sans l’Esprit qui est source de tout amour et de toute fidélité ? Saint Augustin répond ainsi à cette question :

« Il faut donc reconnaître que celui qui aime a déjà l’Esprit Saint, et que l’ayant, il mérite de l’avoir encore à un degré plus éminent et qu’ainsi son amour augmente. Les disciples avaient donc déjà l’Esprit Saint que le Seigneur leur promettait, et sans lequel ils n’auraient pu l’appeler Seigneur. […] Ils l’avaient bien un peu, mais ils devaient l’avoir davantage. Ils l’avaient d’une manière cachée, ils devaient le recevoir ouvertement. »[1]

De même, nous voyons dans les Actes l’Esprit à l’œuvre, et comment Il est transmis à travers l’action des Disciples : comme prémices par le diacre Philippe aux Samaritains, qui accueillent la foi et se font baptiser ; en plénitude par les apôtres Pierre et Jean qui leur imposent les mains (Ac 8).

C’est la même relation que nous pouvons voir dans les deux sacrements du baptême et de la confirmation tels que l’Église les confère aujourd’hui : par l’onction, l’évêque, ou son représentant, donne au baptisé l’Esprit Saint et il devient adulte dans la foi ; mais cela ne signifie pas que nous ne recevons pas l’Esprit Saint lors du baptême. Les sacrements nous transmettent la vie divine, qui est toujours trinitaire, il s’agit de devenir fils du Père par le Fils, le Christ, dans l’Esprit d’amour. Mais le confirmé jouit d’une certaine plénitude de l’Esprit Saint qu’il ne pouvait pas recevoir lors de son baptême. Arrivé à l’âge adulte, il vit une nouvelle Pentecôte où le Christ le transforme, étant rejoint par ce grand don d’amour que la liturgie décrit ainsi :

« Afin que notre vie ne soit plus à nous-même, mais à lui qui est mort et ressuscité pour nous, il a envoyé d’auprès de toi, comme premier don fait aux croyants, l’Esprit qui poursuit son œuvre dans le monde et achève toute sanctification. »[2]

Les Actes des Apôtres nous montrent ainsi la dynamique sacramentelle de l’Église en action, au tout début de son histoire, en attendant qu’elle soit petit à petit formalisée par les différents sacrements. Saint Jean-Paul II décrit ainsi ce passage important :

« Il en résulte que, suivant la conscience de la communauté primitive dont Luc [dans les Actes] exprime les certitudes, l’Esprit Saint a assuré la conduite, de manière invisible mais d’une certaine façon ‘perceptible’, de ceux qui, après le départ du Seigneur Jésus, avaient profondément le sentiment d’être restés orphelins. Par la venue de l’Esprit Saint, ils se sont sentis aptes à accomplir la mission qui leur avait été confiée. Ils se sont sentis pleins de force. C’est là précisément l’action de l’Esprit Saint en eux, et c’est son action constante dans l’Église par leurs successeurs. En effet, la grâce de l’Esprit Saint, que les apôtres ont donnée à leurs collaborateurs par l’imposition des mains, continue à être transmise par l’ordination épiscopale. Puis, par le sacrement de l’ordre, les évêques font participer les ministres sacrés à ce don spirituel, et ils font en sorte que tous ceux qui sont renés de l’eau et de l’Esprit en soient fortifiés par le sacrement de la confirmation ; d’une certaine façon, la grâce de la Pentecôte est ainsi perpétuée dans l’Église. »[3]

Notre vie chrétienne est ainsi une croissance dans l’Esprit : si nous sommes fidèles à ses commandements, Jésus, comme il nous le dit dans l’Évangile d’aujourd’hui, nous fait participer toujours plus au don de l’Esprit, qu’il obtient de son Père. Cet Esprit nous enrichit de ses dons, il nous incorpore toujours plus dans l’Église, qu’il anime comme l’âme anime le corps, et il nous comble de joie comme les Samaritains de la première lecture. En bref, nous sommes immergés toujours plus profondément dans cet amour qui unit Jésus à son Père, et saint Augustin nous en montre la valeur spirituelle :

« Sans l’Esprit Saint nous ne pouvons ni aimer Jésus-Christ, ni garder ses commandements, et nous faisons ces deux choses plus ou moins parfaitement, selon que nous avons reçu ce même Esprit avec plus ou moins d’abondance. C’est pourquoi ce n’est pas inutilement que l’Esprit Saint est promis, non seulement à celui qui ne l’a pas, mais même à celui qui le possède déjà : par-là, celui qui ne l’a pas encore commencera à l’avoir, et celui qui l’a déjà, le possédera en de plus larges proportions. »[4]

En attendant la fête de Pentecôte, creusons en nous le désir de recevoir cet Esprit. Pour cela, répétons cette belle invocation :

Viens, Esprit Saint, remplir le cœur de tes fidèles et allumer en eux le feu de ton Amour. Envoie ton Esprit créateur, et tu renouvelleras la face de la terre !

Tristesse sans l’Esprit, joie avec lui

« Je ne vous laisserai pas orphelins », dit le Christ à ses disciples : nous imaginons avec quelle émotion ils ont pu écouter ces dernières recommandations du Seigneur. Nous devrions être infiniment touchés par son attitude : alors qu’il va être livré à une Passion ignominieuse, qu’il ne lui reste que quelques heures à vivre, que les hommes vont le rejeter et ses disciples l’abandonner… il prend soin des apôtres, s’inquiète pour eux, leur parle du Père et se réjouit d’aller le rejoindre ! Aucune préoccupation pour lui-même, pas même l’ombre d’une plainte ! Jésus nous révèle ainsi son cœur de Fils : il ne connaît pas le repli sur soi, il est entièrement tourné vers le Père et vers les autres, Il a pour nous une infinie sollicitude.

Il nous faut peut-être regarder un contre-exemple pour saisir toute la grandeur de ce cœur, afin que la lumière se révèle par contraste avec l’obscurité. Jean-Jacques Rousseau, solitaire et harcelé par la paranoïa dans sa retraite d’Ermenonville, nous offre une réaction inverse. Il écrit :

« Me voici donc seul sur la terre, n’ayant plus de frère, de prochain, d’ami, de société que moi-même. Le plus sociable et le plus aimant des humains en a été proscrit. Par un accord unanime ils ont cherché dans les raffinements de leur haine quel tourment pouvait être le plus cruel à mon âme sensible, et ils ont brisé violemment tous les liens qui m’attachaient à eux. […] Les hommes auraient beau revenir à moi, ils ne me retrouveraient plus. Avec le dédain qu’ils m’ont inspiré leur commerce me serait insipide et même à charge, et je suis cent fois plus heureux dans ma solitude que je ne pourrais l’être en vivant avec eux. Ils ont arraché de mon cœur toutes les douceurs de la société. Elles n’y pourraient plus germer derechef à mon âge ; il est trop tard. Qu’ils me fassent désormais du bien ou du mal, tout m’est indifférent de leur part, et quoi qu’ils fassent, mes contemporains ne seront jamais rien pour moi. »[5]

Quel état d’âme si courant à notre époque ! Le contraste avec le Cœur du Christ manifeste l’opposition entre le repli sur soi et l’égoïsme qui conduisent à la tristesse et à l’amertume, et l’amour en plénitude qui se transforme en joie dans le don de soi-même. Il manquait à Jean-Jacques la présence de l’Esprit consolateur… Les disciples, malgré leurs manquements, ont été immergés dans cet amour divin à la Pentecôte : l’Esprit les a saisis et transformés. Ce même Esprit habitait l’humanité de Jésus en plénitude : c’est pourquoi il a pu accomplir le don total de lui-même. Le Seigneur a aussi conféré l’Esprit aux apôtres, qui eux-mêmes le transmettent aux hommes, comme Philippe en Samarie (première lecture). C’est tout cela que le Christ contemple intérieurement lorsqu’il parle à ses apôtres dans le Cénacle : il se réjouit de pouvoir établir avec eux une communion plus grande encore car l’Esprit qu’il envoie aux hommes est celui qui l’habite lui-même. Le Catéchisme l’explique ainsi :

« Lorsque sa présence visible leur a été enlevée, Jésus n’a pas laissé orphelins ses disciples. Il leur a promis de rester avec eux jusqu’à la fin des temps, il leur a envoyé son Esprit. La communion avec Jésus en est devenue, d’une certaine façon, plus intense : En communiquant son Esprit à ses frères, qu’il rassemble de toutes les nations, Il les a constitués mystiquement comme son corps. »[6]

Désormais, là où l’Esprit est accueilli, la joie règne par la transformation des cœurs : « Et il y eut dans cette ville une grande joie » (Ac 8,8). Qu’il est beau de voir l’Église naître de la prière sacerdotale de Jésus, par le don de l’Esprit et le travail des apôtres ! Ainsi, sur le point d’ordonner un groupe de prêtres, Benoît XVI commentait ce passage des Actes et leur disait :

« Chers amis, telle est également votre mission : apporter l’Évangile à tous, pour que tous fassent l’expérience de la joie du Christ et que la joie règne dans chaque ville. Que peut-il y avoir de plus beau que cela ? Que peut-il y a avoir de plus grand, de plus enthousiasmant, que de coopérer à diffuser dans le monde la Parole de vie, que de communiquer l’eau vive de l’Esprit Saint ? Annoncer et témoigner la joie : tel est le noyau central de votre mission, chers diacres qui deviendrez prêtres dans quelques instants. »[7]

Au cours de cette semaine de préparation à la Pentecôte, nous pouvons nous interroger sur la présence de la joie dans notre vie, indépendamment des épreuves, au-delà des petites joies éphémères : au plus profond de l’âme, cette jouissance de la présence de Dieu, accompagnée de paix et de sérénité, qui est le signe de l’Esprit… C’est le baromètre de notre foi : sommes-nous fondamentalement joyeux d’être aimés par Dieu et en marche vers la communion plénière avec lui ? Sinon, qu’est-ce qui vient ternir cette joie ? Nous pouvons alors demander au Seigneur d’y porter remède en y mettant précisément son Esprit. Pour faire mûrir notre désir de l’Hôte divin en préparation de la Pentecôte, nous pouvons reprendre la prière à l’Esprit de sainte Faustine :

Ô Esprit de Dieu, Esprit de paix et de joie,
Qui réconforte mon cœur altéré,
Verse en lui la vivante source de l’amour divin
Et rends le intrépide dans la lutte !
[8]


[1] Saint Augustin, Traité LXXIV sur l’Évangile de Jean, 2 (œuvres complètes par Poujoulat et Raulx, Bar-le-Duc 1864, tome X).

[2] Prière Eucharistique IV.

[4] Saint Augustin, Traité LXXIV sur l’Évangile de Jean, 2.

[5] J.J. Rousseau, Les rêveries du promeneur solitaire, Première promenade.

[7] Benoît XVI, Homélie, 27 avril 2008 (messe avec ordinations sacerdotales). Il nous y offre une très belle Lectio Divina sur les lectures du dimanche, disponible ici.

Il continuait ainsi : « Pour être des collaborateurs de la joie des autres, dans un monde souvent triste et négatif, il faut que le feu de l’Évangile brûle en vous, que la joie du Seigneur demeure en vous. Ce n’est qu’alors que vous pourrez être des messagers et des multiplicateurs de cette joie en l’apportant à tous, en particulier à ceux qui sont tristes et ont perdu confiance. »

[8] Sainte Faustine (Héléna Kowalska), Petit Journal, disponible ici, nº1410 – voir toute la prière :

Ô Esprit de Dieu, Esprit de vérité et de lumière,
Demeure constamment en mon âme par ta grâce divine !
Que ton souffle dissipe les ténèbres
Et que dans ta lumière les bonnes actions se multiplient !
Ô Esprit de Dieu, Esprit d’amour et de miséricorde
Qui verse en mon cœur le baume de la confiance,
Ta grâce confirme mon âme dans le bien,
Lui donne une force invincible : la constance !
Ô Esprit de Dieu, Esprit de paix et de joie,
Qui réconforte mon cœur altéré,
Verse en lui la vivante source de l’amour divin
Et rends le intrépide dans la lutte !
Ô Esprit de Dieu, hôte très aimable de mon âme,
Je désire de mon côté te garder fidélité,
Tant aux jours de joie qu’aux heures de souffrances,
Je désire, Esprit de Dieu, vivre toujours en ta présence !
Ô Esprit de Dieu, qui imprègne mon être
Et me fait connaître ta vie divine et trinitaire
Et m’initie à ton Être divin,
Ainsi unie à toi ma vie est déjà éternelle !


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