Alors que nous sommes déjà dans les dernières semaines du temps pascal, la liturgie oriente notre regard vers la fête de Pentecôte. Après avoir médité sur les apparitions du Christ ressuscité, puis sur le Bon Pasteur qui nous conduit dans le sein du Père, nous désirons la venue de l’Esprit. Jésus nous l’a promis lors de la dernière cène (Jn 14), et la première lecture, tirée des Actes, nous montre l’Esprit à l’œuvre par la conversion des Samaritains. Prédication de la Parole, signes et prodiges, don de l’Esprit par l’imposition des mains… L’expansion missionnaire a inauguré une nouvelle époque, par la réalisation des promesses de Jésus. On peut lire, sous la plume de saint Jean-Paul II :
Le temps de l’Église a commencé par la ‘venue’, c’est-à-dire par la descente de l’Esprit Saint sur les apôtres réunis au Cénacle de Jérusalem avec Marie, la mère du Seigneur. Le temps de l’Église a commencé au moment où les promesses et les prophéties qui se rapportaient de manière très explicite au Paraclet, à l’Esprit de vérité, ont commencé à se réaliser sur les apôtres avec puissance et de toute évidence, déterminant ainsi la naissance de l’Église.[1]
En lisant les Actes des apôtres, nous avons assisté, depuis Pâques, à la vie de la première communauté chrétienne à Jérusalem. Cette semaine, pour la première fois, nous sortons de la ville sainte pour une première grande expansion missionnaire, en compagnie du diacre Philippe (Ac 8). Nous suivons ainsi le plan que saint Luc a discrètement esquissé pour introduire son deuxième livre, en s’appuyant sur les dernières paroles de Jésus : « Vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1,8). Ainsi, la lapidation d’Etienne (ch. 7) a provoqué la dispersion des disciples en-dehors d’Israël (cf. 8,1). Premier peuple touché par l’expansion missionnaire : les Samaritains, auprès desquels nous accompagnons Philippe (ch. 8) ; puis nous suivons Pierre en Judée (ch. 9-11) et enfin Paul dans ses voyages missionnaires jusqu’à Rome (derniers chapitres).
Notons que cette semaine la liturgie omet le passage de Simon le magicien (8,9-13) pour se fixer sur la dynamique de l’évangélisation : l’enseignement du diacre Philippe, accompagné de prodiges, et complété par la mission des apôtres Pierre et Jean. Par l’imposition des mains, ces apôtres confèrent la plénitude de l’Esprit en complément du baptême, ce que nous appelons aujourd’hui le « sacrement de confirmation ». Après la première annonce de l’Évangile vient donc l’action sacramentelle, et c’est ainsi que se structure l’Église depuis ses débuts.
Ces fruits de conversion provoquent l’action de grâce de la communauté, exprimée par le Psaume 66 (65). La liturgie choisit quelques paragraphes de ce psaume, qui expriment surtout :
- L’appel universel à la louange (Acclamez Dieu, toute la terre), à mettre en relation avec l’expansion missionnaire des Actes
- la grandeur des actions divines (exploits redoutables), qui provoquent chez les Samaritains une « grande joie »
- la gratitude profonde (ce qu’il a fait pour mon âme), une vertu qui ne manque jamais chez tous les vrais croyants d’hier et d’aujourd’hui.
Le psalmiste avait en tête les récits de l’Exode (la mer en terre ferme, cf. Ex 15) et de l’entrée en Terre Sainte (ils passèrent le fleuve à pied sec, cf. Jos 3). Ces évènements de l’histoire d’Israël sont des préfigurations du mystère pascal, nouvel Exode de la mort vers la vie, ainsi que de l’avènement du salut, qui est une entrée dans la nouvelle terre. La voix du psalmiste est devenue la voix de l’Église qui invite toute la création à chanter les merveilles du Seigneur accomplies à Pâques. L’Église veut, elle aussi, attirer les foules pour leur parler de son Seigneur : « Venez, écoutez, vous tous qui craignez Dieu ! »
Un acteur de ces merveilles de conversion est l’apôtre Pierre, dont nous continuons de lire la Première épître (1P 3). Au terme de son ministère d’évangélisation, il donne des conseils éprouvés par l’expérience aux Chrétiens dispersés dans un monde hostile mais assoiffé du Christ. Son exigence est forte : il faut à la fois tenir tête aux « adversaires » par le témoignage d’une vie irréprochable moralement, et répondre « avec douceur et respect » à ceux qui interrogent l’espérance chrétienne. Cette expression de l’apôtre, « rendre raison (λόγος, logos) de l’espérance qui est en vous », avec l’invitation au respect qui la distingue du prosélytisme, nous offre le vrai visage de l’apologétique et du témoignage chrétien, comme par exemple dans cette exhortation de Benoît XVI :
« Chers jeunes, n’ayez pas peur de le suivre et de parcourir les voies exigeantes et courageuses de la charité et de l’engagement généreux ! Ainsi vous serez heureux de servir, vous serez témoins de cette joie que le monde ne peut donner, vous serez les flammes vives d’un amour infini et éternel, vous apprendrez à “rendre raison de l’espérance qui est en vous” (1 P 3, 15) ! »[2]
Mais surtout, sous la plume de saint Pierre, c’est le Christ qui est au centre de tout. Il règne à la fois dans le cœur des chrétiens : « vous devez le reconnaître dans vos cœurs comme le seul saint », et dans les mœurs de la communauté : « la vie droite que vous menez dans le Christ ». Comme Bon Pasteur, il nous mène à son Père par son mystère pascal : « il est mort afin de vous introduire devant Dieu ».
Dans le cadre intime de la dernière cène, et avant sa mort imminente, Jésus ouvre son cœur à ses disciples (Jn 14) : il les invite à pénétrer dans cette caverne merveilleuse qui regorge de trésors cachés, et qui brûle d’amour pour son Père et pour les hommes. Surtout il leur présente l’Esprit Saint, troisième personne de la Trinité, qui sera désormais présence de Dieu dans le cœur des hommes, non seulement auprès d’eux mais en eux.
Saint Jean recueille ces confessions profondes et nous les livre dans l’Évangile. En particulier, il mentionne plusieurs fois la prière du Christ, avant de nous la présenter explicitement au chapitre 17 : « Moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre Défenseur… » (Jn 14,16). Pour la première fois sans doute, les disciples entendent parler de l’Esprit Saint, non plus comme sagesse ou force selon l’Ancien Testament, mais comme une personne qui peut devenir un véritable compagnon. Ce rappel est utile pour nous : est-ce bien ainsi que nous prions l’Esprit Saint ? Le considérons-nous comme une personne qui nous vivifie et nous accompagne sans cesse, ou bien comme un vague attribut divin ?
Cet Évangile, qui continue celui de la semaine dernière, nous prépare aux célébrations de l’Ascension et de la Pentecôte qui auront lieu la semaine prochaine, selon une « double perspective » de lecture. Dans le cadre historique de la dernière cène, Jésus annonce qu’il s’en va vers le Père par son mystère de mort-et-résurrection, qui se termine par son Ascension vers le Père et change son mode de présence au monde : « D’ici peu, le monde ne me verra plus, mais vous, vous me verrez vivant, et vous vivrez aussi. » (v.19) Il annonce ainsi à Pierre et aux autres apôtres ses futures apparitions comme Ressuscité. Ensuite, l’Esprit sera donné à ces mêmes apôtres pour faire naître l’Église et l’accompagner dans sa croissance, cet Esprit que nous voyons à l’œuvre dans les Actes afin que la vie divine se propage parmi tous les peuples.
Dans le présent de Église, nous lisons ces mêmes paroles dans un sens différent : nous « voyons » à présent Jésus par les yeux de la foi, et l’Esprit Saint nous est donné pour que nous puissions cheminer vers le Ciel ; bien plus, il est cette communion céleste déjà présente en nous. L’Esprit nous est donné, pour que nous puissions déjà goûter et tendre toujours plus à l’intimité avec Dieu avant de le voir face à face : « vous me verrez vivant, et vous vivrez aussi », lorsque nous serons au sein de la Trinité avec tous les élus. Nous avons déjà part à cette vie divine, mais nous sommes encore en chemin vers la Parousie, et la célébration de la Pentecôte nous permet de recevoir encore plus l’Esprit Saint avant la plénitude définitive du Ciel.
La seule condition pour recevoir ce don est d’observer les commandements de Jésus, comme signe d’amour envers lui. « Vous garderez mes commandements » (v.15) : Cette invitation n’est pas à comprendre dans un sens légaliste, comme une liste d’actions à accomplir, mais dans l’optique de l’amour. C’est dans la mesure où nous gardons les commandements que le don reçu peut fructifier en nous, sinon il tombe dans une terre hostile et stérile. L’invitation de Jésus comporte un aspect négatif, le rejet de tout ce qui blesse la communion avec Jésus, c’est-à-dire le péché, et un aspect positif, qui est la croissance dans l’intimité avec lui. C’est ainsi que la communion des hommes avec Dieu s’accomplit par le Christ : « Je suis en mon Père, vous êtes en moi, et moi en vous » (v.20), une phrase qui est un abîme de profondeur mystique… La liturgie nous invite à supplier le Père de nous y faire participer :
« Dieu tout-puissant, accorde-nous, en ces jours de fête, de célébrer avec ferveur le Christ ressuscité : que le mystère de Pâques dont nous faisons mémoire reste présent dans notre vie et la transforme. Par Jésus-Christ… »[3]
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[3] Collecte de la messe du jour