La liturgie de ce troisième dimanche de Pâques, dans la ligne des précédents, offre à notre méditation les apparitions de Jésus ressuscité : nous marchons à ses côtés comme les pèlerins d’Emmaüs. Nous écoutons aussi le témoignage de saint Pierre. Pendant toute cette période pascale, lorsque nous nous réunissons en communauté pour célébrer l’Eucharistie, nous sommes comme les disciples d’Emmaüs, que Jésus rejoint pour réchauffer leur cœur. Le pape Benoît XVI nous introduisait ainsi à ce mystère :
« Aujourd’hui aussi, nous pouvons entrer en conversation avec Jésus et écouter sa Parole. Aujourd’hui aussi, il rompt le pain pour nous et se donne lui-même comme notre Pain. Et ainsi, la rencontre avec le Christ ressuscité qui est possible aujourd’hui aussi, nous donne une foi plus profonde et authentique, trempée, pour ainsi dire, au feu de l’événement pascal ; une foi robuste parce qu’elle se nourrit non d’idées humaines, mais de la Parole de Dieu, et de sa présence réelle dans l’Eucharistie ».[1]
Écoutons donc un témoin privilégié de cette foi, le « roc » sur lequel le Christ a voulu bâtir son Église, saint Pierre, dont le témoignage est rapporté par les deux premières lectures de la messe. Elles se situent à des moments cruciaux de sa vie : au début de son ministère, le jour de la Pentecôte (Ac 2, 14), puis à la fin de sa course, lorsqu’il compose, à Rome, une lettre pour confirmer ses frères dans la foi (1P 1). Le sujet reste le même : la Résurrection de Jésus, source de vie pour les croyants.
Dans la première lecture, Pierre s’adresse à la foule réunie à Jérusalem pour la fête de Pentecôte, intriguée par les signes qui accompagnent la venue de l’Esprit. Ils représentent Israël et le monde païen, mais c’est aussi la foule qui avait demandé à Pilate d’exécuter Jésus, quelques semaines auparavant ; Pierre le leur rappelle à la fin du discours : « Dieu l’a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous, vous avez crucifié » (Ac 2, 36). Tout son discours vise donc à leur transmettre la foi en la Résurrection du Christ, et il s’appuie pour cela sur les psaumes qui l’ont prophétisée. Le psaume 16 célébrait en effet le secours divin face à la mort : « tu ne peux m’abandonner à la mort » (v.10) ; cette prophétie ne pouvait s’appliquer à David, mort et enterré à Jérusalem : « son tombeau est encore aujourd’hui chez nous » (Ac 2, 29). C’est donc Jésus, son descendant, qui en bénéficie, et saint Pierre fait allusion au psaume 132 : « Le Seigneur l’a juré à David : c’est le fruit de tes entrailles que je mettrai sur le trône pour toi » (v.11). Surtout, Jésus est ressuscité le troisième jour, avant que le processus de décomposition de son cadavre ne commence : « Il n’a pas été abandonné à la mort, et sa chair n’a pas vu la corruption » (Ac 2, 31 qui reprend Ps 16, 10).
La liturgie reprend donc tout naturellement le psaume 16 (15) que Pierre vient de commenter. Cette prière reflète parfaitement l’attitude intérieure de Jésus pendant son mystère pascal :
- Confiance envers son Père : « j’ai fait de toi mon refuge », « c’est toi qui garantit mon lot », au milieu des persécutions de la Passion ; confiance qui perdure dans le « sommeil » de la mort : « même la nuit, mon cœur m’avertit » ;
- Attitude d’abandon alors que son cadavre est déposé dans le sépulcre : « ma chair elle-même repose en confiance » ;
- Union constante au père : « je garde le Seigneur devant moi sans relâche »
- Certitude de la Résurrection : « tu ne peux m’abandonner à la mort » et « tu m’apprends le chemin de la vie ».
Ce psaume nous offre même une anticipation de la joie du matin de Pâques, alors que commence la nouvelle vie dans la Gloire : « devant ta face, débordement de joie ! »
Avec toute la sagesse accumulée pendant son ministère, saint Pierre invite les chrétiens à la même confiance envers Dieu le Père, dans sa Première Épître que nous lisons en seconde lecture (1P 1). En effet, Dieu a « ressuscité son Fils d’entre les morts » et veut nous offrir, à nous aussi, cette vie glorieuse. Au centre de l’explication de l’apôtre : le mystère pascal car Jésus est « l’Agneau sans défaut et sans tache », une expression qui rappelle le repas pascal et la dernière Cène. Il a été immolé pour notre rachat, d’où la mention du « sang précieux du Christ », qui seul peut payer notre rançon car les sacrifices et moyens humains utilisés jusque-là, l’or et l’argent, n’en ont pas le pouvoir. Il s’agit d’un dessein éternel de Dieu (« dès avant la création du monde ») qui est enfin dévoilé. Le Catéchisme cite d’ailleurs ce passage de l’Épître de Pierre pour expliquer le sens de la mort de Jésus :
« Saint Pierre peut en conséquence formuler ainsi la foi apostolique dans le dessein divin de salut : ‘Vous avez été affranchis de la vaine conduite héritée de vos pères par un sang précieux, comme d’un agneau sans reproche et sans tache, le Christ, discerné avant la fondation du monde et manifesté dans les derniers temps à cause de vous’ (1 P 1, 18-20). Les péchés des hommes, consécutifs au péché originel, sont sanctionnés par la mort. En envoyant son propre Fils dans la condition d’esclave, celle d’une humanité déchue et vouée à la mort à cause du péché, ‘Dieu l’a fait péché pour nous, lui qui n’avait pas connu le péché, afin qu’en lui nous devenions justice pour Dieu’ (2Co 5, 21) ».[2]
Finalement, Jésus a été rendu à la vie et glorifié : « Il lui a donné la gloire » (1P 1, 21). Notre regard se lève donc vers lui, qui nous attire au sein de la Trinité : « Vous mettez votre foi et votre espérance en Dieu ».
Mais tout cela requiert un itinéraire dans la foi, une rencontre avec le Christ ressuscité. C’est cette évolution intérieure qu’ont vécue les deux pèlerins d’Emmaüs, sous la houlette d’un Jésus plein d’attention et de pédagogie. Après les avoir rejoints sur leur chemin, Jésus leur pose une question en apparence innocente (« Quels événements ? ») pour leur permettre d’exprimer toute leur souffrance puis feint de devoir continuer sa route, pour creuser le désir de sa présence : on sent qu’il contient dans son intérieur tout le feu de son amour, et toute la joie de la Résurrection, pour les prendre patiemment par la main et les amener à l’expérience de l’Eucharistie…
Les deux pèlerins accomplissent tout un itinéraire intérieur, depuis la tristesse des événements de la Passion (« ils s’arrêtèrent, le visage sombre ») jusqu’à la reconnaissance pleine du Seigneur, « à la fraction du pain ». Jésus choisit de réchauffer progressivement leurs cœurs et de les affermir en leur expliquant les Écritures : moment unique que Jésus a voulu consacrer à un cours d’exégèse ! Il est lui-même, dans sa personne et son mystère, la clef pour saisir le sens profond des textes inspirés, une clef qui n’est pas perdue mais que l’Église nous transmet de génération en génération. Lorsque nous recevons la Parole pendant nos liturgies, et que le ministre nous l’explique, c’est le Christ lui-même qui vient marcher à nos côtés pour nous « ouvrir les Écritures ».
Nous sommes frappés aussi par la précision et la fidélité des faits rapportés par les deux pèlerins (vv. 19-24) : « Ce qui est arrivé à Jésus de Nazareth… ». Ils ont tout retenu, ils ont tous les éléments en mains, ils ont même entendu parler du « tombeau vide » et d’apparitions angéliques, mais il leur manque encore l’essentiel, la foi… Elle ne peut naître que de la rencontre avec le Ressuscité. Cette rencontre ici est extérieure dans un premier temps, mais elle demande, pour vraiment s’approfondir, à devenir intérieure. C’est pourquoi Jésus, dans cette auberge, « disparut à leurs regards » : désormais, la relation du Ressuscité avec ses disciples est une communion intérieure basée sur la foi, source de joie et anticipation du Ciel. C’est ce que nous sommes appelés nous aussi à vivre. La liturgie l’exprime dans une prière de la messe de ce jour :
« Accueille, Seigneur, les dons de ton Église en fête : tu es à l’origine d’un si grand bonheur, qu’il s’épanouisse en joie éternelle. Par Jésus, le Christ notre Seigneur ».[3]
⇒Lire la méditation
[1] Benoît XVI, Regina Caeli, 6 avril 2008, disponible ici.
[2] Catéchisme, no 602 ; il est remarquable que le numéro précédent (601), sous le titre « Mort pour nos péchés selon les Écritures », termine en citant l’épisode d’Emmaüs que nous proclamons ce dimanche. Voir ici.
[3] Prière sur les offrandes de la messe du jour.
Les pèlerins d’Emmaüs (Rembrandt), 1606, Musée Jacquemart-André