Après la grande cérémonie de la veillée pascale, nous nous retrouvons pour célébrer l’Eucharistie avec un cœur renouvelé, fortifié par la présence du Ressuscité. Nous lisons d’abord les Actes des apôtres, qui remplacent l’Ancien Testament en première lecture pendant toute cette période liturgique : cette histoire de la première communauté chrétienne, le nouveau peuple de l’Alliance, est la nôtre. L’Esprit Saint y joue le premier rôle, et les apôtres sont les protagonistes de l’extension du Règne du Christ dans tout le monde connu de l’époque, à tel point qu’on pourrait appeler ce livre des Actes l’Évangile de l’Esprit Saint par les apôtres. C’est la raison pour laquelle la période pascale va jusqu’à la Pentecôte. Benoît XVI nous introduit dans ce temps de joie :
« Le Christ est ressuscité ! La liturgie ne consacre pas seulement un jour à un aussi grand mystère – ce serait trop peu pour tant de joie -, mais bien cinquante jours, c’est-à-dire le temps pascal tout entier, qui se conclut par la Pentecôte. Le dimanche de Pâques est ensuite une journée absolument particulière, qui s’étend pendant toute cette semaine jusqu’au prochain dimanche, formant l’Octave de Pâques ».[1]
Pour bien vivre cette période, nous écoutons les conseils de saint Paul dans la seconde lecture (1Co 5, l’option 2). Vivons cette fête de la Résurrection comme un renouvellement total : le Christ, en sortant du sépulcre, nous apporte une vie nouvelle, et nous devons donc laisser en arrière le vieil homme de péché. La comparaison que Paul établit avec le levain demande explication : à son époque, en l’absence de levures en poudre comme aujourd’hui, le vieux ferment était une mesure de pâte que l’on conservait tout au long de l’année. Elle pourrissait, fermentait et servait ainsi de levure pour la fabrication du pain. Elle représente pour Paul la perversité et le vice de l’ancienne vie, avant la conversion au Christ.
Les fêtes de printemps, chez les peuples sédentaires, se célébraient autrefois avec du pain azyme pour exprimer le renouvellement total : nouvelle année, nouvelle vie, nouveau pain, au moment où la nature redevenait féconde. La coutume est passée chez les Hébreux par les prescriptions sur la Pâque : La levure ancienne devait être jetée et renouvelée pour commémorer le passage de la vie de servitude à la liberté (Ex 12). Mais c’est le Christ, nouvel agneau pascal, qui a donné à la fête son sens le plus profond : par le mystère pascal, son immolation sur la croix et sa Résurrection, il nous a fait passer à une vie nouvelle, libérée du péché et de la mort, un nouveau printemps.
D’où la date des Pâques juive et chrétienne, célébrées toujours au printemps, du moins pour l’hémisphère nord, très précisément lors de la première pleine lune après l’équinoxe.
Paul nous invite ainsi à célébrer les fêtes pascales, avec un cœur nouveau, loin des ferments du péché dont nous sommes purifiés avec l’homme ancien, dans la droiture et la vérité.
Revenons aux Actes des Apôtres : l’Esprit Saint organise une rencontre étonnante (chap. 10) entre le centurion Corneille, qui a reçu à Césarée la visite d’un ange (10, 3) lui demandant de contacter Pierre à Jaffa, et ce même saint Pierre, qui de son côté est tombé en extase (10, 10) et a reçu la mission d’évangéliser les païens… Pierre se rend chez Corneille et son discours est la première proclamation de la Bonne Nouvelle à des païens : il nous offre un Évangile en miniature, en commençant par le baptême de Jean, puis la vie publique de Jésus, sa mort en croix, sa Résurrection le troisième jour et enfin les apparitions aux témoins que Dieu a choisis. C’est exactement le plan que suivront les quatre Évangiles pour annoncer la Bonne Nouvelle (en grec, εὐαγγελίζω, euangelizô, qui apparaît plus de vingt fois sous la plume de Luc).
Conclusion de son discours : le salut pour tous, à travers la foi dans le Christ ressuscité. Le signe distinctif des témoins privilégiés, si important pour l’Église de tous les temps, est qu’ils ont « mangé et bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts ». Sont ainsi soulignés deux aspects fondamentaux du Christ ressuscité : la réalité de son corps glorieux, et la communion avec ses disciples – ce qui se cristallisera dans la célébration de l’Eucharistie. Les Évangiles développeront ces thèmes dans leurs narrations, que le Catéchisme exprime en synthèse :
« Jésus ressuscité établit avec ses disciples des rapports directs, à travers le toucher et le partage du repas. Il les invite par-là à reconnaître qu’il n’est pas un esprit, mais surtout à constater que le corps ressuscité avec lequel il se présente à eux est le même qui a été martyrisé et crucifié puisqu’il porte encore les traces de sa Passion. Ce corps authentique et réel possède pourtant en même temps les propriétés nouvelles d’un corps glorieux : il n’est plus situé dans l’espace et le temps, mais peut se rendre présent à sa guise où et quand il veut car son humanité ne peut plus être retenue sur terre et n’appartient plus qu’au domaine divin du Père ».[2]
Notre joie pascale s’exprime à travers quelques strophes du psaume 118, un cantique d’action de grâces après l’épreuve (« dans mon angoisse, j’ai crié vers le Seigneur », v.5). Le psalmiste relate l’expérience de la persécution (« on m’a poussé pour m’abattre… ») et du soutien offert par Dieu (« … mais le Seigneur me vient en aide », v. 13) : il a réchappé à la mort, c’est pourquoi il « rend grâce au Seigneur : il est bon ! » La force du Seigneur donne la vie (« je ne mourrai pas, je vivrai »). Vient ainsi l’image de la « pierre rejetée par les bâtisseurs, devenue la pierre d’angle », que les chrétiens ont, dès le début, appliquée à Jésus mort-et-ressuscité (cf. les trois synoptiques et la première lettre de Pierre).
Après l’exhortation de Paul à bien vivre Pâques, puis le récit concis de Pierre devant Corneille, qui évoquait « tout ce qui s’est passé » (Ac 10, 37), nous passons à la description plus détaillée de ces événements dans l’Évangile de Matthieu. Nous le choisissons pour ce dimanche, comme le permet la liturgie, de préférence à celui de Jean, car Matthieu est l’évangéliste qui nous accompagne tout au long de cette année liturgique.
Son récit des apparitions du Ressuscité met en œuvre un retournement complet des événements qui avaient entouré la Passion : tremblement de terre comme à la mort de Jésus (cf. 27, 51), roulement de la pierre qui scellait le sépulcre (cf. v.59), présence des femmes dont Marie Madeleine (v.55), gardes qui deviennent comme mort, à l’inverse des saints qui avaient ressuscité (cf. vv.52-53), la frayeur partout (54), etc.
Matthieu insiste beaucoup sur le sens de la vue, que ce soit pour décrire les circonstances (« le jour commençait à poindre »), l’apparition de l’ange (son aspect est décrit), et son invitation aux femmes : « venez voir le lieu où il gisait » (v.6), ce qui correspond à leur première intention (« observer le sépulcre », v.1). Mais surtout une promesse est répétée deux fois : les disciples « verront le Seigneur » (vv.7.10) en Galilée ; les femmes, quant à elles, ont le privilège de le voir directement ce matin-là. Cela correspond bien à l’insistance du discours de Pierre en première lecture : nous sommes témoins de ce que nous avons vu, nous pouvons certifier que le Christ est ressuscité. Pour les chrétiens qui, plus tard, écouteront les Apôtres ou les femmes, il s’agira de croire à ce témoignage : on passe alors de la vision à la foi, comme nous le méditerons dimanche prochain en considérant l’incrédulité de saint Thomas.
Deux éléments sont donc essentiels dans ce récit de Matthieu : l’étrange rendez-vous fixé par Jésus en Galilée – nous y reviendrons en méditation – et surtout la nouvelle de la Résurrection, que l’ange annonce aux femmes et leur demande de communiquer aux apôtres. Jésus lui-même se rend présent à elles pour confirmer cette Bonne Nouvelle et le rendez-vous ; les gardes enfin iront porter la nouvelle aux grands prêtres (28, 11), qui voudront la falsifier.
C’est cette Bonne Nouvelle de la Résurrection qui nous est parvenue, à laquelle nous adhérons par la foi, et que nous transmettons de génération en génération. Le pape Benoît XVI la résume ainsi :
« Aujourd’hui, le Ressuscité nous répète à nous aussi, comme à ces femmes qui restèrent aux côtés de Jésus lors de la Passion, de ne pas avoir peur en devenant les messagers de l’annonce de sa Résurrection. Celui qui rencontre Jésus ressuscité et qui se remet à lui docilement n’a rien à craindre. Tel est le message que les chrétiens sont appelés à diffuser jusqu’aux extrémités la terre. La foi chrétienne, comme nous le savons, naît non de l’accueil d’une doctrine, mais de la rencontre avec une Personne, avec le Christ mort et ressuscité ».[3]
⇒Lire la méditation
[1] Benoît XVI, Regina Caeli du 9 avril 2007, disponible ici.
[2] Catéchisme de l’Église catholique, no 645 (l’état de l’humanité du Christ), disponible ici.
[3] Benoît XVI, Regina Caeli du 9 avril 2007, disponible, ici.
Huile sur toile de Peter Cornelius, Neue Pinakothek, Munich, 1815-1822