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Pendant l’épreuve de l’Exil à Babylone, le prophète Ézéchiel est envoyé au peuple pour lui rendre espoir (Ez 37, première lecture). Les Hébreux sont tellement désemparés qu’ils perdent espoir : « Nos os sont desséchés, notre espérance est détruite, c’en est fait de nous » (v.11). Israël se considère comme ces squelettes qui jonchent une vallée après une bataille où les morts n’auraient pas été enterrés : la déréliction totale et le désespoir. À Babylone, Israël se croit perdu : quel avenir pour un petit peuple déporté et humilié ? Le Dieu d’Israël promet alors de ne pas l’abandonner, mais de déployer une fois de plus son bras puissant. Les ossements sont desséchés ? Qu’à cela ne tienne : le prophète opère leur résurrection, ou plutôt revivification, en invoquant sur eux l’Esprit (vv.1-10).

Le sens de la vision est clair : si le Seigneur est assez puissant pour redonner vie à des ossements desséchés, il peut tout autant sauver son peuple de la mort et la nation de l’anéantissement. C’est ce qui explique l’image des tombeaux qui s’ouvrent : « Vous saurez que je suis le Seigneur, lorsque j’ouvrirai vos tombeaux et que je vous ferai remonter de vos tombeaux, mon peuple » (v.13), et la promesse de retour sur la Terre Sainte : « Je mettrai mon esprit en vous et vous vivrez, et je vous installerai sur votre sol, et vous saurez que moi, Le Seigneur, j’ai parlé et je fais, oracle du Seigneur » (v.14).

Après l’accomplissement historique de cet oracle sous Cyrus (cf. Esd 1,1), et la reconstruction du Temple, la voix du prophète continue de résonner comme une promesse de vie dans toutes les situations de mort. À ses fidèles confrontés à des difficultés parfois insurmontables, le Dieu vivant « donnera son Esprit pour une vie nouvelle ». C’est pourquoi nous lisons ce passage d’Ézéchiel avant le texte d’Évangile où Jésus ouvre littéralement le tombeau de Lazare, pour l’en tirer et le ramener à la vie ; il manifeste ainsi qu’il est « la résurrection et la vie » (Jn 11, 25) et que celui qui croit en lui vivra. Pourrions-nous imaginer un accomplissement plus littéral de la promesse divine ?

Le péché est précisément la pire des situations de mort : comme en écho à la promesse d’Ézéchiel, le psaume 130 (129) exprime l’espérance du pécheur de ne pas être abandonné par son Dieu. Il le supplie (« écoute mon appel ! ») et essaie de le convaincre (« si tu retiens les fautes, qui subsistera ? »). Le psalmiste exprime aussi son espérance par l’image du veilleur qui, harassé par la fatigue de la nuit, attend impatiemment l’aurore pour se reposer. En pardonnant, le Seigneur récompensera cette espérance et offrira une vie nouvelle.

Le thème de la mort domine tout le chapitre 11 de saint Jean : en apprenant la nouvelle de la maladie de Lazare, Jésus mentionne la mort d’une manière équivoque qui laisse entendre qu’il y a bien mort physique mais d’un type particulier qui servira de témoignage : « cette maladie ne conduit pas à la mort » (v.4), « Lazare notre ami s’est endormi » (v.11), « Lazare est mort » (14). Il indique ainsi plusieurs manières d’envisager la mort : une épreuve qui n’anéantit pas totalement, un sommeil dans l’espoir vague d’un réveil, une fin qui conduit à l’action de Dieu et à la manifestation de sa gloire. Thomas, lui, se dit prêt à affronter la mort avec son Seigneur (v.16). La mort est donc omniprésente et tout le mouvement des personnages conduit devant la tombe. Les deux sœurs font le même reproche à Jésus : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort » (vv. 21 et 32) ; les Juifs sont venus partager le deuil et Marthe est qualifiée de sœur du mort… Dans le texte grec, la racine θαν- (θάνατος, thanatos, ἀποθνήσκω, apothnèsko) apparaît onze fois.  Surtout, la mort de Jésus lui-même est déjà présente en filigrane, puisqu’au début du texte les disciples la redoutent (« les Juifs cherchent à te lapider », v.8) et que dans les versets finaux, que nous ne lisons pas aujourd’hui, elle est décidée par les autorités (v.53 : « ils résolurent de le tuer »). Nous reviendrons dans notre méditation sur cette présence de la mort.

Un autre thème est très important, celui de la foi (πιστις, pistis, et le verbe correspondant). Jésus le mentionne dès le début, affirmant un premier paradoxe : il se réjouit de ne pas avoir été présent aux côtés de Lazare, et donc de l’avoir laissé mourir, « afin que vous croyiez » (v.15). Puis c’est le sujet principal de son dialogue avec Marthe, où le terme apparaît quatre fois en trois versets : « Crois-tu ? » (v.26) ; il répétera son invitation devant la tombe (v.40). La vie et la foi sont alors très liées. Jésus subordonne l’accès à la vie éternelle à la foi qu’on met en lui : « celui qui croit en moi, même s’il meurt vivra » (v.25), « je te dis que si tu crois tu verras la gloire de Dieu » (v.40). Alors même que nous pensons assurer le succès de notre vie terrestre par nos efforts et notre vie éternelle par nos bonnes actions, il apparaît que l’œuvre du salut n’est pas nôtre, c’est celle du Christ. Ce qui dépend de nous et assure notre accès au salut c’est de croire en lui, de mettre en lui toute notre confiance.

Le miracle sera une réponse à l’incrédulité des assistants : « Ne pouvait-il pas, lui qui a ouvert les yeux de l’aveugle, faire aussi que celui-ci ne mourût pas ? » (v.37). Jésus affirme explicitement, dans sa prière au Père, qu’il accomplit le miracle pour susciter la foi « afin qu’ils croient que tu m’as envoyé » (v.42), ce qui se réalise effectivement (v.45), mais provoque en même temps la crainte des membres du Conseil : « Si nous le laissons ainsi tous croiront en lui… » (v.48). Il apparaît donc que tous les personnages se positionnent par rapport à la foi, et que ce thème est même plus important que celui de la vie. La perspective est théologique : Lazare est rétabli dans sa vie terrestre pour manifester la vie surnaturelle, celle qu’apporte le Christ vainqueur de la mort, et que nous accueillons par la foi. Comme à Cana, Jésus affirme que sa vraie gloire est là : « Cette maladie ne mène pas à la mort, elle est pour la gloire de Dieu : afin que le Fils de Dieu soit glorifié par elle » (11, 4).

Toutefois Jésus lui-même, comme Fils de Dieu, n’a pas besoin de la foi, puisqu’il est de nature divine, et qu’il contemple directement son Père. Nous le constatons en l’écoutant prier devant la tombe de Lazare : il ne supplie par son Père pour obtenir le miracle, comme cela serait nécessaire pour nous, mais il le remercie par avance. Le Catéchisme décrit bien la profondeur spirituelle de ce passage :

« L’action de grâces précède l’événement : ‘Père, je te rends grâces de m’avoir exaucé’, ce qui implique que le Père écoute toujours sa demande ; et Jésus ajoute aussitôt : ‘je savais bien que tu m’exauces toujours’, ce qui implique que, de son côté, Jésus demande d’une façon constante. Ainsi, portée par l’action de grâce, la prière de Jésus nous révèle comment demander : avant que le don soit donné, Jésus adhère à celui qui donne et se donne dans ses dons. Le Donateur est plus précieux que le don accordé, il est le « Trésor », et c’est en lui qu’est le cœur de son Fils ; le don est donné « par surcroît » (cf. Mt 6, 21.33) ».[1]

Saint Paul reprend l’opposition entre mort et vie, mais dans une perspective légèrement différente : grâce à l’œuvre accomplie par le Christ, l’humanité est invitée à une nouvelle vie, celle de l’Esprit. Ce passage de la Lettre aux Romains l’oppose à la vie de la chair : « ceux qui vivent selon la chair désirent ce qui est charnel ; ceux qui vivent selon l’Esprit, ce qui est spirituel » (v.5). Et la mort opère dans le domaine de la chair, non dans celui de l’Esprit : « Le corps, il est vrai, reste marqué par la mort à cause du péché, mais l’Esprit vous fait vivre » (v.10).

Le chrétien est donc un temple de l’Esprit Saint : cet Esprit est celui de Dieu même, qui a ressuscité Jésus et qui nous ressuscitera au dernier jour. Ézéchiel l’avait invoqué, prophétiquement, sur les ossements desséchés, en obéissance au Seigneur, dans le passage qui précède immédiatement la lecture de ce jour :

« Le Seigneur me dit : ‘’Prophétise à l’esprit, prophétise, fils d’homme. Tu diras à l’esprit : ‘ainsi parle le Seigneur Yahvé. Viens des quatre vents, esprit, souffle sur ces morts, et qu’ils vivent’.’’ Je prophétisai comme il m’en avait donné l’ordre, et l’esprit vint en eux, ils reprirent vie et se mirent debout sur leurs pieds : grande, immense armée ». (Ez 37, 9-10)

Cette vision prophétique, Jésus l’a accomplie réellement pour son ami Lazare ; il ne cesse de nous envoyer son Esprit pour animer son Église, et nous conduire à la vie en Dieu. La fleur est d’abord un germe, et s’épanouit ensuite sous la poussée de la sève : ainsi notre vie dans le Christ sur cette terre n’est qu’un germe qui s’épanouira au ciel sous l’action de l’Esprit.

La liturgie nous inspire une prière qui pourrait être celle de Marthe et Marie, figures de l’Église qui supplie son Seigneur :

« Réponds à nos prières, Dieu tout-puissant, et comme au jour de la Pentecôte, que le Christ, lumière de lumière, envoie sur ton Église l’Esprit de feu : qu’il éclaire le cœur de ceux que tu as fait renaître et les confirme dans ta grâce. Par Jésus-Christ… »[2]

⇒Lire la méditation


[1] Catéchisme de l’Église catholique, no 2604, disponible ici.

[2] Prière Collecte de la messe de la vigile de Pentecôte.


Raising of Lazarus

Résurrection de Lazare (peinture de Carl Heinrich Bloch)


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