lecture

Les deux lectures principales de ce dimanche nous présentent la guérison de personnes lépreuses, il convient donc de rappeler ce que l’Ancien Testament enseignait sur ce cas, en particulier dans les chapitres 13 et 14 du Lévitique. Sous le terme de « lèpre » sont regroupées les différents troubles cutanés, comme le montre l’introduction à cette partie légale : « S’il se forme sur la peau d’un homme une tumeur, une dartre ou une tache, un cas de lèpre de la peau est à prévoir. On le conduira à Aaron, le prêtre, ou à l’un des prêtres ses fils. » (Lv 13,2). Dans ce même verset apparaît le rôle du personnel sacerdotal : après observation, il faut déclarer – ou non – l’homme comme « impur de lèpre » et prendre les mesures d’isolement social codifiées par la Loi.

On rattache même à la « lèpre » les moisissures sur les vêtements (Lv 13,47-59) ou sur les murs des habitations (Lv 14,33-53). La conception religieuse qui se cache derrière ces dispositions légales est celle de l’impureté, cette menace permanente du royaume de la maladie, de la mort et du péché contre la vie et la santé – c’est-à-dire la sainteté – du Peuple élu : il faut tout faire pour la combattre. Sur le malade pèse également le soupçon d’un péché, volontaire ou non, qui explique ce « châtiment » envoyé par Dieu. Le récit du péché de Miryam, dans le désert, va dans ce sens (Nb 12). C’est pourquoi les sacrifices pour purifier le lépreux sont assimilés aux sacrifices d’expiation pour le péché (cf. Lv 14,31).

Par mesure de protection hygiénique évidente, mais aussi pour que ne se propage pas ce foyer inquiétant d’impureté religieuse qu’est la lèpre, la condition qui est imposée au malade est dramatique, une véritable mort sociale : « Le lépreux atteint de ce mal portera ses vêtements déchirés et ses cheveux dénoués ; il se couvrira la moustache et il criera : ‘Impur ! Impur !’ Tant que durera son mal, il sera impur et, étant impur, il demeurera à part : sa demeure sera hors du camp. » (Lv 13,45-46).

Ceci explique que le Christ rencontre les dix lépreux dans une zone peu habitée, loin de la vie sociale : « dans la région située entre la Samarie et la Galilée » (Lc 17,11), un lieu de passage tout au plus, où brigands et exclus trouvent facilement refuge.

Il convient également aux prêtres, dans les cas décrits en détail tout au long de ce chapitre du Lévitique, de « déclarer pur » un ancien lépreux, c’est-à-dire de témoigner qu’il peut réintégrer la vie religieuse et sociale d’Israël. Tout passe par des actes rituels dans le sanctuaire : « Le prêtre fera alors le sacrifice pour le péché et accomplira sur celui qui se purifie le rite d’expiation de son impureté. Après quoi il immolera l’holocauste, il fera monter à l’autel holocauste et oblation. Quand le prêtre aura ainsi accompli sur cet homme le rite d’expiation, il sera pur. » (Lv 14,19-20).

La première lecture : guérison de Naaman, le Syrien (2R 5,14-17)

Toutes ces mesures légales n’avaient de sens qu’à l’intérieur d’Israël, mais les religions des peuples voisins avaient des conceptions religieuses semblables. On note que la lèpre du général Naaman, « un homme en grande considération et faveur auprès de son maître » (2R 5,2), ne l’empêche pas d’avoir des relations sociales, voire de voyager et de se présenter devant le roi d’Israël. Un élément-clé du récit est que la déclaration de pureté ou d’impureté appartient aux prêtres, mais que l’obtention de la guérison ne peut venir que d’un homme de Dieu, un prophète comme Elisée, puissant en paroles et en œuvres. Il s’agit d’un véritable prodige, comme la multiplication des pains ou la résurrection d’un mort qui nous sont racontés aux chapitres précédents ; et ce seront les mêmes miracles au service de la vie du Peuple qu’accomplira Jésus au début de son ministère, pour être reconnu comme prophète.

Ce signe de la puissance de Dieu échappe donc au sacerdoce et à la royauté, comme le montre l’exclamation du roi d’Israël auquel se présente d’abord Naaman envoyé par le roi d’Aram : « À la lecture de la lettre, le roi d’Israël déchira ses vêtements et dit :’Suis-je un dieu qui puisse donner la mort et la vie, pour que celui-là me mande de délivrer quelqu’un de sa lèpre ? Pour sûr, rendez-vous bien compte qu’il me cherche querelle !’ » (2R 5,7) C’est aussi un signe qui ne rentre pas dans la catégorie du marchandage ou de la magie, au rebours de ce que pensait Naaman, qui s’était muni de « dix talents d’argent, 6000 sicles d’or et dix habits de fête. » (v.5), et qui s’attendait à trouver un guérisseur (v.11).

Dans les versets qui précèdent notre passage liturgique, on comprend que l’enjeu, pour Naaman, est celui de l’adhésion humble à la Parole inspirée par le Dieu d’Israël. Lui qui vient d’un royaume beaucoup plus puissant, avec des dieux considérés comme supérieurs à l’obscur protecteur du petit peuple d’Israël, comment pourrait-il se soumettre à un ordre aussi simple que celui donné par Elisée ? Il s’offusque d’abord de l’affirmation du prophète, selon laquelle il suffirait de sept baignades, dans le petit fleuve du Jourdain, pour obtenir la guérison :

« Naamân, irrité, s’en alla en disant : ‘Je m’étais dit : Sûrement il sortira et se présentera lui-même, puis il invoquera le nom de Yahvé son Dieu, il agitera la main sur l’endroit malade et délivrera la partie lépreuse. Est-ce que les fleuves de Damas, l’Abana et le Parpar, ne valent pas mieux que toutes les eaux d’Israël ? Ne pourrais-je pas m’y baigner pour être purifié ?’ Il tourna bride et partit en colère. » (2R 5,11-12).

Convaincu par ses serviteurs de tenter sa chance, en se soumettant à l’indication d’Elisée, il obtient la guérison : on voit alors – prodige encore plus grand que la guérison physique – un païen adhérer à la foi d’Israël, qui se concrétise dans un mouvement de gratitude : « Désormais, je le sais : il n’y a pas d’autre Dieu, sur toute la terre, que celui d’Israël ! Je t’en prie, accepte un présent de ton serviteur… ». Plus encore : comme la réintégration du lépreux en Israël passait par un acte de culte, Naaman fait désormais le choix de la monolâtrie envers Yhwh : « je ne veux plus offrir ni holocauste ni sacrifice à d’autres dieux qu’au Seigneur Dieu d’Israël. » (v.17)

Ironie du sort : alors que le païen se convertit, le serviteur d’Elisée lui-même se montre indigne de son maître, car il tente de récupérer à son profit le mouvement de générosité de Naaman, en trichant et en mentant pour s’enrichir (vv.20-24). Ironie tragique pour Elisée, car elle symbolise l’infidélité d’Israël. La maladie dont il avait délivré le général araméen se pose alors sur son serviteur : « la lèpre de Naaman s’attachera à toi et à ta postérité pour toujours » (v.27). Comme si l’âme de l’Araméen avait mérité la guérison par sa soumission à la parole prophétique, et l’âme de l’Hébreu le châtiment divin par sa tromperie.

L’évangile : guérison et gratitude (Lc 17,11-19)

Guérison, gratitude, culte véritable : ces éléments du récit d’Elisée se retrouvent dans l’évangile de ce dimanche où dix lépreux bénéficient de la bonté du Seigneur. Parmi eux, un seul, Samaritain de surcroît, revient pour remercier le Christ (Lc 17). Deux aspects sont à noter dans cette narration de guérison, au début et à la fin.

Ce qui frappe dans cet événement, c’est que le Christ renvoie les malades directement aux prêtres, sans exprimer explicitement sa volonté comme dans les autres miracles qu’il accomplit en son Nom (je le veux, sois purifié…). S’il les envoie au personnel sacerdotal, c’est implicitement que la guérison va avoir lieu ; l’attitude des dix lépreux, qui obéissent sans exprimer de doute, montre leur adhésion à Celui qu’ils viennent de qualifier de « Maître (ἐπιστάτα, epistata) ». Ce terme, propre à Luc qui l’emploie sept fois, désigne une « personne de statut élevé », et c’est avec ce titre que les Apôtres s’adressent au Christ (9,49). Leur invocation, lorsqu’ils aperçoivent Jésus, est donc d’une grande valeur et devrait revenir souvent sur nos lèvres : « Jésus, Maître, prends pitié de nous ! » (v.13).

L’ordre donné par Jésus manifeste aussi la valeur de la Loi, tandis que la nouvelle Alliance est annoncée : la fin du récit note que le Samaritain « tombe sur sa face aux pieds de Jésus » (v.16), un acte quasiment liturgique. C’est ainsi que dom Guéranger, promoteur du mouvement liturgique, décrivait ces réalités :

« Les lépreux de notre Evangile, qui se rapporte aux derniers temps du Sauveur, sont délivrés seulement en allant se montrer aux prêtres ; Jésus les y renvoie, comme il l’avait fait pour le premier, donnant à tous, depuis le commencement jusqu’au dernier jour de sa vie mortelle, l’exemple du respect dû jusqu’au bout à l’ancienne loi non encore abrogée. Cette loi en effet donnait au fils d’Aaron le pouvoir, non de guérir, mais de discerner la lèpre et de prononcer sur sa guérison. Le temps est venu cependant d’une loi plus auguste que celle du Sinaï, d’un sacerdoce dont les jugements n’auront plus pour objet de constater l’état des corps, mais d’enlever effectivement, par le prononcé même de leur sentence d’absolution, la lèpre des âmes. La guérison rencontrée par les dix lépreux avant d’être arrivés aux prêtres qu’ils cherchent, devrait suffire à leur montrer dans l’Homme-Dieu la puissance du sacerdoce nouveau qu’annonçaient les prophètes ; le pouvoir qui surpasse pour eux, en la prévenant ainsi, l’autorité du ministère antique, révèle de soi dans celui qui l’exerce une dignité plus grande. »[1]

La « pointe » de ce récit réside cependant ailleurs. Le lecteur de Luc, en effet, ne sera pas très étonné du miracle accompli, puisque les chapitres précédents en ont rapporté de nombreux. Ces signes invitent à autre chose qu’un émerveillement populaire : ils visent à faire « entrer dans le Royaume » ceux qui en bénéficient. Ici, seulement le Samaritain accomplit le pas, et c’est ce que soulignent les paroles finales du Christ. Repassons l’ensemble du troisième évangile pour comprendre ce qui est en jeu dans cette petite scène. Nous nous rappelons que dans son discours-programme dans la synagogue de Nazareth, au début de sa vie publique, le Seigneur avait déclaré :

« ‘En vérité, je vous le dis, aucun prophète n’est bien reçu dans sa patrie. […] Il y avait aussi beaucoup de lépreux en Israël au temps du prophète Élisée ; et aucun d’eux ne fut purifié, mais bien Naaman, le Syrien.’ Entendant cela, tous dans la synagogue furent remplis de fureur. » (Lc 4,24.27-28).

L’enjeu est clair : il s’agit pour le Christ, d’être reconnu comme prophète en accomplissant les signes, ce qui « fonctionne » et aboutit à la déclaration des disciples avant la Transfiguration : « pour les uns, tu es Jean le Baptiste, pour d’autres Elie, pour d’autres encore l’un des anciens prophètes qui est ressuscité » (Lc 9,19). Il s’agit ensuite d’entrer plus profondément dans le mystère du Christ, en passant de la typologie prophétique à l’adhésion au « Royaume de Dieu » : « certains de ceux ici présents ne goûteront pas la mort avant d’avoir vu le Royaume de Dieu » (10,7). C’est un thème qui revient fréquemment dans ces chapitres : par exemple, lors de l’envoi en mission des 72 (Lc 10) ; et surtout immédiatement après notre passage, sur une demande des Pharisiens (17,20 sq.).

Pour Jésus, il est donc important de constater que les dix lépreux ont bénéficié de son pouvoir auprès du Père, mais qu’un seul, Samaritain, est vraiment « entré dans le Royaume ». Nous le constatons aussi grâce aux verbes que choisit Luc pour décrire son attitude :

« L’un d’eux, voyant qu’il était guéri, revint sur ses pas, en glorifiant Dieu (δοξάζων τὸν θεόν) à pleine voix. Il se jeta face contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce (εὐχαριστῶν αὐτῷ) » (Lc 17,15-16).

Le Samaritain fait bien plus qu’exprimer une gratitude humaine : son âme est animée par le vrai culte dans l’Esprit, à travers ces termes spécifiques de gloire (doxa), action de grâce (eucharistein), et son abaissement à terre qui évoque la prostration (proskunesis) devant le Christ. En résumé, il s’agit de passer de la simple foi-obéissance, celle des lépreux qui vont aux prêtres, à la gratitude-adoration, comme le Samaritain. C’est un don de l’Esprit Saint, qui introduit à la connaissance intime du mystère du Christ, et permet d’entrer dans le Royaume.

Jésus conclut ainsi le passage : « Relève-toi et va : ta foi t’a sauvé » (v.19). Le Samaritain est entré, comme Zachée et l’aveugle de Jéricho, dans la communauté de Salut que le Christ constitue autour de lui pendant sa montée à Jérusalem. C’est une belle image de l’Église, où la foi nous conduit à remercier et adorer le Christ sur les chemins de notre histoire humaine, orientés vers son retour en gloire. Le pape Benoît XVI commentait :

« Cette page évangélique nous invite à une double réflexion. Elle fait tout d’abord penser à deux niveaux de guérison : l’un, plus superficiel, concerne le corps ; l’autre, plus profond, touche l’être intime de la personne, ce que la Bible appelle le « cœur » et, à partir de là, rayonne dans l’existence tout entière. La guérison complète et radicale est le « salut ». Le langage commun lui-même, en distinguant entre « santé » et « salut », nous aide à comprendre que le salut est bien plus que la santé. Il est, en effet, une vie nouvelle, pleine, définitive. En outre, Jésus, comme en d’autres circonstances, prononce ici l’expression : « Ta foi t’a sauvé ». C’est la foi qui sauve l’homme, en le rétablissant dans sa relation profonde avec Dieu, avec lui-même et avec les autres ; et la foi s’exprime dans la reconnaissance. Celui qui, comme le Samaritain guéri, sait remercier, démontre qu’il ne considère pas toute chose comme un dû, mais comme un don qui, même lorsqu’il parvient par l’intermédiaire des hommes ou de la nature, provient en fin de compte de Dieu. La foi comporte alors l’ouverture de l’homme à la grâce du Seigneur, reconnaître que tout est don, tout est grâce. Ce trésor est caché dans un petit mot : « merci » ! »[2]

Lecture symbolique du passage

Plusieurs éléments du récit nous permettent des lectures symboliques de ce passage, dont le sens littéral est assez simple. Tout d’abord, la traduction liturgique nous présente « dix lépreux », tandis que le texte original précise : « dix hommes lépreux (δέκα λεπροὶ ἄνδρες) » (Lc 17,12). Dans le judaïsme légèrement postérieur, il sera codifié qu’une assemblée de prière requiert un minimum de dix hommes pour avoir lieu. Tout porte à penser que cette pratique était déjà connue à l’époque du Christ. D’ailleurs Jésus les envoie aux prêtres, et donc au sanctuaire pour une action liturgique qui devrait succéder à leur déclaration de pureté. Mais dans le récit, c’est seulement le Samaritain qui accomplit des actes de culte, envers Dieu qu’il glorifie, et envers Jésus devant lequel il se prosterne. Le Christ souligne qu’il est un « étranger ». Pourrions-nous y déceler un certain échec de la synagogue, et l’émergence du culte chrétien parmi les Gentils, « en Esprit et vérité » ? Le pape François relevait une autre valeur dans ce détail :

« Il est significatif que Naaman et le samaritain soient deux étrangers. Que d’étrangers, y compris des personnes d’autres religions, nous donnent l’exemple de valeurs que nous oublions parfois ou négligeons ! Celui qui vit à côté de nous, peut-être méprisé et marginalisé parce qu’il est un étranger, peut nous enseigner cependant comment marcher sur la voie que le Seigneur veut. La Mère de Dieu, elle aussi, avec son époux Joseph, a fait l’expérience de l’éloignement de sa terre. Pendant longtemps, elle aussi a été une étrangère en Égypte, loin de ses parents et de ses amis. Mais sa foi a su vaincre les difficultés. Accrochons-nous fermement à cette foi simple de la Sainte Mère de Dieu ; demandons-lui de savoir revenir toujours vers Jésus et de lui exprimer notre gratitude pour les nombreux bienfaits de sa miséricorde. »[3]

L’accomplissement du miracle de guérison évoque également la bonté de Dieu, manifestée dans le Christ. Nous avons souligné la valeur de l’invocation utilisée par les lépreux : « Jésus, Maître, aie pitié de nous ! » (v.13). Dans notre vie, nous pouvons les imiter par une contrition profonde face aux multiples manifestations de la lèpre dans notre âme, et spécialement l’impureté qui offense le Seigneur. C’est ainsi que le Catéchisme du Concile de Trente louait la contrition en évoquant notre scène évangélique :

« La Contrition ne saurait jamais cesser de Lui [à Dieu] être chère et agréable. ‘Vous ne rejetterez point, ô mon Dieu, dit le Prophète, un cœur contrit et humilié.’ Bien plus mous n’avons pas plus tôt conçu cette Contrition dans notre cœur, que Dieu sur le champ nous accorde la rémission de nos péchés. C’est ce que nous déclare le même Prophète dans un autre endroit : ‘J’ai dit, je confesserai cotre moi mon iniquité au Seigneur, et Vous, Vous m’avez remis aussitôt l’impiété de mon péché.’ Et nous avons une figure sensible de cette vérité dans les dix lépreux que Notre-Seigneur envoya vers les Prêtres, et qui furent guéris avant d’arriver jusqu’à eux. Ce qui fait voir que la véritable Contrition dont nous venons de parler possède une vertu si grande qu’à cause d’elle le Seigneur nous accorde immédiatement la rémission de tous nos péchés. »[4]

Nous pouvons aussi réfléchir sur les significations symboliques de la lèpre, en écoutant cette clé d’interprétation du pape Benoît XVI :

« En vérité, la lèpre qui défigure réellement l’homme et la société est le péché ; il s’agit de l’orgueil et de l’égoïsme qui engendrent dans l’âme humaine indifférence, haine et violence. Cette lèpre de l’esprit, qui défigure le visage de l’humanité, personne ne peut la guérir sinon Dieu, qui est Amour. En ouvrant son cœur à Dieu, la personne qui se convertit est guérie intérieurement du mal. »[5]

Saint Augustin, quant à lui, nous offre une belle interprétation de la lèpre, puisée à son expérience personnelle, puisqu’il a erré de nombreuses années dans la secte des manichéens et a dû combattre de nombreuses hérésies :

« Voyons donc de quoi la lèpre elle-même est la figure. L’Evangile ne dit pas de ceux qui en ont été délivrés, qu’ils sont guéris, mais purifiés. La lèpre est en effet un défaut de couleur, et non la privation de la santé ou de l’intégrité des sens et des membres. Il est donc permis de voir dans les lépreux le symbole de ces hommes qui, n’ayant pas la science de la vraie foi, professent ouvertement les divers enseignements contradictoires de l’erreur. Car ils ne voilent pas même leur inhabileté, mais ils font tous leurs efforts pour produire l’erreur au grand jour et mettent à son service toute la pompe de leurs discours. Or, il n’est pas de fausse doctrine qui ne renferme quelque mélange de vérité. Les vérités qui apparaissent dans la discussion ou la conversation d’un homme, mélangées sans aucun ordre avec l’erreur, comme des taches sur un corps, représentent donc la lèpre, qui couvre et macule le corps de l’homme de couleurs vraies et de couleurs fausses. Or, il faut que l’Église évite de tels hommes, afin, s’il est possible, qu’ils élèvent du plus loin qu’ils sont un grand cri vers le Christ, comme les dix lépreux, qui s’arrêtèrent loin de lui, et élevèrent la voix, disant : ‘Jésus, notre précepteur, ayez pitié de nous.’ Ce nom qu’ils donnent au Sauveur, et qu’aucun malade, que je sache, n’a employé pour lui demander la guérison du corps, me donne assez lieu de croire que la lèpre est la figure de la fausse doctrine, que le bon Maître guérit. »[6]

Mais le message spirituel principal de cette page évangélique demeure l’imitation : comme le Samaritain guéri, nous devons entrer dans le Royaume par une foi animée de gratitude, et qui nous pousse à honorer le Christ. C’est ainsi que le saint Curé d’Ars le formulait à ses paroissiens :

« Voyez le lépreux samaritain : se voyant guéri, il retourne sur ses pas, se jette aux pieds de Jésus-Christ pour le remercier de la grâce qu’il venait de lui faire. Saint Augustin nous dit que la principale action de grâces, c’est que votre âme soit sincèrement reconnaissante envers la bonté de Dieu, en se donnant tout à lui avec toutes ses affections. Voyez le Sauveur, quand il eut guéri les dix lépreux, voyant qu’il n’y en avait qu’un qui revenait le remercier : ‘Et les neuf autres, lui dit Jésus-Christ, n’ont-ils pas aussi été guéris ?’ comme s’il leur avait dit : Pourquoi est-ce que les autres ne viennent pas me remercier ? Saint Bernard nous dit qu’il faut être très reconnaissants envers le bon Dieu, parce que cela l’engage à nous accorder beaucoup d’autres grâces. Hélas ! Mes frères, que de grâces n’avons-nous pas à rendre à Dieu de nous avoir créés, de nous avoir rachetés par sa mort et passion, de nous avoir fait naître dans le sein de son Église, tandis que tant d’autres vivent et meurent hors de son sein. Oui, mes frères, puisque la bonté et la miséricorde de Dieu sont infinies, tâchons donc d’en bien profiter, et, par-là, nous aurons le bonheur de lui plaire, et de conserver nos âmes dans sa grâce : ce qui nous procurera le bonheur d’aller jouir de sa sainte présence avec tous les bienheureux dans le ciel. C’est ce que je vous souhaite. »[7]


[1] Dom Guéranger, L’année liturgique, Pentecôte, tome II, Treizième dimanche après la Pentecôte, édition Oudin 1900, p.336.

[2] Benoît XVI, Angélus du 14 octobre 2007, https://www.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/angelus/2007/documents/hf_ben-xvi_ang_20071014.html

[3] Pape François, Homélie du 9 octobre 2016, https://www.vatican.va/content/francesco/fr/homilies/2016/documents/papa-francesco_20161009_omelia-giubileo-mariano.html

[4] Catéchisme du Concile de Trente, De la Contrition,Desclée 1923, p.167.

[5] Benoît XVI, Angélus du 14 octobre 2007, https://www.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/angelus/2007/documents/hf_ben-xvi_ang_20071014.html

[6] Saint Augustin, Questions sur les Évangiles, livre II, chapitre XL, édition Guérins 1867,p. 344.

[7] Saint Jean-Marie Vianney, Sermon sur la miséricorde de Dieu (3ème dimanche après Pentecôte), Tome II des Sermons, éditions Delaroche, Lyon 1893, p.154.

Dix lépreux, Peinture de James Christensen (2002)
Voir l’explication ici


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