Toute la liturgie de cette fête s’articule autour de la naissance de deux enfants, Isaac et Jésus; ils sont silencieux, tout petits, mais se retrouvent au centre des espérances, des joies et des souffrances de trois couples dont le dénominateur commun est la foi. «L’enfant grandissait et se fortifiait…» Le mystère de l’enfant tant attendu arrache enfin un sourire à Abraham et à Sara (Gn 21); il conduit Joseph et Marie au Temple pour accomplir la loi et rendre grâce (Lc 2); il comble Syméon et Anne, les seniors qui sont libres dans l’Esprit et savent reconnaître la main de Dieu dans cette naissance en apparence semblable aux autres.
La première lecture: Promesse d’un fils, Isaac (Gn 15)
Les deux premières lectures et le psaume nous présentent le mystère de la Promesse faite à Abraham. La liturgie emprunte au livre de la Genèse deux moments particuliers de la vie du Patriarche, assez distants l’un de l’autre: l’annonce de la naissance d’Isaac (Gn 15), alors que Sara est stérile, et l’accomplissement de cette promesse (Gn 21).
Au chapitre 15, Dieu renouvelle à Abraham la promesse de lui donner une descendance, promesse qu’il lui avait déjà faite lors de son départ d’Ur en Chaldée (Gn 12,2 : Je ferai de toi un grand peuple), et lors de son séjour en Canaan (13,16: Je rendrai ta postérité comme la poussière de la terre). Abraham avait alors accueilli la promesse en silence, mais les années étaient passées … et Sara demeurait stérile. Devant une nouvelle manifestation de la faveur divine, il se permet, pour la première fois, de poser à Dieu une question qui n’est pas sans avoir des accents de reproche: «Tu ne m’as pas donné de descendance» (Gn 15,3). Le Seigneur se penche alors sur ce cœur meurtri, et lui insuffle une nouvelle espérance: «Regarde le ciel, compte les étoiles…», comme pour dire : n’oublie pas que Je suis le Seigneur du ciel et de la terre! Le dialogue porte son fruit: Abraham laisse son âme être transformée par une profonde foi, qui sera la source de sa fécondité.
Nous passons ensuite directement à l’accomplissement de cette promesse, au chapitre 21; treize années séparent, en réalité, ces deux épisodes. La foi reçue avait besoin d’être éprouvée par les vicissitudes de la vie: d’abord des difficultés domestiques, avec la naissance d’Ismaël (chap. 16). Croyant pouvoir résoudre par elle-même le drame de son mari, Saraï a prêté sa servante Agar à Abram et Ismaël est né. Le résultat fut désastreux… Et le cœur d’Abram est déchiré par un nouveau conflit. Il y a ensuite les difficultés dans le pays, avec la destruction de Sodome (chap. 19) ; et la descente au Néguev où Abram, pris de peur, fait passer Saraï pour sa sœur et peu s’en faut que le roi Abimelek la prenne pour femme (chap. 20).
Dieu essaie de projeter sa lumière dans ces ténèbres: Il donne un nouveau nom à Abram et Saraï, devenus Abraham et Sara, et apparaît à Mambré (chap. 18) en réitérant, envers et contre tout, la promesse pour Sara. En d’autres termes, Abraham croit en la promesse de Dieu, mais il peine à comprendre sa manière d’agir et mène en parallèle ses propres affaires, selon sa propre vision des choses. Nous y reviendrons dans la méditation.
Le Psaume: Le Seigneur se souvient de son Alliance (Ps 105)
Le Psaume 105 (104) est une grande action de grâce qui embrasse l’histoire d’Israël et évoque les grandes figures fondatrices: depuis les patriarches Abraham et Jacob, le juste Joseph persécuté, jusqu’au libérateur Moïse. La liturgie de ce dimanche en retient les huit premiers versets, mais il serait bon de le reprendre en entier dans la méditation personnelle.
Le premier passage est une invitation à la louange: «chantez et jouez pour lui», nos cœurs sont ainsi exhortés à s’unir à la voix puissante de l’Église. Le second est un encouragement à chercher le Seigneur: «joie pour les cœurs qui cherchent Dieu!», en se séparant des fausses joies du monde. Le troisième est une exhortation à faire mémoire de son action dans l’histoire: «souvenez-vous des merveilles qu’il a faites », en remontant jusqu’au patriarche Abraham qui est si présent dans les autres lectures. Le quatrième, enfin, est un appel à la confiance car Dieu tient toujours ses promesses: «il s’est toujours souvenu de son alliance».
Louer, chercher, se souvenir, croire… Quatre verbes-clés qui constituent un programme simple et profond pour la vie spirituelle de chacun d’entre nous. Et pour celle de chaque famille qui peut voir, comme Abraham, se réaliser la promesse de Dieu, au fil du temps et malgré les difficultés. C’est bien ce que cherchent à vivre nos assemblées dominicales, comme le rappelle le catéchisme:
«Le dimanche est le jour par excellence de l’Assemblée liturgique, où les fidèles se rassemblent pour que, entendant la Parole de Dieu et participant à l’Eucharistie, ils fassent mémoire de la Passion, de la Résurrection et de la Gloire du Seigneur Jésus, en rendant grâces à Dieu qui les a régénérés pour une vivante espérance par la Résurrection de Jésus-Christ d’entre les morts.»[1]
La deuxième lecture: la foi des Patriarches (He 11)
La Lettre aux Hébreux, au chapitre 11, nous offre également un survol de l’histoire sainte, en faisant l’éloge de la foi des Anciens. L’auteur sacré nous en donne une définition dans un verset que ne retient pas la lecture de ce jour: «la foi est la garantie des biens que l’on espère, la preuve des réalités qu’on ne voit pas» (11,1). Elle est un don de Dieu, qui mène tous ces personnages pourtant faibles à accomplir des œuvres qui les dépassent. Le pape Benoît XVI écrivait ainsi en commentant He 11:
«De la foi surgit une nouvelle confiance, une nouvelle assurance que seul Dieu peut donner. Si l’homme de foi s’appuie sur le Dieu de l’Amen, sur le Dieu fidèle (Cf. Is 65, 16), et devient ainsi lui-même assuré, nous pouvons ajouter que cette fermeté de la foi fait référence aussi à la cité que Dieu prépare pour l’homme. La foi révèle combien les liens entre les hommes peuvent être forts, quand Dieu se rend présent au milieu d’eux. Il ne s’agit pas seulement d’une fermeté intérieure, d’une conviction stable du croyant; la foi éclaire aussi les relations entre les hommes, parce qu’elle naît de l’amour et suit la dynamique de l’amour de Dieu. Le Dieu digne de confiance donne aux hommes une cité fiable.»[2]
Après les patriarches Abel, Hénoch et Noé, la lettre aux Hébreux évoque Abraham qui, à plusieurs reprises, fait preuve d’une foi exemplaire: en obéissant à l’ordre de quitter Ur pour une destination inconnue (vv.8-10), en croyant avec Sara à la promesse de la descendance (vv.11-12), en acceptant de sacrifier Isaac, son fils unique (vv.17-19). En tout cela, Abraham croit à l’impossible et Dieu le reconnaît explicitement: «Le Seigneur estima qu’il était juste» (Gn, 15, 6).
Le texte souligne surtout que la foi est un don nécessaire pour l’action. Elle permet à Dieu de réaliser ses promesses, lorsque l’homme s’ouvre à ce don et l’entretient avec soin: «grâce à la foi», répète le texte à trois reprises. La foi est au début de notre chemin vers Dieu: (grâce à la foi, Abraham obéit à l’appel de Dieu); elle nous permet de porter du fruit (grâce à la foi, Sara fut rendue capable d’être à l’origine d’une descendance); elle est notre soutien dans l’épreuve (grâce à la foi, quand il fut soumis à l’épreuve, Abraham offrit Isaac en sacrifice). En somme, Dieu exige de nous ce que lui-même nous donne, la foi ferme en la réalisation de ses promesses.
L’évangile: la présentation au Temple (Lc 2)
L’exemple de foi des Patriarches se retrouve dans l’évangile du jour: Syméon et Anne, animés par l’Esprit Saint, sont pleins de confiance dans la réalisation des promesses faites à Israël. Avec eux s’achève la grande marche dans la foi des croyants de l’Ancien Testament, parce que la lumière des nations, le Christ, est enfin apparue. Parmi les épisodes de la vie d’Abraham, le sacrifice d’Isaac étend son ombre sur Marie: elle aussi offrira son Fils en sacrifice, lorsque son âme sera traversée d’un glaive, selon les paroles de Syméon. La foi chrétienne brillera alors de tout son éclat.
La narration de l’évangile de la Présentation (Lc 2,22-40) a comme cadre l’accomplissement de la Loi de Moïse sur le Premier-né (Ex 13). Ce précepte porte le jeune couple de Marie et Joseph au Temple de Jérusalem avant qu’ils ne retournent à Nazareth, comme l’indique les paroles qui concluent l’épisode.
Ils viennent rendre à Dieu le Premier-né, selon le sens profond de ce point de la Loi (Ex 13) : l’enfant a été reçu, Il appartient à Dieu comme prémices de la nouvelle génération, ils viennent donc le lui retourner parce qu’il est consacré. Dieu le rend à ses parents dans l’échange symbolique du sacrifice de deux petites colombes. Saint Jean-Paul II nous montre la profondeur de ce moment, et n’oublie pas de mentionner ce personnage bien discret mais essentiel qu’est saint Joseph :
«Le rachat du premier-né est un autre devoir du père, que Joseph accomplit. Le premier-né représentait le peuple de l’Alliance, racheté de l’esclavage pour appartenir à Dieu. Sur ce plan aussi, non seulement Jésus, qui est le véritable ‘prix’ du rachat, ‘accomplit’ le rite de l’Ancien Testament, mais il le dépasse en même temps; en effet, il n’est pas un sujet de rachat mais l’auteur même du rachat.»[3]
Joseph et Marie viennent obéir à la Loi, alors qu’il y a là plus grand que la Loi. Ils ne le savent pas encore mais, à travers leur obéissance, leur humilité, leur pauvreté aussi – ils ne peuvent offrir que le sacrifice des pauvres, deux colombes – c’est déjà le portrait des Béatitudes qui s’ébauche, celui de Jésus lui-même: obéissant, pauvre, doux et humble de cœur.
Dans ce cadre du Temple, deux personnages insolites font ensuite leur apparition: Syméon et Anne; tous deux voient en Jésus l’accomplissement des promesses divines envers le Peuple saint. Il est proclamé «lumière qui se révèle aux nations et donne gloire à ton peuple Israël» (Lc 2,32). L’Esprit-Saint les anime et fait d’eux des prophètes: Syméon annonce à Marie les tribulations à venir, tandis qu’Anne, appelée explicitement prophétesse (v.36), répand, partout dans la capitale, la nouvelle de l’avènement du Messie.
Sous cette motion de l’Esprit, tout tourne autour du personnage principal : Jésus, le Messie, le fils de Marie et de Joseph. Il est aussi le terme inconnu du pèlerinage d’Abraham, et son lointain descendant. En suivant Abraham, Syméon et Joseph, ces trois justes, dans leur pèlerinage de foi, nous accomplissons ce passage essentiel de l’Ancien au Nouveau Testament. D’où l’incipit de la Lettre aux Hébreux que nous reprenons pour l’Alléluia:
«À bien des reprises, Dieu, dans le passé, a parlé à nos pères par les prophètes; à la fin, en ces jours où nous sommes, il nous a parlé par son Fils» (Heb 1,1-2).