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La Lettre aux Romains se conclut par une grande doxologie, une hymne liturgique pour rendre gloire à Dieu ; elle est centrée sur l’idée du « mystère », qui donne la clé des lectures de ce dimanche : le mystère du Temple, demeure de Dieu, auquel David est confronté (2Sam 7), un mystère qui se dévoile pleinement lors de l’Annonciation à Marie (Lc 1), et que saint Paul célèbre avec la communauté chrétienne pour louer Dieu le Père (Ro 16).

La deuxième lecture : « révélation d’un mystère » (Ro 16)

La culture grecque utilisait largement la parole « mystère » (μυστήριον, mystèrion), pour désigner une « chose secrète » détenue par la divinité, que seuls les initiés pouvaient obtenir grâce aux rites des religions « à mystères »[1]. Au temps de Jésus, certaines branches du judaïsme, les milieux dits « apocalyptiques », tournaient eux aussi à l’ésotérisme : ils espéraient connaître les desseins divins, inaccessibles à l’homme, mais qu’une intervention du Dieu des Armées viendrait mettre en œuvre.

La Lettre de Saint Paul, dans sa conclusion, exalte la « révélation d’un mystère gardé depuis toujours dans le silence » (16,25). Ce mystère est à présent annoncé aux nations « pour les amener à l’obéissance de la foi ». De quoi s’agit-il exactement ? Il suffit de confronter cette hymne avec le début de la Lettre pour comprendre la pensée de l’apôtre : le Mystère du Christ (Ro 1,3) a été promis par les prophètes (v.2) et est devenu l’Évangile de Dieu (v.1) que Paul proclame aux nations, obtenant leur conversion (l’obéissance de la foi, v.5). Saint Paul est ainsi ébloui par ce déploiement de la Puissance divine au sein de l’histoire humaine : il contemple l’histoire du Salut, dont le Christ est le sommet et l’aboutissement.

C’est cette ligne de pensée qui détermine le choix des lectures de ce jour : la première lecture (2 Sam 7), où David reçoit la grande promesse messianique, est bien l’un des « écrits prophétiques » mentionnés par la lettre aux Romains (16,6). Cette promesse s’accomplit dans l’Évangile (Lc 1,32 : Il lui donnera le trône de David son père). Nos assemblées du dimanche, réunies pour la célébration de la messe dans le monde entier, témoignent de ce que ce Mystère a été effectivement « porté à la connaissance de toutes les nations ». Par notre Amen, nous exprimons cette obéissance de la foi qui nous donne le Salut, et notre liturgie vise à louer « Celui qui est le seul sage, Dieu, par Jésus-Christ : à lui la gloire pour les siècles, Amen ! » (Rm 16,27).

La première lecture : La grande promesse messianique (2Sam 7)

La liturgie nous propose donc de méditer un oracle central dans l’Ancien Testament : la promesse que Dieu, à travers le prophète Nathan, adresse au roi David (2Sam 7). C’est la promesse du Messie faite à la lignée des rois de Juda, qui ne cessera d’habiter l’âme et les écrits d’Israël à travers les siècles.

Avec un cœur généreux, un peu trop imbu de sa grandeur humaine, David voudrait offrir une vraie maison – un Temple – à l’arche du Seigneur qui, depuis l’Exode, demeure sous une tente. Une attitude louable, que Nathan approuve ; mais le Seigneur saisit l’occasion pour retourner la proposition et se montrer encore plus généreux que David. Tout le texte joue sur les sens de ce simple mot, « maison » (בית, baït) : celle où habite David, son palais ; celle qu’il voudrait offrir à Dieu, le Temple ; la lignée des rois de Juda, la maison de David au sens figuré.

De manière inattendue, Dieu invite David à laisser de côté le thème du Temple de pierre, qu’il réserve à Salomon, et lui ouvre une autre perspective répondant au désir qui habite le cœur de tout roi : la « maison de David » sera sa descendance qui jouira de la protection divine : « le Seigneur te fait savoir qu’il te fera lui-même une maison ». Tout au long des vicissitudes de l’histoire, notamment l’Exil à Babylone, cette promesse solennelle (ton trône sera affermi à jamais) accompagnera le peuple d’Israël, nourrira son espérance et se changera petit à petit en attente messianique. Nous reviendrons sur ce point dans la méditation.

Le Psaume : louange au Dieu fidèle (Ps 89)

Recevant une telle promesse, David reste confondu et n’a d’autre désir que de rendre grâce à Dieu, par une belle prière qu’il prononce en présence du Seigneur, c’est-à-dire dans sa tente (2Sam 7,18-29) : « C’est pourquoi tu es grand, Seigneur Dieu : il n’y a personne comme toi et il n’y a pas d’autre Dieu que toi seul… »

Le Psaume de la messe (Ps 89) reprend la même attitude, en invitant les fidèles à chanter les grandeurs du Seigneur. Nous ne retenons que trois strophes de ce grand chant de louange, mais il faudrait le relire et le prier en entier : achevant le troisième livre du psautier, il offre une méditation profonde sur la fidélité de Dieu, depuis la Création (v. 6 et suivants). Il reformule la Promesse faite à David : « Avec mon élu, j’ai fait une alliance… » (v.4).

Puis nous écoutons cette expression frappante : « Il me dira : ‘Tu es mon Père’ » (v.27), en écho avec 2Sam 7 : « Moi, je serai pour lui un père ; et lui sera pour moi un fils » (v.14). Ces expressions poétiques préparent la grande révélation que Jésus nous apportera : l’amour éternel dont le Père entoure son Fils bien-aimé, qui n’est autre que l’Esprit Saint…

L’évangile : l’Annonciation (Lc 1)

Le psaume 89, dans sa dernière partie (vv. 39-46), revenait sur les difficultés et les doutes de l’Exil : Dieu semble avoir abandonné son Peuple… Mais il se terminait par un vibrant appel au secours s’appuyant sur la promesse de Dieu (vv. 47-53) : « Jusques à quand, Seigneur, seras-tu caché ?Où donc, Seigneur, est ton premier amour, celui que tu jurais à David sur ta foi ? » La Promesse messianique de 2Sam 7 traverse les siècles comme un navire fend les flots déchaînés de l’histoire, emportant le croyant dans l’aventure de l’espérance…

L’événement de l’Incarnation, décrit par l’évangile (Lc 1), est la réponse divine à cette grande et majestueuse prière d’Israël, que la liturgie fait aussi résonner par l’antienne d’ouverture de la messe (Is 45,8):

Cieux, faites venir le Juste comme une rosée. Qu’il descende des nuées comme une pluie bienfaisante. Que la terre s’entrouvre et donne naissance au Sauveur ![2]

En effet, la première déclaration de l’ange Gabriel à Marie (vv.30-33) ne laisse aucun doute à la jeune fille : elle sera la mère du Messie attendu, à qui le Seigneur Dieu « donnera le trône de David son père » ; il sera appelé à « régner sur la maison de Jacob pour les siècles ». Joseph nous est présenté comme appartenant à « la maison de David » (v.27), une autre allusion à 2Sam 7.

Le « mystère » qu’évoquait saint Paul, ce grand dessein divin qui se déploie dans l’histoire, arrive donc à son accomplissement et à son dévoilement complet dans le Christ, comme l’explique le catéchisme :

« L’Annonciation à Marie inaugure la ‘plénitude des temps’ (Ga 4, 4), c’est-à-dire l’accomplissement des promesses et des préparations. Marie est invitée à concevoir Celui en qui habitera ‘corporellement la plénitude de la divinité’ (Col 2, 9). La réponse divine à son “comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais point d’homme ?” (Lc 1, 34) est donnée par la puissance de l’Esprit : ‘L’Esprit Saint viendra sur toi’ (Lc 1, 35). »[3]

Revenons sur cette question que Marie pose à l’ange : lors de la précédente annonciation, celle de la naissance de Jean-Baptiste (Lc 1), Zacharie avait été châtié pour avoir posé une question similaire : « À quoi connaîtrai-je cela ? car moi je suis un vieillard et ma femme est avancée en âge… » (v.18). Il aurait dû saisir dans la foi que l’ange annonçait un événement miraculeux, dans la lignée des naissances de l’Ancien Testament annoncées à des femmes stériles (Sarah, Anne, etc.)… Ce sera d’ailleurs le signe donné à Marie : sa cousine, Elizabeth qu’on appelait « la femme stérile » (v.37), va enfanter un fils.

Marie, quant à elle, ne met pas en doute la parole de l’ange, mais s’enquiert très simplement des modalités de cet événement, puisqu’elle est vierge et que l’Esprit Saint, selon toute probabilité, a mis dans son cœur la ferme proposition de le rester, comme consécration à Dieu. D’où la seconde déclaration de l’ange (vv.35-37) : l’annonce du mystère de la conception virginale de Jésus, une nouveauté absolue, qui est liée à sa filiation divine : « Il sera appelé Fils de Dieu » (v.35). Il convenait que le Fils unique, engendré de toute éternité par le Père, soit engendré sans père biologique lorsqu’il revêt notre nature humaine.

Ce tableau de Luc s’achève par la réponse humble et parfaite de Marie, qui s’associe de tout son être à ce projet dont Dieu seul a l’initiative. Elle est le modèle de l’Église et de l’âme face au Seigneur, une phrase qu’il nous est bon de répéter souvent : « Voici la servante du Seigneur : que tout m’advienne selon ta parole ! » (Lc 1,38).

Saint Luc, par respect du mystère, laisse alors Marie dans son silence à Nazareth : nous demeurons au seuil du Temple, sans y entrer… Dans sa prière de l’Angélus, l’Église emprunte à saint Jean ce que le texte de Luc laisse supposer après le départ de l’ange : « Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous » (Jn 1,14).

⇒Lire la méditation


[1] Pour approfondir, voir par exemple cet article.

[2] Is 45,8, repris comme Antienne d’ouverture de la messe du jour.

[3] Catéchisme, nº484.


L’Annonciation (tryptique de Merode)

L’Annonciation (tryptique de Merode)


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