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À l’écoute de la Parole

La liturgie de ce dimanche se trouve au confluent de deux traditions différentes. Il s’agit, d’une part, du troisième dimanche de l’Avent, dit dimanche de «Gaudete» (réjouissez-vous!)[1]: l’Église veut nous préparer à la grande réjouissance que sera Noël, et nous fait écouter les invitations à la joie que nous adressent Isaïe et saint Paul. Nous lisons aussi le Magnificat, où la voix de Marie, pleine de joie, invite à la louange.

D’un autre côté, Jean-Baptiste est notre compagnon traditionnel pendant l’Avent. Lors du troisième dimanche, nous l’écoutons d’ordinaire proclamer l’avènement des temps messianiques, depuis sa prison, pour l’année A (Mt 11), ou à l’occasion du baptême de Jésus pour l’année C (Lc 3). Mais puisque l’Évangile de Marc ne comporte pas de scène similaire, nous empruntons l’évangile de ce jour à Jean: le témoignage du précurseur à Béthanie, juste avant le baptême de Jésus.

L’évangile: le témoignage de Jean (Jn 1,6-8.19-28)

Une parole domine l’évangile: le «témoignage» (μαρτυρία, marturia), qui qualifie l’action de Jean-Baptiste à l’égard de Jésus. C’est dans le domaine légal qu’il faut chercher son origine: dans l’Antiquité, où il n’y avait pas d’enquête préliminaire ni de dossier écrit, la déposition devant le juge, le témoignage, était essentiel, et l’issue du procès en dépendait. Tout l’évangile de Jean est marqué par ce caractère judiciaire, où certains faits – ses signes, les miracles – déposent en faveur de Jésus, tandis que ses adversaires accumulent les griefs contre lui pour le faire condamner légalement. Il suffit de relire Jn 5,31-47 pour s’en convaincre; Jésus y affirme par exemple: «Si je me rends témoignage à moi-même, mon témoignage n’est pas valable…» (v.31).

Ce thème est si important pour Jean qu’il l’a inséré dans son majestueux Prologue (1,1-8), en ouverture de l’évangile: ce sont les trois premiers versets de l’évangile du jour (6-8). Le Christ est la Lumière, le Verbe fait chair, et Jean «était là pour rendre témoignage à la lumière», c’est-à-dire affirmer devant le peuple juif que Jésus est bien le Messie, le Fils du Dieu vivant. De même qu’un tribunal se fie à la véracité du témoin, pour décider sur un fait qui ne lui est plus accessible, les hommes sont invités par Jean à la foi (afin que tous croient par lui, v.7), pour adhérer à une vérité qui n’est pas d’accès immédiat aux sens.

D’où la ligne de partage qui divisera les personnages de l’évangile: s’opposer au Christ et le mettre à mort (les siens ne l’ont pas accueilli), ou devenir son disciple et recevoir une nouvelle vie (à tous ceux qui l’ont accueilli, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu, v.12). C’est dans ce dernier sens que la tradition chrétienne assimile les «martyrs» à des témoins, associés au Christ jusqu’à la mort pour certifier sa divinité et recevoir la Vie.

Comme lors d’un procès, on fait donc entrer le témoin pour qu’il donne sa version des faits et c’est ainsi que débute l’évangile de Jean, après le Prologue. Autour du baptême de Jésus, nous écoutons le témoignage de Jean-Baptiste dont la narration couvre trois jours: dialogue avec les émissaires juifs (vv.19-28); désignation de Jésus comme l’Agneau de Dieu (29-34); invitation faite à deux de ses disciples de suivre désormais le Christ (35-37).

La seconde partie de l’évangile du jour (Jn 1,19-28) nous présente donc le début de ce témoignage, le premier jour, lorsque Jean-Baptiste, sur un ton très rude, déroute et détrompe ses auditeurs. Ils voudraient se fixer sur sa personne, et tentent de l’inscrire dans la tradition juive. Serait-il le Messie attendu depuis des siècles, ou Elie qui devrait revenir avant lui selon Mal 4,5; ou encore le grand Prophète, ce personnage mystérieux auquel il est fait allusion dans le livre du Deutéronome (18,18) ?

Jean n’a de cesse de nier tout cela: il ne veut être qu’un signe, «la voix de celui qui crie dans le désert» (Is 40,3 LXX), comme nous l’avons entendu la semaine dernière chez Marc. Il ne veut en aucun cas faire écran à la Lumière qu’est le Christ, et n’est là que pour affirmer sa présence: «Au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas» (v.26).

Est ainsi introduit le thème principal de l’évangile: «connaître le Christ», c’est-à-dire croire en lui. Jean-Baptiste n’y parviendra que par une illumination spéciale de l’Esprit Saint (v.33); les premiers disciples y parviendront grâce au miracle de Cana (2,11); les foules y seront invitées par les différents signes comme la résurrection de Lazare. Les adversaires du Christ, quant à eux, resteront dans leur aveuglement (cf. 9,41) qui conduira au drame du Calvaire.

À la fin de cette page d’évangile sur le témoignage de Jean, tout est en place pour la venue de l’Agneau de Dieu, pour son accueil par les croyants, et pour le grand procès du Verbe fait chair.

La première lecture: «Je tressaille de joie» (Is 61)

Les autres lectures ne montrent pas la même tension dramatique, bien au contraire: la joie domine en elles comme un refrain entraînant. Le pape François nous en propose une excellente introduction:

«Dans la liturgie résonne plusieurs fois l’invitation à la joie, à se réjouir, pourquoi? Parce que le Seigneur est proche. Noël est proche. Le message chrétien s’appelle ‘évangile’, c’est-à-dire ‘bonne nouvelle’, une annonce de joie pour tout le peuple; l’Église n’est pas un refuge pour personnes tristes, l’Église est la maison de la joie! Et ceux qui sont tristes trouvent en elle la joie, trouvent en elle la vraie joie!»[2]

La liturgie regroupe en un seul texte le début (vv.1-2) et la fin (vv.10-11) du chapitre 61 d’Isaïe, où le poète décrit le messager du Seigneur, envoyé pour relever le peuple humilié (vv.3-9, le passage omis): «Au lieu de votre honte, vous aurez double part; au lieu de l’humiliation, les cris de joie…» (v.7). Isaïe voit l’époux d’Israël, qui est Dieu, s’unir à son peuple pour une nouvelle fécondité (comme un jardin fait germer ses semences… v.11). Union avec Dieu, joie débordante, fécondité nouvelle: ces thèmes reviendront dans les autres lectures.

La vocation de l’envoyé est donc claire: habité par l’Esprit, il vient annoncer la Bonne Nouvelle de la libération (v.2), ce qui le remplit de joie (v.10), une joie comparable à celle que l’on éprouve lors d’un mariage (comme un jeune époux… comme une mariée…). Les échos poétiques de cet oracle (le diadème du marié, par exemple) font penser à un chant populaire pour des noces, un épithalame.

Jésus, au début de sa vie publique, affirmera être cet envoyé, en proclamant l’oracle d’Isaïe: «L’Esprit du Seigneur est sur moi… Aujourd’hui s’accomplit à vos oreilles ce passage de l’Écriture» (Lc 4,18.21). Jean-Baptiste reprendra alors les accents d’Isaïe: «Qui a l’épouse est l’époux; mais l’ami de l’époux qui se tient là et qui l’entend, est ravi de joie à la voix de l’époux. Telle est ma joie, et elle est complète» (Jn 3,29).

Le Psaume: Magnificat! (Lc 1)

La joie est contagieuse, et spirituellement féconde: nous en écoutons une manifestation éminente chez Marie, la comblée de grâce. Les thèmes précédents acquièrent une portée sans précédent: union avec Dieu de l’Immaculée, joie parfaite de la servante du Seigneur, fécondité surabondante de la Mère du Christ.

Le premier effet de la venue de Jésus a été la jubilation de Jean-Baptiste dans le sein de sa mère, qui entraîna celle de Marie, exprimée par le Magnificat que nous proclamons à la messe. L’oracle d’Isaïe 61 peut être relu à sa lumière: ce n’est plus seulement l’envoyé qui exulte en Dieu, mais c’est, avec le Précurseur, le peuple tout entier qui tressaille de joie, et Marie – la fille de Sion – prête ses lèvres à cette joie qui anime son cœur immaculé.

La Vierge reprend ainsi le thème de la restauration du Peuple (il relève Israël, son serviteur), qu’Isaïe avait contemplée de loin, mais que Jésus inaugure. Il est beau de voir s’accomplir en Marie l’intuition d’Isaïe sur la justice: «Il m’a couvert du manteau de la justiceLe Seigneur fera germer la justice et la louange devant toutes les nations» (Is 61,10-11): la Vierge sainte, que le Seigneur a préservée du péché originel en étendant sur elle son manteau de Miséricorde, est bien ce fruit de sainteté qui proclame la louange divine de par le monde.

La deuxième lecture: «soyez toujours dans la joie» (1Th 5)

Le passage de saint Paul (Ph 4,4) qui donne à ce dimanche son titre de «Gaudete» (réjouissez-vous) est lu pendant le cycle C: cette année, nous lisons un passage très proche, la fin de la Première Lettre aux Thessaloniciens (5,16-24), qui est probablement le plus ancien écrit de tout le Nouveau Testament.

Saint Paul y donne des instructions fraternelles à la communauté: dans l’attente du Jour du Seigneur (5,1), la communauté doit rester dans une saine tension spirituelle: vigilance, charité, etc. Il faut également exercer le discernement, avec l’aide de l’Esprit, face aux dons prophétiques (parler en langues, etc.) qui abondaient dans la première communauté.

Notons cet impératif étonnant au début de notre passage: «Soyez toujours dans la joie!» (v.16). Nous le commenterons dans la méditation. Puis l’apôtre termine par une belle prière, qui évoque la fécondité spirituelle, autre nom de la «sanctification». Dieu est tellement proche qu’il saura prendre soin de chaque croyant dans sa triple dimension spirituelle, psychique et physique (votre esprit, votre âme et votre corps). Dans notre assemblée liturgique, nous le supplions avec la même attitude que Paul:

«Tu le vois, Seigneur, ton peuple se prépare à célébrer la naissance de ton Fils; dirige notre joie vers la joie d’un si grand mystère: pour que nous fêtions notre salut avec un cœur vraiment nouveau. Par Jésus-Christ…»[3]

⇒Lire la méditation


[1] L’antienne de la messe du jour reprend Phil 4,4 : « Gaudete, in Domino semper : iterum dico, gaudete. Dominus enim prope est » (Réjouissez-vous sans cesse dans le Seigneur, je le dis encore, réjouissez-vous : le Seigneur est proche). Voir une explication de cette fête liturgique ici .

[3] Collecte de la messe du jour.


Le témoignage de Jean-Baptiste (Ghirlandaio)

Le témoignage de Jean-Baptiste (Ghirlandaio)


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