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Notre lecture du « discours missionnaire » de Jésus (Mt 10) s’achève cette semaine : nous écoutons les dernières instructions qu’Il a données aux Douze avant de les envoyer en mission (cf. v.5). À la différence de saint Luc, Matthieu n’explique pas quels ont été les fruits de cet envoi : lorsque commence le chapitre suivant, nous retrouvons Jésus comme prédicateur itinérant entouré de ses disciples. Cela signifie que le discours du Christ s’adresse surtout à la communauté rassemblée autour de Matthieu, des années après la Pâque, pour recueillir des lèvres du vieil apôtre les enseignements de Jésus. Nous pouvons alors mieux comprendre cette exhortation si forte :

« Qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi. Qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi. » (v.37)

Il s’agit bien d’aimer le Christ par-dessus tout, ce qui est valable en tous temps; mais l’opposition familiale s’explique surtout par la situation de la communauté de Matthieu, des juifs convertis à la foi au Christ et donc souvent détachés, voire rejetés et persécutés par leurs propres parents. Il s’agissait alors de choisir entre appartenance familiale ou fidélité au Christ, un drame qui se répète encore de nos jours, mais plus rarement. Saint Paul en a fait l’expérience amère dans les multiples églises qu’il a fondées. Les versets précédents, que la liturgie a omis, sont à comprendre dans ce contexte historique:

« N’allez pas croire que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive. Car je suis venu opposer l’homme à son père, la fille à sa mère et la bru à sa belle-mère : on aura pour ennemis les gens de sa famille. » (v.34-36)

Mais ce qui nous frappe le plus dans les paroles du Christ est leur accent « égocentrique »: malgré son humilité habituelle, Jésus se met au centre, dans ces versets, et exprime une supériorité absolue: « digne de moi… me suivre… perdre sa vie à cause de moi… m’accueillir… ». Le texte comporte dix fois la parole « moi » en quatre versets!

Plus scandaleuses encore en apparence sont les attitudes paradoxales que Jésus exige de ses disciples: il s’agit de « prendre sa croix », c’est-à-dire de choisir délibérément un chemin d’humiliation, de souffrances et d’abaissements. Quel programme attrayant! Il s’agit aussi de « perdre pour trouver »: « Qui a trouvé sa vie la perdra ; qui a perdu sa vie à cause de moi la trouvera » (v.39). Le bon sens reste totalement dérouté devant ces propositions… Elles nous permettent de percevoir, de nouveau, la grandeur du Christ et combien la foi dépasse la simple sagesse humaine. Seul un homme qui avait la « tranquille conscience » d’être Dieu et un amour infini à offrir pouvait prononcer un tel discours, et exprimer de telles exigences. Le Catéchisme, lorsqu’il introduit la partie du Credo sur la personne de Jésus, présente toute la grandeur de cette foi avec une éloquente sobriété:

« Nous croyons et confessons que Jésus de Nazareth, né juif d’une fille d’Israël, à Bethléem, au temps du roi Hérode le Grand et de l’empereur César Auguste ; de son métier charpentier, mort crucifié à Jérusalem, sous le procureur Ponce Pilate, pendant le règne de l’empereur Tibère, est le Fils éternel de Dieu fait homme, qu’il est sorti de Dieu, descendu du ciel, venu dans la chair, car “le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire, gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité (…). Oui, de sa plénitude nous avons tous reçu et grâce pour grâce” (Jn 1, 14. 16). »[1]

Mais le Christ ne se borne pas à exprimer des exigences absolues, Il comble en retour ceux qui le suivent radicalement et qui, à travers Lui, sont configurés au Père : « Qui vous accueille m’accueille et qui m’accueille accueille celui qui m’a envoyé ». Ils sont en quelque sorte devenus semblables à Dieu en partageant sa mission. Quelle élévation! en avons-nous conscience ?

Par ailleurs, Il aime remercier avec une gratitude profonde et sincère, celle du vrai pauvre qui se réjouit du don qui lui est fait, et celle de Dieu même, lorsque, venu quémander notre bonne volonté sur cette terre, il est accueilli à travers ses envoyés: « Quiconque donnera à boire à l’un de ces petits rien qu’un verre d’eau fraîche, en tant qu’il est un disciple, en vérité je vous le dis, il ne perdra pas sa récompense. » (v.42).

Cette perspective explique le choix de la première lecture (2R 4), où une « femme riche » accueille le prophète Elisée parce qu’il est un homme de Dieu : elle reçoit en retour de pouvoir concevoir un fils dans sa vieillesse. Sa générosité est source de vie pour son foyer ; et ce à deux reprises puisque qu’un fils lui naîtra et que plus tard Elisée ressuscitera ce fils. Il est impossible de surpasser Dieu en générosité: le moindre geste que nous faisons pour lui est rétribué « au centuple ».

Cette femme exprime son affection envers Elisée par un projet très concret, où son génie féminin s’exprime par les détails: « Construisons-lui donc une petite chambre haute avec des murs, et nous y mettrons pour lui un lit, une table, un siège et une lampe: quand il viendra chez nous, il se retirera là » (v.10). Elle s’affaire aussitôt, et Dieu se laisse toucher par tant de prévenance… Quelles sont nos contributions à l’annonce de l’évangile? Sont-elles de pure forme ou bien concrètes? Sont-elles lointaines ou bien viennent-elles toucher la réalité de notre vie personnelle? Ouvrons-nous notre maison, nos familles à ceux qui annoncent le Christ ? On note chez cette Sunamite le même empressement qu’Abraham lorsqu’il reçut la visite des trois mystérieux personnages au chêne de Mambré : « Abraham courut au troupeau et prit un veau tendre et bon; il le donna au serviteur qui se hâta de le préparer. Il prit du caillé, du lait, le veau qu’il avait apprêté et plaça le tout devant eux; il se tenait debout près d’eux, sous l’arbre, et ils mangèrent. » (Gn 18,7). Lui aussi sera récompensé par la naissance d’un fils.

La même attention délicate devait animer les femmes qui suivaient le Christ pendant sa vie publique : « elles les assistaient de leurs biens » (Lc 8,3). Jésus lui-même a reçu l’hospitalité, et l’a appréciée à sa juste valeur, comme nous pouvons l’imaginer à Béthanie, se reposant avec ses amis. François Mauriac nous le décrit:

« À l’entrée de ce même chemin qui descend vers Jéricho, dans le village de Béthanie, Jésus a une maison, un foyer, des amis : Marie, Marthe, son frère Lazare. Jésus s’accorde quelque répit : ce n’est pas qu’il ait besoin de compensations ; mais il accepte un peu de repos, un peu de tendresse. Il prend des forces en vue de ce qui va venir. Un lit, une table frugale, des amis qui savent qu’il est Dieu et qui l’aiment dans son humanité… »[2]

L’histoire se répète: elles sont innombrables, ces personnes dévouées qui, au cours des siècles, ont pris soin des disciples dans leurs nécessités matérielles. L’Église reçoit chaque jour d’innombrables gestes de soutien matériel, parfois même anonymes. Les prêtres le savent bien, qui reçoivent souvent cette affection désintéressée des fidèles, et peuvent y trouver un appui important dans leur vie personnelle. Jésus contemple toutes ces bonnes âmes dans l’évangile de ce jour, et leur promet de ne pas les oublier: « Elles ne perdront pas leur récompense ».

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[1] Catéchisme, nº423.

[2] François Mauriac, Vie de Jésus, p. 160.

Sainte Edith Stein

Sainte Edith Stein


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