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En ce mois de novembre, nous nous acheminons vers la fin de l’année liturgique: notre regard s’oriente vers les «derniers temps», cet achèvement de toutes choses, lorsque l’histoire humaine prendra fin et que le Règne du Christ s’établira définitivement sur tout l’univers. La fête du «Christ-Roi» viendra couronner tout notre parcours liturgique. Nous proclamons donc, ces trois derniers dimanches, trois passages essentiels du grand « discours eschatologique» de Jésus (Mt 24-25): deux paraboles et la scène du Jugement dernier.

Pour désigner le terme de l’histoire, la théologie reprend un terme grec des Écritures, la Parousie (παρουσία: présence, venue, avènement), qui désigne le retour du Christ en gloire. Il est essentiel au « discours eschatologique» de Matthieu (24,3.27.37.39), ainsi qu’au langage de Paul, et nous le trouvons dans la deuxième lecture: «la venue du Seigneur… lorsque le Seigneur lui-même descendra du ciel» (1Th 4,15.16).

Cette lettre de saint Paul (1Th) est probablement le plus ancien écrit chrétien et nous montre avec quelle fébrilité les premières communautés chrétiennes attendaient le retour de Jésus. Ce bouleversement cosmique, annoncé par «la voix de l’archange» et la «trompette divine» (4,16), verra se réaliser le souhait le plus ardent des croyants: «nous serons pour toujours avec le Seigneur», au-delà de toute souffrance et de toute affliction. L’espérance des croyants, forgée dans les épreuves, sera pleinement réalisée par l’union au Christ.

En attendant, l’histoire suit son cours et la mort continue à faire son œuvre parmi nous; cela pouvait surprendre les premiers croyants, fascinés par la victoire de Jésus sur la mort et les enfers. Saint Paul, dans le passage de ce jour, dissipe leurs doutes et renvoie à la Parousie la résurrection finale de tous les hommes. Nous menons donc mystérieusement, pendant cette période de l’histoire, à la fois la vie commune à toute l’humanité, qui mène à la mort, et la vie selon l’Esprit, qui est déjà la vie éternelle. Le Catéchisme l’explique ainsi:

«S’il est vrai que le Christ nous ressuscitera « au dernier jour », il est vrai aussi que, d’une certaine façon, nous sommes déjà ressuscités avec le Christ. En effet, grâce à l’Esprit Saint, la vie chrétienne est, dès maintenant sur terre, une participation à la mort et à la Résurrection du Christ [Col 2, 12; 3, 1]. Unis au Christ par le Baptême, les croyants participent déjà réellement à la vie céleste du Christ ressuscité (cf. Ph 3, 20), mais cette vie demeure « cachée avec le Christ en Dieu » (Col 3, 3) « Avec lui Il nous a ressuscités et fait asseoir au cieux, dans le Christ Jésus » (Ep 2, 6). Nourris de son Corps dans l’Eucharistie, nous appartenons déjà au Corps du Christ. Lorsque nous ressusciterons au dernier jour nous serons aussi « manifestés avec lui pleins de gloire » (Col 3, 3).»[1]

Comment se comporter pendant cette période paradoxale et déroutante de l’histoire, «en ces temps qui sont les derniers» comme dit l’apôtre Pierre (1 P)? Les lectures de ce dimanche nous offrent trois pistes: accueillir la Sagesse véritable (première lecture); avoir une âme assoiffée de Dieu (psaume); veiller, comme nous y invite la parabole des «vierges sages ou folles» que nous propose Jésus (Évangile).

À l’Ascension, le Christ a quitté cette terre pour partir vers le Père; le chrétien ne le voit plus directement, et l’âme peut se sentir désemparée. Mais il nous a fait, au Cénacle, une promesse qui s’est réalisée à la Pentecôte: «Je ne vous laisserai pas orphelins… Je viendrai vers vous» (Jn 14,18). Par le don de l’Esprit, son propre Esprit, il vient, de l’intérieur, illuminer notre chemin. Le livre de la Sagesse nous offre une très belle image de cette présence de l’Esprit (Sg 6), qu’il nomme Sagesse selon la tradition grecque et qui accompagne les croyants.

Pour la rendre plus aimable il prête à cette Sagesse les traits d’une femme hors du commun. Elle est, tout à la fois, discrète, puisqu’il faut la chercher et que tous ne la connaissent pas d’emblée ; et parfaitement accessible à celui qui la désire, comme une mère disponible aux nécessités de ses enfants: «celui qui la cherche ne se fatiguera pas: il la trouvera assise à sa porte». Bien plus, elle-même recherche des amis pour les combler de ses dons: «Elle va et elle vient, à la recherche de ceux qui sont dignes d’elle». Sa beauté la rend resplendissante, non pas pour séduire, mais pour inviter à la confiance; une beauté toute spirituelle, qui transparaît dans le sourire cueilli au détour des sentiers, sur les routes parfois difficiles de notre existence, pour y semer la paix et y rétablir la sérénité. En résumé, cette figure féminine exprime la proximité de Dieu dans notre histoire: Dieu n’est pas lointain et sévère, il n’est pas écrasant et dominateur, mais au contraire proche, prévenant, respectueux de notre liberté, désireux de nous combler de ses dons et attristé par nos infidélités.

Le psalmiste a rencontré et accueilli cette Sagesse, qui suscite dans son cœur l’attitude qui convient au pèlerinage terrestre: la soif de Dieu (Ps 63). Celle-ci consiste à ne pas se satisfaire des biens de ce monde, mais à ne vivre que du désir insatiable de voir Dieu, d’accueillir enfin Jésus dans son retour en gloire. Les extraits que la liturgie a choisis du Psaume 63 (62) décrivent la vie intérieure du croyant dont toute la journée est ponctuée par la recherche de Dieu:

  • Dès le matin, le désir et la soif de Dieu le saisissent comme une terre en attente de fécondité (je te cherche dès l’aube; terre aride, altérée, sans eau);
  • Sa prière au Temple lui fait renouveler sa préférence radicale pour le Seigneur (ton amour vaut mieux que la vie) pour toute la durée de son existence (toute ma vie, je vais te bénir);
  • le soir venu, il poursuit son dialogue avec Dieu (dans la nuit, je me souviens de toi, et je reste des heures à te parler).

C’est précisément au cœur de cette «nuit» où le psalmiste veille que le Christ place le retour de l’époux dans la parabole des «vierges sages et folles» (Mt 25): «au milieu de la nuit, un cri se fit entendre: voici l’époux, sortez à sa rencontre!»

On imagine facilement ces jeunes filles vaincues par le sommeil, appuyées les unes sur les autres dans une somnolence inconfortable. Jésus résume bien le message de cette parabole par sa dernière invitation, répétée tout au long de ces chapitres: «Veillez!» Il ne s’agit pas de se convertir, puisque la parabole s’adresse aux disciples déjà entrés dans le Royaume, mais de maintenir vive la conversion en gardant la fidélité dans l’attente de la Parousie.

Le cadre de la parabole est celui des noces dans l’Antiquité: les jeunes filles, compagnes naturelles de l’épouse, ont pour mission d’accueillir le fiancé, lorsqu’il se présente aux festivités nocturnes. Tout un rituel bien rodé par des siècles de tradition sociale, pour que la fête se déroule en bon ordre. Mais aucune épouse n’est mentionnée: il s’agit des noces de Dieu avec son Peuple, célébrées et consommées en la personne de Jésus. Nous sommes dans la continuité des autres paraboles de Matthieu, notamment de celle du «roi qui fit un festin de noces pour son fils» (Mt 22).

Si la parabole précise que les jeunes filles «qui étaient prêtes entrèrent avec lui dans la salle de noces» (v.10), c’est pour exprimer que l’Église consommera son mariage avec le Christ dans l’union éternelle des cieux. Jésus prépare ainsi la scène du Jugement dernier (Mt 25), où nous sera dévoilé le critère d’accès au royaume (ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits…): pour l’instant, il veut susciter en nous la saine inquiétude du cœur qui attend le retour de l’être aimé.

Étrange parabole de noces dont l’épouse est absente, où l’époux se fait attendre… comme pour refléter une attitude assez répandue par laquelle nous reléguons en arrière-fond la perspective ultime de notre existence, la rencontre avec Dieu, alors même que nous avons, dans un premier temps, accueilli l’Évangile.

 Nous reviendrons dans la méditation sur les significations possibles de l’huile pour la lampe. Jésus se sert de cet usage ancien pour transmettre un message précis: son retour (Parousie) est imprévisible, comme celui d’un époux (ou plutôt d’un voleur !) dans la nuit, et ce moment crucial révèlera l’attitude profonde des cœurs. Il existe dès lors deux possibilités: soit être «prévoyante» et avoir bâti sa vie sur cette rencontre finale, attitude symbolisée par la possession de l’huile; soit être «insouciante» et s’être laissée distraire par le monde, en oubliant l’unique nécessaire. Au jour du jugement, il sera trop tard pour y remédier et c’est le sens de la réponse assez abrupte aux jeunes filles insouciantes: «Je ne vous connais pas».

⇒Lire la méditation


[1] Catéchisme, nº1002-1003.


Les vierges folles séduites par le Tentateur (cathédrale de Strasbourg)

Les vierges folles séduites par le Tentateur (cathédrale de Strasbourg)


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