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Méditation : Refuser les fausses alternatives et témoigner du Christ

La question piégée qui fut adressée au Christ, lors de ses derniers jours à Jérusalem, doit nous servir d’avertissement : les ennemis du Christ et de l’Église cherchent sans cesse à nous présenter de fausses alternatives. Leur intention est alors simplement de nous prendre en défaut et de discréditer la foi chrétienne. Nous n’avons pas à nous laisser entraîner sur ce terrain.

Apprenons donc de l’attitude de Jésus en cette occasion, lui qui nous dit par ailleurs : « Voici que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups ; montrez-vous donc prudents comme les serpents et candides comme les colombes. » (Mt 10,16).

Pour ou contre l’occupation romaine ? Jésus a refusé de décider, Il a voulu rester en-dehors des querelles politiques, mais nous a aussi donné un critère sûr pour discerner ce qui doit être fait dans l’ordre temporel. Sa mission était purement spirituelle, et il n’a pas permis que la polémique détourne le sens profond de sa Passion. François Mauriac l’exprime ainsi :

« Vingt années plus tôt, au moment de l’annexion à l’Empire, un autre Galiléen nommé Judas, l’avait tranchée [la question du tribut] par le refus et avait été massacré, lui et ses partisans. Si Jésus eut recours au mot fameux : “Rends à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu”, c’est que dans le drame du calvaire, agencé de toute éternité, il ne convenait pas que les Romains eussent un autre rôle que celui de bourreau. Israël se servira d’eux pour immoler sa victime, mais la victime lui appartient d’abord. Rome, en la personne de Pilate, n’a rien trouvé à reprendre dans Jésus. »[1]

Le Christ a déjoué le traquenard, parce qu’il a immédiatement saisi la fausseté de l’alternative qui lui était présentée. Dom Columba Marmion décrit ainsi l’enjeu de la controverse, et l’importance de son dénouement pour l’histoire de l’Église :

« Si la réponse du Sauveur était négative, il encourait la colère du prince ; s’il se prononçait pour l’affirmative, il perdait tout crédit dans l’esprit du peuple. Avec sa divine prudence, Jésus déconcerta leurs menées. Les deux partis, si étrangement alliés par la passion, se refusèrent à comprendre l’oracle qui pouvait les unir dans la vérité, et retournèrent bientôt sans doute à leurs querelles. Mais la coalition formée contre le juste était rompue ; l’effort de l’erreur, comme toujours, avait tourné contre elle ; et la parole qu’elle avait suscitée, passant des lèvres de l’Époux à celles de l’Épouse, ne devait plus cesser de retentir en ce monde, où elle forme la base du droit social au sein des nations. »[2]

Aujourd’hui, comme le Christ hier, le chrétien est assailli de fausses alternatives qu’il doit apprendre à déjouer pour annoncer l’Évangile en prenant de la hauteur. Par exemple, le courant de pensée des Lumières et le relativisme qui en a découlé veulent, depuis plusieurs siècles, rabaisser le christianisme à un phénomène secondaire de l’histoire. Dans la conversation, nous sommes donc souvent mis devant une fausse alternative par des interlocuteurs insistants : « Est-ce que toutes les religions se valent, oui ou non ? » La mentalité dominante nous oblige quasiment à répondre « oui », pour ne pas paraître intolérant, et à étouffer la vérité. Mais en répondant « oui », nous nous délégitimons nous-mêmes : pourquoi être chrétien si toutes les religions se valent ?

Si nous avons le courage de répondre « non », nous sommes souvent isolés dans un discours autoréférentiel qui ne convainc pas grand monde. Dans les débats publics et les médias, il n’y a guère de place pour une argumentation qui suive une ligne : « non, mais… » Quelle attitude adopter ?

Comme le Christ, nous pourrions demander à nos interlocuteurs de nous indiquer concrètement de quelle religion ils veulent parler, pour reconnaître sans difficulté les parcelles de vérité qui s’y trouvent ; puis réaffirmer que Dieu ne s’est révélé en plénitude que dans le Christ : c’est ainsi que l’on « rend à Dieu ce qui est à Dieu », puisqu’il s’agit de reconnaître son action dans l’histoire.

D’autres questions nous sont souvent posées comme celles-ci :

  • Le dimanche, qu’est-ce qui le plus important, aller à la messe ou rendre service en famille ?
  • Dieu est-il tout-puissant, oui ou non ? Si oui, pourquoi le mal est-il si présent ?
  • Vous dites que la venue du Christ est un événement central, mais est-ce que le monde a vraiment changé depuis ?
  • Si Dieu est amour pourquoi condamner les formes alternatives de mariage moderne ? De toute façon, la foi ne se décrète pas, on l’a ou on ne l’a pas…

Lorsque je suis confronté à ce type de questions, quelle est ma réaction ? Est-ce que je me sens personnellement agressé, est-ce que j’ai simplement envie d’en découdre et de laisser mon adversaire sans voix ? Ou bien est-ce que je souhaite rendre témoignage au Seigneur qui m’aime ? Ai-je plus soif de reconnaissance sociale que d’étendre le règne de Dieu par amour pour lui et pour mes frères ?

Dans l’exemple de ce jour, Jésus a d’abord démasqué l’hypocrisie, et je peux le faire moi aussi en trouvant les mots adéquats. Par exemple : « Vous posez-vous vraiment la question et souhaitez-vous entendre ma réponse ou bien l’avez-vous déjà résolue ? » Si la mauvaise volonté persiste, je peux – comme Jésus devant Pilate – laisser sans réponse une fausse demande (qu’est-ce que la vérité ?), et prier pour mon interlocuteur. Si, en revanche je perçois une ouverture, je peux développer ma pensée.

La Nouvelle Evangélisation, qui nous pousse au dialogue avec notre monde, exige de nous clairvoyance intellectuelle et fermeté pour ne pas accepter les fausses alternatives. Il faut savoir saisir les opportunités d’annoncer Jésus-Christ en réfutant les lieux communs de l’esprit du monde.

Pour ceux d’entre nous qui ne sont pas formés aux techniques du débat, il est parfois difficile de trouver les bonnes réponses. Dans ce cas, il est bon de se rappeler que ce n’est pas tant mes arguments qui peuvent toucher mes frères que mon propre témoignage de vie avec le Christ. Ce témoignage est toujours possible : « je n’ai pas de réponse immédiate à votre question mais j’aime le Christ qui est venu personnellement à ma rencontre, et qui m’aime ». Une telle réponse laisse toujours l’auditeur dans une grande perplexité quand il n’ouvre pas un chemin. Pensons à l’aveugle-né du chapitre 9 de Jean, pris dans un débat théologique qui le dépasse de très loin, et qui répond : « S’il est un pécheur, je n’en sais rien. Je sais une chose : c’est que j’étais aveugle et maintenant je vois.» (Jn 9,25). C’est ce qu’écrivait déjà Paul VI :

« Pour l’Église, le témoignage d’une vie authentiquement chrétienne, livrée à Dieu dans une communion que rien ne doit interrompre mais également donnée au prochain avec un zèle sans limite, est le premier moyen d’évangélisation. “L’homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maîtres — disions-Nous récemment à un groupe de laïcs — ou s’il écoute les maîtres, c’est parce qu’ils sont des témoins.” »[3]

Écoutons enfin la prière d’un grand témoin spirituel de notre temps, le cardinal Newman : lui aussi pressé par les polémiques et porté à témoigner du Christ au-delà de toutes les fausses alternatives que propose le monde moderne, il s’abandonnait ainsi à la confiance en Dieu :

« Ô Adonaï, ô conducteur d’Israël, toi qui guidas Joseph comme le berger sa brebis, ô Emmanuel, ô Sapience, je me donne à toi. Je te fais totalement confiance. Tu es plus sage que moi, tu as plus d’amour pour moi que je n’en ai moi-même. Daigne à travers moi accomplir tes desseins, quels qu’ils soient. Je suis né pour te servir, être à toi, être ton instrument. Laisse-moi être ton instrument aveugle. Je ne demande pas à voir. Je ne demande pas à connaître. Je demande simplement à servir. »[4]


[1] François Mauriac, Vie de Jésus, Flammarion 1936, p. 202.

[2] Dom Guéranger, L’année liturgique, p. 523.

[3] Paul VI, Evangelii Nuntiandi, nº41.

[4] John Henry Newman, Méditations sur la Doctrine Chrétienne, Ad Solem 2000, p. 29, disponible ici .


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