lecture

Méditation : notre baptême et celui du Christ

Lorsque nous méditons sur le Baptême de Jésus, nous sommes spontanément amenés à considérer notre propre baptême chrétien. Mais les différences sautent aux yeux : Jésus n’avait pas besoin d’être baptisé – Jean le souligne dans l’évangile – et d’ailleurs il ne s’agissait que d’un baptême de pénitence. Le baptême que nous avons reçu est, en revanche, une participation à son mystère pascal de mort-et-résurrection. Juste avant son Ascension, Jésus lui-même annonce ainsi la Pentecôte aux disciples : « Jean, lui, a baptisé avec de l’eau, mais vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés sous peu de jours. » (Ac 1,5)

Commençons donc par contempler le Christ face à Jean-Baptiste, avant d’appliquer cette scène à notre vie.

La nouveauté du baptême de Jésus

Sur les bords du Jourdain, l’Esprit se manifeste comme une colombe, au milieu des eaux, avec la voix de Dieu : par ces images, l’évangile suggère que Jésus établit une grande nouveauté… Une nouvelle création, comme lorsque l’Esprit planait sur les eaux (Gn 1) ? Une nouvelle alliance apportée par la colombe de Paix (Gn 9) ? Ces perspectives sont d’autant plus suggestives que le Psaume de la messe mentionne l’épisode de Noé (au déluge, le Seigneur a siégé, v.10) et que la première lecture évoque une nouvelle alliance établie par le Serviteur ( je fais de toi l’alliance des nations). Origène nous éclaire en commentant ce passage de l’évangile :

« Le Christ a été baptisé en notre faveur, pour sanctifier les eaux. L’Esprit est alors descendu sous forme de colombe, car la colombe est toujours présente lorsqu’il y a une réconciliation avec Dieu, comme dans le cas de l’arche de Noé… annonçant ainsi la Miséricorde de Dieu envers le monde et montrant clairement que ce qui est spirituel doit être doux et sans malignité, simple et sans fourberie (cf. Mt 10,16 : voici que je vous envoie comme des brebis parmi les loups : soyez sagaces comme des serpents et doux comme des colombes ). » [1]

La nouveauté apportée par le Christ est celle de la douceur. Il n’est pas le Juge eschatologique et terrible auquel pensait Jean le Baptiste (Mt 3,12), mais par lui, Dieu a voulu rejoindre les hommes dans leur misère, les accompagner dans leurs souffrances, se pencher sur leurs plaies… L’image qu’Il nous a donnée du Bon Samaritain est son meilleur portrait. Ainsi que les Béatitudes. C’est pourquoi la première lecture nous décrit le Serviteur qui accomplit sa mission sans crier ni hausser le ton : on n’entendra pas sa voix sur la place publique … Aujourd’hui, à travers ses disciples, Jésus continue son œuvre dans l’humilité : la simplicité des catéchistes qui ouvrent les yeux des aveugles, le travail caché des confesseurs qui font sortir les captifs de leur prison, la discrétion de la diplomatie vaticane qui fait paraître le jugement en toute fidélité, les accompagnateurs spirituels qui prennent soin de la mèche qui faiblit

Tant de champs d’action, tant de prières et tant de charité où l’Esprit accomplit une œuvre extraordinaire, loin des projecteurs, mais sous le regard bienveillant du Père qui peut de nouveau s’exclamer en voyant l’œuvre de l’Église : « Voici mon serviteur que je soutiens, mon élu en qui j’ai mis toute ma joie ! ». Ce regard du Père, sentons-le dans notre vie chrétienne comme le cardinal Daniélou dans son journal :

« Le Père se penche sur moi ce matin, et me dit les paroles merveilleuses : ‘Celui-ci est mon Fils bien-aimé. Ecoutez-le.’ Ainsi, Père, vous me rendez la plénitude de votre affection paternelle. Je suis à nouveau baigné dans votre tendresse. Dilatez mon cœur dans votre amour, donnez-moi un cœur d’enfant, que je n’aie pas d’autre joie que de vivre dans votre maison. Et non seulement vous me rendez votre tendresse, mais votre confiance, et vous m’envoyez à nouveau vers les autres. ‘Ecoutez-le.’ Oh ! Père, comment vous remercier de me rendre votre confiance, à moi qui l’ai tant trahie. Aidez-moi à m’en montrer digne. Donnez-moi encore, ô Saint-Esprit, la crainte qui me rendra prudent, circonspect, qui m’aidera à veiller jalousement sur le trésor que vous m’avez rendu, sur les âmes que vous me confiez, à être exact, fidèle à vous rendre mes comptes ; donnez-moi la force qui me donnera de résister aux faiblesses de ma chair, de mon impressionnabilité, et de vous rendre témoignage partout fidèlement ; donnez-moi enfin la sagesse, qui me fera une âme céleste, ne voulant plus goûter que ces joies du ciel qui m’est rouvert aujourd’hui et me rendra étranger aux choses de la terre. » [2]

L’importance de notre baptême

La liturgie de la messe nous invite à rapprocher notre baptême à celui du Christ dans la prière collecte :

« Dieu éternel et tout-puissant, quand le Christ fut baptisé dans le Jourdain, et que l’Esprit Saint reposa sur lui, tu l’as désigné comme ton Fils bien-aimé ; accorde à tes fils adoptifs, nés de l’eau et de l’Esprit, de se garder toujours dans ta sainte volonté. Par Jésus Christ… » [3]

La célébration du baptême chrétien a repris dès l’origine le cadre du baptême de Jean dans l’eau : par exemple, le baptême de l’eunuque éthiopien par Philippe en Ac 8. Pour Jésus au Jourdain, il s’agissait de manifester sa relation particulière au Père (il est son Fils par nature) ; pour le chrétien au baptistère, il s’agit d’établir cette relation (nous sommes ses fils par adoption). L’Esprit Saint est toujours présent : c’est pourquoi les Pères de l’Eglise ont rapproché les eaux du Jourdain, sanctifiées par la descente de l’Esprit et la présence de Jésus, avec les eaux baptismales, où l’Église nous enfante à la vie divine. Ecoutons de nouveau le cardinal Daniélou méditer sur cette scène :

« Baptême de Jésus : ô Jésus, ce n’est pas vous qui aviez besoin d’être lavé ; mais en vous, avec vous, c’est nous tous qui le sommes ce matin. En acceptant d’être lavé, vous épuisez en vous la vertu purificatrice de l’eau, comme en acceptant d’être crucifié, vous épuisez en vous la peine portée par la Loi. Et dès lors mes péchés sont effacés, par la vertu de votre baptême, qui est une figure de votre mort. C’est sur nous que descend l’Esprit, puisqu’en vous il est déjà en plénitude : Veni, Sancte Spiritus, venez et guérissez toutes les meurtrissures que m’ont laissées mes péchés. Rendez à mon âme la plénitude de sa santé spirituelle, pour qu’elle coure dans la voie de vos commandements et qu’elle exulte dans le Seigneur. » [4]

Comme pour Jésus, le baptême a marqué le début d’une nouvelle phase de notre existence. Mais pour la grande majorité d’entre nous, ce baptême a été reçu dans l’inconscience du nouveau-né : il faut donc aller à sa recherche, le porter à la lumière et le valoriser comme il se doit. Le Pape François nous y invite :

« Combien de chrétiens se rappellent-ils la date de leur baptême ? Je voudrais poser cette question ici à vous, mais que chacun réponde avec le cœur : combien d’entre vous se souviennent-ils de la date de leur baptême ? Quelques-uns lèvent la main, mais combien ne s’en rappellent pas ! Pourtant, la date du Baptême est la date de notre naissance à l’Église, la date à laquelle notre mère l’Église nous a accouchés ! Et à présent, je vous laisse un devoir à faire à la maison. Quand vous rentrerez chez vous aujourd’hui, allez chercher quelle est la date de votre Baptême, et cela pour la fêter, pour rendre grâce au Seigneur de ce don. Le ferez-vous ? Aimons-nous l’Église comme on aime sa propre mère, en sachant aussi comprendre ses défauts ? Toutes les mères ont des défauts, nous avons tous des défauts, mais quand on parle des défauts de notre mère, nous les excusons, nous les aimons ainsi. L’Église a elle aussi ses défauts : l’aimons-nous comme une mère, l’aidons-nous à être plus belle, plus authentique, plus selon le Seigneur ? Je vous laisse ces questions, mais n’oubliez pas vos devoirs : chercher la date de votre baptême pour l’avoir dans le cœur et la fêter. » [5]

En ce début d’année civile, nous pourrions ainsi chercher à mettre en valeur le mystère du baptême chrétien : remercier pour notre propre baptême – en accomplissant le devoir laissé par le pape François – et en parler autour de nous pour que d’autres le valorisent. Nous pourrions nous interroger si toutes nos connaissances l’ont reçu, et chercher à proposer prudemment ce don à ceux qui n’en ont pas bénéficié. Et surtout, nous pouvons supplier l’Esprit de venir de nouveau dans nos âmes, comme au Jourdain, comme lors de notre baptême, pour renouveler ses dons ineffables. C’est ainsi que le suppliait le cardinal Daniélou :

« Venez en moi [Esprit Saint] pour me renouveler dans la plénitude des grâces du sacerdoce ; et comme au début de sa vie publique, vous êtes descendu sur Jésus, c’est sur moi que vous êtes descendu ce jour-là, pour m’investir des pouvoirs du sacerdoce : habilitez-moi comme docteur, pour rendre témoignage à la vérité ; comme sacrificateur, pour vous offrir des hosties agréables ; comme consolateur, pour que j’aie un cœur miséricordieux pour les pécheurs, étant moi-même revêtu d’infirmité. Donnez-moi votre don de conseil, pour discerner les esprits et guider les âmes dans vos voies ; votre piété, qui me gardera toujours dans l’intimité du Père. » [6]

Mais le baptême de Jésus nous offre un autre enseignement spirituel précis, celui de l’humilité. L’abaissement de Jésus nous invite à son imitation, comme saint Paul nous y exhorte dans son hymne christologique de la lettre aux Philippiens :

« Ayez entre vous les mêmes sentiments qui sont dans le Christ Jésus : Lui, de condition divine, ne retient pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclave, et devenant semblable aux hommes. S’étant comporté comme un homme, il s’humilia plus encore, obéissant jusqu’à la mort, et à la mort sur une croix ! Aussi Dieu l’a-t-il exalté et lui a-t-il donné le Nom qui est au-dessus de tout nom, pour que tout, au nom de Jésus, s’agenouille, au plus haut des cieux, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue proclame, de Jésus Christ, qu’il est SEIGNEUR, à la gloire de Dieu le Père. » (Ph 2,5-11)

Plus concrètement, la contemplation de Jésus se cachant dans la file des pécheurs a conduit d’innombrables saints dans la voie de l’humiliation. Prenons l’exemple de saint Bonaventure qui écrit :

« Aujourd’hui, Jésus veut se montrer comme un pécheur, car Jean prêchait la pénitence aux pécheurs ; il les baptisait, et Jésus est parmi eux ; il demande le baptême en leur présence. […] Il a donc voulu paraître ce qu’il n’était pas, pour s’abaisser et se rendre méprisable, mais aussi pour nous instruire en même temps ; et nous, au contraire, nous voulons apparaître ce que nous ne sommes pas, afin de nous attirer des louanges et des honneurs. S’il y a en nous quelque semblant de perfection, nous en faisons parade ; mais pour les défauts, nous les cachons, alors que nous sommes vraiment pécheurs et méchants. Quelle est donc notre humilité ? » [7]

Pour approfondir notre prière, nous pourrons nous appuyer sur cet acte d’oblation écrit par saint Claude la Colombière, qui reflète bien les sentiments de l’âme chrétienne face au mystère du Sacré Cœur. C’est certainement aussi l’attitude intérieure qui habitait Jésus lors de son baptême, vis-à-vis de son Père :

« Ô Cœur de mon bien-aimé Jésus, Cœur très digne d’adoration et d’amour, enflammé du désir de réparer et d’expier tant et tant d’injures commises envers Vous, et pour fuir, autant qu’il est en moi, le vice de l’ingratitude, je Vous offre et Vous livre entièrement mon cœur, avec toutes ses affections et moi-même tout entier. Ô Jésus, le Bien-Aimé de mon cœur, je Vous offre spontanément tout le mérite et toute la valeur satisfactoire que pourront avoir mes prières, mes actes de pénitence, d’humilité, d’obéissance ou de toute autre vertu que je pourrai faire dans tout le cours de ma vie jusqu’à mon dernier soupir, quelque faible et misérable que soit cette oblation. Combien je voudrais que toutes mes actions fussent faites pour l’Amour et la Gloire du Cœur de Jésus ! Humblement prosterné devant Vous, ô mon Dieu, je Vous supplie de ne pas dédaigner cette pauvre offrande que je fais à ce divin Cœur par les Mains très pures de Marie, afin qu’Il puisse en disposer à Son gré, et en attribuer le fruit à qui Il voudra » [8]

 


[1] Origène, Fragment 56, 41.1:37 (Corpus de Berlin, GCS 1897), traduction personnelle.

[2] Jean Daniélou SJ, Carnets spirituels, Cerf 1993, p. 277.

[3] Collecte de la messe du Baptême du Seigneur.

[4] Jean Daniélou SJ, Carnets spirituels, Cerf 1993, p. 276.

[5] Pape François, Audience générale, 11 septembre 2013.

[6] Jean Daniélou SJ, Carnets spirituels, Cerf 1993, p. 276.

[7] Saint Bonaventure, Méditations sur la vie de Jésus-Christ, chapitre XVI (édition Vivès, 1854).

[8] Saint Claude la Colombière, Oblation au Sacré-Cœur.


.