David et Marie, partenaires de Dieu
Les lectures de ce dimanche nous suggèrent un thème biblique très riche : la demeure de Dieu parmi les hommes, cette « maison de David », que Dieu promet d’assister pour toujours (2 S 7), et qui devient à l’Annonciation une réalité très particulière, avec le visage concret du Seigneur (Lc 1). Nous méditerons donc sur le mystère du Temple, un mystère qui se déploie tout au long de l’histoire du Salut, depuis la création jusqu’à la consommation finale. Puis nous nous fixerons sur l’attitude de Marie pendant la scène cruciale de l’Annonciation. En particulier, son obéissance inspire et féconde la nôtre.
Le mystère du Temple au cours de l’histoire
Tout débute avec le temple cosmique de la création, où Dieu nous a placés en ce jeune matin de la Genèse, lorsque tout s’est éveillé à la vie : c’est le projet initial de Dieu, la scène où se déploiera tout le drame de notre histoire. Dieu et l’homme, au tout début, vivent une communion profonde dans le jardin, où le Seigneur vient se promener pour rencontrer Adam (Gn 3, 8) ; mais, très rapidement, le péché détruit cette cohabitation et l’homme est privé de la présence de Dieu… Apparaît ainsi un thème majeur qui traverse toute la Bible, celui de la demeure, ou du Temple, comme mode d’habitation de Dieu parmi les hommes. Le cardinal Daniélou lui a dédié un excellent livre sous le titre Le signe du Temple, où il décrit les étapes bibliques de ce mystère :
« Notre méditation […] nous conduira ainsi du Dieu familier des origines au Dieu “caché” du Sinaï ; elle nous mènera de l’habitation des Trois Personnes dans l’humanité historique de Jésus à son habitation dans le Corps mystique, Temple de l’Économie nouvelle et dans chaque membre de ce Corps mystique ; elle nous montrera enfin dans la Présence sacramentelle l’anticipation prophétique et le signe temporel de l’édification du Temple eschatologique que saint Jean décrit dans l’Apocalypse. Et ainsi, l’Écriture nous aura livré quelques-uns de ses plus profonds mystères [1] . »
Au Sinaï (Ex 24), la demeure divine – la montagne – est un lieu distant et inaccessible au peuple, où seul Moïse est accepté ; mais elle devient, avec l’Alliance, la Tente de la Rencontre : Dieu est présent parmi son peuple et l’accompagne dans son séjour au désert, supportant ses rébellions, lui assurant la survie biologique et l’éduquant dans la foi. Le Temple de Jérusalem, fait de pierres, la prolonge : la première lecture (2 S 7) nous montre David qui envisage cette transition, mais elle sera réservée à son fils Salomon. Rappelons les termes de la Promesse :
« Quand tes jours seront accomplis et que tu reposeras auprès de tes pères, je te susciterai dans ta descendance un successeur, qui naîtra de toi, et je rendrai stable sa royauté. C’est lui qui bâtira une maison pour mon nom, et je rendrai stable pour toujours son trône royal. » (2 S 7, 12-13)
Dans un premier temps, c’est Salomon qui accomplit la promesse en construisant le Temple de Jérusalem. Dieu est alors au milieu de son peuple dans une Demeure à part, un lieu bien distinct et clos (le Saint des saints), à l’accès très limité et réglementé par le sacerdoce, où s’accomplissent les rites pour entretenir la communion entre Dieu et son peuple (louange, expiation, etc.) : c’est le rôle du sacerdoce lévitique.
Les Apôtres, quelques siècles plus tard, en admiraient la construction (Lc 21, 5), mais Jésus en annonce la destruction, qui sera effective en l’an 70 ; Il vient inaugurer, en sa propre personne, le nouveau Temple définitif : « Détruisez ce temple et en trois jours je le relèverai. » (Jn 2, 19)
L’évangile du jour (Lc 1, l’Annonciation) souligne donc le deuxième accomplissement de la promesse faite à David : Marie est mariée à Joseph, « de la maison de David » (Lc 1, 27), et son fils recevra « le trône de David son père » (v. 32). Mais Jésus n’est pas un descendant comme les autres : l’accomplissement de la promesse dépasse complètement son sens premier, une simple continuité dynastique. Saint Augustin nous l’explique :
« La bénédiction du Seigneur promise à la race de David n’est pas circonscrite dans un aussi petit espace de temps que le règne de Salomon, mais elle ne doit avoir d’autres bornes que l’éternité. […] Il était prêt d’engendrer un fils dont la race était destinée à donner naissance à Jésus-Christ, qui devait rendre éternelle sa maison et, en même temps, la maison de Dieu. Elle est la maison de David en raison de sa race, et la maison de Dieu à cause de son temple, mais d’un temple qui est fait d’hommes et non de pierres, et où le peuple doit demeurer éternellement avec son Dieu et en son Dieu, et Dieu avec son peuple et en son peuple, en sorte que Dieu remplisse son peuple et que le peuple soit plein de son Dieu, lorsque Dieu sera tout en tous, Dieu, notre récompense dans la paix et notre force dans le combat [2] . »
L’humanité du Christ, dont l’évangile de l’Annonciation nous montre l’apparition, est ainsi le nouveau Temple par lequel Dieu demeure parmi nous les hommes, et c’est dans ce sanctuaire que va avoir lieu, par le mystère pascal, la Rédemption du monde. La Lettre aux Hébreux expliquera ce parallèle entre les rites d’Israël et le mystère du Christ, en affirmant par exemple : « Ces animaux, en effet, dont le grand prêtre porte le sang dans le sanctuaire pour l’expiation du péché, leurs corps sont brûlés en dehors du camp. C’est pourquoi Jésus lui aussi, pour sanctifier le peuple par son propre sang, a souffert hors de la porte. » (He 13, 11-12) Le pape Benoît XVI nous offre quant à lui une présentation profonde de ce même mystère :
« Le nouveau vrai temple où Dieu habite est son Fils, qui a assumé la chair humaine, c’est l’humanité du Christ, le Ressuscité qui rassemble les peuples et les unit dans le Sacrement de son corps et de son sang. L’expression à propos du temple qui n’est pas “fait de main d’homme”, se trouve dans la théologie de saint Paul et de la Lettre aux Hébreux : le corps de Jésus, qu’il a assumé pour s’offrir lui-même comme victime sacrificielle pour expier les péchés, est le nouveau temple de Dieu, le lieu de la présence du Dieu vivant ; en Lui, Dieu et l’homme, Dieu et le monde sont réellement en contact : Jésus prend sur lui tout le péché de l’humanité pour le porter dans l’amour de Dieu et pour le « brûler » dans cet amour. S’approcher de la Croix, entrer en communion avec le Christ, veut dire entrer dans cette transformation. C’est cela entrer en contact avec Dieu, entrer dans son vrai temple [3] . »
L’Esprit peut alors se répandre sur le peuple des croyants, purifiés par la Passion du Christ et renouvelés par sa Résurrection, qui devient le Temple ecclésial dont nous sommes les pierres vivantes, chacune formant un Temple spirituel. Saint Pierre l’exprime ainsi : « Vous-mêmes, comme pierres vivantes, prêtez-vous à l’édification d’un édifice spirituel. » (1 P 2, 5). Chacun d’entre nous est ainsi un Temple mystique où demeure la Trinité, en attendant que l’union avec Dieu soit pleinement réalisée dans le Ciel : « Dans la ville, je n’ai pas vu de sanctuaire, car son sanctuaire, c’est le Seigneur Dieu, Souverain de l’univers, et l’Agneau. » (Ap 21, 22) La disparition du sanctuaire signifie alors que nous serons totalement en Lui, et Lui totalement en nous. Nous pourrons alors louer sans fin et sans voile le Seigneur enfin contemplé face à face : « à la louange de sa gloire… » (Ep 1, 12)
Pendant cette période de Noël, nous pouvons reprendre la belle prière de Jean Daniélou pour demander à Marie et à Jésus de nous introduire toujours plus profondément dans ce mystère du temple :
« Ô Marie, recueillez toutes les puissances de mon âme, rassemblez-moi au centre de mon âme ; dans le silence de tous les désirs, dans la nuit de toutes les images, faites que mon âme s’écoule en elle-même jusqu’à ce centre mystérieux où va naître le Verbe ; faites que mon âme s’écoule tout entière dans le Verbe, rentre dans l’unité de la Vie Trinitaire, qu’elle se perde entièrement, qu’elle se laisse entièrement faire, qu’elle se transforme en vous, ô Verbe de Dieu. Ô mystère du Verbe présent dès l’origine, par qui tout a été fait et qui vient aujourd’hui, une fois de plus, dans mon cœur : “et Verbum caro factum est”, me donnant le pouvoir de devenir enfant de Dieu, me communiquant sa filiation : “dedit eis potestatem filios Dei fieri”. Attirez-moi en ce centre de mon âme, rendez-moi présent à cette naissance : le ciel est là tout entier rassemblé comme à Bethléem, Marie inclinée avec les Anges, Joseph, tous les Saints, tous adorent celui qui descend pour nous, en nous, parmi nous [4] . »
Grandeur de Marie
Deux personnages habitent les lectures du jour : la Vierge Marie et le roi David. Une petite comparaison nous permettra de saisir la grandeur de Marie, pour nous mettre à son école.
David, après toutes les péripéties qui l’ont conduit à régner sur Jérusalem (Premier Livre de Samuel), a reconnu l’action de Dieu dans sa vie. Dans un élan de générosité, mais avec une certaine arrogance, il veut construire une demeure à Dieu, de qui il a reçu sa place de roi. Le Seigneur le remet à sa juste place : le roi, depuis son palais, oserait-il traiter à part égale avec Dieu cantonné dans son temple, « chacun sa demeure dans un respect mutuel » ? Face au roitelet humain, Dieu rappelle que l’univers n’est que le marchepied de son trône : c’est bien David qui n’a pas de maison durable, qui est soumis au temps et à la mort, et Dieu seul pourra lui offrir une vraie Demeure en la personne du Christ, son lointain descendant…
Marie, à l’inverse, sait qu’elle doit tout à Dieu et qu’elle n’est rien face à lui. Elle ne s’est pas contentée de faire une place à Dieu dans sa vie, elle lui a donné toute la place dans sa propre personne. Préservée du péché, elle peut s’offrir tout entière au projet de Dieu, qui vient habiter en elle. Toute son existence est un « oui » au Seigneur selon le projet divin, à la différence de nos vies où tant de « non » s’interposent. Le cardinal de Bérulle nous offre une très belle description de l’action divine en Marie pour préparer l’Annonciation :
« Dieu la regarde, la chérit, la conduit, comme celle à qui il veut se donner soi-même, et se donner à elle en qualité de fils et la rendre sa mère. Il la comble de grâces et de bénédictions dès sa conception. Il la sanctifie dès son enfance. Il la séquestre [= la retire] du monde et la consacre à son Temple, pour marque et figure qu’elle sera bientôt consacrée au service d’un temple plus illustre et sacré que celui-ci. Là en sa solitude, il la garde ; il l’environne de sa puissance ; il l’anime de son Esprit ; il l’entretient de sa Parole ; il l’élève de sa grâce ; il l’éclaire de ses lumières ; il l’embrase de ses ardeurs ; il la visite par ses anges, en attendant que lui-même la visite par sa propre personne. Et il rend sa solitude si occupée, sa contemplation si élevée, sa conversation si céleste que les anges l’admirent et la révèrent comme une personne plus divine qu’humaine. Aussi Dieu est et agit en elle plus qu’elle-même. Elle n’a aucune pensée que par sa grâce, aucun mouvement que par son Esprit, aucune action que pour son amour. Le cours de sa vie est un mouvement perpétuel qui, sans intermission, sans relaxation, tend à celui qui est la vie du Père et sera bientôt sa vie, et s’appelle absolument la Vie dans les Écritures [= le Christ]. Ce terme approche et le Seigneur est avec elle, la remplit de soi-même et l’établit en une grâce si rare qu’elle ne convient qu’à elle. Car cette vierge cachée en un coin de Judée, inconnue à l’univers, fiancée à Joseph, fait un chœur à part dans l’ordre de la grâce, tant elle est singulière [5] . »
En ces dernières heures avant la célébration de la Naissance de Jésus, nous pouvons nous interroger sur la place que nous faisons au Seigneur dans notre vie : serions-nous comme David qui, par gratitude, mais avec une certaine vanité, offre à Dieu une place réelle dans sa vie, mais très limitée ? Construire un temple, c’est très bien, mais cela permet de développer sa vie profane en marge et d’oublier le Seigneur… Ou bien, essayons-nous d’être comme Marie qui donne toute la place à Dieu parce qu’elle sait avoir tout reçu de Lui ? Nous pouvons en effet donner à Dieu l’accès à tout notre cœur, à toutes nos pensées, et en faire le but de toutes nos entreprises, ou bien lui interdire certaines dimensions de notre être…
Notre description de David fut assez négative ; il est pourtant l’un des grands croyants de l’Ancienne Alliance et, par certains côtés, annonce la foi de Marie. C’est ainsi que le cardinal Ratzinger rapprochait les deux personnages :
« Dans le récit de la visite de Marie à Élisabeth, Luc raconte que, lorsque la salutation de Marie retentit, Jean “a bondi de joie dans le sein de sa mère”. Pour exprimer la joie, il utilise le même mot skirtan (“bondir”) que celui servant à exprimer la joie de ceux qui ont été touchés par les Béatitudes (Lc 6, 23). Dans une des anciennes traductions grecques de l’Ancien Testament, ce mort apparaît aussi pour décrire la danse de David devant l’Arche d’Alliance enfin revenue (cf. 2 S 6, 16). Peut-être [le théologien marial René] Laurentin n’a-t-il pas complètement tort quand il met en parallèle la scène de la Visitation avec le retour de l’Arche : le bondissement de l’enfant prolongerait la joie extatique de David devant la garantie de la proximité de Dieu [6] . »
Sommes-nous animés de cette joie ? Avons-nous conscience que nous ne pouvons construire aucune demeure stable sur cette terre, et que Dieu seul est notre refuge ? Qu’Il construit jour après jour le vrai Temple de l’Esprit qu’est l’Église, et qu’Il demeure dans notre âme, qu’il est la source de toute vraie exultation ? Avons-nous le désir de demeurer pour toujours avec Lui ? Pour notre méditation, nous pouvons reprendre cette poésie de la petite Thérèse :
« Oh ! je t’aime, Marie, te disant la servante
Du Dieu que tu ravis par ton humilité
Cette vertu cachée te rend toute-puissante
Elle attire en ton cœur la Sainte Trinité
Alors l’Esprit d’Amour te couvrant de son ombre
Le Fils égal au Père en toi s’est incarné…
De ses frères pécheurs bien grand sera le nombre
Puisqu’on doit l’appeler : Jésus, ton premier-né [7] !… »
Obéir comme Marie et par Marie
La contemplation de Marie à l’Annonciation est comme une source cristalline dans notre vie spirituelle, à laquelle saint Éphrem nous invitait au iv e siècle :
« Contemplez Marie, mes bien-aimés, voyez comment Gabriel entra chez elle et quelle objection elle lui adressa : “Comment cela va-t-il se faire ?” (Lc 1, 34.) Le serviteur de l’Esprit Saint lui fit cette réponse : “Cela est facile à Dieu ; pour lui tout est simple.” Considérez comment elle crut à la parole entendue et dit : “Voici la servante du Seigneur.” (Lc 1, 38) Dès lors, le Seigneur descendit d’une manière que lui seul connaît ; il se mit en mouvement et vint comme il lui plaisait ; il entra en elle sans qu’elle le sente, et elle l’accueillit sans éprouver aucune souffrance. Elle portait en elle, comme un enfant, celui dont le monde était rempli. Il descendit pour être le modèle qui renouvellerait l’antique image d’Adam [8] . »
Cette icône de Marie, à la fois active et réceptive, posant une question et acceptant la volonté divine, pourrait nous faire redécouvrir la grandeur d’une vertu très défigurée aujourd’hui : l’obéissance. Marie réussit à se placer correctement face à Dieu, sans s’anéantir, sans s’élever, mais dans l’attitude juste et grande de la servante du Seigneur. Une attitude qui nous coûte tant, que nous voudrions tant imiter… sans jamais y parvenir vraiment. Savons-nous écouter par exemple ce conseil de saint Paul aux Philippiens ? « Ainsi donc, mes bien-aimés, avec cette obéissance dont vous avez toujours fait preuve, et qui doit paraître, non seulement quand je suis là, mais bien plus encore maintenant que je suis absent, travaillez avec crainte et tremblement à accomplir votre salut. » (Ph 2, 12) Le saint pape Paul VI qui, en tant que Souverain Pontife, a cruellement souffert du manque d’obéissance dans l’Église, écrivait en 1970, deux années après la tourmente de 1968 et la publication de Humanae Vitae :
« La volonté de Dieu, sa volonté nouvelle sur l’homme, la charité, devient un rapport très exigeant. Au “fiat” divin, qui inaugure l’économie du salut, doit répondre le “fiat” humain qui accepte d’entrer dans cette économie sublimante. Marie enseigne : “Qu’il me soit fait selon ta parole” (la parole de l’Ange à l’Annonciation, Lc 1, 38), Jésus enseigne : “Ce n’est pas en me disant : Seigneur, Seigneur, qu’on entrera dans le Royaume des Cieux, mais en faisant la volonté de mon Père qui est dans les cieux.” (Mt 7, 21) Faire la volonté du Père, telle est la condition, la norme ; l’obéissance est la vertu morale fondamentale qui est la base de nos relations avec le Christ et Dieu : l’Église les fixe, et nous ouvre les lèvres pour nous faire répéter la prière évangélique : “Fiat voluntas Tua” [9] . »
Les premiers à devoir pratiquer l’obéissance – comme les autres vertus – sont les prêtres. Le psaume du jour nous offre une belle piste pour aborder ce thème délicat : « Sans fin, je lui garderai mon amour, mon alliance avec lui sera fidèle. » (Ps 89, 29) Dieu s’engage le premier sur le thème de la fidélité, surtout lors de notre ordination sacerdotale, et cet engagement s’étend sur toute notre vie : sa prévenance et sa grâce sont le socle qui soutient notre existence et notre ministère ; l’obéissance ne consiste en rien d’autre que de reconnaître cette dépendance et d’agir en conséquence. Comme Marie, il s’agit de prendre la juste place qui revient à l’homme dans le grand mystère du Salut, face à Dieu qui n’est pas un patron tyrannique, mais un Père plein de bonté, en nous fondant dans le Christ qui informe peu à peu tous les aspects de notre vie.
Jean-Paul II, dans l’Exhortation apostolique Pastores dabo vobis, a décrit les différents aspects de l’obéissance sacerdotale. Un point particulièrement délicat est le fait d’être inséré dans une communion sacerdotale, le presbyterium, qui offre beaucoup d’occasions de ne pas faire sa propre volonté, mais celle du Seigneur. Il en relève la difficulté :
« Cet aspect de l’obéissance sacerdotale demande une ascèse considérable : d’une part, le prêtre s’habitue à ne pas trop s’attacher à ses propres préférences ou à ses propres points de vue ; d’autre part, il laisse aux confrères l’espace suffisant pour qu’ils mettent en valeur leurs talents et leurs capacités, à l’exclusion de toute jalousie, envie et rivalité. L’obéissance sacerdotale est une obéissance solidaire, qui repose sur l’appartenance du prêtre à l’unique presbyterium et qui, toujours à l’intérieur de celui-ci, et avec lui, exprime des orientations et des choix coresponsables [10] . »
Au moment de l’Annonciation, Marie nous offre un exemple de parfaite collaboration avec Dieu, de détachement de sa volonté propre et de ses inclinations. Le ministère sacerdotal nous offre une infinité d’occasions de l’imiter : au lieu de nous plaindre de tant de difficultés, reconnaissons-y des occasions de sanctification !
Tout chrétien, consacré ou non, est lui aussi appelé à vivre l’obéissance. Comme pour Joseph, elle prend alors la forme de l’acceptation des événements de la vie, ce qui implique des décisions, des changements, des sacrifices, des douleurs… Elle respecte toujours le devoir d’état. Les pères et mères de famille, les éducateurs, les personnes engagées dans une profession exigeante savent de quoi il s’agit : remplir en priorité les missions particulières qui me reviennent selon la situation où Dieu m’a placé. Pourtant, qui n’est pas tenté de partir en vacances plutôt que de se charger de ses parents âgés ? De sortir ou d’accepter des responsabilités, fussent-elles chrétiennes, au lieu de rester près de ses enfants ? De s’offrir un moment de détente, et non de s’occuper d’un proche malade ou en détresse ?
La contemplation de Marie nous aide à désirer et à vivre l’obéissance. Elle exerce discrètement son influence bénéfique dans tous ces instants où nous sommes invités à prendre l’option – parfois très difficile, parfois imperceptible – d’obéir à la volonté de Dieu. Mais nous y trouvons la joie la plus profonde qui soit, comme Marie l’a vécu selon le pape Benoît XVI :
« Dans le salut de l’Ange, Marie est appelée “pleine de grâce” ; en grec, le terme “grâce”, charis, a la même racine linguistique que le terme “joie”. Dans cette expression également est éclaircie ultérieurement la source de la joie de Marie : la joie provient de la grâce, c’est-à-dire qu’elle provient de la communion avec Dieu, du fait d’avoir une relation si vitale avec Lui, du fait d’être la demeure de l’Esprit Saint, entièrement formée par l’action de Dieu. Marie est la créature qui, de façon unique, a ouvert toute grande la porte à son Créateur, elle s’est placée entre ses mains, sans limite. Elle vit entièrement de la et dans la relation avec le Seigneur ; elle est dans une attitude d’écoute, attentive à saisir les signes de Dieu sur le chemin de son peuple ; elle est insérée dans une histoire de foi et d’espérance dans les promesses de Dieu, qui constitue le tissu de son existence. Et elle se soumet librement à la parole reçue, à la volonté divine dans l’obéissance de la foi [11] . »
Un aussi grand directeur spirituel que saint François de Sales invitait sans cesse à imiter Marie. Dans la prière que nous offrons en conclusion, il joue d’ailleurs avec ce thème en retournant subtilement les rôles : c’est maintenant Marie qui est invitée à obéir aux demandes de ses enfants. Une telle liberté face à la Mère de Dieu n’est possible que dans le climat d’amour profond qui nous relie à notre Mère :
« Ayez mémoire et souvenance, très douce Vierge, que vous êtes ma Mère et que je suis votre fils ; et que vous êtes puissante et que je suis un pauvre homme, vil et faible. Je vous supplie, très douce Mère, que vous me gouverniez dans toutes mes voies et actions. Ne dites pas, gracieuse Vierge, que vous ne pouvez [pas] ! Car votre bien-aimé Fils vous a donné tout pouvoir, tant au Ciel comme en terre. Ne dites pas que vous ne devez ; car vous êtes la commune Mère de tous les pauvres humains et particulièrement la mienne. Si vous ne pouviez, je vous excuserais, disant : il est vrai qu’elle est ma Mère et qu’elle me chérit comme son fils, mais la pauvrette manque d’avoir et de pouvoir. Si vous n’étiez ma Mère, avec raison je patienterais, disant : elle est bien assez riche pour m’assister ; mais, hélas ! n’étant pas ma Mère, elle ne m’aime pas. Puis donc, très douce Vierge, que vous êtes ma Mère et que vous êtes puissante, comment vous excuserais-je si vous ne me soulagez et ne me prêtez votre secours et assistance ? Vous voyez, ma Mère, que vous êtes contrainte d’acquiescer à toutes mes demandes. Pour l’honneur et la gloire de votre Fils, acceptez-moi comme votre enfant, sans avoir égard à mes misères et à mes péchés. Délivrez mon âme et mon corps de tout mal et me donnez toutes vos vertus, surtout l’humilité. Enfin, faites-moi présent de tous les dons, biens et grâces, qui plaisent à la Sainte Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit. Ainsi soit-il [12] . »
[1] Jean Daniélou, Le signe du Temple ou de la présence de Dieu, Gallimard, 1942, p. 8.
[2] Saint Augustin, La Cité de Dieu, Livre XVII (de David à Jésus-Christ), Chapitre XII : édition Dubochet, 1845, p. 566.
[3] Benoît XVI, Audience générale du 2 mai 2012.
[4] Jean Daniélou, Le signe du Temple ou de la présence de Dieu, Gallimard, 1942, p. 47.
[5] Cardinal de Bérulle, La vie de Jésus, Cerf (Foi vivante), 1989, p. 88.
[6] Joseph Ratzinger, La fille de Sion : considérations sur la foi mariale de l’Église, Parole et Silence, 2002, p. 87.
[7] Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, Pourquoi je t’aime, ô Marie, PN 54, sur le site du Carmel de Lisieux.
[8] Saint Éphrem († 373), Homélies sur la Mère de Dieu, 2, 93-145, dans Nachtrage zu Ephraem Syrus, édition et traduction Beck, CSCO 363 et 364, 52-53.
[9] Paul VI, Catéchèse, 28 janvier 1970.
[10] Jean-Paul II, Pastores dabo vobis, nº 28.
[11] Benoît XVI, Audience générale, 19 décembre 2012.
[12] Prière attribuée à saint François de Sales et reprise pour la médaille miraculeuse (xixe siècle).