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Méditation

Dimanche de « Gaudete » : une joie obligatoire ?

Dans notre parcours d’Avent, nous voici parvenus au dimanche de Gaudete (« Réjouissez-vous ! »), dont le titre est emprunté à la Lettre aux Philippiens : « Soyez toujours dans la joie du Seigneur ; je le redis : soyez dans la joie. » (Ph 4, 4) Nous avons écouté une invitation similaire, toujours de saint Paul, en deuxième lecture (1 Th 5) ; nous pourrions légitimement nous étonner : peut-on vraiment donner l’ordre à quelqu’un d’être joyeux ? Au milieu des tribulations, doutes et difficultés de cette vie, cet ordre n’est-il pas déplacé ? Dans la rue, le dimanche matin, nous voyons le fêtard rentrer dormir après une nuit dissipée et le croyant sortir de sa prière pour aller à la messe. Lequel est vraiment joyeux ? Notre méditation essaiera d’approfondir ce que signifie la vraie joie chrétienne ; puis nous chercherons comment la partager avec Jésus et Marie ; enfin, nous nous pencherons sur cette joie si spéciale qui habite les cœurs sacerdotaux.

Le pape François a voulu dédier son premier grand acte de Magistère – son Exhortation apostolique Evangelii Gaudium – à ce thème de la joie chrétienne. Voici le début de ce grand texte programmatique, qu’il serait bon de relire pendant l’Avent :

« La joie de l’Évangile remplit le cœur et toute la vie de ceux qui rencontrent Jésus. Ceux qui se laissent sauver par lui sont libérés du péché, de la tristesse, du vide intérieur, de l’isolement. Avec Jésus Christ, la joie naît et renaît toujours. Dans cette Exhortation, je désire m’adresser aux fidèles chrétiens pour les inviter à une nouvelle étape évangélisatrice marquée par cette joie et indiquer des voies pour la marche de l’Église dans les prochaines années [1] . »

Rechercher la vraie joie

Au milieu des vanités du grand siècle s’est levée la figure sévère et profonde de Jacques-Bénigne Bossuet, tel un nouveau Jean-Baptiste rappelant à la cour l’essentiel si facilement recouvert par le superficiel ; sa voix rejoint les nouvelles futilités inventées par notre époque. Dans son célèbre sermon sur le jour de Pâques, il a vivement ressenti la difficulté que nous avons mentionnée :

« Quel nouveau commandement ! Peut-on commander de se réjouir ? La joie veut naître de source, ni commandée, ni forcée. Quand on possède le bien qu’on désire, elle coule d’elle-même avec abondance ; quand il nous manque, on a beau dire « réjouissez-vous » ; eût-on itéré mille fois ce commandement, la joie ne vient pas. Et toutefois, c’est un précepte de l’Apôtre [2] . »

Ce temps de l’Avent est donc une bonne occasion de rechercher le véritable sens de la joie chrétienne. « Votre cœur sera dans la joie » (Jn 16, 22) : la promesse du Seigneur ne saurait être vaine, mais pourquoi sommes-nous si peu joyeux ? De manière significative, la langue latine distingue entre le terme gaudium, qui exprime le contentement légitime et durable de celui qui savoure un bien profond, et la laetitia, un mouvement de bonne humeur superficiel et fugitif. C’est la même différence qui sépare la paix profonde, celle de l’âme qui jouit de son Seigneur, de la paix passagère que nous offrent le monde et ses vanités. Comme l’océan, l’âme peut être agitée en surface, et n’avoir aucune laetitia, mais trouver dans les profondeurs de sa vie spirituelle le gaudium qu’engendre la présence de Jésus.

Cette paix intérieure de la conscience, rien ne peut nous l’ôter : l’unique véritable préoccupation de notre vie devrait donc être de ne pas perdre notre union avec Lui et de la cultiver jour après jour. Devant les multiples ennemis qui menacent cette union, tant intérieurs qu’extérieurs, il nous faut sans cesse suivre l’invitation d’Isaïe, puis de Jean-Baptiste, de « préparer les voies du Seigneur » et d’écarter les obstacles à son action en nous, pour qu’il puisse irradier au plus profond de nous-mêmes le gaudium de sa présence. Pascal l’exprimait ainsi :

« Le Dieu des Chrétiens est un Dieu qui fait sentir à l’âme qu’il est son unique bien, que tout son repos est en lui et qu’elle n’aura de joie qu’à l’aimer ; et qui lui fait en même temps abhorrer les obstacles qui la retiennent et l’empêchent de l’aimer de toutes ses forces. L’amour-propre et la concupiscence qui l’arrêtent lui sont insupportables. Ce Dieu lui fait sentir qu’elle a ce fond d’amour-propre, et que lui seul l’en peut guérir [3] . »

C’est pourquoi l’invitation de saint Paul, dans la deuxième lecture (« Soyez toujours dans la joie », 1 Th 5, 16), est reliée à son exhortation finale à la sainteté (« Que le Dieu de la paix lui-même vous sanctifie tout entiers »). Le Seigneur, par sa présence bienfaisante, infuse dans l’âme une sérénité profonde ; Il se penche sur ses plaies pour les guérir et lui donne la fécondité spirituelle, qui est la vraie source de « réalisation personnelle ». Ne l’avons-nous pas souvent expérimenté lors d’une communion eucharistique ? La joie est alors un signe tangible de l’œuvre de sanctification que Dieu réalise dans l’âme : « Il est fidèle, Celui qui vous appelle : tout cela, il le fera. » (v. 24) Le pape Benoît XVI l’exprimait ainsi :

« La vraie joie n’est pas le fruit du divertissement, entendu dans le sens étymologique du terme di-vertere, c’est-à-dire sortir des engagements de sa vie et de ses responsabilités. La vraie joie est liée à quelque chose de plus profond. Certes, dans les rythmes quotidiens, souvent frénétiques, il est important de trouver des espaces de temps pour le repos, la détente, mais la vraie joie est liée à la relation avec Dieu. Qui a rencontré le Christ dans sa vie, éprouve dans son cœur une sérénité et une joie que personne ni aucune situation ne saurait faire disparaître. […] La vraie joie n’est pas un simple état d’âme passager, ni quelque chose que l’on atteint de ses propres forces, mais elle est un don, elle naît de la rencontre avec la personne vivante de Jésus, de la place que nous lui accordons en nous, de l’accueil que nous réservons à l’Esprit Saint qui guide notre vie. C’est l’invitation de l’apôtre Paul, qui dit : “Que le Dieu de la paix lui-même vous sanctifie tout entiers, et qu’il garde parfaits et sans reproche votre esprit, votre âme et votre corps, pour la venue de notre Seigneur Jésus Christ” (1 Th 5, 23) [4] . »

Reconnaissons que nous nous attristons souvent sans vraie raison : déconvenues, retards, contrariétés matérielles ou professionnelles… Tant d’événements secondaires auxquels nous ne devrions pas céder le pouvoir d’attrister notre âme, faite pour rester bien ancrée en Dieu. Nous avons aussi parfois de vraies raisons de ne pas être joyeux : deuil, souffrance, maladie, inquiétudes pour nos proches, etc. Saint Paul, en osant nous prescrire d’être « toujours joyeux », nous invite à vivre ces moments-là avec foi et confiance. La présence du Seigneur qui s’est fait homme, qui vient chaque jour dans nos cœurs nous assurer de son amour, qui ne nous abandonne jamais et reviendra à la fin des temps, cette présence produit dans l’âme croyante un fond de paix teinté de joie que nul ne peut lui ravir. Dans les moments d’épreuve, nous laissons-nous saisir par cette vérité ?

Saint Paul nous offre aussi une piste profonde de réflexion en nous invitant à veiller à ce que « notre esprit, notre âme et notre corps soient tout entiers gardés sans reproche » (v. 23). Au-delà d’une préservation des péchés ponctuels, toujours nécessaire, il s’agit de réaliser l’intégrité de toute notre personne dans toutes ses dimensions, depuis sa forme corporelle jusqu’à son combat spirituel, selon le dessein divin. Nous héritons d’une nature blessée par le péché, et l’histoire mouvementée de chacun de nous conduit à de multiples éclatements, notamment psychologiques et émotionnels. Nos tristesses et souffrances viennent souvent de cette fracturation… Un aspect important de notre vie spirituelle consiste à recomposer notre vie dans l’unité, en assumant les expériences du passé et en polarisant toute notre existence par l’amour reçu de l’Esprit. C’est ce que vivent en particulier les séminaristes, et toutes les âmes consacrées en temps de formation : que la grâce pénètre tous les recoins d’une nature qui s’ouvre à elle avec confiance, pour soigner profondément les blessures et valoriser les talents, et devenir petit à petit conforme à ce projet merveilleux que Dieu nous offre, cette « vocation » qui est la réponse d’amour à l’amour reçu. Une mystique anglaise du xive siècle, la bienheureuse Julienne de Norwich, redécouvrait dans ses épreuves combien ce regard divin nous précède et nous fonde :

« Je vis avec une absolue certitude… que Dieu, encore avant de nous créer, nous a aimés, d’un amour qui n’est jamais venu à manquer, et qui ne disparaîtra jamais. Et dans cet amour, Il a accompli toutes ses œuvres et, dans cet amour, Il a fait en sorte que toutes les choses soient utiles pour nous, et dans cet amour notre vie dure pour toujours… Dans cet amour, nous avons notre principe, et tout cela nous le verrons en Dieu sans fin [5] . »

Essayons donc, pendant ce temps de l’Avent, de voir ce qui nous réjouit ou nous attriste : ce sont de bonnes indications pour chercher Dieu et nous-mêmes. Ce que Jésus nous dit des paroles s’applique aussi aux sentiments : « L’homme bon, du bon trésor de son cœur, tire ce qui est bon, et celui qui est mauvais, de son mauvais fond, tire ce qui est mauvais. » (Lc 6, 45) Nous nous savons aimés et sauvés par le Christ : les contrariétés du monde présent doivent retourner à leur place secondaire, et la marche vers la Patrie bienheureuse devenir toujours plus la source d’une joie inaltérable… Une phrase attribuée à saint Augustin l’exprime parfaitement : « Celui-là se réjouit en tout temps qui se réjouit hors du temps [6] . »

Exulter avec Jésus et comme Marie

Reprenons la belle expression d’Isaïe : « Mon âme exulte en mon Dieu… » (Is 61, 10) Qui parle ? L’oracle nous présente un envoyé, « revêtu des vêtements du salut », qui se réjouit comme à des noces et qui admire la fécondité de Dieu : « Le Seigneur fera germer la justice et la louange devant toutes les nations. » (v. 11) Nous pouvons donc mettre ce chant de joie sur les lèvres de Jésus, le véritable « soleil de justice », qui s’est approprié la première partie du chapitre 61 d’Isaïe, dans la synagogue de Nazareth : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre. » (Lc 4, 21)

Jésus exulte au début de sa vie publique, parce que le moment est venu d’instaurer le Royaume de Dieu : « porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, guérir ceux qui ont le cœur brisé… » (v. 1). Il est bien ce « jeune époux qui se pare du diadème », dans la deuxième partie de l’oracle d’Isaïe (Is 61, 10), parce que sa divinité couronne son humanité et qu’Il célèbre, en sa personne, les noces de Dieu avec l’humanité. Peu après, l’évangéliste Luc nous le montre de nouveau exultant lors du retour des soixante-douze disciples : « Jésus tressaillit de joie sous l’action de l’Esprit Saint. » (Lc 10, 21) Saint Jean-Paul II nous offre une bonne clé de compréhension de cette exultation du Seigneur :

« Jésus exulte à cause de la paternité divine ; il exulte parce qu’il lui est donné de révéler cette paternité ; il exulte, enfin, parce qu’il y a comme un rayonnement particulier de cette paternité divine sur les “petits”. Et l’évangéliste qualifie tout cela de “tressaillement de joie dans l’Esprit Saint” [7] . »

Marie a vécu cette même expérience de paternité divine, et de fécondité spirituelle, lors de l’Incarnation, et c’est pourquoi son Magnificat reprend les expressions d’Isaïe. En tant qu’Immaculée Conception, elle est bien « enveloppée du manteau de l’innocence » (Is 61, 10), son âme est si belle qu’elle est comme « revêtue de bijoux », et elle est devenue épouse de l’Esprit Saint pour « faire germer la justice » : elle engendre Jésus, le Juste qui est source de toute justification. À son école, nous apprenons la véritable joie chrétienne, comme Édith Stein dans son Carmel :

« Lorsque nous recevons le saint habit du Carmel, nous nous engageons non seulement envers notre Époux divin, mais aussi envers sa Mère à servir le mieux possible. Le “vêtement du salut” est aussi appelé “vêtement de la justice”Il nous est remis avec l’invitation à nous dépouiller du vieil homme et à revêtir l’homme nouveau, créé à l’image de Dieu dans la sainteté et la justice. Par “justice”, l’Écriture sainte entend la perfection, l’état de l’homme justifiéqui a été rendu juste, comme il l’était avant la chute. Quand nous recevons le manteau de la justice, nous nous engageons donc à tendre de toutes nos forces vers la perfection et à garder ce saint vêtement intact. Nous ne pouvons mieux servir la Reine du Carmel ni lui montrer davantage notre reconnaissance qu’en la prenant pour modèle et en la suivant sur le chemin de la perfection [8] . »

Dans la conception virginale de Jésus, les Pères de l’Église ont admiré une source intarissable de joie, provoquée par l’intervention directe et merveilleuse de Dieu pour son peuple. Écoutons par exemple saint Basile de Séleucie, l’un des Pères du concile de Chalcédoine en 451 :

« Ô virginité par laquelle les anges, d’abord éloignés du genre humain, se réjouissent avec raison d’être mis au service des hommes ! Et Gabriel exulte d’être chargé d’annoncer la conception divine. C’est pourquoi il ouvre son message de salut en invoquant la joie et la grâce : Réjouis-toi, comblée de grâce, prends un visage joyeux ! Car c’est de toi que va naître la joie de tous, avec celui qui, après avoir détruit la puissance de la mort et avoir donné à tous l’espérance de ressusciter, nous délivrera de l’antique malédiction [9] . »

Mais ni Jésus, ni Marie à sa suite, ne veulent retenir jalousement cette joie, qui se propage par contagion dans tout le peuple chrétien. L’exultation du Magnificat est celle de Marie, mais aussi de toutes les générations après elle : les humbles qui sont relevés, les affamés qui sont comblés de biens, tout le peuple saint sauvé par Dieu. Jésus nous fait participer, comme Marie, de la paternité divine, de la fécondité du Royaume. Il l’a explicitement proclamé : « Quiconque fait la volonté de Dieu, celui-là m’est un frère et une sœur et une mère. » (Mc 3, 35) Le Catéchisme y voit une attitude profonde du Christ :

« Dès le début, Jésus a associé ses disciples à sa vie (cf. Mc 1, 16-20 ; 3, 13-19) ; il leur a révélé le mystère du Royaume (cf. Mt 13, 10-17) ; il leur a donné part à sa mission, à sa joie (cf. Lc 10, 17-20) et à ses souffrances (cf. Lc 22, 28-30). Jésus parle d’une communion encore plus intime entre Lui et ceux qui le suivraient : “Demeurez en moi, comme moi en vous […]. Je suis le cep, vous êtes les sarments” (Jn 15, 4-5). Et Il annonce une communion mystérieuse et réelle entre son propre corps et le nôtre : “Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui” (Jn 6, 56) [10] . »

Lorsque le Magnificat est chanté dans nos assemblées, nous écoutons la voix de l’Épouse (Israël, l’Église, Marie) qui jouit et magnifie son Époux, Dieu incarné dans le Christ. Cela nous remplit déjà d’une vraie joie comme Jean-Baptiste, l’ami de l’époux. Mais nous sommes aussi invités à chanter avec elle : l’excellence d’un soliste a besoin d’un chœur pour apparaître, et le chant sublime élève avec lui tout le chœur ; de même, la sainteté incomparable de Marie élève nos âmes. Bien mieux : nous sommes « invités aux noces de l’Agneau » et ne formons qu’une seule voix avec elle. C’est ainsi que l’Avent nous fait découvrir la présence cachée de Marie dans toutes les âmes fidèles, selon saint Ambroise :

« Qu’en chacun, il y ait l’âme de Marie pour magnifier le Seigneur ; qu’en chacun de vous soit l’esprit de Marie pour exulter en Dieu. S’il y a une seule mère du Christ selon la chair, selon la foi cependant, le Christ est le fruit de tous, puisque toute âme reçoit le Verbe de Dieu si, immaculée et dépourvue de vices, elle garde la chasteté avec une pudeur irréprochable [11] . »

En tressaillant de joie, comme Marie, devant le salut qui approche, nous partageons la joie de Jésus lui-même et nous entrons dans le mystère de son Cœur. En Lui, notre cœur se fond avec celui de la Mère immaculée – et de tous les saints – pour répondre pleinement au Père dans la joie éternelle du Fils qu’est l’Esprit Saint.

Avec Jésus, Marie et tout le peuple saint qui exultent, nous pouvons donc accueillir l’invitation pressante de saint Paul à la joie, et reprendre ces mots de Paul Claudel :

« Mon Dieu, qui nous parlez avec les paroles mêmes que nous vous adressons, Vous ne méprisez pas plus ma voix en ce jour que celle d’aucun de vos enfants ou de Marie même votre servante, Quand, dans l’excès de son cœur, elle s’écria vers vous parce que vous avez considéré son humilité ! Ô mère de mon Dieu ! ô femme entre toutes les femmes ! Vous êtes donc arrivée après ce long voyage jusqu’à moi ! et voici que toutes les générations en moi jusqu’à moi vous ont nommée bienheureuse [12] ! »

La joie du prêtre : à l’école de Jean-Baptiste

Comme exemple de joie parfaite en présence de Jésus, l’Écriture nous montre la figure de Jean-Baptiste, reprise par la liturgie de ce dimanche. Le pape François le décrit ainsi :

« Il y a une figure très significative, qui sert de lien entre l’Ancien et le Nouveau Testament : celle de Jean-Baptiste. Pour les Évangiles synoptiques, il est le “précurseur”, celui qui prépare la venue du Seigneur, en prédisposant le peuple à la conversion du cœur et à l’accueil de la consolation de Dieu désormais proche. Pour l’évangile de Jean, il est le “témoin”, dans la mesure où il nous fait reconnaître en Jésus Celui qui vient d’en-haut, pour pardonner nos péchés et faire de son peuple son épouse, annonce de l’humanité nouvelle [13] . »

Précurseur et témoin : Jean-Baptiste est une source d’inspiration pour la vocation sacerdotale. Comme lui, tout notre ministère – et toute notre existence – est centré sur Jésus. Nous sommes la voix qui, par la prédication et l’accompagnement des fidèles, invite à « préparer les chemins du Seigneur » : dans les âmes, dans la société, dans les familles … Nous rappelons et montrons à nos frères sa présence en ce monde : « au milieu de vous se tient Celui que vous ne connaissez pas… » Bien souvent, nous devons nous effacer, pour ne pas centrer l’attention ou l’affection des fidèles sur notre personne, et pour les renvoyer inlassablement à Jésus : « Je ne suis pas le Messie… ni Élie… ce n’est pas moi le prophète… C’est LUI qui vient derrière moi ! » (Jn 1.) Jean-Baptiste nous montre ainsi la voie d’un véritable anéantissement, selon le pape François :

« S’anéantir. Quand nous contemplons la vie de cet homme si grand, si puissant, tous croyaient qu’il s’agissait du Messie, quand nous voyons comment cette vie s’anéantit jusqu’à l’obscurité d’une prison, nous contemplons un mystère. […] Nous ne savons pas comment se sont passés [ses derniers jours]. Nous savons seulement qu’il a été tué et que sa tête a fini sur un plateau comme le grand cadeau d’une danseuse à un adultère. Je crois qu’on ne peut pas aller plus bas que cela, s’anéantir plus [14] . »

À son école, la joie du prêtre est immense et sa place privilégiée, lorsqu’il assiste aux épousailles entre Jésus et son peuple, se retirant humblement devant la grandeur du mystère, dont il demeure pourtant l’instrument. Il rejoint alors cette « spiritualité de Jean-Baptiste » qui a marqué tant d’âmes sacerdotales au cours des siècles : « Qui a l’épouse est l’époux ; mais l’ami de l’époux qui se tient là et qui l’entend, est ravi de joie à la voix de l’époux. Telle est ma joie, et elle est complète. Il faut que lui grandisse, et que moi je décroisse. » (Jn 3, 29-30) Dans une révélation privée à la vénérable Conchita Cabrera, Jésus a expliqué la source et la grandeur de cette joie sacerdotale :

« Dieu ne cesse de donner, de produire et de féconder en son sein, et comme il ne peut contenir en lui-même cette surabondance infinie et éternelle de trésors, de grâces et de richesses qui émanent de lui, il cherche quelqu’un à qui les communiquer. Mais comme Dieu ne peut sortir de Dieu et que, même s’il se démultiplie à l’infini, il est toujours lui-même, il tourne ses yeux vers moi, son Fils-Dieu, son Verbe-Dieu, son Homme-Dieu pour répandre ce flot de grâces et de lumière. Et en me trouvant il sourit et se réjouit d’une joie immense de se donner lui-même en moi. Et depuis qu’il a fondé l’Église, il cherche aussi en moi les prêtres qui sont devenus d’autres moi-même. Tel est la plus grande marque de son amour envers le monde, après le don de moi-même dans l’Eucharistie. C’est pourquoi le Père attend des prêtres un amour semblable à celui que j’ai pour lui, pour pouvoir leur rendre cet amour, en les enveloppant dans un torrent de grâces et c’est aussi pourquoi les prêtres peuvent aimer Dieu et être aimés de lui d’une manière sublime [15] . »

La liturgie nous présente ainsi trois exemples de véritables joies : Marie, Jean-Baptiste et Paul. En contemplant leurs vies, il y a certainement un aspect ou l’autre qui frappe plus notre imagination et notre cœur, et que nous pouvons essayer d’imiter en cette période. L’Esprit Saint nous invite à un vigoureux Sursum corda : « élevons notre cœur » vers les joies pures et solides que le Seigneur veut nous offrir, comme le cardinal Daniélou l’exprimait dans son journal :

« Magnificat : Ô Jésus, en contemplant l’âme de Marie, comblée de votre grâce et associée à l’œuvre divine de la rédemption de façon incomparable, [à] Marie qui est de ma race […], j’ai senti la folie qu’il y avait à s’attarder à de misérables soucis, quand vous l’appelez à être le confident et le dispensateur des miséricordes divines. Arrachez mon âme pusillanime à ces misérables voies où elle se traîne. Qu’à nouveau elle ne respire que pour votre œuvre, qu’elle gémisse et prie sans cesse, aspirant à votre règne dans les âmes ; dans ce monde si bouleversé, ô Jésus, comment puis-je être si insouciant, sinon parce que mon cœur est si incroyablement endurci – et comment puis-je ainsi dormir quand vous êtes en agonie. Tant de légèreté révolterait dans n’importe quelle entreprise humaine – et c’est votre œuvre, Jésus, que je traite ainsi. Et vous me pardonnez. Mais, je vous en conjure, que ce pardon si miséricordieux ne m’encourage [pas] à rester tiède. Que je puise dans ma reconnaissance un désir immense de me signaler à votre service et de réparer un peu par-là du mal que j’ai fait et de mes immenses négligences. Je vois bien que je n’ai encore jamais traité votre œuvre comme une chose urgente, qui se traite sans cesse. J’ai passé ma vie dans l’oisiveté. Oh ! Jésus, changez mon cœur, donnez-moi dès maintenant un cœur ardent à votre service, un cœur donné à Dieu, sans réserve. Brisez mon cœur endurci et donnez-moi un cœur de chair. Dilatez mon cœur étroit et resserré, et rendez-le magnanime en le remplissant de votre charité [16] . »

 


[1] Pape François, Evangelii Gaudium, nº 1.

[2] Bossuet, Premier abrégé d’un sermon pour le jour de Pâques, dans Œuvres complètes (Lefèvre, 1836), tome IV, p. 424.

[3] Blaise Pascal, Pensées, nº 149.

[4] Benoît XVI, Angélus du 11 décembre 2011.

[5] Bienheureuse Julienne de Norwich, Le Livre des révélations, chap. 86, citée par Benoît XVI, Audience générale du 1er décembre 2010 (avec une biographie de la sainte).

[6] Cité par Maître Eckhart (Dieu au-delà de Dieu, Albin Michel, 1999, Sermons n° 34, p. 36).

[7] Jean-Paul II, Encyclique Dominum et Vivificantem, nº 20.

[8] Sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix (Édith Stein), Source cachée (œuvres spirituelles), Ad solem – Cerf, 1999, p. 252.

[9] Saint Basile de Séleucie, Sermon 39, 4-5 (PG 85, 441, cité dans Homéliaire patristique, Brepols 1991, nº 81).

[10] CEC, nº 787.

[11] Saint Ambroise, Commentaire sur saint Luc, 2, 26 : PL 15, 1642.

[12] Paul Claudel, Magnificat, NRF, Tome III, 1910, p. 556.

[13] Pape François, Audience générale du 6 août 2014.

[14] Pape François, Méditation matinale, 24 juin 2013.

[15] Conchita Cabrera de Armida, À ceux que j’aime plus que tout : confidences de Jésus aux prêtres, éd. Pierre Téqui, 2008, p. 46.

[16] Jean Daniélou SJ, Carnets spirituels, Cerf, 1993, p. 266.


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