Veiller dans la nuit
Avec insistance, Jésus nous invite à veiller en ce début d’Avent. Dans l’évangile du jour, Il répète par trois fois cet impératif : « Veillez ! » Il compare notre vie sur terre à une longue nuit d’attente. Pourquoi cette image de la nuit ? Y sommes-nous désespérément seuls, comme des enfants abandonnés dans une forêt obscure avec la vague espérance que quelqu’un pensera à nous ? Le Seigneur suscite des veilleurs à nos côtés : prêtres, consacré(e)s, évêques, témoins de la foi… Enfin, quelles attitudes adopter pour suivre l’invitation du Christ à veiller ?
La nuit de l’attente
Lorsque nous évoquons notre existence, dans les conversations entre amis, nous utilisons volontiers l’image d’un voyage exaltant, d’une aventure à vivre ; au mieux, une mission à accomplir. Pourtant, nous dit Jésus, notre vie est une nuit à traverser, en attendant son retour « le soir ou à minuit, au chant du coq ou le matin » (Mc 13, 35).
C’est au cœur de la nuit, à Noël, que Jésus naît. C’est aussi dans le secret de la nuit, à Pâques, qu’Il ressuscite. Ces deux événements décisifs restent enfouis dans les épaisseurs nocturnes, soustraits aux regards du monde… En revanche, sa troisième grande venue, après l’étable et le tombeau vide, se fera en plein jour – ce sera son Jour – et tous verront le Christ éblouissant de gloire, comme l’exprime l’Apocalypse : « De nuit, il n’y en aura plus ; ils se passeront de lampe ou de soleil pour s’éclairer, car le Seigneur Dieu répandra sur eux sa lumière. » (Ap 22, 5)
Avant que ne se lève ce grand Jour, nous demeurons dans la nuit, ou plutôt dans une aurore très progressive, puisque le Soleil de Justice, le Christ, est déjà apparu parmi nous, mais que sa lumière ne règne pas encore totalement sur le monde. La liturgie, en ce début d’Avent, nous fait donc attendre la Parousie tout en nous préparant pour Noël. Comme le prophète Isaïe en première lecture, nous sommes plongés dans la nuit de l’attente : « Nul ne se réveille pour prendre appui sur Toi, car Tu nous as caché ton visage, Tu nous as livrés au pouvoir de nos fautes. » (Is 64, 6)
Dans notre cœur continue à résonner l’injonction solennelle de Jésus à veiller, à ne pas nous laisser gagner par les ténèbres du mal. Un texte du cardinal Newman pourra nous aider à percevoir ce temps de l’histoire :
« Qu’est-ce donc que veiller ? Je crois qu’on peut l’expliquer de la façon suivante. Connaissez-vous le sentiment que l’on éprouve en cette vie terrestre, lorsqu’on attend un ami, lorsqu’on attend en vain et qu’il tarde à venir ? Savez-vous ce que c’est que d’être en une compagnie peu agréable et de souhaiter que le temps s’écoule, et que sonne l’heure qui vous rendra la liberté ? Savez-vous ce que c’est que d’être dans l’anxiété d’une chose qu’on redoute, et qui peut ou non se produire ; ou encore d’être dans l’attente de quelque grave événement qui fait battre votre cœur plus vite lorsque l’idée vous en vient, et vers lequel va le matin votre première pensée ? Savez-vous ce que c’est que d’avoir un ami dans un pays éloigné, d’en attendre des nouvelles, et de demander de jour en jour ce qu’il fait et s’il se porte bien ? Savez-vous ce que c’est que de vivre de la vie de quelqu’un qu’on ne quitte jamais, si bien que nos yeux suivent les siens, qu’on lit dans son âme, que l’on voit tous les changements dans son attitude, que l’on prévient ses souhaits, que l’on sourit de son sourire et s’attriste de sa tristesse, que l’on est abattu lorsqu’il est éprouvé, et qu’on se réjouit de ses succès ? Veiller dans l’attente du Christ, c’est éprouver un sentiment analogue à tous ceux-ci, pour autant que les sentiments de ce monde peuvent nous servir à esquisser ceux de l’autre monde [1] . »
Au plus intime de notre cœur, nous pouvons déceler la réalité de la nuit et ses dangers : nuit de l’intelligence, car le sens profond de l’existence nous échappe ; nuit de la souffrance, car la plupart de nos existences sont marquées par la Croix ; nuit du mal qui recouvre le monde, et de l’absence apparente de Dieu ; nuit de notre propre cœur à la recherche d’une communion jamais pleinement réalisable ici-bas. Il est si facile de s’endormir dans ces nuits… Comme l’écrit le frère Christian :
« Parce que le monde est nuit, la tentation est d’y passer en dormant, de supprimer le voyage, de ne plus croire à l’œuvre, à la lumière. Perpétuellement, le Peuple de Dieu est invité au départ, à l’exode, au voyage. Et cet appel est une lumière, un feu qui marche devant, la nuit. Cet appel est une Parole, un Verbe de Dieu qui est lumière venant en ce monde [2] . »
Ai-je vraiment conscience que Jésus m’invite à attendre une aurore qui doit encore se lever sur ma vie et sur le monde ? Ou bien l’horizon de mon cœur est-il limité aux bonheurs d’ici-bas, au point de m’en contenter ? N’ai-je pas la tendance d’occulter ce qui est douloureux ou imparfait, au risque de voir soudain arriver l’éternité, comme à regret, comme si le Seigneur ne m’avait pas averti ? « S’il arrive à l’improviste, il ne faudrait pas qu’il vous trouve endormis… » (v. 36)
Est-ce que j’attends encore une aurore, ce qu’on appelle le « Jour de Dieu » ? Est-ce que cette aurore a pour moi un visage, celui du Maître bien-aimé ? Veiller, c’est attendre et désirer ; attendre dans la patience pour désirer plus : le temps est ce ministre de Dieu qui vient creuser notre cœur pour que l’Esprit y fasse habiter l’espérance. C’est ainsi que la nuit, qui nous effraie spontanément, devient un lieu privilégié pour l’aventure spirituelle, comme l’a chanté saint Jean de la Croix. Dans la première strophe de sa Montée du Carmel, il peint ainsi comment l’âme se met à la recherche de Dieu :
« “Dans une nuit obscure / d’une fièvre d’amour tout embrasée, / ô joyeuse aventure, / dehors je me suis glissée / quand ma maison fut enfin apaisée.” […] Voici en résumé ce que l’âme veut dire dans cette strophe. L’âme, aidée de la grâce de Dieu et mue seulement par cet amour pour lui dont elle était tout enflammée, est sortie durant une nuit obscure. Cette nuit est la privation et la purification de toutes les tendances des sens par rapport à toutes les choses extérieures du monde, comme à celles qui réjouissaient sa chair ou plaisaient à sa volonté. Ce travail est le résultat de la purification des sens. Aussi l’âme ajoute qu’elle est sortie, lorsque sa maison était déjà en paix ; elle désigne la partie sensitive, alors que toutes ses tendances étaient endormies et calmes en elle, et qu’elle-même était en sûreté à leur endroit. Car elle ne sort pas des peines et des angoisses que fomentent, du fond de leur demeure, les tendances, tant qu’elles ne sont pas elles-mêmes comme mortes et endormies. Voilà pourquoi elle parle de son heureux sort. Elle est sortie sans être vue, c’est-à-dire sans qu’aucune tendance de la chair ou autre ait pu l’empêcher ; elle dit encore qu’elle est sortie de nuit, c’est-à-dire pendant que Dieu la privait de toutes ses tendances, ce qui était pour elle une nuit [3] . »
Considérer notre vie comme une marche dans la nuit nous pousse à prier le Seigneur avec ferveur, comme Isaïe qui s’exclame : « Ah ! Si tu déchirais les cieux, si tu descendais ! » Notre espérance se renforce dans l’épaisseur des ténèbres et notre voix monte vers les Cieux avec plus de sincérité que lorsque tout est clair pour notre esprit humain. Reprenons ainsi la prière de frère Christian :
« Quand la nuit est là, quand la lumière n’a pas de nom
en dehors de la foi, Dieu de toute aurore,
avec ton Fils en agonie, nous voulons Te bénir encore.
Quand la blessure est là, quand la vie n’a pas de nom
en dehors de ta volonté, Dieu affrontant toute mort
avec le Fils blessé à jamais, Nous voulons Te glorifier encore.
Quand la lutte est là, quand la victoire n’a pas de nom
en dehors de l’amour, Dieu toujours plus fort,
avec le Fils héritier de nos morts, nous voulons T’adorer encore [4] . »
Des veilleurs à nos côtés
Qui veille aujourd’hui dans l’Église ? Le Seigneur ne nous abandonne pas chacun à notre place de veilleur, comme si nous étions des soldats dispersés sur un immense territoire, plongés dans la nuit et enveloppés de solitude. Au contraire, il met à nos côtés des vocations spéciales à la veille : évêques et prêtres, personnes consacré(e)s, moines et moniales… Notre attente est collective, la veille est partagée, dans la grande cohésion et solidarité du Corps mystique de Jésus.
Les moines ont reçu particulièrement cette vocation à devenir des veilleurs au sein de la nuit : recevons l’extraordinaire témoignage des moines de Tibhirine, en Algérie. Le Seigneur leur a donné la grâce de verser leur sang en étant fidèles jusqu’au bout. Être veilleurs en pays musulman, voilà une mission très particulière, comme l’exprimait le frère Bruno, dans ses lettres depuis Fès :
« Célébrer la Résurrection du Christ en cette terre, en cette ville [Fès], c’est évidemment un paradoxe, mais nous ressentons alors toute la signification de notre “mission” de priants… Être des “veilleurs”, prenant en notre prière toutes les joies et les peines du monde [5] … »
Notre nuit de l’existence, Jésus ne permet pas qu’elle devienne d’épaisses ténèbres qui pourraient nous engloutir. Dans l’évangile, Il évoque un maître qui s’est absenté, mais qui a confié à d’autres sa maison et délégué son autorité : « En quittant sa maison, Il a donné tout pouvoir à ses serviteurs » Nous ne sommes pas abandonnés dans le noir et le froid de l’histoire, nous avons un abri, l’Église, c’est-à-dire la communauté des croyants ; le Christ, en pensant à nous, a « fixé à chacun son travail » (Mc 13, 34), pour que la maison soit un foyer de lumière et de chaleur où les membres les plus faibles trouvent un abri.
Aux religieux et consacré(e)s, aux prêtres et aux évêques, le Seigneur a donc demandé de veiller pour garder et protéger sa maison. En effet, dans le « discours eschatologique » d’où est tiré l’évangile du jour, Jésus s’adresse avant tout à ses disciples les plus intimes : « Pierre, Jacques, Jean et André qui l’interrogeaient en particulier » (v. 3) Ainsi, « Il a ordonné au portier de veiller » : il s’agit de Pierre, à qui Il a confié les clés du Royaume… Un de ses successeurs, saint Jean-Paul II, lui-même veilleur infatigable, décrivait ainsi le ministère épiscopal à des évêques français :
« La charge épiscopale, est-il besoin de le redire, est avant tout d’ordre spirituel. Guetteur, veilleur, le pasteur porte sur les fidèles et sur toute la société un regard éclairé par la perspective évangélique et par l’expérience ecclésiale. C’est à l’écoute de ce que “l’Esprit dit aux Églises” qu’il peut exercer ses responsabilités, en commençant par un discernement ouvert et bienveillant sur les réussites ou sur les défaillances, sur les initiatives dynamiques ou sur les passivités regrettables qui jalonnent la route du peuple de Dieu [6] . »
S’adressant lui aussi à des évêques, le pape François reprenait la même image, qui s’applique à tous les pasteurs de l’Église :
« Je vois en vous des sentinelles, capables de réveiller les Églises, en se levant avant l’aurore ou au milieu de la nuit pour réveiller la foi, l’espérance, la charité ; sans se laisser assoupir ni conformer par la complainte nostalgique d’un passé fécond, mais désormais en déclin [7] . »
Pourtant, à Gethsémani, le prince des Apôtres qu’est Pierre s’endormira, avant de renier son Maître pendant le procès… et « les brebis seront dispersées » (Mc 14, 27). Mystère que cette Église, si chère au cœur du Seigneur qu’Il l’appelle son épouse ; mais qu’Il confie à des êtres fragiles qui ne seront jamais à la hauteur de la tâche… Qui, dans le ministère sacerdotal, n’a pas ressenti le poids de cette responsabilité ? Or, Jésus a accepté et pris en compte la faiblesse humaine ; Il a même permis que les défaillances de ses Apôtres soient décrites dans l’Évangile précisément pour que nous sachions que la Rédemption s’accomplit quand même, et malgré nous ; voire à travers nos défaillances… À un autre de ses Apôtres, saint Thomas, le Seigneur ressuscité fait toucher ses blessures glorieuses pour qu’elles cicatrisent et réconfortent son disciple (Jn 20) : « Par ses blessures, nous sommes guéris. » (Is 53)
Veiller, c’est aussi savoir rester humble et obéissant. Demandons la grâce d’aimer l’Église et ceux qui en sont les serviteurs. Sachons accueillir, avec un cœur humble et reconnaissant, l’Évangile et l’enseignement du magistère : par eux, la voix du Maître résonne dans la nuit. Prions aussi avec ferveur pour les pasteurs, pour tous ceux qui sont appelés à être veilleurs dans notre Église : que le Seigneur leur donne le courage, la force et surtout la charité pour accomplir leur tâche si délicate de veilleurs dans la nuit. Reprenons pour cela la belle prière de frère Paul, un autre des moines de Tibhirine :
« Esprit Saint, Feu allumé par Jésus ressuscité, viens brûler encore aujourd’hui nos cœurs de jeunes afin que, laissant tout pour suivre le Christ, nous découvrions la vraie joie des disciples. Envoie-nous au milieu de nos frères, avec les Prêtres au service du Peuple de Dieu. Envoie-nous en plein monde, avec les hommes et les femmes au cœur apostolique. Envoie-nous au-delà des frontières, avec les témoins dévorés par le zèle missionnaire. Envoie-nous dans le silence du désert avec les chercheurs passionnés du Dieu vivant. Esprit d’Amour, donne-nous, à nous jeunes, le courage de répondre à l’appel du Père, de l’Église et du monde [8] ! »
Tous les baptisés comme veilleurs
Dans les dernières paroles de son « discours eschatologique » (Mc 13), Jésus élargit son appel : « Ce que je vous dis là, je le dis à tous : Veillez ! » (v. 37.) Tous les baptisés sont donc appelés à devenir veilleurs : comment mettre en œuvre cette mission au milieu du monde ?
Le Maître a voulu que l’attente soit active, animée par l’amour, et qu’elle soit aussi une participation à son œuvre : Il a « fixé à chacun son travail » (v. 34). Nos forces humaines seraient trop faibles pour soutenir la veille : Il donne à tous l’Esprit Saint, qui « vient au secours de notre faiblesse ; car nous ne savons que demander pour prier comme il faut ; mais l’Esprit lui-même intercède pour nous en des gémissements ineffables » (Rm 8, 26). La prière est ainsi notre premier chemin pour veiller fidèlement, comme l’explique le Catéchisme :
« “Vivez dans la prière et les supplications ; priez en tout temps dans l’Esprit, apportez-y une vigilance inlassable et intercédez pour tous les saints.” (Ep 6, 18) Il ne nous a pas été prescrit de travailler, de veiller et de jeûner constamment, tandis que c’est pour nous une loi de prier sans cesse (Evagre). Cette ardeur inlassable ne peut venir que de l’amour. Contre notre pesanteur et notre paresse, le combat de la prière est celui de l’amour humble, confiant et persévérant [9] . »
La veille n’a donc rien d’angoissé ni d’ennuyeux : il s’agit de vivre dans une maison commune, l’Église, et d’y préparer le retour du Maître afin de jouir pour toujours de sa présence. Nous vivons constamment entre les deux kairos, ces moments de grâce que nous avons expliqués précédemment : la présence du Seigneur incarné ; l’attente de son retour dans la gloire. Ne s’endorment que les aveugles aux nécessités des autres, qui se replient sur leurs intérêts égoïstes…
L’appel du Christ à veiller doit donc résonner dans le cœur de tous les chrétiens. Pourquoi cet appel se fait-il si pressant ? Son Cœur semble porter une double blessure : l’indifférence qu’Il a rencontrée lors de son Incarnation et la perspective de perdre certaines brebis lors du Jugement dernier… Saint Claude la Colombière note ainsi qu’à la naissance de Jésus, dans la nuit de Bethléem, seuls les bergers veillaient ; un lourd sommeil habitait le cœur d’Hérode et des prêtres de Jérusalem, qui a rendu leurs yeux aveugles au Messie. Cet aveuglement pourrait bien être le nôtre aujourd’hui :
« L’héritier du royaume de David vient de naître ; ce Messie, ce libérateur annoncé par tant de prophéties, attendu depuis tant de siècles, est enfin venu au monde. Une compagnie d’Anges part du lieu de sa naissance, pour en porter la nouvelle. À qui ? Sans doute à tout le peuple d’Israël, puisqu’il avait été promis à tout ce peuple, et que tout Israël l’attendait ; du moins à toute la ville de Jérusalem, au Roi, à ses Ministres, à ses courtisans, au Grand Prêtre, aux Docteurs de la Loi, à ces enfants des Patriarches et des Prophètes. Tout ce monde, Messieurs, est enseveli dans un profond sommeil. Des bergers veillent cependant sur la plus prochaine colline, pour défendre leurs troupeaux contre les périls de la nuit : c’est vers ces bergers que les Anges sont députés, c’est à eux seuls que Jésus-Christ fait donner avis de son arrivée, il ne veut voir qu’eux dans son étable. Ita, pater, quoniam sic fuit placitum ante te [“Oui, Père, car tel a été ton bon plaisir” : Mt 11, 26]. Oui, Seigneur, c’est ainsi qu’il vous plut d’en user alors ; vous dédaignâtes le faste de la sagesse et de la grandeur du siècle, pour révéler à des hommes simples et pauvres vos plus admirables mystères [10] . »
Cependant, notre époque dénigre l’humble attente et lui préfère l’épanouissement personnel, la liberté absolue, la rupture totale de la dépendance à Dieu… Est-ce que nous travaillons à la tâche que nous a assignée le Seigneur, en vue de son retour ? Sommes-nous attentifs à ce que l’on appelait naguère les « devoirs d’état », la mission essentielle – comme la charge d’une famille – que le Seigneur nous confie pendant notre existence ? Nos occupations et préoccupations ne sont-elles pas au contraire superficielles et égocentriques ? Veiller, c’est préparer avec amour le retour de l’aimé, en s’oubliant soi-même…
Nous sommes dans cette nuit en un temps décisif, car c’est le temps du choix et des réalisations de l’amour. Le Christ nous l’offre pour nous préparer, Il nous prévient que la fin arrivera à l’improviste… Mais, surtout, le retour du Maître sera lumière et joie. Pour nous qui avons déjà fait un long chemin de foi ; pour nous qui sommes consacrés et lui avons donné nos vies ; pour nous aussi qui sommes jeunes et découvrons avec émerveillement le visage du Christ ; pour nous enfin qui le cherchons, n’est-ce pas une bonne nouvelle ? Le Maître va venir, et notre âme se met à chanter : « Mon bien-aimé… le voici qui vient ! » (Ct 2, 8.) De nouveau, Newman nous offre une belle piste de méditation :
« Celui-là veille avec le Christ qui a l’esprit éveillé, vivant, observateur, qui est zélé à le chercher et à l’honorer ; qui le recherche dans tout ce qui arrive, et qui n’éprouverait pas de surprise ni d’agitation ou d’épouvante excessives s’il apprenait que le Christ est sur le point de venir […]. Celui-là veille avec le Christ, qui commémore sans cesse dans ses pensées et renouvelle en sa personne la Croix du Christ et son Agonie […]. Ceci est encore veiller : être détaché des choses présentes, et vivre de ce qui est invisible ; vivre dans la pensée du Christ, tel qu’il vint une fois, et tel qu’il reviendra. Désirer ce second avènement par le souvenir affectionné et reconnaissant du premier [11] … »
Chaque soir, l’Église met sur nos lèvres une belle prière composée récemment pour l’office des Complies. Alors que nous nous apprêtons à prendre un repos bien mérité, et à laisser la nuit faire son œuvre, nous confions notre âme au Seigneur pour nous endormir dans la confiance :
« L’heure s’avance : fais-nous Grâce,
Toi dont le jour n’a pas de fin.
Reste avec nous quand tout s’efface,
Dieu des lumières sans déclin.
Tu sais Toi-même où sont nos peines :
Porte au Royaume nos travaux.
Sans Toi, notre œuvre serait vaine :
Viens préparer les temps nouveaux.
Comme un veilleur attend l’aurore,
Nous appelons le jour promis.
Mais si la nuit demeure encore,
Tiens-nous déjà pour Tes amis.
Dieu qui sans cesse nous enfantes,
À Toi ces derniers mots du jour !
L’Esprit du Christ en nous les chante
Et les confie à ton Amour [12] . »
[1] John Henry Card. Newman, Pensées sur l’Église, Cerf, 1956, p. 365-366.
[2] . Frère Christian de Chergé, moine de Tibhirine, homélie pour le 1 er dimanche de l’Avent (1981), sur Internet (www.moines-tibhirine.org).
[3] Saint Jean de la Croix, La montée du Carmel, première Strophe, traduction de la Pléiade (Gallimard 2012), p. 869.
[4] Frère Christian, prière pour Pâques « Dieu avec ton Fils en agonie, nous voulons Te bénir », sur www.site-catholique.fr.
[5] Frère Bruno (dans le monde Christian Lemarchand), lettre (cf. www.moines-tibhirine.org).
[6] Jean-Paul II, Discours à des évêques français en visite « ad limina » (11 janvier 1997). https://w2.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/speeches/1997/january/documents/hf_jp-ii_spe_19970111_french-episc-conference.html
[7] Pape François, Discours aux nouveaux évêques (18 septembre 2014). https://fr.zenit.org/articles/les-eveques-des-sentinelles-dans-la-nuit/
[8] Frère Paul Favre-Miville, Prière, sur www.site-catholique.fr.
[9] Catéchisme de l’Église catholique, nº 2742.
[10] Œuvres du R.P. Claude de la Colombière, éd. Seguin, Avignon, 1832, Tome I, p. 113.
[11] John Henry Card. Newman, Pensées sur l’Église, Cerf, 1956, p. 366.
[12] Père C. Duchesneau († 2003), prêtre du diocèse de Saint-Claude, Hymne pour l’office des Complies.