lecture

Une nouvelle année liturgique commence en ce mois d’hiver, une nouvelle aventure spirituelle avec l’évangile de Marc tout au long du cycle B. Alors que nous voyons déjà la fête de Noël se profiler à l’horizon de ces semaines d’Avent, pourquoi ouvrons-nous cet évangile au beau milieu de la vie publique de Jésus, alors qu’Il enseigne dans le Temple (Mc 13) ? Pourquoi la liturgie nous fait-elle entendre son cri pressant : « Veillez ! » ? Alors que Marie attend avec tendresse la naissance de son Fils, pourquoi ne pas commencer plutôt par les épisodes de l’enfance ?

Évangile : « Veillez ! » (Mc 13, 33-37)

Une première raison vient de l’évangile de Marc lui-même, une œuvre très concise et essentielle, qui s’ouvre directement sur la prédication de Jean-Baptiste, sans nous expliquer la provenance humaine de Jésus. Nous proclamerons d’ailleurs cet épisode la semaine prochaine (Avent B2). La liturgie réserve donc pour les autres années les épisodes de son enfance que saint Matthieu (cycle A), puis saint Luc (cycle C) nous racontent en détail.

Mais cette nécessité cache une raison théologique plus profonde : nous venons d’achever l’année précédente par la fête du Christ-Roi, qui nous fait attendre son retour dans la gloire, la Parousie. L’évangile proclamé la semaine dernière nous présentait la mise en scène solennelle du Jugement universel : « Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, escorté de tous les anges, alors il prendra place sur son trône de gloire. » (Mt 25, 31) Ne tournons pas la page avec une attitude de superficialité : cette attente de la venue définitive de Jésus reste permanente et essentielle pour la vie de l’Église, nos cœurs doivent rester tendus vers ce moment mystérieux, « quand viendra le maître de la maison » (Mc 13, 35). Saint Jean-Paul II nous introduit ainsi à la liturgie de ce dimanche :

« L’Avent nous rappelle qu’Il est venu, mais également qu’Il viendra. Et la vie des croyants est une attente permanente et vigilante de sa venue. L’invitation à veiller et à attendre est aujourd’hui soulignée avec insistance par saint Marc qui, au cours de toute la nouvelle année liturgique, nous guidera à la découverte du mystère du Christ [3] . »

La liturgie emprunte donc la dernière partie du « discours eschatologique » qui constitue le chapitre 13 de Marc. Cette grande confidence de Jésus à ses intimes se situe à un moment critique du deuxième évangile : entre les disputes que Jésus entretient avec les autorités dans le Temple, par exemple sur la résurrection des morts (Mc 12), et le déclenchement de sa Passion par la préparation de la Pâque (Mc 14). Alors qu’il s’avance vers sa mort, Jésus offre à ses Apôtres – à son épouse, l’Église de tous les siècles – des instructions et des conseils spirituels sur l’histoire qui se déroulera après sa mort : « Ce sera le commencement des douleurs de l’enfantement. » (13, 8) Un leitmotiv revient sur ses lèvres : « Prenez garde ! » (v. 5.9.23.)

L’évangéliste, quelques versets avant le passage de ce dimanche, signalait un mystère étonnant : Jésus lui-même, dans sa science humaine, ignorait le moment précis de son retour : « Quant à la date de ce jour, ou à l’heure, personne ne les connaît, ni les anges dans le ciel, ni le Fils, personne que le Père. » (Mc 13, 32) C’est dire combien le Seigneur nous maintient dans l’ouverture au futur, pour que nous trouvions notre appui uniquement dans l’espérance infusée par l’Esprit, sans satisfaire notre curiosité naturelle qui pourrait conduire à de fausses sécurités. De nouveau, il nous répète : « Soyez sur vos gardes, veillez, car vous ne savez pas quand ce sera le moment. » (Mc 13, 33) Saint Jean Chrysostome nous l’explique ainsi :

« Si nous, les hommes, nous savions, pour l’avoir lue ou entendue, la date du Jugement, si nous savions par exemple que le jour du Jugement arriverait dans deux mille ans, si nous connaissions l’avenir, nous nous montrerions dès lors plus négligents. Nous dirions en effet : “Qu’est-ce que cela peut me faire, puisque le jour du Jugement n’arrivera que dans deux mille ans ?” Cette phrase : “Le Fils ne sait quand sera le jour du jugement” nous est donc utile, car nous ignorons ainsi l’échéance du Jugement [4] . »

Le terme grec utilisé par Marc pour désigner cet instant est important : il ne s’agit pas d’un moment quelconque, mais d’un « καιρός, kairos », c’est-à-dire l’espace temporel unique et sacré où se déroule l’action divine, donnant à ce temps une épaisseur existentielle et une importance décisive. Nous l’avions entendu sur les lèvres de Jésus au début de l’évangile, et ce furent ses premières paroles selon saint Marc : « Le temps est accompli et le Royaume de Dieu est tout proche : repentez-vous et croyez à l’Évangile. » (Mc 1, 15)

Alors que le Seigneur est sur le point de quitter ce monde dans des circonstances dramatiques, ce premier kairos – le moment de grâce où Israël a été visité – touche à sa fin, tandis que l’humanité entre dans l’attente du second kairos où la vérité sera faite dans les cœurs. Le Christ se compare à « un homme parti en voyage », puisque « sa maison », la communauté des disciples qui est l’embryon de l’Église, est encore dans ce monde. Il la confie aux « serviteurs », les Apôtres, qui ont reçu « tout pouvoir », comme Jésus le répétera après sa Résurrection dans le grand mandat missionnaire : « Allez dans le monde entier, proclamez l’Évangile à toute la création… » (Mc 16, 15)

Ne sachant pas l’heure de son retour, nous devons donc veiller dans la fidélité à la charge qui nous est confiée, chacun à son poste, comme des serviteurs qui attendent le retour du maître. Saint Marc se fait très concret dans sa description, utilisant les termes militaires romains des quatre veilles qui divisaient la nuit – un indice supplémentaire qu’il a composé son évangile à Rome : « le soir ou à minuit, au chant du coq ou le matin ». La première tâche des veilleurs, pour protéger la propriété du maître, était précisément de rester éveillés pour contrecarrer l’action des voleurs et ne pas être surpris en flagrant délit d’endormissement. Nous explorerons l’aspect spirituel de cette image dans la méditation.

C’est dans cette perspective d’attente eschatologique que l’Église, chaque année, célèbre la Naissance du Christ à Noël. Jésus est déjà venu dans la chair, Il reviendra dans la gloire… D’où la coloration spirituelle si spéciale de ce premier dimanche d’Avent. Les Pères ont souvent mis ces deux venues en regard l’une de l’autre, comme saint Augustin :

« Le Seigneur Christ, notre Dieu, le Fils de Dieu, est venu de façon cachée dans son premier avènement [l’Incarnation] ; il viendra de façon manifeste dans son second [la Parousie]. Quand il est venu caché, il n’a été connu que de ses serviteurs ; quand il viendra manifestement, il sera connu des bons et des mauvais. Quand il est venu caché, c’était pour être jugé ; quand il viendra manifestement, ce sera pour être le juge. Autrefois, il était jugé, il s’est tu, et le prophète avait prédit ce silence : “Comme un agneau conduit à l’abattoir, comme une brebis muette devant les tondeurs, il n’ouvre pas la bouche” (Is 53, 7), mais “notre Dieu viendra manifestement, et il ne se taira pas” (Ps 49, 3) [5] . »

Les célébrations liturgiques s’inscrivent ainsi dans une spirale, qui symbolise bien le progrès de notre histoire : d’année en année, nous vivons un retour cyclique des mêmes célébrations, alors que la Parousie, terme du voyage, se rapproche. L’Avent nous fait attendre Noël comme chaque année, mais nous sommes plus proches du retour en gloire du Christ, qui nous attire à lui. L’Église attend le plein avènement de son époux, le Christ glorieux, dans la veille fidèle du cœur amoureux, et pour cela se dirige une fois de plus vers la grotte de Bethléem.

Première lecture : « Tu es notre père ! » (Is 63, 16… 64, 7)

L’Église, tournée vers la venue du Christ, trouve un excellent modèle en Israël, qui a veillé et attendu patiemment la venue de son Seigneur au long des siècles. La première lecture, tirée des derniers chapitres d’Isaïe (63-64), commence et se termine par une énergique profession de foi : « C’est toi, Seigneur, notre père ! » (Is 63, 16 ; 64.6.) Pourtant, il faut lire la phrase entière tronquée par la liturgie : « Si Abraham ne nous a pas reconnus, si Israël ne se souvient plus de nous, toi, Seigneur, tu es notre père, notre rédempteur, tel est ton nom depuis toujours. » (Is 63, 16) Dans l’angoisse, l’écrivain sacré éprouve un profond sentiment d’abandon ; il a l’impression que les fondements de sa religion sont ébranlés, d’où l’invocation amère des deux patriarches qui demeurent muets ; il se raccroche alors à son Seigneur comme un dernier recours, mais le plus fort dans la tribulation.

Cette confiance absolue provient de l’expérience et de la mémoire du peuple d’Israël : une expérience du « bras puissant du Seigneur » qui s’est manifestée dans l’histoire et qui s’est fixée dans la mémoire religieuse. Le Seigneur est intervenu auprès d’Abraham, de Jacob, de Moïse, etc., pour engendrer son peuple. Comment pourrait-il l’abandonner à présent ? On se rappelle la théologie du Deutéronome :

« Est-il un dieu qui soit venu se chercher une nation au milieu d’une autre, par des épreuves, des signes, des prodiges et des combats, à main forte et à bras étendu, et par de grandes terreurs – toutes choses que pour vous, sous tes yeux, le Seigneur votre Dieu a faites en Égypte ? » (Dt 4, 34.)

Nous ne lisons qu’un extrait d’un long poème qui médite sur l’histoire d’Israël (Is 63, 7 – 64, 11), où sont rappelés les hauts faits du Seigneur pendant l’Exode. Une conviction en ressort : « Dans toutes leurs angoisses, ce n’est pas un messager ou un ange, c’est la face du Seigneur qui les a sauvés. » (v. 9) La médiation des hommes est relativisée pour en appeler directement à la paternité divine. C’est bien ce thème qui se cache derrière l’expression : « la face du Seigneur », enracinée dans la culture biblique que nous dévoile saint Jean-Paul II :

« La paternité de Dieu apparaît à Israël plus solide que celle humaine : “Si mon Père et ma mère m’abandonnent, le Seigneur m’accueillera.” (Ps 27, 10) Le Psalmiste, qui a éprouvé cette douloureuse expérience d’abandon et qui a trouvé en Dieu un père plus attentif que le père terrestre, nous indique la voie qu’il a parcourue pour parvenir à ce but : “De toi mon cœur a dit : Cherche sa face. C’est ta face, Seigneur, que je cherche.” (Ps 27, 8) Rechercher le visage de Dieu est un chemin nécessaire, qui doit être parcouru avec un cœur sincère et un engagement constant. Seul le cœur du juste peut se réjouir en recherchant la face du Seigneur (cf. Ps 105, 3 et s.) et le visage paternel de Dieu peut donc resplendir sur lui (cf. Ps 119, 135). En observant la Loi divine, l’on jouit également pleinement de la protection du Dieu de l’Alliance. La bénédiction dont Dieu gratifie son peuple, à travers la médiation sacerdotale d’Aaron, insiste précisément sur cette révélation lumineuse du visage de Dieu : “Que le Seigneur fasse pour toi rayonner son visage et te fasse grâce ! Que le Seigneur te découvre sa face et t’apporte la paix !” (Nb 6, 25 sq.) [6] . »

Cependant, le peuple s’est relâché et perverti, ce qui est exprimé avec le langage de la pureté rituelle : « Tous, nous étions comme des gens impurs, et tous nos actes justes n’étaient que linges souillés. » (v. 5) Ce peuple, qui devrait être saint (cf. Lv 11, 45), ne suit pas sa vocation : « Nous nous sommes égarés. » Difficile de savoir à quelle époque ce poème a été composé, et quels sont ces péchés : le texte émerge des méandres de l’histoire d’Israël et vient accompagner nos propres errements… Nous pouvons penser au péché d’idolâtrie et aux violations des commandements de la double Table.

L’amertume et la souffrance du prophète sont si grandes qu’il en vient à accuser le Seigneur : « Tu nous as caché ton visage, tu nous as livrés au pouvoir de nos fautes. » (64, 7) Il décrit Israël comme un troupeau qui erre dans la montagne en l’absence du pasteur, comme un enfant abandonné, pris de peur dans la nuit, et qui appelle son père au secours : que la « face du Seigneur », c’est-à-dire sa présence salvifique, vienne briller dans les ténèbres, pour accomplir de nouveaux prodiges de libération !

Le langage est ici poétique, et le texte hébreu nous laisse dans l’incertitude de ce qui relève du regret, du souhait, de la vision… Nous écoutons tout à la fois une plainte d’Isaïe, une supplication, un abandon… Il se rappelle les grandes actions divines du passé : « Voici que tu es descendu… » (64, 2), et commémore les théophanies grandioses comme au Sinaï : « Et les montagnes furent ébranlées devant ta face. » (cf. Ex 19, 18) Au long des siècles, ces prodiges sont célébrés par le peuple comme le montre ce Psaume :

« Quand Israël sortit d’Égypte, la maison de Jacob, de chez un peuple barbare, […] la mer voit et s’enfuit, le Jourdain retourne en arrière ; les montagnes sautent comme des béliers et les collines comme des agneaux. » (Ps 114, 1-4)

Dans son angoisse, le prophète se permet d’arguer devant Dieu de la paternité qu’Il a révélée à Israël : « C’est toi, Seigneur notre Père, notre Rédempteur depuis toujours : tel est ton nom. » (v. 16) D’où sa supplication d’une nouvelle intervention radicale : « Ah, si tu déchirais les cieux, si tu descendais… » (63, 19) Et le prophète de terminer par ce constat lucide et humble : « Nous sommes l’argile et tu es le potier. » (64, 7) On ne saurait mieux se mettre docilement à la disposition du Seigneur pour qu’Il agisse s’Il le juge bon.

À la lumière du Christ, venu du Ciel pour nous révéler le Père, cette prière acquiert une portée extraordinaire. Elle résume tout l’esprit de l’Avent : exprimer notre soif dans le désert de ce monde au Seigneur de la vie ; lui crier combien nous avons besoin de sa présence. Creuser notre désir du Christ pour que sa venue à Noël ne soit pas une fausse réjouissance. L’Incarnation sera le point culminant de toute la série de prodiges en faveur d’Israël : « Tu es descendu ! » Le chrétien peut s’exclamer devant le Verbe fait chair, en toute vérité : « Jamais on n’a entendu, jamais on n’a ouï dire, nul œil n’a jamais vu un autre dieu que toi agir ainsi pour celui qui l’attend. » (Is 64, 2)

Psaume : « Que ton visage s’éclaire ! » (Ps 80)

Ce même désir d’intervention divine est repris par le Psaume, avec la même image théologique de la face divine : « Que ton visage s’éclaire, et nous serons sauvés ! » (80, 4.) La liturgie n’a retenu que trois strophes de ce grand Psaume (début, milieu et fin), qui compare le peuple saint à un troupeau (“berger d’Israël”), puis à une vigne. Dieu lui a prodigué beaucoup de soins au cours de l’histoire (cf. Mt 21), car elle est l’objet de son amour jaloux (v. 9)… et pourtant, parce qu’elle s’est détournée de Dieu, les peuples ennemis l’ont dévastée (v. 13) et elle se sent abandonnée par son Maître, d’où la supplication qui exprime bien notre attitude spirituelle en Avent : « Dieu de l’univers, reviens ! Visite cette vigne, protège-la ! » (v. 15.)

Notons combien le psalmiste exprime sa dépendance vis-à-vis du Seigneur : il ne lui demande pas seulement d’agir conformément à son statut de « berger d’Israël », qui doit logiquement regarder, voir, visiter et protéger son peuple ; mais il affirme aussi que la conversion du peuple rebelle est l’œuvre du Seigneur lui-même : « Fais-nous revenir, et nous serons sauvés ! » (v. 4.) Point de volontarisme, une humilité profonde fondée sur la conscience de la propre impuissance, qui se transforme en invocation rejoignant directement le cœur du Seigneur. Quel bel exemple de prière !

Lorsque le psalmiste demande la protection du « fils de l’homme qui te doit sa force » (v. 18), il désigne David et ses descendants, ces rois qui ont reçu l’onction faisant d’eux des messies (oints) et qui sont garants de la vie du peuple. Il espère que le Dieu d’Israël va rétablir l’ordre, la prospérité et la fidélité dans Jérusalem sous la houlette d’un monarque juste comme Josias, dont l’image s’est fixée dans la mémoire du peuple :

« Il n’y eut avant lui aucun roi qui se fût, comme lui, tourné vers le Seigneur de tout son cœur, de toute son âme et de toute sa force, en toute fidélité à la Loi de Moïse, et après lui il ne s’en leva pas qui lui fût comparable. » (1 R 23, 25)

Mais, en ces semaines d’Avent, alors que nous attendons la naissance du Messie, nous pouvons imaginer avec quelle émotion Marie devait prier ce Psaume. Enceinte, elle sait que dans son sein grandit le « fils de l’homme » qui viendra « sauver son peuple de ses péchés » (Mt 1, 21). Comme toutes les mères croyantes, elle implore pour Lui la protection divine : « Que ta main droite soutienne ton protégé ! » (v. 18.) Surtout, elle ne désire qu’une chose : voir enfin sa face, que son « visage s’éclaire », Lui qui est le « resplendissement de la gloire du Père » (He 1, 3). Le frère Christophe de Tibhirine contemplait ainsi Marie pendant l’Avent :

« Comme toute femme enceinte, elle se rend attentive à l’enfant qui grandit en elle, et elle vit cette transformation d’elle-même que réalise toujours une première maternité… mais comme son enfant c’est Dieu, c’est sa relation à Dieu qui en est transformée… une nouvelle communion, un admirable échange où, tandis qu’elle donne chair à son enfant, cet enfant lui donne part à sa divinité… Marie et Jésus s’accueillent et se donnent l’un à l’autre dans un unique mouvement que l’on peut appeler : “l’accueil en offrande”. En effet, c’est dans un même mouvement que Marie accueille son fils et s’offre à lui tout en l’offrant au Père, au monde, de même que c’est dans un même mouvement que Jésus en s’offrant à Marie accueille toute l’humanité et nous offre en même temps au Père [7] . »

Deuxième lecture : « tenir fermement jusqu’au bout » (1 Co 1, 3-9)

Isaïe nous a montré le peuple d’Israël en attente, titubant sous les épreuves, plein d’incertitude et guetté par l’amertume : ce n’est plus le cas de l’Église que Paul voit grandir sous ses yeux comme un arbre vigoureux. C’est une multitude de petites communautés dans l’Empire, que l’Apôtre a fait naître par la prédication. La deuxième lecture nous offre l’exemple de la communauté de Corinthe, dont il fait l’éloge en lui adressant ce beau compliment : « Aucun don de la grâce ne vous manque. » (v. 7)

Au début de la Première Lettre aux Corinthiens, nous le voyons en paix, très satisfait de la communauté : « Je ne cesse de rendre grâce à Dieu à votre sujet. » (v. 4) C’est l’événement de l’Incarnation qui a changé l’attente anxieuse en espérance assurée : l’adverbe « fermement » revient par deux fois sous sa plume. Comme l’exprimait le psalmiste, c’est sur Dieu que repose l’initiative et l’accomplissement de cette nouvelle vie : « Dieu est fidèle » (v. 9), et sa fidélité est le fondement de la nôtre.

Les chrétiens de Corinthe font ainsi fructifier la grâce du Christ, en étant ses témoins, et vivent dans l’attente confiante de la Parousie, le retour du Seigneur. Lorsque Paul affirme que « le témoignage rendu au Christ s’est établi fermement parmi vous » (v. 6), il se réfère à sa propre prédication qui a porté les fruits de conversion, et aussi au rayonnement de ces premiers chrétiens, qui attire les païens à la foi au Christ.

Pourtant, ils vivent dans une ville corrompue, capitale commerciale de la Grèce, lieu de libertinage où deux tiers des habitants sont des esclaves… Le secret de leur rayonnement ? Jésus occupe vraiment le centre de leur vie et du cœur de Paul : dans ces quelques versets qui introduisent la Lettre, son Nom revient plus de dix fois ! On y perçoit l’éblouissement de Paul devant le mystère du Christ qui lui a été révélé et qu’il transmet avec enthousiasme, comme le notent les Actes des Apôtres : « Crispus, le chef de synagogue, crut au Seigneur avec tous les siens. Beaucoup de Corinthiens qui entendaient Paul embrassaient également la foi et se faisaient baptiser. » (Ac 18, 8)

Dans ce passage nous est aussi révélée la dynamique de l’évangélisation : elle commence par le témoignage rendu au Christ par les apôtres, suivi par l’accueil de cette parole (la foi) qui produit des dons spirituels dans la communauté. Lorsque l’Apôtre affirme que les Corinthiens ont « reçu toutes les richesses de la parole et de la connaissance de Dieu », il se réfère aux charismes qui abondaient dans la communauté et qu’il décrira un peu plus avant dans son épître :

« À l’un, c’est un discours de sagesse qui est donné par l’Esprit ; à tel autre un discours de science, selon le même Esprit ; à un autre la foi, dans le même Esprit ; à tel autre les dons de guérison, dans l’unique Esprit ; à tel autre la puissance d’opérer des miracles ; à tel autre la prophétie ; à tel autre le discernement des esprits ; à un autre les diversités de langues, à tel autre le don de les interpréter. Mais tout cela, c’est l’unique et même Esprit qui l’opère, distribuant ses dons à chacun en particulier comme il l’entend. » (1 Co 12, 8-11)

L’évangélisation se renforce ensuite par une attitude de confiance dans les tribulations : il faut « tenir fermement jusqu’au bout ». Enfin, cette navigation dans l’histoire est illuminée par un grand Phare qui domine toute l’histoire, le grand Retour du Seigneur : « À vous qui attendez de voir se révéler notre Seigneur Jésus-Christ » (v. 7), sans crainte du jugement : « vous serez sans reproche en ce jour. » (v. 8)

Veille fidèle, attente dans les tribulations, assurance dans les épreuves : ces attitudes que les différentes lectures veulent susciter en nos cœurs, la liturgie les met sur nos lèvres par l’antienne de la messe, tirée du Psaume 25 :

« Vers toi, Seigneur, j’élève mon âme. Mon Dieu, je compte sur toi ; je n’aurai pas à en rougir. De ceux qui t’attendent, aucun n’est déçu. » (Ps 25, 1-3)

 

=> Lire la méditation

 


[1] Père Christian de Chergé (1937-1996), religieux trappiste français de Notre-Dame de l’Atlas, l’un des sept moines de Tibhirine vivant en Algérie, pris en otage et assassinés en 1996. Frère Christian a été proclamé bienheureux le 8 décembre 2018 en même temps que les six autres martyrs d’Algérie.

[2] Frère Christian de Chergé, moine de Tibhirine, homélie pour le 1 er dimanche de l’Avent (1981), sur Internet (www.moines-tibhirine.org).

[3] Saint Jean-Paul II, Angélus du 1er décembre 2002.

[4] Cité dans Marc commenté par Jérôme et Jean Chrysostome, DDB, 1986 (« Les Pères dans la Foi » n° 32) p. 94.

[5] Saint Augustin, Sermon 18 (PL 38, 128), cité dans Les Pères de l’Église commentent l’Évangile, trad. Delhougne, Brepols, 2000, p. 164.

[6] Jean-Paul II, Audience générale du 13 janvier 1999.

[7] Frère Christophe, Homélie pour le 4e dimanche de l’Avent (1994), sur www.moines-tibhirine.org


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