La Semaine Sainte s’ouvre par une double célébration : la Procession, qui commémore l’entrée messianique du Seigneur à Jérusalem ; puis la Messe qui célèbre sa Passion. Sur le Mont des oliviers, nous évoquons l’entrée glorieuse de Jésus, annonciatrice de son futur triomphe ; puis nous descendons avec lui dans la vallée du Cédron, vers les mystères de son abaissement et de sa mort, dans l’attente de sa résurrection dimanche prochain.
Abaissement, exaltation : c’est le grand mouvement qu’illustrent les autres lectures, le « chant du Serviteur » (Is 50), l’hymne de la Lettre aux Philippiens (Ph 2) et l’extraordinaire Psaume 22 (Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?).
La première lecture : le serviteur souffrant d’Isaïe (Is 50)
Le livre d’Isaïe regorge de richesses littéraires et spirituelles, parmi lesquelles les quatre « chants » dits du serviteur souffrant[1], des textes d’une grande beauté évoquant la souffrance extrême d’un serviteur de Dieu à cause de sa fidélité à la Parole. L’identité du personnage présenté dans ces textes reste mystérieuse. La tradition juive y voit alternativement le prophète Isaïe lui-même, un autre prophète ou, plus couramment, le peuple juif, souffrant persécution et rejet à cause de son élection.
Pour le chrétien, ces textes sont bouleversants car ils présentent, jusque dans le détail, les supplices infligés au Christ, son abaissement total et sa déréliction. Les premières communautés y ont découvert une vraie prophétie de la Passion.
Nous lirons, le Vendredi Saint, le quatrième chant (Is 52, 13 à 53,12), où sont rassemblés avec une intensité tragique tous les éléments de la Passion, avec aussi le sens profond de ce mystère d’anéantissement : notre Salut. Au chapitre 8 des Actes, l’apôtre Philippe sera envoyé à l’eunuque de la reine de Candace qu’il trouvera en train de lire ce même texte d’Isaïe 53 et qui l’interrogera : « Je te prie, de qui le prophète dit-il cela ? De lui-même ou de quelqu’un d’autre ? » (Ac 8,34). Et Philippe partira de cet oracle pour annoncer le Christ à cet étranger et le baptiser quelques instants après.
La liturgie a choisi, pour ce dimanche des Rameaux, le troisième « chant » (Is 50,4-7), qui met l’accent sur l’obéissance absolue à la mission et la fidélité à l’amour reçu : « Le Seigneur mon Dieu m’a ouvert l’oreille, et moi, je ne me suis pas révolté… » (Is 50,5). Le serviteur souffre à cause de sa relation particulière au Seigneur, qui l’a choisi pour porter sa parole et « pour soutenir celui qui est épuisé » (v.4).
Cette description d’Isaïe évoque une autre figure de l’Ancien Testament : le prophète Jérémie. Enflammé d’amour pour Dieu, formé et éprouvé par la Parole, envoyé pour réconforter le Peuple (Jr 30–31), il fut sujet à la persécution morale et physique (Jr 38). Jeté en prison ou au fond d’une citerne, il resta fidèle et uni à Dieu, sans pour autant taire ses perplexité :
« Tu m’as séduit, Seigneur, et je me suis laissé séduire ; tu m’as maîtrisé, tu as été le plus fort. Je suis prétexte continuel à la moquerie, la fable de tout le monde. Chaque fois que j’ai à parler, je dois crier et proclamer : ‘Violence et dévastation !’ La parole du Seigneur a été pour moi source d’opprobre et de moquerie tout le jour. Je me disais : Je ne penserai plus à lui, je ne parlerai plus en son Nom ; mais c’était en mon cœur comme un feu dévorant, enfermé dans mes os. Je m’épuisais à le contenir, mais je n’ai pas pu… » (Jr 20,7-9).
Durant son agonie, son procès religieux et son supplice, Jésus présente la même attitude : il s’en remet au Père avec amour et confiance sans lui cacher son désarroi : « Abba, Père, tout est possible pour toi. Eloigne de moi cette coupe. Cependant non pas ce que moi, je veux, mais ce que toi, tu veux » (Mc 14,36). Il garde la certitude inébranlable du juste qui vit face à face avec l’hôte intérieur dans le secret de sa conscience, et l’exprime avec force dans les conditions adverses d’un jugement inique : « Vous verrez le Fils de l’homme siéger à la droite du Tout-Puissant et venir parmi les nuées » (Mc 14,62). Même ses dernières paroles, prononcées au sommet de la douleur et de l’abandon, expriment cet amour et cette confiance. Nous y reviendrons dans l’explication du Psaume.
Nous sommes bien loin de l’atmosphère de liesse et des acclamations enthousiastes de la procession des Rameaux dont nous nous avons lu le récit en début de célébration : « Hosanna, Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! » (Mc 21,9). De même, les récits évangéliques des derniers dimanches, qui montraient la puissance du Christ, s’inscrivent désormais en contraste avec le récit de la Passion où il se laisse docilement mener à l’abattoir et semble subir les effets du pouvoir des hommes… Jésus accueille en sa personne ces deux réalités, comme l’explique le pape Benoît XVI :
« Selon la tradition biblique, le Fils de l’homme est celui qui reçoit le pouvoir et la souveraineté de Dieu. Jésus interprète sa mission sur la terre en superposant à la figure du Fils de l’homme celle du Serviteur souffrant, décrit par Isaïe (cf. Is 53, 1-12). Il reçoit le pouvoir et la gloire uniquement en tant que « serviteur » ; mais il est serviteur dans la mesure où il prend sur lui le destin de souffrance et de péché de toute l’humanité. Son service s’accomplit dans la totale fidélité et dans la pleine responsabilité envers les hommes. C’est pourquoi la libre acceptation de sa mort violente devient le prix de la libération pour la multitude, devient le commencement et le fondement de la rédemption de chaque homme et du genre humain tout entier. » [2]
Le psaume 22 : « Ils me percent les mains et les pieds »
Depuis les tout premiers temps de l’Église, le Psaume 22 (21) a été lu comme une description étonnamment précise de la Passion de Jésus : le psalmiste semble décrire à la lettre ce que Jésus vivra au Calvaire. Au-delà des détails concrets, saint Matthieu rapporte le cri du Christ mourant, que nous répétons en répons : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Ps 22,2 = Mt 27,46). Le pape François nous en montre la valeur spirituelle :
« Suspendu au gibet, en plus de la dérision, il affronte la dernière tentation : la provocation à descendre de la croix, à vaincre le mal par la force et à montrer le visage d’un Dieu puissant et invincible. Jésus, au contraire, précisément ici, au faîte de l’anéantissement, révèle le vrai visage de Dieu, qui est miséricorde. Il pardonne à ceux qui l’ont crucifié, il ouvre les portes du paradis au larron repenti et touche le cœur du centurion. Si le mystère du mal est abyssal, la réalité de l’Amour qui l’a transpercé est infinie, parvenant jusqu’au tombeau et aux enfers, assumant toute notre souffrance pour la racheter, portant la lumière aux ténèbres, la vie à la mort, l’amour à la haine. » [3]
Cette ultime prière de Jésus montre la profondeur de l’Incarnation. Lui qui s’est fait homme, et a été « reconnu homme à son aspect » (Ph 2), traverse une heure de ténèbres, et éprouve ce sentiment d’abandon total qui peut accabler l’être humain confronté à l’épreuve et à la mort.
Cette prière ne nie pas pour autant l’espérance, mais la manifeste au contraire, la rend présente comme en creux. Au moment de mourir, le Christ, Verbe de Dieu venu en ce monde, s’approprie une dernière fois la Parole de Dieu. Il la fait sienne dans sa propre langue maternelle, l’araméen et non l’hébreu, manifestant sa familiarité respectueuse avec Dieu, comme l’indiquait déjà l’expression araméenne « Abba, Père », lors de l’agonie à Gethsémani (v.36).
Par ailleurs, il est habituel dans la tradition juive de citer le premier verset d’un psaume pour l’invoquer dans son ensemble, pour s’en approprier tout le contenu. Or, après la description des souffrances et les paroles de supplication, le psaume 22 opère, à la fin du verset 22 et dans les versets 26 à 29, un retournement spectaculaire qui célèbre la réponse de Dieu et l’avènement de son règne ; l’action de grâces fait son apparition : « Je proclame ton nom devant mes frères, je te loue en pleine assemblée… » (v.23). Dans l’intervalle, quelque chose de radical s’est produit, Dieu est intervenu pour porter secours au malheureux : « Mais Tu m’as répondu ! » (v.22)[4]. Et le psaume poursuit par ces versets, qui ne sont pas lus ce jour :
« Tu seras ma louange dans la grande assemblée ; devant ceux qui te craignent, je tiendrai mes promesses. Les pauvres mangeront : ils seront rassasiés ; ils loueront le Seigneur, ceux qui le cherchent : ‘À vous, toujours, la vie et la joie !’ La terre entière se souviendra et reviendra vers le Seigneur, chaque famille de nations se prosternera devant lui : ‘Oui, au Seigneur la royauté, le pouvoir sur les nations !’ » (vv.26-29)
C’est ainsi que le Catéchisme considère le cri du Christ comme une prière filiale, parmi d’autres que nous méditons dans la tradition des Sept dernières paroles :
« Quand l’Heure est venue où Il accomplit le Dessein d’amour du Père, Jésus laisse entrevoir la profondeur insondable de sa prière filiale, non seulement avant de se livrer librement (« Abba… non pas ma volonté, mais la tienne » : Lc 22, 42), mais jusque dans ses dernières paroles sur la Croix, là où prier et se donner ne font qu’un : « Mon Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23, 34) ; « En vérité, je te le dis, dès aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis » (Lc 24, 43) ; « Femme, voici ton fils » – « Voici ta mère » (Jn 19, 26-27) ; « J’ai soif ! » (Jn 19, 28) ; « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mc 15, 34 ; cf. Ps 22, 2) ; « Tout est achevé » (Jn 19, 30) ; « Père, je remets mon esprit entre tes mains » (Lc 23, 46), jusqu’à ce « grand cri » où il expire en livrant l’esprit (cf. Mc 15, 37 ; Jn 19, 30b). » [5]
La deuxième lecture : L’hymne christologique de Ph 2
Au moment d’entrer dans la Semaine Sainte, nous contemplons d’un seul regard tout le Mystère du Christ récapitulé dans une hymne liturgique de la première communauté chrétienne, que saint Paul inclut dans sa Lettre aux Philippiens (Ph 2,6-11).
Elle commence par un mouvement de descente en deux étapes : d’abord l’Incarnation, où Jésus passe de la « condition divine » à la « condition de serviteur ». La traduction est ici assez faible, car le grec dit « esclave » (δοῦλος, doulos) par opposition au Maître, Dieu, dont il égale le rang (v.6). Au moment de l’Incarnation, c’est d’ailleurs ce nom que Marie c’est appliquée à elle-même : « voici l’esclave du Seigneur » (Lc 1,38, Ἰδού, ἡ δούλη κυρίου, idou hé doulé kyriou). On découvre ainsi le Psaume 116 en filigrane de cette humilité que Jésus et Marie ont en commun : « Je suis ton esclave, le fils de ta servante… » (v.16).
Seconde étape descendante : la Passion qui conduit à la mort, si dramatique et ignominieuse que le texte insiste: « jusqu’à la mort, et la mort de la croix ». Ce supplice ignoble suscitait chez les auditeurs de Paul un fort sentiment d’horreur, que nous devrions redécouvrir. Cette descente manifeste l’extrême obéissance de Jésus à la volonté de son Père, par amour. Le pape François nous l’explique :
« L’apôtre Paul, dans la seconde Lecture, synthétise par deux verbes le parcours de la rédemption : « il s’est anéanti » et « il s’est abaissé » lui-même. (Ph 2, 7.8) Ces deux verbes nous disent jusqu’à quelle extrémité est arrivé l’amour de Dieu pour nous. Jésus s’est anéanti lui-même : il a renoncé à la gloire de Fils de Dieu et il est devenu Fils de l’homme pour être en tout solidaire avec nous, pécheurs, lui qui est sans péché. Et pas seulement : il a vécu parmi nous une « condition de serviteur » (v.7) ; non pas de roi, ni de prince, mais de serviteur. Il s’est donc abaissé, et l’abîme de son humiliation, que nous montre la Semaine Sainte, semble ne pas avoir de fond. » [6]
Le texte grec que la version française rend par « il s’est anéanti » est bien connu : « ἑαυτὸν ἐκένωσεν (eautov ékénosen) », littéralement « il s’est vidé lui-même » (de kenos, vide). D’où le terme théologique de kénose, qui exprime le dépouillement du Christ. C’est bien physiquement et moralement ce que vit Jésus au cours de sa Passion : entièrement privé de soutiens humains et de sa dignité de Fils de Dieu, bafoué même dans sa dignité humaine, il est aussi vidé de ses forces et de sa puissance avant d’être vidé de son sang et de son souffle. Un mystère qui a fait dire au bienheureux Charles de Foucauld : « vous avez tellement pris la dernière place que jamais personne n’a pu vous la ravir »…
Vient ensuite un mouvement ascendant qui est la réponse de Dieu le Père à l’offrande totale du Fils, et qui s’opère par la Résurrection et l’Ascension de Jésus : « Il l’a élevé au-dessus de tout » (v.9). La théologie du Nom divin (il lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom…Ph 2, 9), empruntée à l’Ancien Testament, permet d’exprimer que Jésus est vraiment Dieu, désormais à la droite du Père, comme le proclame saint Pierre à la Pentecôte : « Dieu l’a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous, vous avez crucifié » (Ac 2,36).
Le Christ est maintenant le centre de l’adoration de toutes les créatures, qu’elles soient angéliques (au ciel), humaines (sur terre) ou dans le Shéol (aux enfers). Toutes sont unies par une même proclamation liturgique : « Jésus-Christ est Seigneur ! », que l’Esprit inspire et qui rend toute gloire au Père.
C’est ce grand mouvement de l’hymne aux Philippiens que nous vivons ce dimanche : la procession des Rameaux, la proclamation de la Passion et l’attente de la Résurrection. À l’invitation de la liturgie, nous accompagnons le Christ dans son mystère de Pâques, le grand Passage :
« Aujourd’hui, le Christ entre à Jérusalem, la Ville Sainte, où il va mourir et ressusciter. Mettons toute notre foi à rappeler maintenant le souvenir de cette entrée triomphale de notre Sauveur ; suivons-le dans sa Passion jusqu’à la croix pour avoir part à sa résurrection et à sa vie. » [7]
L’évangile : Passion selon saint Marc (Mc 14–15)
Cette année (B), nous lisons les deux chapitres de l’évangile de Marc consacrés au récit de la Passion, depuis le complot des notables juifs (Mc 14,1) jusqu’à la mention des femmes pieuses qui « regardaient l’endroit où on l’avait mis » (fin du chapitre 15).
Le récit met l’accent sur les actions des ennemis et des amis intimes du Christ. Les deux groupes interviennent alternativement autour de Jésus dans le texte de Marc, mais plusieurs personnages sont « ambivalents » ou basculent d’un groupe vers l’autre, comme pour indiquer que le monde ne peut se diviser entre « bons et méchants » comme le voudraient les Manichéens.
On trouve ainsi les disciples suspendus aux lèvres de Jésus à la Cène mais qui doutent d’eux-mêmes (serait-ce moi ?), s’endorment puis s’enfuient ; Simon de Cyrène, compagnon de Jésus, mais malgré lui, puisqu’il est réquisitionné ; Pilate qui perçoit la manipulation mais qui ménage ses interlocuteurs juifs. Pierre, le disciple fidèle qui se dit prêt à mourir mais va renier son maître avant de se repentir. La foule qui passe du « Hosanna au fils de David » à « crucifie-le ». Judas enfin, l’intime devenu traître.
Marc alterne les scènes en faisant se succéder les effets d’ombre et de lumière : tandis que la haine avance inexorablement contre Jésus, aboutissant à sa mort, des gestes sont également posés qui manifestent le plus grand amour, comme l’onction, l’Eucharistie, et la mise au tombeau.
Le récit commence par la conspiration des notables (vv.1-2) qui décident la mort de Jésus, un projet qui se réalise à la fin du récit (15,37). Face à la fourberie et au calcul coupable de ces dignitaires religieux, l’onction à Béthanie (vv.3-9) témoigne à l’inverse du don gratuit et sans mesure d’une simple femme du peuple, qui fut sans doute de celles « qui observaient de loin » (Mc 15, 40) le supplice de Jésus ; puis c’est la trahison de Judas, présentée froidement, comme une transaction commerciale, réglée en quelques mots, comme si Jésus était un inconnu pour lui.
Suivent les préparatifs du repas, longuement relatés et réglés avec amour par Jésus ; puis la Cène pascale proprement dite : une ambiance intime et solennelle à la fois, dont la joie est profondément ternie par l’annonce de la trahison (vv.17-21) de Judas, sans empêcher l’essentiel : l’institution de l’Eucharistie… Geste d’amour suprême au milieu de la tempête par lequel Jésus se donne à ceux qui s’apprêtent à l’abandonner, et à nous tous par anticipation.
Ainsi, au moment-même où se constitue la première Église, la division et l’infidélité la frappent. Pierre, choisi pour la diriger n’est pas encore le roc institué par le Christ : ses reniements sont annoncés (v.14,30), il ne peut veiller avec le Maître (v.37), s’enfuit comme tous les autres (v.50), avant de renier trois fois, sous serment (v. 66-72), celui qu’il avait, le premier, confessé comme Christ (Mc 8, 29).
Avec ce naufrage spirituel, la tempête se déchaîne contre Jésus. Le chapitre 15 décrit très rapidement le jugement, les outrages, la mort et la sépulture. Notons les différents rôles dans le procès, selon Marc : la foule vient au prétoire pour réclamer la libération de Barabbas, et ne semble pas porter d’intérêt particulier à Jésus, « celui que vous appelez le roi des Juifs » (v 12). C’est pourtant la même foule qui, quelques jours plus tôt l’acclamait et se réjouissait en chantant : « Béni soit le règne qui vient ! »(Mc 11, 10).
Pilate voudrait profiter de l’occasion pour se débarrasser de Jésus, un cas politique épineux : il se proclame roi et s’oppose ainsi, en théorie, à l’autorité romaine. Ce Galiléen n’est pour lui qu’une source de troubles internes, et ce sont les grands prêtres qui obtiennent, par un échange injuste, et grâce à la lâcheté du procurateur, le but qu’ils s’étaient fixé. La foule, manipulée, se range aux côtés des autorités religieuses.
Le jeu d’ombres et lumières se poursuit au Golgotha. Les grands prêtres et les passants, qui connaissent pourtant les enseignements et les signes accomplis par Jésus, accablent d’injures celui qui « en a sauvé d’autres mais ne peut se sauver lui-même » (v 31). Mais le centurion romain, qui a supervisé le supplice, fait le chemin inverse et professe sa foi dans le Fils de Dieu (v 39). Le récit se termine sur l’émouvante délicatesse avec laquelle Joseph d’Arimathie rend au crucifié les derniers honneurs, sous le regard des femmes.
C’est ainsi que Marc nous offre un récit simple et serré, mais extrêmement tragique, où se noue la condamnation et la mort de Jésus, livré à la place d’un criminel. La liturgie de la messe le souligne :
« Alors qu’il était innocent, il a voulu souffrir pour les coupables, et, sans avoir commis le mal, il s’est laissé juger comme un criminel ; en mourant, il détruit notre péché ; en ressuscitant, il nous fait vivre et nous sanctifie. » [8]
⇒Lire la méditation
[1] Is 42, 1-9; Is 49, 1-13; Is 50, 4-11; Is 52, 13 à 53,12.
[2] Benoît XVI, Allocution du 18 février 2012
[3] Pape François, homélie du 20 mars 2016.
[4] La traduction du verset 22 est difficile. Le texte hébreu dit littéralement: « Sauve-moi de la gueule du lion, des cornes des taureaux, tu m’as répondu » (ve hoshieni mi pi arieh ve mikarnei reemim anitani). Le dernier mot, « tu m’as répondu » (עניתני, anitani), semble décalé par rapport au sens du texte, et les traducteurs choisissent diverses solutions : « [sauve] ma pauvre âme » (Bible de Jérusalem) ; « réponds-moi ! » (Bible des Amériques) ; « [sauve des cornes des taureaux] mon humilité » (Septante et Vulgate)… Mais si l’on choisit de retenir « tu m’as répondu », on voit s’opérer le basculement et on peut y lire une prophétie de la résurrection, la réponse définitive du Père aux souffrances du Fils.
[5] Catéchisme de l’Église catholique, nº2605, disponible ici.
[6] Pape François, homélie du 20 mars 2016.
[7] Suggestion du missel pour l’allocution aux fidèles (procession des rameaux).
[8] Préface de la messe du Dimanche des Rameaux.