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Méditation : la main de Jésus sur nos lèpres

Jésus étend la main pour toucher un lépreux dans la campagne de Galilée : un moment unique, déroutant pour les disciples, mais qui s’inscrit logiquement dans son ministère de salut de l’humanité. Un geste qui rompt avec les traditions religieuses d’Israël, qui se prolonge tout au long de l’Évangile, et parvient jusqu’à nous pour nous guérir de nos lèpres spirituelles …

L’humilité du Christ thaumaturge

Cette guérison nous renseigne d’abord sur la vie intérieure du Christ. Un miracle immédiat, accompli avec la plus grande facilité, qui confirme pour les disciples, nouvellement recrutés, l’autorité à laquelle le Christ prétendait. Comme à Cana, Il voulait ainsi leur manifester sa gloire, pour susciter leur foi ; mais cette révélation devait rester discrète, réservée à ses intimes, pour que les foules, qui attendaient un Messie temporel, ne se méprennent pas sur sa vraie mission. C’est le fameux « secret messianique » que Jésus cherche, à maintes reprises, à préserver (cf. Mc 3,12 ; 5,19 ; 7,36 ; 8,2).

 Saint Claude la Colombière, pour sa part, voit dans cette recherche de la discrétion une marque profonde de l’humilité de Jésus, sa fuite des honneurs :

« Chaque action miraculeuse marque dans chaque circonstance combien il fuit la gloire, et tout ce qui peut sentir l’ostentation ; bien différent de ces Prophètes séducteurs, qui ne cherchent qu’à éblouir le peuple par des miracles supposés, inutiles, souvent pernicieux, ou en s’élevant eux-mêmes dans les airs, ou en y excitant des tempêtes. […] Nul appareil dans la plupart des miracles qu’il fait, nul air de mystère plus frappant quelquefois que l’appareil. Allant d’un lieu à un autre, il accorde des grâces qu’on n’attend d’aucun autre ; le peu de paroles dont il les accompagne contribue à les rendre secrètes. A voir sa conduite dans toutes cas rencontres, peut-on se dissimuler combien peu il fait de cas de tout ce que le monde estime le plus [l’honneur] ? […] On dirait que ne pouvant éviter la gloire qui suit ces actions surnaturelles, il veut persuader au peuple que les malades y ont autant de part que lui. Il veut même que le peuple les ignore : quel soin pour empêcher qu’un miracle secret, ou fait devant peu de témoins, ne devienne public ! »[1]

Contemplons donc longuement ce geste de Jésus. Il nous révèle son identité de Fils de Dieu ; Il nous montre également son humilité profonde : deux extrêmes impossibles à unir s’il ne s’agissait de Lui.

Lépreux et lèpres aujourd’hui

En s’approchant des lépreux, catégorie sociale ostracisée de son époque, Jésus nous invite à prendre conscience des barrières injustifiées que nous dressons entre nous. En plus des hommes et femmes que nos sociétés laissent pour compte, nous avons nous-mêmes, dans notre entourage et notre famille, nos propres lépreux que nous ne voulons pas approcher, des personnes dont l’apparence ou le comportement nous choquent, qui nous semblent indignes de notre attention et de notre affection et que nous tenons prudemment à distance : pauvres, étrangers, handicapés, membres d’autres religions, d’autres groupes sociaux, incroyants, pécheurs, personnes sans éducation, caractérielles ou ennuyeuses…

Le Seigneur nous demande de voir en eux des frères blessés et d’avoir, à leur égard, l’audace du geste fraternel. Il nous demande de comprendre qu’en les excluant, nous brisons la communion entre les hommes et avec Lui. La foi devrait nous faire grandir dans la miséricorde envers tous, comme l’expliquait le pape François dans sa première encyclique :

« La lumière de la foi ne nous fait pas oublier les souffrances du monde. Pour combien d’hommes et de femmes de foi, les personnes qui souffrent ont été des médiatrices de lumière ! Ainsi le lépreux pour saint François d’Assise, ou pour la Bienheureuse Mère Teresa de Calcutta, ses pauvres. Ils ont compris le mystère qui est en eux. En s’approchant d’eux, ils n’ont certes pas effacé toutes leurs souffrances, ni n’ont pu leur expliquer tout le mal. La foi n’est pas une lumière qui dissiperait toutes nos ténèbres, mais la lampe qui guide nos pas dans la nuit, et cela suffit pour le chemin. À l’homme qui souffre, Dieu ne donne pas un raisonnement qui explique tout, mais il offre sa réponse sous la forme d’une présence qui accompagne, d’une histoire de bien qui s’unit à chaque histoire de souffrance pour ouvrir en elle une trouée de lumière. Dans le Christ, Dieu a voulu partager avec nous cette route et nous offrir son regard pour y voir la lumière. Le Christ est celui qui, en ayant supporté la souffrance, “est le chef de notre foi et la porte à la perfection” (He 12, 2) »[2]

Jésus nous invite aussi à reconnaître nos propres lèpres, à voir ce qui en nous peut éloigner les autres et surtout nous éloigner de Dieu. Nous pouvons alors reprendre la liste de Marc 7, 21-23 et y reconnaitre ce qui nous concerne : inconduites, vols, meurtres, adultères, cupidités, méchancetés, fraude, débauche, envie, diffamation, orgueil ou démesure….

Le Seigneur nous propose enfin de ne pas rester repliés sur notre péché et notre pauvreté, et de nous avancer vers lui. Quelle que soit notre faute, il nous demander de croire à son amour et à sa capacité de nous guérir en profondeur. « Si tu veux, Tu peux me guérir » : quelle belle prière à reprendre si souvent !

Jésus étend la main

Aujourd’hui encore, Jésus étend la main pour nous sauver. Il le fait imperceptiblement lorsque nous lisons sa Parole ou que prions, lorsque nous sommes en communauté : Il nous rejoint de mille manières et vient changer nos cœurs pleins de lèpre. Il le fait très concrètement à travers les sacrements, en particulier ceux que l’on nomme « sacrements de guérison » et que le Catéchisme présente ainsi :

« Par les sacrements de l’initiation chrétienne, l’homme reçoit la vie nouvelle du Christ. Or, cette vie, nous la portons “en des vases d’argile” (2 Co 4, 7). Maintenant, elle est encore ” cachée avec le Christ en Dieu ” (Col 3, 3). Nous sommes encore dans ” notre demeure terrestre ” (2 Co 5, 1) soumise à la souffrance, à la maladie et à la mort. Cette vie nouvelle d’enfant de Dieu peut être affaiblie et même perdue par le péché. Le Seigneur Jésus-Christ, médecin de nos âmes et de nos corps, Lui qui a remis les péchés au paralytique et lui a rendu la santé du corps (cf. Mc 2, 1-12), a voulu que son Église continue, dans la force de l’Esprit Saint, son œuvre de guérison et de salut, même auprès de ses propres membres. C’est le but des deux sacrements de guérison : du sacrement de Pénitence et de l’Onction des malades. »[3]

Nous en voyons la mise en œuvre dès la vie publique du Christ : Il fait participer ses disciples à son ministère de compassion et de guérison : « Ils s’en allèrent prêcher qu’on se repentît ; et ils chassaient beaucoup de démons et faisaient des onctions d’huile à de nombreux malades et les guérissaient » (Mc 6, 12-13). Après sa résurrection il confirme cet envoi : « Par mon nom … ils imposeront les mains aux malades et ceux-ci seront guéris » (Mc 16, 17-18). Les récits des Actes des Apôtres témoignent des nombreuses guérisons extérieures et intérieures qui accompagnent les débuts de l’Eglise naissante.

Aujourd’hui ce ministère est notamment confié au prêtre dans le sacrement des malades. C’est un sacrement mal connu, souvent réservé aux mourants ou à des maladies graves et avancées. C’est un tort. Le Seigneur s’intéresse à tous ceux qui souffrent dans leur corps et dans leur cœur. Tous ceux-là peuvent donc demander ce sacrement pour découvrir la compassion du Seigneur et y puiser la force de faire face à l’épreuve.

De nombreuses communautés charismatiques ont également mis en place des groupes de prière pour les malades et il n’est pas rare que des guérisons physiques et psychologiques s’y produisent, sans compter les nombreuses conversions qui s’y opèrent. Nous également, dans l’action des saints, l’accomplissement de cette mission de guérison. En particulier ceux qui ont voulu soulager les lépreux, imitant à la lettre le geste du Christ. Par exemple, le pape Benoît XVI nous décrivait ainsi sainte Marianne Cope le jour de sa canonisation :

« Devenue Supérieure Générale de sa congrégation, Mère Marianne, suivit volontiers l’appel à soigner les lépreux d’Hawaï après le refus de nombreuses autres personnes. Avec six de ses sœurs, elle alla diriger elle-même l’hôpital à Oahu, fondant ensuite l’hôpital Malulani à Maui et ouvrant une maison pour les jeunes filles dont les parents étaient lépreux. Cinq ans après, elle accepta l’invitation à ouvrir une maison pour femmes et jeunes filles sur l’île même de Molokai, s’y rendant courageusement elle-même et mettant ainsi effectivement fin à ses contacts avec le monde extérieur. Elle s’y occupa du Père Damien, déjà connu pour son travail héroïque auprès des lépreux, le soignant jusqu’à sa mort et elle prit la direction de son œuvre auprès des hommes lépreux. À une époque où l’on pouvait faire bien peu pour soulager les souffrances de cette terrible maladie, Marianne Cope fit preuve de l’amour le plus élevé, de courage et d’enthousiasme. Elle est un exemple lumineux et énergique de la fine fleur de la tradition des sœurs infirmières catholiques et de l’esprit de son bien-aimé saint François. » [4]

Le sacrement de réconciliation est l’autre sacrement de guérison conféré en Eglise. Chaque jour, en pardonnant les péchés par l’intermédiaire de ses prêtres, le Christ continue d’opérer discrètement des miracles : les confessionnaux sont comme cette campagne de Galilée où tant de lépreux rencontrent la main miséricordieuse du Christ, ce « Je le veux, sois purifié » que l’Église répète sous la forme du « Je te pardonne tous tes péchés ».

Nous rendons-nous compte de la grandeur de ce mystère, enveloppé de discrétion comme tout ce qui concerne la vie des âmes ? Y avons-nous recours régulièrement, et le vivons-nous non comme s’il s’agissait d’une corvée, mais avec joie et reconnaissance, puisqu’il s’agit d’y rencontrer concrètement le Christ et d’y expérimenter sa miséricorde ?

La main du Christ, de portée universelle

Le Christ étend sa main pour parvenir au plus profond de l’homme : Il prend soin de la santé de l’âme, qui est bien plus importante que celle du corps. Au chapitre suivant de Marc, Il sera navré par les mauvaises pensées des scribes et Pharisiens : « percevant par son esprit qu’ils pensaient ainsi en eux-mêmes, Jésus leur dit : ‘Pourquoi de telles pensées dans vos cœurs ?’ » (Mc 2,8) Il voudrait les guérir, mais aurait besoin de leur collaboration, de la nôtre…

Les disciples aussi ont besoin de guérison : Il essaiera d’illuminer leurs âmes qui ont du mal à s’ouvrir à la foi : « Pourquoi faire cette réflexion, que vous n’avez pas de pains ? Vous ne comprenez pas encore et vous ne saisissez pas ? Avez-vous donc l’esprit bouché, des yeux pour ne point voir et des oreilles pour ne point entendre ? » (Mc 8,17-18) ; saint Pierre sera même repris pour son opposition à l’œuvre du Salut : « Passe derrière moi, Satan ! car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes ! » (8,33) La guérison, dans ce cas, n’adviendra qu’après la résurrection. La lèpre de l’incrédulité est bien plus difficile à chasser que celle du corps…

Au-delà des personnages de l’Évangile, cette main du Christ-médecin s’étend sur toute l’humanité. Le pape Benoît XVI voit dans son geste un symbole de toute sa mission de Salut :

« “Je le veux, sois purifié”, répond Jésus, le touchant de la main et le libérant de la lèpre. Nous voyons ici en quelque sorte concentrée toute l’histoire du salut. Ce geste de Jésus qui tend la main et touche le corps couvert de plaies de la personne qui l’invoque, manifeste parfaitement la volonté de Dieu de guérir sa créature déchue, en lui redonnant la vie “en abondance” (Jn 10, 10), la vie éternelle, pleine, heureuse. Le Christ est “la main” de Dieu tendue à l’humanité pour qu’elle puisse sortir des sables mouvants de la maladie et de la mort et se remettre debout sur le roc solide de l’amour divin. »[5]

Laissons-donc cette main nous rejoindre : n’ayons pas peur de présenter au Christ nos lèpres humaines et spirituelles. Il ne les juge pas mais vient les guérir. Par la dévotion au Sacré Cœur, nous savons que Jésus, devant nous, est « saisi de compassion », et qu’Il veut étendre la main pour nous guérir. Il le disait à sainte Marguerite-Marie :

« Mon divin Cœur est si passionné d’amour pour les hommes et pour toi en particulier que ne pouvant plus contenir en lui-même les flammes de son ardente charité, il faut qu’il les répande…»[6]

Il a seulement besoin que nous lui présentions notre âme, pour nous exposer à sa miséricorde. Au-delà du lépreux, chaque personnage de l’Évangile qui s’approche du Christ est un modèle pour notre vie spirituelle. C’est ce que le père Croiset, directeur spirituel de Marie-Marguerite, nous explique :

« On doit aller voir Jésus-Christ dans le même esprit et pour la même fin, que les Anges, les Pasteurs et les Rois le visitèrent aussitôt après sa naissance, c’est-à-dire, pour l’adorer, ou comme les Apôtres, pour l’entendre prêcher, ou comme la Madeleine prosternée à ses pieds, pour pleurer nos péchés, ou pour y contempler ses perfections admirables ; ou enfin comme les malades, pour lui demander la santé. [Disons-lui :] “Seigneur, vous pouvez me guérir si vous le voulez, et pourquoi ne le voudriez-vous pas ? Et après tout ce que vous avez fait en ma faveur, et après tout ce que vous faites encore, puis-je douter que vous ne le vouliez ; et si vous le voulez, à qui tiendra-t-il que cela ne soit ?” […] On doit encore demander à cet aimable Sauveur, avec instance et avec importunité, à l’exemple de la femme Cananéenne, tous les secours dont nous avons besoin. Persuadés que Jésus-Christ nous aime avec tendresse, qu’il n’est sur cet Autel que pour nous faire du bien, qu’il le peut, qu’il le veut, dites-lui avec confiance : “Seigneur, Fils de David, ayez pitié de moi !” »[7]

Guéris, nous pourrons alors aider le Christ à guérir les autres hommes : l’Eglise est cette main tendue de Jésus qui veut toucher toutes les misères de l’humanité, et qui la ramène vers le Père par le souffle de l’Esprit.


[1] Saint Claude la Colombière, Œuvres complètes (édition Seguin, 1832), tome I, p. 327-9.

[2] Pape François, encyclique Lumen Fidei, nº57.

[3] Catéchisme, nº1420-1.

[6] Révélation du Sacré-Coeur à Marguerite Marie du 27 décembre 1673

[7] Père Croiset, La dévotion au Sacré Cœur, Edition de 1895, p. 271-3.


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