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Méditation : Seigneur, convertis-moi !

Qu’en est-il de la relation entre conversion et foi ?

On remarquera une différence de taille dans les lectures : chez Jonas, la foi précède la conversion (aussitôt les gens de Ninive crurent en Dieu), alors que dans l’évangile c’est l’inverse qui est demandé : « convertissez-vous et croyez à la bonne nouvelle ».

La conversion est éminemment personnelle : il s’agit d’un retournement complet de la personne dans les profondeurs de sa vie intérieure, qui provoque un changement dans sa psychologie, son comportement, ses relations avec les autres. C’est la rencontre de Dieu à qui l’on donne sa « foi » qui provoque la conversion et la guide, comme la lumière d’une torche dans une forêt obscure, qui dissipe les ténèbres de la nuit et éloigne les bêtes sauvages.

Il faut croire pour se convertir mais il faut, pour croire, avoir déjà commencé à ouvrir son cœur. Peut alors venir le Christ, et faire sa demeure en nous, comme pour Zachée : « Descends vite, car il me faut aujourd’hui demeurer chez toi » (Lc 19,5). Le moment crucial est celui de la décision d’ouvrir son cœur. Un auteur contemporain, Christian Bobin, en a bien décrit la difficulté pour chacun de nous :

« Trois mots donnent la fièvre. Trois mots vous clouent au lit : changer de vie. Cela c’est le but. Il est clair, simple. Le chemin qui mène au but, on ne le voit pas. La maladie c’est l’absence de chemin, l’incertitude des voies. On n’est pas devant une question, on est à l’intérieur. On est soi-même la question. Une vie neuve, c’est ce que l’on voudrait mais la volonté, faisant partie de la vie ancienne, n’a aucune force. On est comme ces enfants qui tendent une bille dans leur main gauche et ne lâchent prise qu’en s’étant assurés d’une monnaie d’échange dans leur main droite : on voudrait bien d’une vie nouvelle mais sans perdre la vie ancienne. Ne pas connaître l’instant du passage, l’heure de la main vide. » [1]

Cela dit, la conversion comporte toujours un aspect collectif : il ne s’agit pas d’atteindre seul son salut par une discipline individuelle ou par ses propres forces, mais de s’unir à la communauté des croyants où demeure et agit le Seigneur. Les récits de conversion dans les Actes des Apôtres, par exemple, nous présentent toujours des personnes, des familles, voire des peuples, qui sont convertis par la prédication des apôtres, et qui s’unissent à l’Église par le baptême. Par exemple, lors du ministère de Philippe en Samarie :

« C’est ainsi que Philippe, qui était descendu dans une ville de la Samarie, y proclamait le Christ. Les foules unanimes s’attachaient à ses enseignements, car tous entendaient parler des signes qu’il opérait, ou les voyaient. […] Quand ils eurent cru à Philippe qui leur annonçait la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu et du nom de Jésus Christ, ils se firent baptiser, hommes et femmes. » (Ac 8,5-6.12).

La première lecture nous montre bien cet aspect collectif : toute la ville de Ninive fait pénitence. De même l’évangile : le Christ lance d’abord un appel aux foules, « convertissez-vous et croyez à l’Évangile », avant d’inviter individuellement à le suivre et de choisir deux paires de pêcheurs comme premiers disciples, « Jésus les appela ». Tout cela montre bien que la conversion, éminemment personnelle, est une réponse à l’appel collectif du Seigneur, qu’elle se réalise dans la communauté et qu’elle a pour but la transformation de toute la société. Nous oublions trop souvent cet aspect ; le Catéchisme nous le rappelle très clairement :

« L’inversion des moyens et des fins, qui aboutit à donner valeur de fin ultime à ce qui n’est que moyen d’y concourir, ou à considérer des personnes comme de purs moyens en vue d’un but, engendre des structures injustes qui rendent ardue et pratiquement impossible une conduite chrétienne, conforme aux commandements du Divin Législateur. Il faut alors faire appel aux capacités spirituelles et morales de la personne et à l’exigence permanente de sa conversion intérieure, afin d’obtenir des changements sociaux qui soient réellement à son service. La priorité reconnue à la conversion du cœur n’élimine nullement, elle impose, au contraire, l’obligation d’apporter aux institutions et aux conditions de vie, quand elles provoquent le péché, les assainissements convenables pour qu’elles se conforment aux normes de la justice, et favorisent le bien au lieu d’y faire obstacle. » [2]

Comment réaliser notre conversion, ou plutôt recevoir du Seigneur la conversion profonde à laquelle il nous invite ? L’évangéliste Marc ne laisse pas cette question sans réponse : après l’avoir suscitée, par la narration que nous entendons ce dimanche, il l’affronte… à travers tout son évangile ! La liturgie nous propose donc, en parcourant son œuvre de dimanche en dimanche, tout un itinéraire de conversion centré sur le mystère pascal.

En ce commencement de la vie publique, si les apôtres ne sont pas encore complètement convertis, une chose est cependant claire : ils ont été fascinés par le Christ, et se sont mis en marche. Saint Jérôme nous décrit le ressort caché de ce premier appel :

« ‘Et aussitôt il les appela : et abandonnant leur père Zébédée dans la barque avec les salariés, ils le suivirent.’ On dira peut-être : ‘Il s’agit d’une foi téméraire’. Et en effet quel signe avaient-ils vu, quelle majesté avaient-ils aperçue pour, à son appel, le suivre aussitôt ? Cela nous montre assez clairement que les yeux et le visage de Jésus avaient une sorte de rayonnement divin qui attirait facilement les regards. Sans quoi jamais ils n’auraient suivi Jésus qui leur disait : ‘Suivez-moi’. Car s’ils l’avaient suivi sans raison, ç’aurait été moins de la foi que de la témérité. Si maintenant quelqu’un passe à côté de moi qui suis assis et me dit : ‘Viens, suis moi’, et que je le suive, est-ce donc de la foi ? Pourquoi dis-je tout cela ? Parce que la parole même du Seigneur était efficace : tout ce qu’il disait, il le réalisait. Car si c’est lui qui a dit et ils furent faits, c’est lui qui a commandé et ils furent créés, c’est lui aussi qui a appelé et ils l’ont suivi. » [3]

Bienheureux apôtres qui ont été en contact si direct avec l’humanité du Christ ! Sa parole, ses gestes et toute sa personne laissaient transparaître la divinité en lui, et attiraient immanquablement à sa suite. Serions-nous moins favorisés qu’eux ? Où trouver cette présence du divin, où écouter la voix du Maître si ce n’est dans l’Église ?

On remarquera que l’appel à la conversion et à suivre le Christ contiennent déjà en herbe l’appel à la mission (pêcheurs d’hommes). Il y a donc un continuum : prédication générale, réalisée aujourd’hui par l’Église, conversion et foi, fortification en communauté, évangélisation.

En cette première rencontre de Galilée commence l’itinéraire des disciples, mais aussi l’immense chaîne des témoins du Christ qui va nous relier à lui. Dans la Ninive de notre monde moderne, il continue d’appeler à sa suite, et provoque notre conversion. Le « signe de Jonas » nous est offert par l’Église, et le cardinal Ratzinger nous explique son rôle pour la nouvelle évangélisation :

« Je me bornerai à rappeler ici le début de l’évangélisation dans la vie de saint Paul. Le succès de sa mission ne fut pas le fruit d’une grande habileté rhétorique ou de la prudence pastorale ; sa fécondité fut liée à sa souffrance, à sa communion dans la passion avec le Christ. « Il ne lui sera donné que le signe du prophète Jonas » a dit le Seigneur. Le signe de Jonas est le Christ crucifié – ce sont les témoins, qui complètent « ce qui manque aux tribulations du Christ » (Col 1, 24). Dans toutes les périodes de l’histoire, se sont chaque fois de nouveau confirmés ces mots de Tertullien : Le sang des martyrs est une semence. » [4]

Dès lors notre méditation de ce dimanche peut s’orienter selon les possibilités suivantes :

  1. Si je suis hésitant face à la foi, ce n’est probablement pas par manque de grâce, car la Bonne Nouvelle est annoncée et le Cœur de Dieu est ouvert ; c’est sans doute plutôt par manque d’ouverture de mon propre cœur. « Voici que je me tiens à la porte et que je frappe » (Ap 3, 1). Qu’est-ce qui m’empêche de donner à Dieu toute ma confiance, ici et maintenant?
  2. Si j’ai déjà la foi, suis-je allé jusqu’à la conclusion logique de mon attachement au Christ et à sa parole, en changeant profondément mes comportements, et en ayant conscience que ce processus, avec l’aide de la communauté, durera toute la vie ?
  3. Enfin, toute vraie relation à Dieu comporte l’appel personnel à étendre le Royaume par l’acte et par la parole. Si je n’entre pas dans cette dynamique, ma foi se sclérose vite. Si, en revanche, j’y entre, ma foi croîtra en proportion ainsi que ma joie d’être à Dieu.

Ce dimanche, le Christ proclame l’appel à la conversion, et il appelle les disciples à le suivre : une dynamique qui est au cœur de ce que nous vivons en Église, aujourd’hui encore et jusqu’à la fin des temps. Le pape Benoît XVI nous l’explique :

« Éduquer à la foi, à la « sequela Christi » et au témoignage signifie aider nos frères, ou mieux, nous aider réciproquement à entrer dans un rapport vivant avec le Christ et avec le Père. Tel est, dès le début, le devoir fondamental de l’Église, en tant que communauté de croyants, de disciples et d’amis de Jésus. L’Église, corps du Christ et temple de l’Esprit Saint, est la compagnie fiable dans laquelle nous sommes engendrés et éduqués pour devenir, dans le Christ, fils et héritiers de Dieu. En elle, nous recevons l’Esprit « qui nous fait nous écrier: Abba! Père! » (Rm 8, 14-17). » [5]


[1] Christian Bobin, Le Très-Bas, Gallimard 1992, p. 52.

[2] Catéchisme, nº1887-8.

[3] Saint Jérôme, Homélies sur Marc (Homélie 2A), SC 494 p. 99.

[4] Cardinal Ratzinger, conférence du 10 décembre 2000 sur la Nouvelle Evangélisation, disponible ici


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