Nous voici après la fête de Noël : notre cœur s’est fixé tendrement sur le nourrisson de Bethléem, mais le Seigneur nous oblige à partir pour accomplir notre pèlerinage terrestre, à l’école de ses parents Marie et Joseph. Nous célébrons ainsi cette merveille incomparable qu’est la Sainte Famille, toute consacrée à la venue et à la croissance de l’Enfant-Dieu en son sein. La liturgie alterne, d’année en année, les épisodes évangéliques pour cette fête : la fuite en Égypte (cf. Mt 2, année A), la Présentation au Temple (cf. Lc 2, année B), et finalement le Recouvrement de Jésus au Temple (cf. Lc 2, cette année). À chaque fois, le récit se termine à Nazareth, où habite la Sainte Famille et où Jésus grandit dans l’anonymat. Ce dimanche, un voile nous est levé sur l’enfance de Jésus pour ses douze ans, et sur Marie et Joseph dans leur rôle de parents.
Évangile : Le Recouvrement de Jésus au Temple (Lc 2, 41-52)
Nous sommes à la fin des deux premiers chapitres de Luc. Jésus prend la parole pour la première fois, et c’est pour affirmer souverainement : « C’est chez mon Père que je dois être » (v. 49), une déclaration qui est le point culminant de toute cette première partie du troisième évangile. Après les affirmations inspirées de tant d’acteurs qui ont reconnu son origine exceptionnelle (l’ange Gabriel, Élisabeth, Marie, etc.), le personnage principal de tout l’Évangile fait une déclaration solennelle, qui étonne ses parents et renvoie à son Père céleste. Le Catéchisme nous introduit à l’enjeu de cette scène :
« Le Recouvrement de Jésus au Temple (cf. Lc 2, 41-52) est le seul événement qui rompt le silence des Évangiles sur les années cachées de Jésus. Jésus y laisse entrevoir le mystère de sa consécration totale à une mission découlant de sa filiation divine : “Ne saviez-vous pas que je me dois aux affaires de mon Père ?” Marie et Joseph “ne comprirent pas” cette parole, mais ils l’accueillirent dans la foi, et Marie “gardait fidèlement tous ces souvenirs en son cœur”, tout au long des années où Jésus restait enfoui dans le silence d’une vie ordinaire. »
Catéchisme de l’Église catholique, nº 534.
Le contexte religieux est important : Jésus a douze ans, l’âge de la majorité religieuse en Israël. C’est le moment où le jeune juif assume personnellement son appartenance au Peuple élu par la cérémonie de la Bar mitzva (littéralement : fils du commandement) : il lit en public, pour la première fois, un passage de la Torah, montrant ainsi qu’il assume la pratique de tous les commandements. Luc ne nous rapporte pas cette observance pour le Christ, alors qu’il la soulignait scrupuleusement pendant les épisodes précédents pour ses parents (« selon la Loi de Moïse », Lc 2, 22). Une omission significative : au lieu de la Loi, intermédiaire entre le juif et Dieu, c’est à son Père que le Christ s’adresse directement. Il l’affirme avec une force qui surprend même ses parents : « Ils ne comprirent pas ce qu’il leur disait. »
Jésus, comme nous tous, est bien né selon l’humanité, dans une famille humaine ; d’ailleurs, Joseph et Marie sont appelés ses parents (γονεῖς, goneis : v. 27, 41, 43). À la fin de l’épisode, comme pour tous les mineurs, il « leur est soumis » : la majorité religieuse précède de quelques années la majorité civile, comme dans nos sociétés modernes. Mais le Christ affirme aussi sa filiation divine en reprenant le terme de « père » (πατήρ, patèr) que Marie vient d’employer en se référant à Joseph. Sa réponse, à la mode rabbinique, est une double question, et l’on y perçoit une forme d’étonnement teinté d’un rappel : « Ne le saviez-vous pas ? » Avec probablement un sourire malicieux : c’est dans le secret de son âme si particulière, puisqu’elle est unie substantiellement à la Divinité, que Jésus se sait – de toute éternité – Fils du Père, sans que ses parents aient eu besoin de le lui apprendre. En affirmant qu’il lui « faut être dans la maison de son Père », il invite ses parents à pénétrer dans la grandeur obscure du Mystère qu’il habite : pour la première fois, il manifeste sa singularité, mais avec une grande tendresse que montre la délicatesse de sa double question.
Marie et Joseph, à cette étape de l’évangile, connaissent évidemment le mystère de sa conception virginale et de sa vocation messianique, mais ils n’en ont peut-être pas encore saisi toute la portée… L’ange Gabriel avait en effet dit à Marie : « L’être saint qui naîtra sera appelé Fils de Dieu. » (Lc 1, 35) Et dans le songe de Joseph : « L’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint. » (Mt 1, 20) Mais il y a une distance entre « être appelé » Fils de Dieu, être engendré par l’action de l’Esprit Saint (conception miraculeuse) et « être réellement » le Fils de Dieu, de même nature que le Père : que Jésus soit vraiment Dieu constitue une nouveauté inouïe. Cela, Marie et Joseph ne pouvaient l’avoir saisi d’emblée, mais leur foi va grandir sous l’action de l’Esprit. C’est ce que manifeste leur incompréhension (v. 50), et la méditation successive de Marie pendant la vie à Nazareth. Pour plus de lumière, ils pourront d’ailleurs s’adresser directement au Maître qui grandit devant eux… En outre, l’incompréhension de ses parents n’est pas une humiliation ni une limitation, si l’on se rappelle ce que saint Jean de la Croix enseigne sur les progrès de l’âme :
« L’une des plus insignes faveurs que Dieu accorde ici-bas d’une manière transitoire à une âme consiste à lui donner une vue si claire et un sentiment si profond de Dieu qu’elle comprenne avec évidence l’impossibilité où elle est de le connaître et de le sentir tout entier. Cette perception a quelque ressemblance avec celle des bienheureux dans le Ciel. Là, les élus qui connaissent Dieu davantage sont aussi ceux qui comprennent le mieux qu’il reste un infini à comprendre, comme d’un autre côté ceux qui le connaissent moins sont ceux qui, comprenant moins, ne semblent pas avoir une vue aussi distincte de ce qu’il leur reste à connaître. Cette faveur ne sera bien comprise que de celui qui la connaîtra par expérience. »
Saint Jean de la Croix, Le Cantique spirituel, strophe 8.
Ce mystère de la filiation divine illumine toute la scène du Recouvrement. Elle se produit significativement au Temple de Jérusalem : le Christ, qui ne fait qu’un avec le Père dans l’Esprit, a très probablement ressenti vivement sa présence dans le Sanctuaire où le pèlerinage annuel l’avait conduit. Il a alors décidé de s’y attacher, de s’y adonner à la contemplation et d’y introduire ses parents. Il a dû aussi être touché de voir comment l’amour du Père rejoignait ceux qui venaient en pèlerinage, avec un cœur sincère, pour l’adorer : quête de l’homme, miséricorde de Dieu. La scène a lieu lors de la fête de la Pâque : nous y reviendrons dans la méditation.
Parce que Jésus a fortement ressenti la présence de son Père, il a souhaité la partager. Il s’est donc spontanément joint aux docteurs de la Loi qui enseignaient, s’est passionné pour leurs paroles et y a apporté sa contribution par des questions en exprimant ainsi le trop-plein de son cœur en même temps que son infinie sagesse. On imagine facilement l’étonnement de ses auditeurs qui « s’extasiaient sur son intelligence et sur ses réponses » (Lc 2, 47). Saint Luc décrit soigneusement son attitude, profondément modelée par la piété juive :
– d’abord, l’écoute des maîtres du peuple, qui est la porte d’entrée vers la sagesse : « Écoute, mon fils, accueille mes paroles, et les années de ta vie se multiplieront » (Pr 4, 10) ;
– puis les questions pour établir un dialogue et s’insérer dans cette méditation pluriséculaire de la Loi, qui fait tant honneur aux sages juifs. On se souvient de la reine de Saba : « Salomon l’éclaira sur toutes ses questions et aucune ne fut pour le roi un secret qu’il ne pût élucider » (1 R 10, 3) ;
– enfin, le rayonnement de sa personne, puisque « tous s’extasiaient sur son intelligence et sur ses réponses » (v. 47). Le peuple portait en lui une attente qui commence à s’accomplir, comme le dira la Samaritaine quelques années plus tard : « Je sais que le Messie doit venir, celui qu’on appelle Christ. Quand il viendra, il nous expliquera tout. » (Jn 4, 25)
Deuxième lecture : Être enfants de Dieu (1 Jn 3, 1-2.21-24)
La Première Lettre de saint Jean, en deuxième lecture, reprend le mystère de la filiation divine et l’applique à la vie chrétienne : « Il a voulu que nous soyons appelés enfants de Dieu − et nous le sommes. » (1 Jn 3, 1) Le disciple bien-aimé souligne ainsi combien le monde ne voit que les apparences : il peut bien attribuer aux chrétiens le nom de Jésus, il ne saisit pas leur être profond, parce qu’il ne connaît pas Dieu. À la fin de l’histoire seulement, lorsque « tout sera dévoilé », apparaîtra ce que nous sommes réellement : des enfants de Dieu. En voyant le Fils, nous serons enfin pleinement conformés à lui : « Nous lui serons semblables car nous le verrons tel qu’il est. » (v. 2) La théologie a forgé l’expression de « vision béatifique » pour décrire notre bonheur dans le Ciel, et saint Augustin explique la relation entre foi présente et vision future dans ce texte qui est comme un commentaire de la Lettre de Jean :
« Lorsque notre foi deviendra vérité par la vision béatifique, notre corps mortel sera transformé et rendu immortel. Mais en attendant ces merveilleuses opérations de la grâce, et même pour les réaliser, nous devons donner l’assentiment de notre foi aux mystères qui se sont accomplis dans le temps, de même que nous espérons en posséder un jour dans l’éternité la vision pure et distincte. C’est pourquoi le Fils de Dieu, qui est la vérité suprême, et qui est co-éternel au Père, a daigné venir parmi nous, afin d’unir dans un rapport ineffable la foi qui est l’exercice de notre vie mortelle et la vérité qui sera l’apanage de notre vie immortelle. Et, en effet, il est venu en se faisant Fils de l’homme, et s’il demande que nous ayons foi en lui, c’est pour que cette foi nous conduise à la possession de sa vérité propre et substantielle. Car en prenant l’infirmité de notre chair mortelle, il n’a point dépouillé son éternité. La vérité est donc à la foi ce que l’éternité est à la création ; et l’œuvre de notre purification exigeait que le Dieu qui est éternel parût dans le temps, afin que notre foi n’eût point un objet différent de celui qu’elle verra un jour dans tout l’éclat de la vérité. »
Saint Augustin, De Trinitate, livre IV, chap. 18 (« But de l’Incarnation »), Éditions ThéoTeX, 2020, p. 148.
Saint Jean prend bien soin d’utiliser deux termes différents pour exprimer la filiation de Jésus et la nôtre : Jésus est le Fils (ὑιός, uios, v. 23) parce qu’il est éternellement dans le sein du Père, tandis que nous sommes enfants par adoption (τέκνα θεοῦ, tekna theou, v. 1), grâce à Jésus et en Jésus, le Fils unique qui s’est fait notre frère. Seul le péché nous éloigne de lui, selon une logique de mort expliquée des versets 3 à 20, que la liturgie du jour omet :
« Quiconque demeure en lui ne pèche pas ; quiconque pèche ne l’a pas vu et ne le connaît pas. Petits enfants, que nul ne vous égare : celui qui pratique la justice est juste comme lui, Jésus, est juste ; celui qui commet le péché est du diable, car, depuis le commencement, le diable est pécheur. C’est pour détruire les œuvres du diable que le Fils de Dieu s’est manifesté. » (1 Jn 3, 6-8)
Inversement, si nous sommes fidèles à notre baptême, en observant ses commandements (la foi, la charité : v. 23), alors nous sommes introduits dans la Trinité elle-même : « Nous serons semblables au Fils de Dieu » (v. 2) ; « Il demeure en Dieu [le Père], et Dieu en lui ; il nous a donné son Esprit. » (v. 24) D’où l’attitude propre du chrétien dans sa relation à Dieu, qui est celle d’un fils, expliquée au verset 21 :
– « assurance devant Dieu », comme un enfant connaît le cœur de son père et sait s’y réfugier avec confiance devant le danger ;
– certitude de recevoir le nécessaire, comme Jésus l’affirme dans l’Évangile : « Votre Père sait bien ce qu’il vous faut, avant que vous le lui demandiez » (Mt 6, 8) ;
– désir de faire tout ce qui lui est agréable, comme le Christ lui-même pendant toute son existence terrestre : « Celui qui m’a envoyé est avec moi ; il ne m’a pas laissé seul, parce que je fais toujours ce qui lui plaît. » (Jn 8, 29)
La foi est ainsi la porte d’entrée dans la vie véritable. La relation d’amour éternel entre le Père et le Fils, qui est l’Esprit, s’ouvre à nous par la foi au Christ : « mettre notre foi dans le nom de son Fils Jésus-Christ » (1 Jn 3, 23). En découle une vie morale dans la rectitude de notre cœur, qui se déploie dans la vie fraternelle : « nous aimer les uns les autres » (v. 23), et l’inhabitation réciproque du croyant en Dieu et de Dieu dans le croyant, comme l’exprime le quatrième évangile : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera et nous viendrons vers lui et nous nous ferons une demeure chez lui. » (Jn 14, 23) C’est l’Esprit qui réalise toute cette œuvre : « Il nous a donné part à son Esprit. » (v. 24)
Psaume : Bonheur dans le Temple (Ps 84)
Revenons à Jésus adolescent : il avait certainement appris − peut-être des lèvres de Marie − à réciter le Psaume 84(83), qui nous éclaire sur ce qui habite son cœur dans le Temple : le désir de Dieu, la joie de sa présence. Comme l’exprime le psalmiste, Jésus y trouve un havre de paix et il épanche son cœur : « Heureux les habitants de ta maison, Seigneur ! » (v. 5.)
On peut placer dans la bouche du Christ ce désir ardent : « Mon âme s’épuise à désirer les parvis du Seigneur » (v. 3), ces parvis noirs de monde lors des liturgies solennelles, où le peuple se présente devant Dieu en chantant ses louanges, où la Sainte Famille a tant de fois communié avec le Seigneur. Notons un détail pittoresque, omis par la liturgie : quelques oiseaux ont profité des charpentes pour y bâtir leur nid et semblent s’associer à la liturgie, symbole de l’harmonie de la création dans le dessein de Dieu : « L’oiseau lui-même s’est trouvé une maison, et l’hirondelle, un nid pour abriter sa couvée : tes autels, Seigneur de l’univers, mon Roi et mon Dieu ! » (v. 3.)
Jésus est aussi par excellence celui « dont Dieu est la force » ; il est celui qui peut dire au Père, en toute légitimité, « entends ma prière », car il fait toujours sa volonté ; il est enfin, pour les hommes, le visage du Messie tant attendu, celui qui, plus que tout autre, est chez lui dans le Temple. Nous nous tenons à ses côtés pour dire au Père : « Regarde le visage de ton Messie » (v. 10), c’est-à-dire son œuvre terrestre, son amour pour les hommes, et surtout les marques de la Passion. Dieu n’y est pas indifférent ; rappelons-nous sa voix au baptême : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute ma faveur. » (Mt 3, 17) Cette manifestation publique au Jourdain, le Christ l’avait déjà anticipée au Temple une vingtaine d’années auparavant.
Les deux femmes des lectures de ce dimanche ont-elles aussi prié ce Psaume. Anne, que la stérilité a portée à tout attendre du Seigneur, a vécu en particulier ce verset : « Mon cœur et ma chair sont un cri vers le Dieu vivant. » Marie a certainement remercié son Seigneur pour le don de Jésus, en disant : « Dieu, vois notre bouclier, regarde le visage de ton Messie. » (v. 10) Un visage qu’elle contempla avec tendresse et vénération pendant les longues années de Nazareth, et dont elle saisissait les moindres changements.
Première lecture : Consécration de Samuel (1 S 1, 20-22.24-28)
Le Temple de Jérusalem, lieu de la présence divine… Bien des siècles avant la venue du Christ, l’Arche d’Alliance reposait au sein d’un autre temple, celui de Silo, avant que David ne la transfère dans la capitale (cf. 2 S 6). C’est là qu’eut lieu l’histoire émouvante d’Anne, la femme stérile devenue mère du prophète Samuel. Son parcours tient en trois mots qui sont autant de leçons spirituelles pour nous : stérilité, fécondité, offrande. Une courte histoire, très émouvante, qui inaugure toute l’œuvre du double Livre de Samuel.
Stérilité, tout d’abord : Anne souffre de la rivalité et du mépris de l’autre épouse de son mari Elcana, ce que l’auteur présente avec une simplicité déconcertante au tout début de son livre :
« Sa rivale lui faisait aussi des affronts pour la mettre en colère, parce que le Seigneur avait rendu son sein stérile. C’est ce qui arrivait annuellement, chaque fois qu’ils montaient au temple du Seigneur : elle lui faisait des affronts. Or, donc, Anne pleura et resta sans manger. » (1 S 1, 6-7)
Anne est donc venue à Silo demander la naissance d’un fils, avec une attitude si déchirante que le prêtre Éli crut qu’elle était ivre (v. 14). Mais elle fait monter vers le Seigneur une belle prière et le prêtre l’assure qu’elle sera écoutée.
Fécondité, ensuite : c’est à ce moment que s’ouvre notre texte liturgique (v. 20), par la conception de Samuel. Le nom lui-même du grand prophète d’Israël, qui établira la royauté au sein du Peuple élu, rappelle la bienveillance de Dieu : « שׁמואל, Shmuêl », est mis en relation avec le verbe « שׁאל, Shaal », « demander ». Peut-être avec une légère ironie d’opposition avec le nom de son père, « אלקנה, Elqana », « achat de Dieu », pour souligner la gratuité de la conception : Anne sait recevoir l’enfant par pure grâce du Seigneur.
En le voyant grandir, elle s’émouvait certainement plus que les autres mères, car cet enfant était déjà consacré au Seigneur : après la stérilité et la fécondité, il lui faut vivre l’offrande. Elle ne s’accorde que le délai strictement nécessaire avant ce pas déchirant, l’allaitement : dès que l’enfant est sevré, elle accomplit son vœu initial avec grand courage. Les offrandes additionnelles (taureau, farine et vin) permettent de célébrer avec joie la cérémonie où l’enfant est remis à Éli, qui va l’introduire dans les voies du Seigneur. Toute la noblesse et la grandeur spirituelle de cette femme tient dans ce qu’elle déclare au prêtre :
« C’est pour obtenir cet enfant que je priais, et le Seigneur me l’a donné en réponse à ma demande. À mon tour, je le donne au Seigneur pour qu’il en dispose. » (1 S 1, 27)
Notons que le prêtre Éli accompagne Anne et Elcana à toutes les étapes de ce parcours spirituel : en écoutant la supplication de la pauvre femme, en lui promettant l’accomplissement de sa prière et en recevant l’enfant comme accomplissement de son vœu. Samuel est ainsi le fruit tant de la vie du couple que de l’intercession spirituelle du prêtre. Une belle scène de complémentarité dans la diversité des rôles.
La comparaison avec Marie, mère de Jésus, nous permet de mieux pénétrer les textes. Anne et Marie sont toutes deux mères et portent leur enfant au sanctuaire de Dieu, où elles se rendent chaque année en pèlerinage. Elles vivent la même réalité spirituelle : la foi et le sacrifice. Anne la stérile, presque désespérée au début par la méchanceté de l’autre épouse, a obtenu de Dieu cet enfant par une prière humble et fervente : « C’est par excès de peine et de dépit que j’ai parlé jusqu’à maintenant » (1 S 1, 16) ; elle l’offre ensuite à Dieu et s’en sépare sans amertume alors même qu’il est son fils unique.
Quant à Marie, elle a accueilli Jésus lors de l’Annonciation, comme Joseph après la révélation de l’Ange ; ils l’ont présenté au Temple selon la Loi ; c’est maintenant Jésus qui se détache d’eux pour affirmer sa consécration éternelle en leur désignant son vrai Père. Il reviendra à la maison, à Nazareth, pour continuer à grandir humainement, soumis à ses parents et sous le regard de sa mère qui « gardait dans son cœur tous ces événements » (Lc 2, 51).
Lorsque Samuel grandira et entendra la voix du Seigneur pendant la nuit (cf. 1 S 3), il se trompera et réveillera Éli, car « il ne connaissait pas encore le Seigneur et la parole du Seigneur ne lui avait pas été révélée » (v. 7) : il devra apprendre à devenir prophète. En revanche, Jésus est parfaitement conscient, dès ses douze ans, de son identité et de sa mission ; les docteurs de la Loi admirent son intelligence et sa précocité…
Marie a cherché Jésus dans l’angoisse pendant trois jours, avec Joseph, et va jusqu’à lui en faire le reproche. Elle avait déjà reçu dans le Temple l’annonce du « glaive de douleur » : elle sera séparée de son enfant par la mort ignominieuse de la Croix. Dans le Livre de Samuel, Anne suit sa vie ordinaire et nous apprenons ce détail de tendresse :
« La mère de Samuel lui faisait un petit manteau qu’elle lui apportait chaque année, lorsqu’elle montait avec son mari pour offrir le sacrifice annuel. Éli bénissait Elcana et sa femme et disait : “Que le Seigneur te rende une progéniture de cette femme, en échange du prêt qu’elle a cédé au Seigneur”, et ils s’en allaient chez eux. » (1 S 2, 19-20)
La bénédiction continuera dans la maison d’Elcana, par de nouvelles naissances du sein d’Anne ; de même pour la Vierge Marie, sa fécondité s’étendra sur toute l’Église. Une grande parenté spirituelle unit donc les deux femmes et le Magnificat reprend pour l’essentiel le cantique d’Anne (cf. 1 S 2). Bien des années après, lors du moment le plus critique de tout son pèlerinage terrestre, Marie a peut-être repris ces vers à Anne pendant l’attente du Samedi saint :
« C’est le Seigneur qui fait mourir et vivre, qui fait descendre au Shéol et en remonter ; de la poussière, il relève le faible, il retire le malheureux de la cendre pour qu’il siège parmi les princes, et reçoive un trône de gloire. » (1 S 2, 6.8)
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