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Méditation : en chemin vers l’amour trinitaire

Nous pourrions avoir la tentation de penser que le mystère de la Sainte Trinité n’est affaire que de théologiens, pour les controverses dont ils semblent se délecter, sans application concrète dans notre vie. C’est tout l’inverse qui est vrai. La Trinité est à la fois notre modèle et notre avenir. C’est ce que je vous propose de découvrir dans cette méditation.

Intimité divine

Jésus, dans l’évangile d’aujourd’hui, ouvre notre intelligence à la plénitude du mystère de Dieu qui est l’intimité d’amour du Père et du Fils, par le don de l’Esprit saint.

Au moment de la dernière Cène, Jésus prononce les paroles émouvantes que nous avons entendues dans l’évangile. Nulle part ailleurs il ne dit de manière plus nette son intimité de toujours avec le Père. Il découvre aussi le visage de la troisième personne de la Trinité. Les Apôtres ont reçu l’envoyé du Père et ont commencé à croire en lui comme Fils du Père. Mais il leur faudra encore parcourir un long chemin pour accueillir la Révélation tout entière : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l’instant vous ne pouvez pas les porter » (Jn 16,12). Après la résurrection, ils recevront l’Esprit de vérité qui les « conduira dans la vérité tout entière », cette plénitude de la foi que nous observons dans les Actes des Apôtres, puis dans la vie de l’Église.

La réflexion théologique suivra : il faudra bien des tâtonnements intellectuels pour arriver à formuler correctement l’essentiel de la vérité sur le Christ et sur la Trinité. L’un des premiers Pères de l’Église à exposer et analyser explicitement la divinité de Jésus sera saint Justin, au milieu du IIème siècle. Il s’appuiera pour cela sur le passage des Proverbes que nous avons lu en première lecture :

« Comme principe avant toutes créatures, Dieu engendra de lui-même une certaine puissance de Verbe que l’Esprit saint appelle aussi gloire du Seigneur, ou encore tantôt Fils, tantôt Sagesse, tantôt Ange, tantôt Dieu, tantôt Seigneur et Verbe… elle peut recevoir tous ces noms parce qu’elle exécute la volonté du Père et qu’elle est née de la volonté qui provient du Père […] Ainsi nous voyons d’un premier feu naître un autre feu sans que soit diminué le feu auquel il a été allumé. J’en aurai pour témoin le Verbe et la Sagesse […] Il a dit par Salomon : ‘Le Seigneur m’a établie principe de ses voies en toutes ses œuvres.’ (Pr 8, 22) » [1]

Les théologiens en tireront une distinction entre le Verbe considéré dans son éternité, au sein de la Trinité, et le Verbe incarné qui s’est présenté comme l’homme Jésus. On en trouve une des premières expressions chez saint Théophile d’Antioche, un peu postérieur à saint Justin :

« Le Verbe existe depuis toujours immanent (endiathétos) dans le cœur de Dieu. Avant que rien ne fut, [celui-ci] tenait conseil avec lui, qui est son Intelligence et sa Sagesse. Et quand Dieu décida de faire tout ce qu’il avait délibéré, il engendra ce Verbe au dehors (prophorikon), ‘premier-né de toute créature’ (Col 1, 15), sans être privé lui-même du Verbe, mais après avoir engendré le Verbe en toutes choses avec son Verbe. » [2]

Peu à peu les théologiens dégageront les grands traits du mystère de la Trinité[3]. Le Père engendre de toute éternité le Verbe : il lui communique tout ce qu’il est, la divinité elle-même, dans un don total. Le Christ reçoit tout de son Père et veut le communiquer aux hommes ; quant à l’Esprit, il est l’union du Père et du Fils, n’ayant de réalité que comme relation entre eux.

Que devons-nous en retenir pratiquement ? « Dieu est unique mais non pas solitaire »[4]. En effet, il est amour : ce qui suppose une communion. En Dieu, chaque personne se définit par sa relation aux autres. La comparaison avec la famille – père, mère, enfant – est souvent utilisée pour expliquer la Trinité, mais elle est impropre. Elle nous aide plutôt à comprendre le mystère par défaut : dans une famille, chaque personne peut être définie par ses relations à l’autre mais également en dehors de ces relations, et elle possède sa propre nature. Par exemple, je suis fils ou père ou frère dans ma propre famille mais j’existe par moi-même, et si ces personnes viennent à disparaître ou la relation à se rompre, je subsiste. Je ne suis pas non plus de même substance que mes proches, bien que nous participions de la même nature.

Ce n’est pas le cas en Dieu où tout est relation, car tout est amour. Le concile de Florence (1442) le formule ainsi : « le Père est tout entier dans le Fils, tout entier dans le Saint-Esprit ; le Fils est tout entier dans le Père, tout entier dans le Saint-Esprit ; le Saint Esprit est tout entier dans le Père, tout entier dans le Fils » [5].

Les personnes divines sont de même substance et sont égales entre elles. Elles obéissent à un ordre mais non pas à une hiérarchie. Elles sont inséparables : « elles ne se partagent pas l’unique divinité mais chacune d’entre elles est Dieu tout entier » [6]. Dans le même temps, elles sont parfaitement distinctes entre elles. Elles ne sont pas une simple modalité de Dieu qui se présenterait tantôt dans sa fonction de Père, de Fils ou sous la forme de l’Esprit [7]. Grégoire de Nazianze écrit :

« Je vous donne une seule Divinité et Puissance existant Une dans les Trois et contenant les Trois d’une manière distincte, Divinité sans disparité de substance ou de nature, sans degré supérieur qui élève ou degré inférieur qui abaisse (…) C’est, de trois infinis, l’infinie connaturalité. » [8]

Si nous nous demandons comment nous figurer concrètement la Trinité, nous pouvons nous reporter à la brève vision qu’en a eue Marguerite-Marie à Paray le Monial :

« L’impression que fit en moi la vue des personnes divines ne s’est jamais effacée de mon esprit : elles me furent représentées sous la forme de trois jeunes hommes vêtus de blanc, tout resplendissant de lumière, de même âge, de même grandeur, de même beauté. » [9]

Nous pouvons aussi méditer sur l’icône de la Trinité d’André Roublev (voir le lien en première page dans la rubrique Pour aller plus loin).

Désappropriation

Les relations entre les personnes divines possèdent des particularités qui nous sont assez étrangères. La principale est la désappropriation ou « expropriation », selon le terme choisi par le grand théologien suisse Hans Urs von Balthasar (1905-1988), pour signifier que les personnes divines ne sont pas repliées sur elles-mêmes mais se projettent toujours à l’extérieur :

« [Le Père] est, de toujours, celui qui se donne. De même le Fils est éternellement lui-même en laissant le Père l’engendrer et disposer de lui. L’Esprit est éternellement lui-même en comprenant son “moi” comme le “nous” du Père et du Fils, faisant de cette “expropriation” son propriissimum – et celui-là seul qui est en mesure de saisir cela échappe au rouleau compresseur de la dialectique hégélienne. » [10]

Cet aspect est central. En nous découvrant le mystère de la Trinité, Jésus souligne ce trait. Chacune des trois personnes est parfaitement désappropriée d’elle-même et tournée vers les autres . Jésus affirme en effet à propos de l’Esprit Saint : « Ce qu’il dira ne viendra pas de lui-même » (v.13), et au sujet de son Père : « Tout ce que possède le Père est à moi » (v.15). Au chapitre 17 nous lisons plus explicitement : « Tout ce qui est à moi et à toi, et tout ce qui est à toi est à moi » (v 10). De lui-même, Jésus dit de lui-même : « ma nourriture c’est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé » (Jn 4, 34).

Cette attitude est pour nous très difficile à comprendre, parce qu’elle est à l’opposé de notre tendance naturelle à l’appropriation. Elle doit nous servir de modèle car le mystère de la Trinité, même s’il reste obscur pour nous, nous dit ce qu’est véritablement l’amour et comment aimer.

La désappropriation comprend un double mouvement : le premier consiste à nous défaire de nous-mêmes pour nous tourner de tout notre cœur vers Dieu et vers autrui, à l’image des personnes divines. Comment vivre cela concrètement ? Examinons la manière dont nous nous impliquons au quotidien dans notre mission, notre travail et nos relations humaines : reconnaissons que nous recherchons souvent notre intérêt, notre réussite ou notre épanouissement plutôt que le bien commun et l’engagement désintéressé et anonyme. Il existe toujours en nous, un mouvement de repli, de protection, de défense d’un domaine réservé que nous ne voulons pas céder, pas même à Dieu. Nos relations humaines restent souvent superficielles car nous aimons protéger notre confort, notre tranquillité, notre jardin secret. Comment écoutons-nous notre conjoint, nos enfants, nos parents, nos frères de communauté, les inconnus que le Seigneur met sur notre route, les personnes importunes ? A minima ou généreusement, au risque d’être fatigués, déstabilisés, attristés ? Savons-nous nous décentrer et envisager les choses d’un autre point de vue que le nôtre ?

Le deuxième mouvement consiste à renoncer à notre mainmise sur l’autre. Nos relations humaines, à commencer par celles qui nous lient à nos conjoints, nos enfants, nos amis intimes, restent souvent marqués par l’appropriation : nous aimons, parfois à notre insu, tenir l’autre en notre pouvoir. Nous aimons qu’il nous aime et nous aime à notre manière. Nous avons du mal à laisser autrui libre de ses idées, de ses choix, parfois même de ses mouvements. Nous tendons à faire de l’autre une annexe de nous-mêmes et nous appelons cela l’amour, sans égard pour la vocation personnelle de cette autre personne. Les personnes divines, pour leur part, ne tombent jamais dans la confusion ou la possession. Elles sont parfaitement distinctes et respectueuses l’une de l’autre. En même temps, elles agissent toujours conjointement et sont dans une communion permanente. Nous recherchons souvent l’attachement inconditionnel et la dépendance affective plutôt que la communion. Lorsque l’autre que nous croyons tant aimer, s’autonomise ou se distingue, nous sommes souvent tentés de l’aimer moins.

Examinons nos relations humaines les plus proches : quel espace laissons-nous à notre conjoint, nos amis, nos proches pour qu’ils soient eux-mêmes et nous comblent de leur apport particulier ? Les personnes divines agissent ensemble et de manière complémentaire. Elles trouvent leur bonheur à se donner plutôt qu’à saisir l’autre. Est-ce que nous nous donnons à l’autre et le recevons tel qu’il est ou est-ce que nous l’annexons ? Notre manière d’aimer consiste-t-elle à vouloir avoir toujours l’autre à disposition, de notre côté, rangé à notre avis, ou bien à partager en profondeur avec lui dans le respect de sa différence, en nous émerveillant et nous enrichissant mutuellement ?

Cette « loi de désappropriation » est aussi l’un des fondements de l’apostolat et de la mission de l’Église. L’épouse du Christ ne donne rien aux hommes qu’elle ne reçoive de lui ; le chrétien ne transmet rien à ses frères qu’il n’ait d’abord accueilli comme un don immérité : « Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? Et si tu l’as reçu, pourquoi te glorifier comme si tu ne l’avais pas reçu ? » (1Co 4,7). Le cardinal Ratzinger, en citant l’évangile du jour dans une conférence sur la nouvelle évangélisation, expliquait ainsi :

« Le signe du Fils est sa communion avec le Père. Le Fils nous introduit dans la communion trinitaire, dans le cercle de l’amour éternel, dont les personnes sont des ‘relations pures’, l’acte pur de se donner et de se recevoir. Le dessein trinitaire – visible dans le Fils, qui ne parle pas en son nom – montre la forme de vie du véritable évangélisateur – mieux encore, évangéliser n’est pas uniquement une façon de parler, mais une façon de vivre : vivre dans l’écoute et se faire la voix du Père. ‘Car il ne parlera pas de lui-même, mais ce qu’il entendra, il le dira’ dit le Seigneur à propos de l’Esprit Saint (Jn 16, 13). Cette forme christologique et pneumatologique de l’évangélisation est en même temps une forme ecclésiologique : le Seigneur et l’Esprit construisent l’Église, se communiquent dans l’Église. L’annonce du Christ, l’annonce du Royaume de Dieu suppose l’écoute de sa voix dans la voix de l’Église. ‘Ne pas parler en son propre nom’ signifie : parler dans la mission de l’Église… » [11]

Appelés à rejoindre la Trinité

Le mystère de Dieu n’est pas clos sur lui-même. Traditionnellement les Pères de l’Eglise distinguent la theologia – le mystère intime de Dieu – de l’oikonomia – sa manière de se communiquer à l’extérieur.

Le partage de la vie trinitaire, communion de vie et d’amour, est ouvert à l’homme et constitue son but ultime. Nous n’avons été créés et ne sommes transformés par la grâce que pour parvenir à cela : rejoindre Dieu.

Au point de départ se trouve l’homme, blessé par le péché, étranger à toute révélation du Dieu vivant … et pourtant, créé pour une vocation sublime, que chante le psaume du jour : « Tu l’as voulu un peu moindre qu’un dieu, le couronnant de gloire et d’honneur ; tu l’établis sur les œuvres de tes mains, tu mets toute chose à ses pieds » (Ps 8, 6-7). Ce contraste se retrouve chez beaucoup de baptisés : ils ignorent ce chemin que propose la foi et restent dans leur solitude. Fénelon explique cette attitude par une inaptitude à l’intériorité, un refus de rentrer en soi-même :

« Quand on dit aux hommes de vous chercher dans leur propre cœur, c’est leur proposer de vous aller chercher plus loin que les terres les plus inconnues. Qu’y a-t-il de plus éloigné et de plus inconnu pour la plupart des hommes vains et dissipés, que le fond de leur propre cœur ? Savent-ils ce que c’est que de rentrer jamais en eux-mêmes ? En ont-ils jamais tenté le chemin ? Peuvent-ils même s’imaginer ce que c’est que ce sanctuaire intérieur, ce fond impénétrable de l’âme où vous voulez être adoré en esprit et en vérité ? Ils sont toujours hors d’eux-mêmes, dans les objets de leur ambition ou de leur amusement. Hélas ! comment entendraient-ils les vérités célestes, puisque les vérités même terrestres, comme dit Jésus-Christ, ne peuvent se faire sentir à eux ? Ils ne peuvent concevoir ce que c’est que de rentrer en soi par de nombreuses réflexions : que diraient-ils si on leur proposait d’en sortir pour se perdre en Dieu ? » [12]

Le Christ brise cette malédiction et met fin à cette impasse. Il se tient au seuil de notre vie pour la transformer et nous faire entrer dans sa vie : « Voici, je me tiens à la porte et je frappe ; si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui pour souper, moi près de lui et lui près de moi » (Ap 3,20). Il dit encore dans l’évangile de Jean : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole : mon père l’aimera, nous viendrons vers lui et chez lui nous nous ferons une demeure » (Jn 14,23). Il est envoyé par le Père pour convertir et ramener ses frères les hommes à leur vocation première : la participation à la communion d’amour de la Trinité.

La connaissance de la vie trinitaire nous est révélée par la rencontre avec le Christ, et c’est l’Esprit qui la fait grandir pour la mener à sa plénitude. Jésus, au soir de sa passion, le sait bien. Il sait qu’il peut laisser ses disciples pour retourner vers le Père en passant par la Croix puis la résurrection. Nous vivons la même réalité dans notre vie chrétienne : la rencontre avec le Christ nous met en chemin, au début de notre vie par le baptême ou par une conversion, et tout au long de notre existence par des rencontres toujours plus intimes marquées par l’action de l’Esprit en nous. Mais nous demeurons sur terre, soumis à de nombreuses détresses et angoisses, comme saint Paul nous l’a rappelé en deuxième lecture : « nous mettons notre fierté dans la détresse elle-même, puisque la détresse, nous le savons, produit la persévérance ; la persévérance produit la vertu éprouvée ; la vertu éprouvée produit l’espérance ; et l’espérance ne déçoit pas, puisque l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Ro 5,3-5).

Les mystiques ont décrit l’expérience de l’Esprit Saint, cette sanctification progressive qui nous transforme et nous rend toujours plus simples, plus malléables à son action, plus conformes à Jésus. En voici un exemple chez Ruysbroeck l’Admirable :

« Aussi recevons-nous à toute heure de nouvelles touches divines, afin qu’à toute heure s’accomplissent un renouvellement plus grand et une ressemblance plus parfaite en vertus. Touché ainsi à nouveau, l’esprit est saisi de faim et de soif ; il veut, dans la tempête d’amour, épuiser le goût spirituel et traverser tout cet abîme, afin d’être rassasié. De là naît une avidité de désirs insatiable, jointe à une perpétuelle impuissance car si tous les esprits aimants désirent Dieu et tendent vers lui, chacun selon son mode de perfection et la puissance de la touche divine, néanmoins Dieu demeure éternellement insaisissable à l’activité de nos désirs ; et c’est la cause pour nous d’une éternelle faim et d’un éternel retour affectif, en union avec tous les saints. Mais lorsque se fait la rencontre avec Dieu, la clarté et l’ardeur sont si grandes et si démesurées que tous les esprits doivent cesser d’agir, se fondant et se perdant, sous le sentiment de l’amour, en leur propre unité. Il leur faut dès lors subir l’action intime de Dieu, comme de pures créatures. Et ici notre esprit, la grâce divine et toutes nos vertus se confondent en un seul amour affectif, sans opération ; car l’esprit ayant épuisé toute action est devenu lui-même amour. » [13]

La Vierge Marie a toujours été considérée comme un exemple de cette croissance docile sous l’action de l’Esprit. Parce qu’elle est préservée du péché originel, elle a pu monter au ciel avec son corps et partage déjà la vie trinitaire dans toutes les dimensions de sa personne. Elle est donc la première à être entrée dans cet amour trinitaire qui est la destination finale de l’homme. La tradition chrétienne a d’ailleurs vu en Marie l’expression par excellence de la sagesse (première lecture), comme l’explique le Catéchisme :

« Marie, la Toute Sainte Mère de Dieu, toujours Vierge est le chef-d’œuvre de la mission du Fils et de l’Esprit dans la plénitude du temps. Pour la première fois dans le dessein du salut et parce que son Esprit l’a préparée, le Père trouve la Demeure où son Fils et son Esprit peuvent habiter parmi les hommes. C’est en ce sens que la Tradition de l’Église a souvent lu en relation à Marie les plus beaux textes sur la Sagesse (cf. Pr 8, 1 – 9, 6 ; Si 24) : Marie est chantée et représentée dans la liturgie comme le ‘Trône de la Sagesse’. En elle commencent à se manifester les ‘merveilles de Dieu’, que l’Esprit va accomplir dans le Christ et dans l’Église. » [14]

Dès l’Annonciation, le mystère de la Trinité est révélé à Marie, en une phrase : « L’Esprit-Saint viendra sur toi et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ; c’est pourquoi celui qui va naître sera saint, il sera appelé Fils de Dieu » (Lc 1, 35).

Nous pouvons donc accueillir Marie comme compagne de notre itinéraire spirituel et la laisser tourner notre cœur vers Dieu. Voici, selon Fénelon, l’attitude qui convient :

« Pour moi, ô mon Créateur ! Les yeux fermés à tous les objets extérieurs, qui ne sont que vanité et qu’affliction d’esprit, je veux trouver dans le plus secret de mon cœur une intime familiarité avec vous par Jésus-Christ votre fils, qui est votre sagesse et votre raison éternelle, devenue enfant, pour rabaisser par son enfance et par la folie de sa croix notre vaine et folle sagesse. C’est là que je veux, quoi qu’il m’en coûte, malgré mes prévoyances et mes réflexions, devenir petit, insensé, encore plus méprisable à mes propres yeux qu’à ceux de tous les faux sages. C’est là que je veux m’enivrer du Saint-Esprit, comme les apôtres, et consentir comme eux à être le jouet du monde. Mais qui suis-je pour penser ces choses ? Ce n’est plus moi, vile et fragile créature, âme de boue et de péché ; c’est vous, ô Jésus, vérité de Dieu, qui les pensez en moi, et qui les accomplirez, pour faire mieux triompher votre grâce par un plus indigne instrument. »[15]

Nous pouvons, pour terminer notre méditation, répéter cette célèbre prière de sainte Élisabeth de la Trinité :

« O mon Dieu, Trinité que j’adore, aidez-moi à m’oublier entièrement pour m’établir en vous, immobile et paisible comme si déjà mon âme était dans l’éternité. Que rien ne puisse troubler ma paix, ni me faire Sortir de vous, ô mon Immuable, mais que chaque minute m’emporte plus loin dans la profondeur de votre Mystère. Pacifiez mon âme, faites-en votre ciel, votre demeure aimée et le lieu de votre repos. Que je ne vous y laisse jamais seul, mais que je sois là tout entière, tout éveillée en ma foi, tout adorante, toute livrée à votre Action créatrice.

« Ô mon Christ aimé crucifié par amour, je voudrais être une épouse pour votre Cœur, je voudrais vous couvrir de gloire, je voudrais vous aimer… jusqu’à en mourir ! Mais je sens mon impuissance et je vous demande de me « revêtir de vous-même », d’identifier mon âme à tous les mouvements de votre âme, de me submerger, de m’envahir, de vous substituer à moi, afin que ma vie ne soit qu’un rayonnement de votre Vie. Venez en moi comme Adorateur, comme Réparateur et comme Sauveur.

« Ô Verbe éternel, Parole de mon Dieu, je veux passer ma vie à vous écouter, je veux me faire tout enseignable, afin d’apprendre tout de vous. Puis, à travers toutes les nuits, tous les vides, toutes les impuissances, je veux vous fixer toujours et demeurer sous votre grande lumière ; ô mon Astre aimé, fascinez-moi pour que je ne puisse plus sortir de votre rayonnement.

« Ô Feu consumant, Esprit d’amour, « survenez en moi » afin qu’il se fasse en mon âme comme une incarnation du Verbe : que je Lui sois une humanité de surcroît en laquelle Il renouvelle tout son Mystère. Et vous, ô Père, penchez-vous vers votre pauvre petite créature, « couvrez-la de votre ombre », ne voyez en elle que le « Bien-Aimé en lequel vous avez mis toutes vos complaisances ».

« O mes Trois, mon Tout, ma Béatitude, Solitude infinie, Immensité où je me perds, je me livre à vous comme une proie. Ensevelissez-vous en moi pour que je m’ensevelisse en vous, en attendant d’aller contempler en votre lumière l’abîme de vos grandeurs. » [16]

 


[1] Saint Justin (+165), Dialogue avec Tryphon, LXI, 1.

[2] Saint Théophile d’Antioche (+185), Autolycus, II, 22.

[3] En 325, le Concile de Nicée confesse que le Fils est consubstantiel au Père ; en 381, le concile de Constantinople précise « le Fils unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles, lumière de lumière, vrai Dieu du vrai Dieu, engendré non pas créé, consubstantiel au Père ».

[4] Fides Damasi , n° 71- Vème siècle

[5] Cf CEC 255.

[6] CEC n° 253.

[7] Cette erreur s’appelle le modalisme.

[8] Grégoire de Nazianze, Orationes 40-41 in CEC 256.

[9] Recueil des Ecrits de la Vénérable Mère Marguerite-Marie, religieuse de la Visitation, partie I : abrégé de la vie de la vénérable écrit par elle-même, § n° 48

[10] Urs von Balthasar, La Dramatique divine, II/1, p. 221

[11] Cardinal Ratzinger, conférence du 10 décembre 2000 sur la Nouvelle Evangélisation, disponible ici.

[12] Fénelon, Œuvres spirituelles, Pléiade p. 703.

[13] Ruysbroeck l’Admirable, L’ornement des noces spirituelles, chapitre LXX.

[14] Catéchisme, nº721.

[15] Fénelon, Œuvres spirituelles, Pléiade p. 704.

[16] Elisabeth de la Trinité, Prière.


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  • Parabole des deux fils