Nous avons terminé le temps pascal par la fête de la Pentecôte et sommes entrés dans le temps ordinaire. Cela ne signifie pas que ce temps soit banal, qu’il ne s’y passerait rien. Bien au contraire : il permet d’approfondir d’autres réalités de foi que celles qui sont directement liées à la naissance de Jésus (Avent, Noël) et au mystère de la Croix (Carême, Pâques). C’est le cas, ce dimanche, du mystère de la Sainte Trinité.
Lors de l’effusion de l’Esprit, les apôtres ont commencé à accomplir la mission confiée par le Christ d’enseigner toutes les nations, en les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit (Mt 28,19). Le lien entre Pentecôte et fête de la Trinité sont donc évidents, même si le terme Trinité – Trinitas – n’a été forgé par Tertullien qu’à la fin du deuxième siècle, et si l’Église n’a instauré que très progressivement cette fête. Il faut, en effet, attendre le VIIIème siècle pour qu’une messe votive soit rédigée en son honneur sous l’impulsion d’Alcuin, grand théologien anglais, abbé de Saint Martin de Tours et conseiller de Charlemagne. En réalité, tous les hommages que l’Église rend à Dieu dans sa liturgie ont pour objet la divine Trinité ; Dom Guéranger (1805-1875) l’explique :
« La série des mystères qui sont propres au Christ étant consommée, nous avons célébré la venue de l’Esprit sanctificateur, annoncé comme devant venir perfectionner l’œuvre du Fils de Dieu. Nous l’avons adoré et reconnu distinct du Père et du Fils, qui nous l’envoyaient avec la mission de demeurer avec nous (Jn 14,16). Il s’est manifesté dans des opérations toutes divines qui lui sont propres ; car elles sont l’objet de sa venue. Il est l’âme de la sainte Eglise, il la maintient dans la vérité que le Fils lui a enseignée. Il est le principe de la sanctification dans nos âmes, où il veut faire sa demeure. En un mot, le mystère de la sainte Trinité est devenu pour nous, non seulement un dogme intimé à notre pensée par la révélation, mais une vérité pratiquement connue de nous par la munificence inouïe des trois divines personnes, adoptés que nous sommes par le Père, frères et cohéritiers du Fils, mus et habités par l’Esprit-Saint. » [1]
La première lecture : la Sagesse créatrice (Pr 8)
Nous avons déjà rencontré, au cours de l’année liturgique, des textes qui exaltent la Sagesse de Dieu. Ce dimanche, la liturgie nous propose un passage du livre des Proverbes sur la Sagesse créatrice (Pr 8) ; elle contient un enseignement très élaboré qui nous porte presque sans hésitation à y reconnaître, par avance, la personne du Verbe dans la sainte Trinité, mais il faut pour cela progresser avec prudence.
L’an dernier, nous avions rencontré la Sagesse personnifiée par une femme prévenante (Pr 9, pour le dimanche 20 de l’année B). Il s’agissait alors d’un procédé littéraire permettant de présenter l’un des attributs de Dieu, sa sagesse qui ordonne toutes choses dans le monde pour mener l’homme à son accomplissement. L’écrivain pouvait présenter cette doctrine sans risque, car l’œuvre des prophètes avait bien ancré le rejet des idoles dans le cœur d’Israël ; pour l’israélite fervent de la période du second Temple, il ne faisait aucun doute qu’il n’y avait qu’un seul Dieu et l’on pouvait donner un visage à la sagesse sans être soupçonné de polythéisme.
Il est possible d’aborder le texte d’aujourd’hui (Pr 8) selon cette première approche. Le poète contemple le Dieu créateur, qui façonne de ses mains l’univers : « quand il traçait l’horizon à la surface de l’abîme, qu’il amassait les nuages dans les hauteurs et maîtrisait les sources de l’abîme, quand il imposait à la mer ses limites… » (vv.27-29). La présence de la sagesse (j’étais là) exprime alors combien toute la création est admirablement conçue, comme l’exprime le livre de la Sagesse de Salomon : « tu as tout réglé avec mesure, nombre et poids » (Sg 11,20). L’homme s’émerveille devant la beauté du monde et loue le Créateur, comme Ben Sira : « ses pensées sont plus vastes que la mer, ses desseins plus grands que l’abîme » (Sir 24,29).
Pour la littérature sapientielle, il s’agissait également de valoriser la sagesse que l’homme devrait chercher à acquérir, comme un bien extérieur qui vient peu à peu l’enrichir. Job se demandait : « la Sagesse, d’où provient-elle ? Où se trouve-t-elle, l’Intelligence ? » (Jb 18,12). Sa réponse était classique : « La crainte du Seigneur ; voilà la sagesse ; fuir le mal, voilà l’intelligence » (v.28). Une sagesse très attrayante et désirable, c’est aussi ce qui se cache derrière la dernière phrase de notre texte : « … trouvant mes délices avec les fils des hommes » (Pr 8,31). Cette perspective pédagogique domine la fin du chapitre : « Écoutez l’instruction et devenez sages, ne la négligez pas » (v.33).
Mais le texte de Proverbes 8 ne saurait se réduire à une simple métaphore, surtout si la liturgie l’a choisie pour la fête de la sainte Trinité. En effet la Sagesse présente un aspect particulier qui frappe doublement le lecteur. A cause de son origine, tout d’abord : l’auteur insiste sur la « pré-existence » de la Sagesse par rapport à la création. Il répète la même idée en utilisant différentes images dans le but de convaincre que la Sagesse existait véritablement avant le monde : « Quand les abîmes n’existaient pas encore, je fus enfantée » (v.24), où le verbe employé (חלל, halal) est celui de la mise au monde d’un enfant dans la douleur. Quelques siècles plus tard, Ben Sira reprendra ce mystère en faisant dire à la Sagesse : « Avant les siècles, dès le commencement il m’a créée, éternellement je subsisterai » (Sir 24,9).
Le deuxième aspect qui frappe le lecteur est le rôle de la Sagesse, dans la création du monde : elle n’était pas simplement présente comme une personne assiste à un spectacle, mais elle coopérait avec le Seigneur dans son œuvre créatrice : « j’étais là, quand il traçait l’horizon à la surface de l’abîme… » (v.27). A cause de l’imprécision et de la concision de l’hébreu, le premier verset de la lecture (v.22) peut être traduit de diverses manières : « Le Seigneur m’a faite pour lui, principe de son action, première de ses œuvres, depuis toujours » (traduction liturgique), ou encore : « le Seigneur m’a possédée au début de ses voies, avant de faire quoi que ce soit, au début » (Vulgate).[2] Le texte hébreu dit littéralement : « le Seigneur m’a acquise, au début de ses voies, avant ses œuvres, en ce temps-là ». Il est donc difficile de fixer le sens originel de ce texte, et de savoir si l’auteur, au-delà de l’artifice littéraire, imaginait la Sagesse comme une personne vraiment existante, une « hypostase [3]»… Le livre de la Sagesse témoigne de la même imprécision : « la Sagesse est en effet un effluve de la puissance de Dieu, une émanation toute pure de la gloire du Tout-Puissant » (Sg 7,25)…
Cependant, la plénitude de la Révélation en Jésus-Christ nous permet de relire ces textes comme des descriptions prophétiques du Verbe. Saint Paul désigne le Christ comme « puissance de Dieu et sagesse de Dieu » (1Co 1,24). Ce n’est pas un hasard non plus si saint Jean choisit le terme « λόγος, lógos », la parole ordonnée à un dessein cohérent, emprunté à la littérature sapientielle, pour décrire la présence éternelle du Christ auprès de son Père : « Au commencement était le Verbe et le Verbe était avec Dieu et le Verbe était Dieu » (Jn 1,1) ; le prologue du quatrième évangile attribue au Verbe les traits de la Sagesse créatrice.
Nous pouvons alors relire la première lecture comme une description frappante de la présence du Verbe auprès du Père, depuis toute éternité, et de sa coopération à la création du monde.
Le texte présente en effet deux protagonistes dans un vis-à-vis éternel. « Le Seigneur m’a faite pour lui (…) première de ses œuvres depuis toujours » : éternellement le Père engendre le Fils parce qu’il est amour et aime se donner. Il est Père parce qu’il est créateur du monde et des hommes que nous sommes, mais il l’est avant et surtout parce qu’éternellement il engendre le Fils : «le Seigneur m’a faite pour lui (…) première de ses œuvres » . Le Fils est Dieu, éternel, antérieur au temps : « avant les siècles, dès le commencement, quand les abîmes n’existaient pas, avant les montagnes etc… »
Le Verbe est ensuite présenté comme se réjouissant de la création en genèse et y participant, dans une description pleine de poésie qui affirme en même temps la seigneurie de Dieu sur l’univers. Il prend également les traits d’un enfant : « je grandissais à ses côtés…jouant avec lui à tout moment, jouant dans l’univers ». L’intimité de la vie divine est joie gratuite et innocence. Le Fils fait le bonheur du Père : « je faisais ses délices jour après jour ». Le texte de la Transfiguration ne dit pas autre chose en Matthieu 17 : « celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui je trouve ma joie » (Mt 17, 5). Le Fils lui-même trouve sa joie à demeurer chez les hommes pour leur révéler le Père : « jouant dans l’univers, sur sa terre, et trouvant mes délices avec les enfants des hommes… »
L’évangile : la vérité tout entière (Jn 16)
Saint Jean nous rapporte les paroles de Jésus, le Verbe incarné, lors de la dernière Cène : des paroles d’une profondeur insondable où il évoque la Révélation plénière que les Apôtres vont bientôt recevoir. Au seuil de sa Passion, Jésus parle en effet de l’Esprit Saint, de sa relation au Père, et du don parfait qui caractérise les trois personnes de la Trinité : « il recevra ce qui vient de moi…tout ce que possède le Père est à moi… Lui, l’Esprit de vérité… ». Un événement imminent est annoncé, celui de l’effusion de l’Esprit, qui nécessite auparavant la Pâque du Seigneur : « il n’y avait pas encore d’Esprit, parce que Jésus n’avait pas encore été glorifié » (Jn 7,39).
Cela ne signifie pas que l’Esprit ait été absent jusque-là, mais plutôt que le cœur des Apôtres n’en avait pas encore été comblé : « Il parlait de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui avaient cru en lui ». Sa présence, en tant que personne, était encore cachée. Un concept nouveau se fait jour : Jésus pour la première fois dans l’histoire de la Révélation, ne présente pas l’Esprit comme un attribut de Dieu mais comme une personne dont il brosse, en quelque sorte, le portrait. Avant le passage de ce jour, au verset 7, il le nomme avocat, défenseur (Paraclet). L’Esprit viendra en effet soutenir les disciples et leur inspirer les mots justes face à leurs adversaires. Jésus indique ensuite comment l’Esprit enseignera les disciples en reprenant en profondeur son message pour le rendre évident et intelligible. Il établira la culpabilité du monde « en matière de péché, de justice et de jugement » (Jn 16,8) : l’Esprit montrera que le monde est coupable de ne pas avoir accueilli Jésus, le Juste mort pour les hommes et justifié par le Père dans sa résurrection et son ascension… Le monde va vers le Jugement dernier car Jésus a vaincu Satan dont le règne est finissant (v.11). C’est ce que l’Eglise ne cesse d’approfondir depuis deux mille ans. L’Esprit est donc celui qui révèle toute la vérité sur Dieu et son projet d’amour.
Le Catéchisme nous explique qu’il s’agit là de la révélation du mystère le plus profond de notre foi, celui la Trinité :
« Avant sa Pâque, Jésus annonce l’envoi d’un ‘autre Paraclet’ (Défenseur), l’Esprit Saint. À l’œuvre depuis la création (cf. Gn 1, 2), ayant jadis ‘parlé par les prophètes’, il sera maintenant auprès des disciples et en eux (cf. Jn 14, 17), pour les enseigner (cf. Jn 14, 26) et les conduire ‘vers la vérité tout entière’ (Jn 16, 13). L’Esprit Saint est ainsi révélé comme une autre personne divine par rapport à Jésus et au Père. L’origine éternelle de l’Esprit se révèle dans sa mission temporelle. L’Esprit Saint est envoyé aux apôtres et à l’Église aussi bien par le Père au nom du Fils, que par le Fils en personne, une fois retourné auprès du Père. L’envoi de la personne de l’Esprit après la glorification de Jésus révèle en plénitude le mystère de la Sainte Trinité. » [4]
Jésus, dans l’intimité du Cénacle, s’adresse à ses Apôtres à un moment particulier de leur cheminement intérieur, la fin de sa vie publique. Ils ont déjà une foi embryonnaire, qui a besoin de grandir et d’être portée à sa plénitude, comme le montrent les questions des Apôtres encore balbutiants face au mystère : « Philippe lui dit : ‘Seigneur, montre-nous le Père et cela nous suffit.’ Jésus lui dit : ‘Voilà si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe ? Qui m’a vu a vu le Père…’ » (Jn 14,8-9).
Avec lucidité, et aussi avec une immense tendresse, Jésus ne demande pas l’impossible aux disciples, il a le souci de les ménager : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l’instant vous ne pouvez pas les porter » (Jn 16,12).
Il ne s’agit pas simplement d’une information ou d’un contenu intellectuel qu’il devrait encore leur cacher, puisqu’il leur a fait connaître tout ce qu’il a appris du Père (Jn 15, 15) ; c’est plus profondément une illumination intérieure qui va les imprégner et transformer leur vision en ouvrant leur cœur à la réalité de l’amour de Dieu. Lorsque le Verbe parle à l’homme, c’est pour l’englober dans l’Amour trinitaire…
Jésus place ses disciples au seuil du mystère de l’amour divin. C’est l’Esprit, après le départ de Jésus, qui les y fera entrer pleinement. L’aspect doctrinal de cette révélation est certes important, puisque les Apôtres devront prêcher la foi à toutes les nations ; mais Jésus parle d’une réalité beaucoup plus ample qui se fonde dans la Trinité elle-même : la communion de vie dans l’amour que partagent le Père, le Fils et l’Esprit, et à laquelle l’homme est appelé à s’unir. Nous y reviendrons dans la méditation.
Nous ne devons pas être trompés par le vocabulaire d’appartenance : « Tout ce que possède le Père est à moi » (v.15), comme s’il s’agissait de deux propriétaires en concurrence… Nous pouvons comprendre cette expression selon deux sens : ontologique (celui de l’être), puisque le Père communique au Fils sa divinité en l’engendrant ; ou bien apostolique, car les croyants sont au centre de l’attention du Père et du Fils. Dans l’évangile de Jean, Jésus désigne souvent ses disciples comme « appartenant au Père », par exemple : « Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi, afin qu’ils contemplent ma gloire, que tu m’as donnée parce que tu m’as aimé avant la fondation du monde » (Jn 17,24).
Ce thème de la gloire affleure d’ailleurs dans les différentes lectures : « l’Esprit me glorifiera » (Jn 16,14) ; «dans l’espérance d’avoir part à la gloire de Dieu » (Ro 5,2) ; « le couronnant de gloire et d’honneur » (Ps 9,6). De quoi s’agit-il ? Le terme grec (δόξα, dóxa) désigne couramment le prestige, l’honneur, la bonne réputation, comme sous la plume de saint Jean : « ils aimèrent la gloire des hommes plus que la gloire de Dieu » (Jn 12,43). Puis il désigne l’irradiation de ce qui brille, la splendeur qui émane de Dieu et des êtres surnaturels, comme lors de la Transfiguration où les Apôtres voient Jésus métamorphosé, accompagné de Moïse et d’Élie « qui, apparus en gloire, parlaient de son départ, qu’il allait accomplir à Jérusalem » (Lc 9,31). C’est ainsi que nous pouvons interpréter les paroles de Jésus : « Lui me glorifiera, car il recevra ce qui vient de moi pour vous le faire connaître » (Jn 16,14). La gloire, c’est la manifestation de Dieu comme bien et bonté suprêmes. L’Esprit manifestera la gloire qui resplendit sur le visage du Christ, car il introduira les croyants dans la communion divine, pour qu’ils lui rendent l’hommage qui lui est dû. C’est ainsi que l’interprète le Catéchisme :
« La gloire de Dieu c’est que se réalise cette manifestation et cette communication de sa bonté en vue desquelles le monde a été créé. Faire de nous ‘des fils adoptifs par Jésus-Christ : tel fut le dessein bienveillant de Sa volonté à la louange de gloire de sa grâce’ (Ep 1, 5-6) : ‘Car la gloire de Dieu, c’est l’homme vivant, et la vie de l’homme, c’est la vision de Dieu : si déjà la révélation de Dieu par la création procura la vie à tous les êtres qui vivent sur la terre, combien plus la manifestation du Père par le Verbe procure-t-elle la vie à ceux qui voient Dieu’ (S. Irénée). La fin ultime de la création, c’est que Dieu, qui est le Créateur de tous les êtres, devienne enfin ‘tout en tous’ (1 Co 15, 28), en procurant à la fois sa gloire et notre béatitude. » [5]
La deuxième lecture : Trinité et vertus théologales (Ro 5)
Ce que Jésus décrit dans l’évangile, du point de vue du Seigneur, est expliqué par saint Paul, du point de vue des croyants qui reçoivent ce don immense de participer à la vie divine. Son texte est très dense : il résume en cinq versets toute notre vie chrétienne en articulant vertus théologales, personnes divines et tribulations humaines…
La porte d’entrée vers le salut est la foi (cf. Ac 14,27) : « nous qui sommes devenus justes par la foi » (Ro 5,1) ; saint Paul souligne que c’est un don gratuit du Seigneur ressuscité ( lui qui nous a donné, par la foi…), qui accomplit l’œuvre de médiateur entre Dieu et les hommes : « nous voici en paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus Christ » (v.1), une réconciliation qui répare le désastre du péché originel pour restaurer l’amitié entre Dieu et sa créature préférée.
Le terme final de notre pèlerinage est « d’avoir part à la gloire de Dieu », c’est-à-dire de vivre à jamais dans la communion d’amour du Père avec le Fils. Apparaît ainsi la charité, terme de tout notre chemin : « l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs » (v.5), une expression à comprendre à la fois comme l’amour que Dieu nous porte et qui a bouleversé notre cœur, et comme la participation à cet amour par l’exercice de la charité fraternelle. La charité est naturellement associée à l’Esprit Saint, qui est l’amour substantiel du Père et du Fils : « répandu par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (v.5).
Entre ces deux pôles, l’adhésion par la foi et l’accomplissement par la charité, notre existence se déroule au milieu des « détresses » de tout genre, que saint Paul connaît bien et qui rejoignent nos propres expériences : « Voyages sans nombre, dangers des rivières, dangers des brigands, dangers de mes compatriotes, dangers des païens, dangers de la ville, dangers du désert, dangers de la mer, dangers des faux frères ! Labeur et fatigue, veilles fréquentes, faim et soif, jeûnes répétés, froid et nudité ! Et sans parler du reste, mon obsession quotidienne, le souci de toutes les Églises ! » (2Co 11,26-28). C’est en connaissance de cause que saint Paul peut écrire que « la détresse produit la persévérance, la persévérance produit la vertu éprouvée, la vertu éprouvée l’espérance… » (Ro 5,3-4). Apparaît ainsi la dernière vertu théologale : « pendue aux bras des grandes sœurs, qui la tiennent par la main, la petite espérance s’avance… » (Péguy)[6]. Elle est la vertu propre à l’homme croyant, encore en marche vers le but. Le Catéchisme, en l’expliquant, nous introduit alors naturellement dans la méditation :
« ‘L’espérance ne peut décevoir, puisque l’amour de Dieu est répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous fut donné’ (Rm 5, 5). La prière, formée par la vie liturgique, puise tout dans l’Amour dont nous sommes aimés dans le Christ et qui nous donne d’y répondre en aimant comme Lui nous a aimés. L’Amour est la source de la prière ; qui y puise, atteint le sommet de la prière : ‘Je vous aime, ô mon Dieu, et mon seul désir est de vous aimer jusqu’au dernier soupir de ma vie. Je vous aime, ô mon Dieu infiniment aimable, et j’aime mieux mourir en vous aimant, que de vivre sans vous aimer. Je vous aime, Seigneur, et la seule grâce que je vous demande, c’est de vous aimer éternellement… Mon Dieu, si ma langue ne peut dire à tous moments que je vous aime, je veux que mon cœur vous le répète autant de fois que je respire’ (S. Jean Marie Baptiste Vianney). » [7]
=> Lire la méditation
[1] Dom Guéranger, L’année liturgique, La fête de la Très sainte Trinité. On trouvera ici cette citation et une histoire de cette fête liturgique.
[2] “Dominus possedit me in initio viarum suarum, antequam quidquam faceret a principio » (Vulgate)
[3] Hypostase : une personne divine
[6] Charles Péguy, Le Porche de la deuxième Vertu.