Après la grande cérémonie de la veillée Pascale, nous nous retrouvons pour célébrer l’Eucharistie avec un cœur renouvelé, fortifié par la présence du Res suscité, tourné vers le Ciel où Jésus nous attend.
Le livre des Actes des apôtres remplace les textes de l’Ancien Testament en première lecture pendant tout le temps pascal : l’histoire de la première communauté chrétienne, le nouveau Peuple de l’Alliance, est la nôtre. L’Esprit Saint y joue le premier rôle. Après la résurrection, les apôtres sont les protagonistes de l’extension du Règne du Christ dans le monde entier, à tel point qu’on pourrait appeler ce livre des Actes « Évangile de l’Esprit Saint selon les Apôtres ». C’est ce que sont appelés à vivre tous les Chrétiens confirmés, et cinquante jours nous sont donnés pour nous imprégner de cette ferveur apostolique. Benoît XVI nous introduit dans ce temps de joie :
« Le Christ est ressuscité ! La liturgie ne consacre pas seulement un jour à un aussi grand mystère – ce serait trop peu pour tant de joie -, mais bien cinquante jours, c’est-à-dire le temps pascal tout entier, qui se conclut par la Pentecôte. Le dimanche de Pâques est ensuite une journée absolument particulière, qui s’étend pendant toute cette semaine jusqu’au prochain dimanche, formant l’Octave de Pâques. » [2]
Pour la liturgie de ce dimanche de Pâques, nous avons plusieurs choix possibles de lectures : notre explication portera sur l’évangile de la veillée pascale, année C (Lc 24,1-12) qui peut être proclamé ce dimanche ; parmi les deux textes de saint Paul, nous choisissons celui qui est extrait de la lettre aux Colossiens (3,1-4).
L’évangile : Pourquoi chercher le Vivant parmi les morts ? (Lc 24)
Une simple phrase, qui désigne cependant un fait gigantesque, traverse toutes les lectures : « Il est ressuscité ! ». C’est ce que les deux anges disent aux femmes (Lc 24,6), en les renvoyant aux paroles de Jésus en Galilée : il avait déjà annoncé à ses disciples qu’Il ressusciterait (v.7). Les femmes rapportent la Nouvelle aux apôtres qui peinent à la recevoir… Mais après la Pentecôte, saint Pierre, fortifié par l’Esprit Saint, place au centre de son discours ce fait inédit dans l’histoire humaine : « Et voici que Dieu l’a ressuscité le troisième jour » (Ac 10,40). Saint Paul, enfin, l’applique à notre vie de croyants : « vous êtes ressuscités avec le Christ… » (Col 3,1). La Résurrection du Christ a tout changé et se propage dans tout l’univers…
Saint Luc nous présente tout au long de son œuvre (évangile / Actes) l’évolution de la communauté chrétienne, depuis le jardin du Golgotha alors que le soleil se lève en ce dimanche de Pâques, jusqu’à la propagation de l’évangile aux confins de la terre : saint Paul rêve d’aller proclamer le Christ en Espagne (Ro 15,28) c’est-à-dire à l’extrême ouest du monde connu, là où le soleil se couche… C’est une lente mais irrésistible progression dans la foi au Christ ressuscité, que nous pouvons décrire en suivant attentivement les étapes qu’il décrit dans son œuvre.
La résurrection fut d’abord un événement caché, dans la nuit de Pâques, auquel personne n’a assisté : un événement qui se déroule dans un « silence » total. Le chapitre 23 de Luc se termine en résumant l’activité des femmes après la mort de Jésus : « le sabbat, elles se tinrent en repos, selon le précepte » (Lc 23,56). Avant de passer au verset suivant, il faudrait imaginer ce qui s’est passé pendant ce laps de temps, mais que l’Écriture ne nous révèle pas : en particulier, la descente du Christ aux enfers et le désarroi des apôtres, accablés par la mort de leur maître.
Saint Luc a centré son récit sur les femmes, qui en assurent la continuité comme derniers « témoins oculaires de la Passion » puis comme premiers « témoins du tombeau vide ». Lorsque s’ouvre le chapitre 24, nous sommes au matin suivant mais au même lieu, le tombeau. Nous sommes aussi au début d’une ère nouvelle : « le premier jour de la semaine, de grand matin ». Ces femmes sont informées par les anges, elles se souviennent des paroles de Jésus et elles rapportent le message aux Apôtres, mais l’évangile ne dit pas qu’elles ont réellement saisi la portée de l’évènement. Pierre constate le tombeau vide mais reste perplexe (Lc 24, 1-12). L’événement de la résurrection est déjà proclamé par les anges (il est ressuscité), mais il n’est pas encore assimilé et accueilli dans les cœurs ; la foi est comme un bourgeon prêt à éclore au printemps.
Les deux disciples d’Emmaüs font un long cheminement pour reconnaître la présence du Ressuscité à leurs côtés, jusqu’à ce que leur cœur devienne tout brûlant. L’intelligence a été illuminée par l’explication des Écritures : « commençant par Moïse et parcourant tous les Prophètes, il leur interpréta dans toutes les Écritures ce qui le concernait » (v.27) ; puis le repas partagé, avec un sens eucharistique évident, permet à la foi de jaillir : « Leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent… mais il disparut à leurs regards » (v.32). Entre-temps, la communauté de Jérusalem a parcouru un itinéraire similaire pour se laisser heurter par la résurrection : « Ils trouvèrent réunis les Onze et leurs compagnons, qui dirent : ‘C’est bien vrai ! le Seigneur est ressuscité et il est apparu à Simon !’ » (vv.33-34).
Jésus apparaît de nouveau au soir de Pâques, aux onze Apôtres réunis mais ils sont lents à croire : « saisis de frayeur et de crainte, ils croyaient voir un esprit » (v 37) ; « ils ne croyaient pas encore et demeuraient saisis d’étonnement » (v.41). Hésitations du cœur : la nouvelle foi, comme une fleur qui vient d’éclore, a du mal à déployer ses pétales. Sur la route d’Emmaüs, le Seigneur « ouvre l’esprit à l’intelligence des Ecritures » (v.45).
Le livre des Actes, qui est la suite de l’évangile de Luc, s’ouvre sur ce cheminement en cours jusqu’à ce que l’Esprit Saint (Ac 2) vienne remplir leur cœur : alors les Apôtres, Pierre en tête, transmettent la foi au Ressuscité : « Dieu l’a ressuscité, ce Jésus ; nous en sommes tous témoins » (v.32) ; Ils sont désormais disposés à mourir pour l’attester. La foi chrétienne resplendit à Jérusalem comme une superbe rose printanière.
Toute l’aventure des Actes est en fait l’annonce de ce fait inédit et son accueil par l’humanité, dans la foi : c’est l’histoire de Paul, converti par le Ressuscité, instruit par la communauté, et propagateur de l’Évangile aux nations païennes.
La deuxième lecture : Cherchez les réalités d’en haut ! (Col 3)
Saint Paul présente la conséquence ultime de notre foi (Col 3) : la présence du Ressuscité change notre vie en profondeur. Ce changement reste invisible au monde : « votre vie reste cachée en Dieu » (v.3), parce qu’il reste aveugle aux réalités surnaturelles.
Trois moments marquent, dans la pensée de l’apôtre, ce changement : tout d’abord, celui du baptême, lorsque l’adhésion à la foi a conduit le chrétien à se laisser incorporer au Christ. L’immersion dans l’eau baptismale a consisté à suivre le Christ dans sa mort et à recevoir de lui la vie nouvelle, comme jadis les Hébreux passant par la Mer Rouge. C’est pourquoi il nous rappelle « vous êtes passés par la mort », après avoir expliqué que nous sommes « ressuscités avec le Christ ».
Il indique ensuite que toute notre vie doit être animée par le désir de suivre radicalement le Christ, de le rejoindre dans le sein de son Père : « recherchez les réalités d’en haut : c’est là qu’est le Christ, assis à la droite de Dieu » (v.1). Le chrétien, tout en menant son existence sur terre comme les autres hommes, n’y arrête pas son désir : « Pensez aux réalités d’en haut, non à celles de la terre ».
Enfin, lorsque ce monde passera, lors du retour du Christ, tout sera révélé : la grandeur du Seigneur ressuscité (le Christ, votre vie) dans une lumière qui enveloppera tous ses enfants, destinés à partager sa gloire : « vous paraîtrez avec lui en pleine gloire ». C’est pourquoi nos aspirations ne peuvent plus être limitées à cette terre : notre regard et notre cœur tendent vers Jésus, « assis à la droite de Dieu. »
Écoutons la voix pleine de bonté du Papa buono, saint Jean XXIII, nous l’exprimer dans un radio-message de 1959 :
« Nous devons l’affirmer avec la même sécurité que les apôtres ; et vous autres, mes chers fils, vous devez en être convaincus, comme le trésor le plus beau, le seul qui puisse rendre belle et sereine l’existence quotidienne : le Christianisme n’est pas un ensemble de faits opprimants, comme l’imaginent les ‘sans-foi’ ; mais c’est la paix, la joie, l’amour, la vie qui se renouvelle toujours, comme la pulsation secrète de la nature au début du printemps. La source de cette joie se trouve dans le Christ Ressuscité, qui libère les hommes de l’esclavage du péché, et qui les invite à être avec Lui une nouvelle créature, dans l’attente de la béatitude éternelle… » [3]
La première lecture : Annonce de l’Évangile par Pierre (Ac 10)
La première lecture nous ramène à Luc puisqu’elle est tirée du livre des Actes des apôtres : l’Esprit Saint a providentiellement permis une rencontre étonnante entre le centurion Corneille et saint Pierre (chap. 10), un récit pittoresque qui mérite d’être relu en entier.
Corneille a reçu la visite d’un ange à Césarée (10,3), lui demandant de contacter Pierre à Jaffa ; celui-ci, dans le même temps, est tombé en extase sur la terrasse du lieu où il réside (10, 10) et a reçu l’ordre de s’ouvrir aux païens pour leur transmettre l’Évangile…
Pierre se rend donc chez Corneille et proclame pour la première fois la Bonne Nouvelle à des païens : son discours nous offre un évangile en miniature, en commençant par le baptême de Jean, puis la vie publique de Jésus, sa mort en Croix, sa résurrection le troisième jour et enfin les apparitions aux témoins que Dieu a choisis. C’est exactement le plan que suivront les quatre évangiles pour annoncer la Bonne Nouvelle (en grec, εὐαγγελίζω, euangelizô, qui apparaît plus de vingt fois sous la plume de Luc). L’essentiel de la foi chrétienne est résumée là, un modèle pour l’évangélisation et pour chacun de nous, qui ne savons pas toujours par où commencer pour annoncer le Seigneur.
Le cœur brûlant et enthousiaste de Pierre s’exprime dans cette harangue qu’il déroule d’une traite. Tous les événements passés, désormais, font sens grâce à la résurrection. Pas d’hésitation ni de reprise, tout s’articule parfaitement sous l’action de l’Esprit-Saint. Et Pierre désire de toutes ses forces faire partager le salut à ceux qui l’attendent. Quel changement par rapport au reniement de l’Apôtre telle que l’a décrit l’évangile pendant la Passion, et ses hésitations au matin de Pâques !
Pour autant, son discours n’est ni mièvre ni complaisant. Il ne s’agit pas d’une annonce béate de la bonté de Dieu mais du sens profond de l’Incarnation et de la Passion du Christ : la délivrance du péché. « Le pouvoir du diable », le « bois du supplice », le « pardon des péchés » : Pierre ne masque ni la servitude de laquelle l’homme est racheté, ni la condition nécessaire pour obtenir le salut, la foi : « quiconque croit en lui …». Comme Paul, dans la deuxième lecture, Pierre nous invite à mettre toute notre foi dans le Christ, et à nous convertir à la vie nouvelle.
La conclusion du discours de Pierre est précisément que le salut, accompli par le Christ, est accessible à tous grâce à la foi que l’Esprit suscite en ceux qui accueillent l’annonce pascale. Le signe distinctif des témoins privilégiés, si important pour l’Église de tous les temps, est qu’ ils ont mangé et bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts. Sont ainsi soulignés deux aspects fondamentaux du Christ ressuscité : la réalité de son corps glorieux (il n’est pas un fantôme, cf. Lc 24), et la communion renouvelée avec ses disciples, qui se cristallisera pour se perpétuer dans la célébration de l’Eucharistie. Le Catéchisme le synthétise ainsi :
« Jésus ressuscité établit avec ses disciples des rapports directs, à travers le toucher et le partage du repas. Il les invite par-là à reconnaître qu’il n’est pas un esprit, mais surtout à constater que le corps ressuscité avec lequel il se présente à eux est le même qui a été martyrisé et crucifié puisqu’il porte encore les traces de sa passion. Ce corps authentique et réel possède pourtant en même temps les propriétés nouvelles d’un corps glorieux : il n’est plus situé dans l’espace et le temps, mais peut se rendre présent à sa guise où et quand il veut car son humanité ne peut plus être retenue sur terre et n’appartient plus qu’au domaine divin du Père. » [4]
Le psaume : La pierre rejetée par les bâtisseurs… (Ps 118)
Notre joie pascale s’exprime à travers quelques strophes du Psaume 118 (117), un cantique d’action de grâces après l’épreuve. Il fait partie du «hallel » pascal [5], utilisé par la liturgie juive pour la Pâque. On peut imaginer les processions au Temple qui le chantent en chœurs alternés : tandis que la foule enthousiaste reprend : « Eternel est son amour ! »
Ce psaume exprime bien ce que le Christ a pu chanter le matin de sa résurrection et avec lui toute âme qui a traversé l’épreuve :
- rappel des difficultés et de l’abandon confiant : « dans mon angoisse, j’ai crié vers le Seigneur » (v.5) ;
- expérience de la persécution violente : « on m’a poussé pour m’abattre… », et du soutien offert par Dieu : « … mais le Seigneur me vient en aide » (v. 13) ;
- exultation du priant sauvé de la mort qui « rend grâce au Seigneur : il est bon ! » ;
- espérance invincible qui jaillit pour nous les croyants et que le Christ veut susciter en nos âmes : « je ne mourrai pas, je vivrai… » ;
- transformation de cette expérience en témoignage : « … pour annoncer les actions du Seigneur » (v.17).
Vient ainsi l’image de la « pierre rejetée par les bâtisseurs, devenue la pierre d’angle », une pierre placée à l’angle de deux murs qui sert à les unir solidement l’un à l’autre et à en garantir la solidité. Il s’agit d’une image que l’on retrouve à plusieurs reprises dans l’Ancien Testament. Job avait reçu cette question à propos de la fondation du monde : « qui posa sa pierre angulaire ? » (Jb 38, 6). Elle est aussi développée par Isaïe :
« Vous dites : ‘Nous avons conclu une alliance avec la mort ; avec le séjour des morts nous avons fait un pacte ; quand passera le flot torrentiel, il ne nous atteindra pas ; car nous faisons du mensonge notre abri, dans la tromperie nous sommes cachés.’ Voilà pourquoi, ainsi parle le Seigneur Dieu : ‘Moi, dans Sion, je pose une pierre, une pierre à toute épreuve, choisie pour être une pierre d’angle, une véritable pierre de fondement. Celui qui croit ne s’inquiétera pas. Je prendrai le droit comme cordeau, et la justice comme fil à plomb. Mais la grêle balaiera l’abri de mensonge et les eaux submergeront le refuge caché’ » (Is 28, 15-17).
La pierre d’angle est donc non seulement celle sur laquelle le monde est fondé et tient bon, mais aussi celle qui protège de la mort le pécheur qui se convertit et qui croit. C’est pourquoi Jésus applique cette image à sa propre mission et à sa propre personne , dans la parabole des vignerons homicides :
« N’avez-vous jamais lu dans les Écritures : La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle : c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux ! » (Mt 21, 42).
Les chrétiens ont, dès le début, récupéré cette métaphore pour expliquer le mystère de Jésus, mort et-ressuscité, comme par exemple saint Pierre lors de son premier miracle :
« C’est par le nom de Jésus Christ le Nazaréen, celui que vous, vous avez crucifié, et que Dieu a ressuscité des morts, c’est par son nom et par nul autre que cet homme se présente guéri devant vous. C’est lui la pierre que vous, les bâtisseurs, avez dédaignée, et qui est devenue la pierre d’angle. Car il n’y a pas sous le ciel d’autre nom donné aux hommes, par lequel nous devions être sauvés. » (Ac 4,10-12)
=> Lire la méditation
[1] Paul VI, Discours, 4 avril 1970.
[2] Benoît XVI, Regina Caeli du 9 avril 2007.
[3] Jean XXIII, Radio-message du 28 mars 1959 (traduction personnelle).
[5] On appelle psaumes du Hallel, les psaumes de louange 113 à 118 chantés lors des grandes fêtes auxquels on ajoute, pour la Pâque, le psaume 136 (135).