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Écouter Jésus qui nous parle de son Père ; contempler la Cité sainte qui descend du Ciel ; méditer sur ce qui est notre vraie demeure ( nous, nous sommes citoyens des cieux, Ph 3,20) ; apprendre des Apôtres ce qui est nécessaire pour y entrer… Toutes les lectures de ce dimanche nous invitent à désirer ardemment l’avènement de la Jérusalem céleste, pour y trouver notre place auprès de Dieu. L’auteur de l’Apocalypse a déployé tout son art pour décrire la beauté de « la Fiancée, l’épouse de l’Agneau » (v.9). Peut-être sommes-nous trop éloignés du monde culturel de l’antiquité pour en éprouver tout l’émerveillement originel ; écoutons donc saint Claude la Colombière, plus proche de nous :

« Saint Jean n’oublie rien dans ce même endroit pour nous faire une peinture magnifique de cette céleste Jérusalem ; il déploie tout ce que la nature a formé de plus précieux, tout ce que l’art, tout ce que l’imagination peut ajouter à la nature. Les fondements mêmes de cette vaste cité sont, dit-il, de pierres précieuses ; le cristal le plus pur y relève l’éclat de tous les édifices ; l’or y brille jusque sous les pieds des habitants, et y pare les places publiques ; un canal d’eau vive y coule par divers endroits ; ce canal est bordé d’arbres, ou toujours fleuris, ou toujours chargés de fruits nouveaux ; enfin un astre infiniment plus beau que le soleil y répand partout une lumière également douce et brillante, qui, sans blesser les yeux, montre tout l’éclat de tant de richesses. Cet astre y produit un jour éternel, un jour toujours serein, un jour toujours calme ; cet astre n’est lui-même jamais couvert de nuages, et il ne s’éloigne jamais pour faire place à la nuit ; nox enim non erit illic ; car dans ce lieu de délices il n’y aura point de nuit, point de ténèbres. Voilà sans doute un admirable séjour, et je ne sais comment il nous reste encore quelque amour pour la terre, pour cette demeure sombre et ténébreuse, après avoir jeté les yeux sur une région si riche et si lumineuse. » [1]

Comment entrer dans ce séjour bienheureux ? Devons-nous attendre la fin de notre vie terrestre pour y accéder ? En fait, il ne s’agit pas d’une contrée lointaine, d’une ville à découvrir après un long voyage, mais d’une réalité déjà présente en nous : « Le Royaume de Dieu est parmi vous » (Lc 17,21). Entrer dans la Jérusalem céleste, c’est en fait laisser Dieu entrer dans notre cœur, parce que son Amour est à la fois à l’extérieur de nous – Il nous a créés et nous conduit vers Lui – et au plus intime de nous-mêmes, source jaillissante et cachée… C’est cette double relation qu’a vécue Marie au plus haut point : elle a reçu Dieu descendu du ciel, en elle, lors de l’Incarnation ; elle a été reçue en Dieu lors de l’Assomption. Un itinéraire que décrit Benoît XVI :

« Marie [lors de l’Annonciation] avait donné au Seigneur l’espace de son âme et elle était ainsi devenue réellement le véritable Temple où Dieu s’est incarné, où il est devenu présent sur cette terre. Et ainsi, en étant la demeure de Dieu sur la terre, en elle est déjà préparée sa demeure éternelle, est déjà préparée cette demeure pour toujours. Et cela est tout le contenu du Dogme de l’Assomption de Marie à la gloire du ciel, corps et âme, exprimé ici dans ces paroles. Marie est ‘bienheureuse’ parce qu’elle est devenue – totalement corps et âme, et pour toujours – la demeure du Seigneur. Si cela est vrai, Marie nous invite non seulement à l’admiration, à la vénération, mais elle nous guide, elle nous montre le chemin de la vie, elle nous montre comment nous pouvons devenir bienheureux, trouver le chemin du bonheur. » [2]

En Marie, la déclaration de Jésus dans l’Évangile prend ainsi tout son sens : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera et vous viendrons vers lui et nous nous ferons une demeure chez lui » (Jn 14,23). Jésus mentionne ensuite le don de l’Esprit. Or l’Esprit a marqué la vie de la Vierge depuis l’Annonciation jusqu’à la Pentecôte… Elle l’a reçu totalement. Cette relation privilégiée entre Marie et Dieu nous ouvre de grandes perspectives : l’amour du Père pour l’Immaculée s’applique à tous ses enfants, l’œuvre de l’Esprit donnant vie au Fils s’opère aussi en nous… Retrouvons la joie de cette vérité si simple sur les lèvres d’une carmélite, la bienheureuse Elisabeth de la Trinité :

« ‘Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera et nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure.’ Voici le Maître qui nous exprime encore son désir d’habiter en nous. ‘Si quelqu’un m’aime’ ! L’amour, voilà ce qui attire, ce qui entraîne Dieu jusqu’à sa créature : non pas un amour de sensibilité, mais cet amour ‘fort comme la mort et que les grandes eaux ne peuvent éteindre’ (Ct 8,6-7). » [3]

Dès lors, comment laisser la Trinité habiter en nous ?

Lorsque l’âme se sent ainsi aimée, elle ne peut s’empêcher d’éprouver son indignité ; elle est habitée par la componction, ce regret d’avoir offensé Dieu, de ne pas lui rendre l’amour qu’il mérite. Non pas le reproche morbide d’une conscience coupable, mais le désir de préparer une demeure digne de celui qui l’aime et veut venir en elle. La première étape du voyage vers la Cité sainte est donc celle de la purification, à laquelle nous invite un grand spirituel et pasteur, saint Grégoire le Grand :

« ‘Et mon Père l’aimera, et nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure.’ Mesurez, frères très chers, quelle fête c’est de loger Dieu en son cœur ! Si un ami riche et puissant entrait dans votre maison, vous la nettoieriez tout entière en grande hâte, pour que rien ne puisse heurter le regard de l’ami qui entre. Ainsi, que celui qui prépare à Dieu une demeure en son âme efface les souillures de ses œuvres mauvaises. Mais voyez ce que déclare la Vérité : ‘Nous viendrons, et nous ferons en lui notre demeure.’ Il arrive en effet que Dieu vienne dans les cœurs de certains sans y faire sa demeure, lorsque ces personnes, touchées de componction, sont visitées par la pensée de Dieu, mais oublient au temps de la tentation qu’elles avaient d’abord été touchées de componction, et retournent à leurs fautes anciennes comme si elles ne les avaient pas pleurées. Mais celui qui aime vraiment Dieu et qui garde ses commandements, le Seigneur vient dans son cœur et y fait aussi sa demeure, car l’amour de Dieu le pénètre tellement qu’il ne s’en éloigne pas au temps de la tentation. Celui-là aime donc vraiment, qui ne se laisse pas dominer par la délectation du péché au point d’y consentir. En effet, plus on se complaît dans ce qui est bas, et plus on s’éloigne de l’amour d’en haut. D’où la suite du texte : ‘Celui qui ne m’aime pas ne garde pas mes paroles’. » [4]

C’est pourquoi Jésus nous indique la manière de préparer une habitation digne : l’accomplissement de sa parole, c’est-à-dire de ses commandements. Pourquoi ce lien entre commandements et intimité avec Dieu ? Parce que les préceptes évangéliques sont le moyen certain d’appliquer la loi d’amour. De nous-mêmes, nous ne savons pas aimer… Si la Trinité trouve en nous une demeure habitée par l’amour, elle s’y installera ; dans le cas contraire elle s’enfuira car elle sera en terre étrangère.

« Celui qui m’aime », dit Jésus ; et il ajoute immédiatement « Celui qui ne m’aime pas »… Pour être dans la première catégorie, le critère est clair : « celui qui garde ma parole ». Saint Grégoire le Grand nous offre une piste concrète :

« Rentrez donc en vous-mêmes, frères très chers, et recherchez si vous aimez vraiment Dieu; que personne, cependant, n’accepte la réponse de son âme s’il ne peut y joindre le témoignage de ses œuvres. Pour vérifier qu’on aime son Créateur, c’est sa langue, sa pensée et sa vie qu’il faut interroger. L’amour de Dieu n’est jamais oisif. S’il existe, il opère de grandes choses; mais s’il ne veut rien faire, ce n’est pas de l’amour. » [5]

Révisons donc ces trois domaines dans notre vie : notre langue (quel usage est-ce que fais de la parole ?), notre pensée (est-elle fixée sur Jésus et son Royaume ?), et notre vie (suis-je vraiment cohérent en tout ?).

Les commandements, nous les connaissons. Il ne s’agit pas des prescriptions rituelles de la Loi de Moïse, mais du Décalogue repris par Jésus et porté à son achèvement : « vous avez appris qu’il a été dit… eh bien moi je vous dis » (Mt 5). Si nous souhaitons évaluer l’état de préparation de notre maison, nous pouvons reprendre ce passage de Matthieu 5, versets 17 à 48.

Pour accueillir en nous la vie trinitaire, Jésus nous demande donc de pas commettre de meurtre et ne pas poser de parole – insulte ou colère – ou d’acte qui détruise l’autre, et de ne pas entretenir de rancune ; de ne pas commettre d’adultère et de ne pas vivre dans la concupiscence de la chair ; d’être fidèles à notre parole et à nos promesses ; de ne pas prendre Dieu à témoin de choses futiles ; d’être franc et sincère ; de ne pas chercher à nous faire justice ou à nous venger ; de donner généreusement à qui nous sollicite ; d’aimer nos ennemis comme nos amis…

C’est à l’accomplissement de ces préceptes, et non à de belles paroles ou sentiments, que Dieu mesure que nous l’aimons. Dans tout ce qui vient d’être énuméré, nous pouvons choisir cette semaine un point ou deux qui nous concernent plus particulièrement et prendre la résolution de changer notre manière d’être et de faire.

Réfléchissons ensuite à l’endroit où se trouve notre vraie demeure : dans les satisfactions, réalisations et plaisirs de ce monde, ou bien dans la Jérusalem céleste ? Ecoutons l’apôtre Paul nous dire :

« Si donc vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les réalités d’en haut : c’est là qu’est le Christ, assis à la droite de Dieu. Pensez aux réalités d’en haut, non à celles de la terre. En effet, vous êtes passés par la mort, et votre vie reste cachée avec le Christ en Dieu. Quand paraîtra le Christ, votre vie, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui dans la gloire » (Col 3, 1-4).

Prenons enfin conscience que Dieu demeure en nous par le baptême, que nous sommes les temples de l’Esprit-Saint, et que sa présence est particulièrement forte après chaque communion, lorsque nous devenons des tabernacles vivants. Dieu peut vivre en nous étriqué et étouffé ou, à l’inverse, faire en nous sa demeure. En méditant cela, nous trouverons la volonté nécessaire pour nous purifier de ce qui empêche encore la Trinité de faire sa demeure dans notre cœur.

La purification cède ensuite le pas à l’union intime : l’Esprit Saint s’écoule dans ce réceptacle désormais purifié qu’est l’âme. Sa présence produit la paix et la joie profonde, selon la promesse de Jésus : « Je vous laisse la paix ; c’est ma paix que je vous donne ; je ne vous la donne pas comme le monde la donne. Que votre cœur ne se trouble ni ne s’effraie » (Jn 14,27). Le Dieu trinitaire s’est abaissé jusqu’à habiter en sa créature, et celle-ci est élevée jusqu’à sa divinité : c’est le « merveilleux échange », l’admirabile commercium tant admiré par les Pères de l’Église. Saint Léon le Grand y reconnaissait l’œuvre de la Miséricorde :

« Si nous en appelons à l’inexprimable condescendance de la divine miséricorde qui a poussé le Créateur des hommes à se faire homme, celle-ci nous élèvera à la nature de Celui que nous adorons dans la nôtre. » [6]

C’est la raison de l’émerveillement de tant d’âmes contemplatives, qui nourrissent leur vie entière de cette réalité, et amènent les fidèles de l’Église à la découvrir. Écoutons de nouveau la bienheureuse carmélite de Dijon :

« À celui qui garde sa parole, n’a-t-Il pas fait cette promesse : ‘Mon Père l’aimera, et nous viendrons à lui et nous ferons en lui notre demeure ?’ C’est toute la Trinité qui habite dans l’âme qui l’aime en vérité, c’est-à-dire en gardant sa parole !… Et lorsque cette âme a compris sa richesse, toutes les joies naturelles ou surnaturelles qui peuvent lui venir de la part des créatures ou de la part même de Dieu, ne font que l’inviter à rentrer en elle-même pour jouir du Bien substantiel qu’elle possède, et qui n’est autre que Dieu l ui-même. Et elle a ainsi, dit saint Jean de la Croix, une certaine ressemblance avec l’ Être divin. » [7]

 


[1] Saint Claude la Colombière, Œuvres complètes (édition Seguin, 1832), tome I, p. 25.

[2] Benoît XVI, Homélie du 15 août 2006, disponible ici.

[3] Élisabeth de la Trinité, J’ai trouvé Dieu, Tome 1/A des Œuvres Complètes, Cerf 1985, p. 101.

[4] Saint Grégoire le Grand, Homélies sur les É vangiles, Homélie 30 (3 juin 591), nº2 (éditions du Barroux).

[5] Saint Grégoire le Grand, Homélies sur les É vangiles, Homélie 30 (3 juin 591), nº2 (éditions du Barroux).

[6] Saint Léon le Grand, Sermon 8 de Noël, CCL 138, 139.

[7] Élisabeth de la Trinité, J’ai trouvé Dieu, Tome 1/A des Œuvres Complètes, Cerf 1985, p. 177.


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