lecture

« Rendez grâce au Seigneur, car Il est bon : éternelle est sa Miséricorde » C’est le leitmotiv du psaume 118, lu le jour de Pâques et que nous retrouvons aujourd’hui. Ce dimanche après Pâques est spirituellement si riche qu’il a reçu, au fil du temps, différents noms:

  • « Dimanche in Albis » (en blanc), parce que ceux qui avaient été baptisés pendant la veillée pascale quittaient alors leur habit blanc, symbole du baptême ;
  • « fête de la quasimodo », d’après les premiers mots de l’introït du jour ( quasi modo geniti infantes, alleluia… : comme des enfants nouveau-nés, alleluia… , cf. 1P 2,2) ;
  • enfin « Dimanche de saint-Thomas », puisque l’évangile du jour est profondément marqué par l’apôtre saint Thomas, son incrédulité première et son acte de foi.

Depuis l’an 2000, à l’initiative de saint Jean-Paul II, il est dédié à la Divine Miséricorde, répondant à une demande du Christ à Sainte Faustine. En effet, le Christ ressuscité, qui apparaît aux apôtres le soir de Pâques, révèle la plénitude de cette Miséricorde et en confie le ministère aux apôtres :

« La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie.’ Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et leur dit : ‘Recevez l’Esprit Saint. À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront retenus » (Jn 20, 21-23).

En nous présentant les blessures du Crucifié, l’Évangile nous désigne la source de la Miséricorde, tandis que les premières lectures nous en montrent les fruits concrets dans la vie des croyants. Saint Jean-Paul II l’explique ainsi :

« Avant de prononcer ces paroles, Jésus montre ses mains et son côté. C’est-à-dire qu’il montre les blessures de la Passion, en particulier la blessure du cœur, source d’où jaillit la grande vague de miséricorde qui se déverse sur l’humanité. […] Dans les diverses lectures, la liturgie semble désigner le chemin de la miséricorde qui, tandis qu’elle reconstruit le rapport de chacun avec Dieu, suscite également parmi les hommes de nouveaux rapports de solidarité fraternelle. » [1]

L’évangile : l’incrédulité de saint Thomas (Jn 20)

Pour approfondir l’évangile de ce dimanche, il est utile de le replacer dans le contexte du chapitre 20 de Jean. Ce chapitre se déroule sur une seule journée. La première scène nous montre, au matin de Pâques, Marie Madeleine qui se rend au tombeau et le trouve vide. Elle conclut simplement que le corps a été volé. Elle court trouver les apôtres ; une deuxième scène présente Pierre et Jean se rendant au tombeau, à leur tour, et trouvant les linges mortuaires rangés ; cela suffit à Jean pour croire. Tandis que les deux hommes repartent, Marie-Madeleine reste sur place et continue de chercher Jésus en pleurant. Elle voit d’abord deux Anges, mais ne comprend toujours pas. Au contraire, elle s’enfonce dans la douleur : il est mort et son corps a été dérobé. Jésus lui-même lui apparaît alors et la console. Elle part annoncer la résurrection aux disciples.

Leur réaction ne nous est pas rapportée mais on retrouve le petit groupe dans le passage que nous lisons aujourd’hui : « Le soir, ce même jour, le premier jour de la semaine ». Jésus ressuscité leur apparaît et ils se réjouissent, mais Thomas qui est absent refuse à son retour de croire ce que ses compagnons lui racontent.

La deuxième partie du texte se situe huit jours plus tard et, cette fois, Thomas est présent. Au cours de cette journée johannique, un chemin individuel et collectif est accompli. Chacun progresse à son rythme, selon sa propre personnalité et ses possibilités. Jésus rejoint la petite communauté alors qu’elle se trouve en grande difficulté : le récit fait écho à un autre passage de Jean, au chapitre 6, lorsque Jésus apparaît au milieu de la tempête. Les deux textes se terminent sur une théophanie :

« Il faisait déjà nuit ; Jésus n’était pas encore venu les rejoindre ; et la mer, comme soufflait un grand vent, se soulevait. Ils avaient ramé environ vingt-cinq ou trente stades, quand ils voient Jésus marcher sur la mer et s’approcher du bateau. Ils eurent peur. Mais il leur dit : ‘C’est moi. N’ayez pas peur.’ » (Jn 6,17-20).

Jésus en marchant sur la mer attestait son pouvoir sur les forces de mort , et préfigurait sa propre résurrection. En venant vers eux sur les flots, il les invitait à croire en Lui, à avoir confiance pour leur propre salut. En leur disant « c’est moi » (εἰμι, eïmi, ‘je suis’ en grec), il affirmait par la même occasion sa nature divine, comme le fait Thomas dans le texte d’aujourd’hui : « Mon Seigneur et mon Dieu ! »

Il existe une forte similitude entre ce passage et le texte d’aujourd’hui. Au matin de Pâques, Jésus apparaît aux disciples alors que leurs cœurs sont encore enténébrés, traumatisés par la Passion ; il vient apporter la paix et la joie à la barque de Pierre, l’Église , qui va commencer sa navigation mouvementée sur les eaux du monde. Comme pour apaiser la tempête de leurs âmes, Il répète par deux fois aux disciples : « La paix soit avec vous ! ». Cette nouvelle présence du Crucifié les remplit de joie.

Saint Jean ne nous dit pas comment Jésus est entré, car nul ne le sait. Le texte dit simplement « Jésus vint et il était là au milieu d’eux ». Cette expression apparemment anodine est importante sous la plume de Jean.Jésus est celui qui vient [2]. Au chapitre 4 par exemple, la Samaritaine dit : « Je sais que le Messie doit venir, celui qu’on appelle Christ. Quand il viendra, ils nous dévoilera tout »(Jn 4,25). Au chapitre 11, lors de la résurrection de Lazare, sa sœur Marie dit à Jésus : « Je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, celui qui vient dans le monde » (Jn 11, 27). Dès le Prologue de Jean, en effet, Jésus est celui qui sort du sein du Père et qui vient à nous : « il est venu chez les siens » (Jn 1, 11). Face à nos limites, à nos divisions, à notre finitude et aux drames de nos vies, Jésus est celui qui vient pour apporter paix, joie, et plénitude de vie. Il est celui que notre cœur attend. « C’est la voix de mon bien aimé, le voici, il vient » (Ct 2, 8)

« Jésus vint et il était là au milieu d’eux » ajoute Jean, à deux reprises. Jésus vient mais il est aussi déjà là. A la Samaritaine qui évoque le Messie qui vient, il répond : «je le suis moi qui te parle » (Jn 4, 26) ; et aussi : «l’heure vient et c’est maintenant » (Jn 4, 23). Jésus se tient au milieu de nos communautés pour réunir ce que le péché voudrait séparer. Il est celui qui se tient déjà au milieu, entre ciel et terre, entre le Père et nous pour nous réconcilier avec lui. Il se tient aussi au milieu de nos cœurs, pour unir ce qui, en nous, est dispersé, contradictoire, ce qui nous maintient encore dans l’esclavage de la nuit et du doute.

De manière un peu abrupte et inattendue, les choses s’accélèrent alors. La barque est envoyée en haute mer par son capitaine : « De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie » (v.21). Jésus souffle alors sur les disciples. Comme Dieu avait insufflé son souffle en Adam pour lui donner la vie (Gn 2), Jésus insuffle en ses disciples le Souffle de la nouvelle vie ; ce souffle qui va animer la nouvelle communauté, et lui permettre d’accomplir sa mission, n’est autre que l’Esprit Saint. Ainsi la mission des disciples surgit de l’amour trinitaire que le Ressuscité ouvre au monde entier grâce à ses plaies et à sa résurrection : une source intarissable de méditation…

Le passage qui suit nous rapporte l’incrédulité de saint Thomas ; pour en saisir l’importance, faisons un détour par le commentaire de l’évangéliste à la fin du chapitre 20 : « Ces signes ont été mis par écrit, pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant vous ayez la vie en son nom. » (Jn 20,31).

Saint Jean révèle ici l’intention qui sous-tend toute son œuvre : en décrivant des signes concrets réalisés par Jésus, il veut transmettre la foi, afin que nous ayons la vie par lui. A la différence des synoptiques, Jean a choisi peu de signes, seulement six : le vin à Cana (Jn 2), la guérison du fils d’un officier romain (Jn 4), le paralytique de Bethesda (Jn5), la multiplication des pains et la marche sur les eaux (Jn 6), l’aveugle-né (Jn 9), la résurrection de Lazare (Jn 11). Mais il a exploité à fond leur signification théologique. S’y ajoute un septième signe, comme couronnement de tout cet itinéraire dans la foi : la résurrection.

Mais la distance est immense entre les apôtres, qui ont vu le Ressuscité, et les lecteurs de Jean, ces générations de croyants qui se sont succédées au cours des siècles et dont nous faisons partie. Nous n’avons pas connu Jésus à la manière humaine… L’épisode de Thomas vient justement combler ce fossé en nous montrant le Seigneur qui vient au secours de l’incrédulité de son disciple, et loue ainsi par anticipation la foi de tous les futurs croyants : « Heureux ceux qui croient sans avoir vu » (v.29), parce qu’ils accueillent en eux le témoignage sur Jésus et son mystère, et sont portés à la foi par l’action de l’Esprit.

De tout le groupe de disciples, Thomas est le dernier à recevoir un signe. Il a besoin de faire sa propre expérience, comme les autres, comme nous. Mais le plus étonnant est sa requête : il ne demande pas simplement à être là pour la prochaine apparition, il ne demande pas à voir le visage de Jésus ou à reconnaître sa voix, comme les autres disciples. Il va plus loin : il veut mettre ses mains dans les plaies du Christ.

La particularité de Thomas est sans doute d’avoir été bouleversé par la Passion, nous ne savons pas exactement de quelle manière ; sans doute a-t-il été traumatisé par le supplice horrible de la crucifixion et l’abaissement total du Christ, son maître. Comme beaucoup d’entre nous, il bute sur la Croix, il ne comprend pas pourquoi il faut que l’amour soit rejeté et persécuté pour que la rédemption s’accomplisse . Il n’accepte pas que le Christ soit descendu aussi bas et s’arrête au tombeau scellé. Mais à la différence de Marie Madeleine qui pleure devant le tombeau et continue de chercher son Seigneur, la Croix n’a pas approfondi son amour pour Jésus, elle l’a paralysé, elle a fermé son cœur dans l’amertume. C’est probablement pourquoi il n’était plus avec le groupe le jour de Pâques.

Or Jésus va venir à son secours : Il connaît son attachement et son désarroi, et Il va accéder à ses demandes : « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets-la dans mon côté : cesse d’être incrédule, sois croyant ! » (v.27)

En disant cela, Jésus ne s’offre pas simplement à la vérification empirique de Thomas, il l’attire bien plus loin. Il lui permet de toucher du doigt la profondeur et la réalité de sa miséricorde . Thomas découvre combien celui qu’il appelle son Seigneur a souffert par amour pour lui. Finalement, ce qui permet aux disciples de reconnaître pleinement le Christ, dans son nouveau mode d’être, ce n’est pas l’apparence ou la voix, ce sont les traces de la Passion, c’est-à-dire les signes de l’amour qui va jusqu’au bout.

Thomas, qui perçoit combien ce mystère le dépasse, peut alors faire la profession de foi la plus haute et la plus accomplie de l’évangile : « Mon Seigneur et mon Dieu ! ». Cette invitation nous est lancée à nous aussi, croyants qui avons besoin de raviver notre foi : nous sommes appelés à prendre pleinement conscience des plaies et de l’amour du Christ pour nous . Nous y reviendrons dans la méditation. L’église orthodoxe, qui consacre elle aussi ce dimanche à l’épisode de Thomas, chante dans sa liturgie :

« Voulant s’assurer de ta résurrection, Thomas toucha de sa main ton côté vivifiant, ô Christ Dieu ; aussi, lorsque tu entras, les portes étant fermées, il Te clama avec les autres apôtres : Tu es mon Seigneur et mon Dieu. Qui donc empêcha que la main du disciple soit consumée, alors qu’elle s’approcha du côté enflammé du Seigneur ? Qui donc lui donna l’audace de pouvoir toucher l’os de flamme ? Assurément, le côté qui fut touché. Car si la force n’était venue du côté lui-même, comment cette main de glaise aurait-elle pu toucher ce qui par ses souffrances a fait vaciller le ciel et la terre ? Cette grâce a été donnée à Thomas afin qu’il puisse toucher et clamer au Christ : Tu es mon Seigneur et mon Dieu. » [3]

La première lecture : Communauté chrétienne à Jérusalem (Ac 5)

Cette nouvelle vie des croyants se manifeste de façon sensible et éclatante dans la première communauté chrétienne, réunie à Jérusalem autour des apôtres : « Par les mains des apôtres, beaucoup de signes et de prodiges se réalisaient dans le peuple » (Ac 5,12). Ils accomplissent donc les mêmes miracles que Jésus, pendant sa vie publique, avait opérés et présentés comme preuves de son identité divine. Les guérisons et exorcismes qui vont peupler les récits des Actes expriment la présence du Ressuscité, désormais agissant par les mains de son Église.

Un détail mérite d’être noté : cette communauté, quelques jours après la Pentecôte, se réunit au Temple, « sous la colonnade de Salomon » (v.12) : Il leur est naturel de venir prier et prêcher sur le Lieu saint. Cela montre la continuité avec l’expérience spirituelle du Peuple juif ; de fait saint Pierre et tous les apôtres étaient juifs, et probablement aussi la foule qui provient des « villages voisins de Jérusalem » (v.16). Vue de l’extérieur, la communauté apparaît donc comme un nouveau mouvement à l’intérieur du judaïsme, déjà très diversifié ; on pourrait la qualifier de « secte » dans le sens où elle va se séparer peu à peu ( secare, couper) de sa matrice originelle. Bientôt vont venir les tensions avec les autorités officielles, la persécution et l’exclusion : c’est ce que nous lirons la semaine prochaine, dans le même chapitre des Actes. Et plus avant, les aventures de Paul dans les communautés de la Diaspora, où il est de plus en plus rejeté par les Juifs et accueilli par les païens, se termineront par une rupture (voir le dernier discours qui clôt les Actes, chap. 28). L’auteur de l’Apocalypse fait allusion à la même réalité lorsqu’il se présente comme « votre frère et compagnon dans la persécution, la royauté et l’endurance de Jésus » (Ap 1,9) : cette royauté du Ressuscité est palpable dans les signes et prodiges des apôtres, mais elle provoque leur persécution, à l’image de leur Maître.

La seconde lecture : l’Apocalypse de Jean (Ap 1)

Cette année (cycle C), les secondes lectures du temps pascal sont tirées de l’Apocalypse, après les Lettres de saint Pierre (année A) et de saint Jean (B). La liturgie nous propose ainsi les visions principales de Jean, et nous commençons par la grande apparition de Jésus ressuscité qui ouvre le livre. Il nous offre lui-même la clé de son mystère : « Je suis le Premier et le Dernier, le Vivant ; je fus mort, et me voici vivant pour les siècles des siècles, détenant la clef de la Mort et de l’Hadès. » (Ap 1,18) Le voyant de Patmos représente donc Jésus dans la même perspective que ses apparitions postpascales (Jn 20).

La liturgie a toutefois supprimé presque tous les versets qui décrivent plus précisément le Christ : si nous relisons ce passage en entier, nous découvrons que le Ressuscité est surtout considéré dans sa relation avec l’Église. L’écrivain utilise le chiffre sept, qui exprime la totalité : ce sont les « sept Églises de l’Asie mineure » (v.11), qui correspondent aux sept chandeliers d’or (v.12). Ce langage est typique du style apocalyptique : une réalité historique et palpable, ici les communautés chrétiennes, est représentée par un symbole et transposée dans un « autre monde », une sphère divine où se révèle la face cachée de l’histoire. Ainsi le verset 20 nous livre la clé de la vision : « Quant au mystère des sept étoiles que tu as vues dans ma main droite et des sept candélabres d’or, le voici : les sept étoiles sont les Anges des sept Églises ; et les sept candélabres sont les sept Églises. » Si le Seigneur a dans sa main droite les sept étoiles (v.16), cela veut dire qu’il dirige avec puissance la vie de toutes les communautés au milieu des tribulations de ce monde. Il pourra donc leur adresser sept lettres (chap. 2-3), qui nous concernent tous, selon notre état spirituel.

Les trois lectures manifestent donc la présence du Ressuscité sous trois formes : au milieu de son Église et en particulier dans les sacrements, pour administrer la miséricorde (Jn) ; à travers les miracles et signes qui ponctuent la vie de l’Église et l’histoire (Ac) ; dans la relation personnelle de Jésus avec chaque homme, appelé à témoigner ensuite de sa vision de Dieu (Ap). Le pape Benoît XVI confiait ainsi à des jeunes :

« Nous aussi nous voudrions pouvoir voir Jésus, pouvoir parler avec Lui, sentir encore plus fortement sa présence. Aujourd’hui, pour beaucoup de personnes l’accès à Jésus est devenu difficile. Ainsi, de nombreuses images de Jésus sont en circulation, qui se prétendent scientifiques et lui retirent sa grandeur, la singularité de sa personne. C’est pourquoi, durant de longues années d’étude et de méditation, a mûri en moi l’idée de transmettre dans un livre un peu de ce qu’est ma rencontre personnelle avec Jésus : pour aider quasiment à voir, entendre, toucher le Seigneur, en qui Dieu est venu nous rencontrer pour se faire connaître. » [4]

=> Lire la méditation


[2] Cf. Ap1, 4 : « à vous, la grâce et la paix, de la part de Celui qui est, qui était et qui vient » ; Ct 2.48 : « La voix de mon bien-aimé ! C’est lui, il vient… Il bondit sur les montagnes, il court sur les collines… »

[3] Liturgie orthodoxe du dimanche de Thomas, Kondakion – ton 8 et Ikos.

[4] Benoît XVI, Message aux jeunes – 2011, disponible ici.


Jésus Miséricorde

Premier tableau de Jésus Miséricordieux peint en 1934 en présence de sainte Faustine et avec ses indications


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