Cette parabole du Père miséricordieux est extraordinaire, et nous guide sur le chemin de l’existence comme une carte géographique à consulter avec attention. Le pape François nous demande d’être « missionnaires de la miséricorde » : une façon de secouer en nous ce frère aîné trop habitué à la maison du Père, avec une programmation pastorale impeccable, mais qui pourrait abandonner le frère cadet à son sort… Nous allons donc tenter d’interroger cette parabole dans le but de la dépoussiérer un peu.
Annonce de la miséricorde
L’évangile, tout d’abord, nous présente le mouvement intérieur du pécheur avec une simplicité déconcertante : « Rentrant alors en lui-même, il se dit… » (v.17) le grec dit exactement « allant vers lui-même » (Εἰς ἑαυτὸν δὲ ἐλθὼν, eis eauton dé eltôn). Un sursaut provoqué par un estomac affamé, certes, mais qui se base aussi sur la mémoire de la maison paternelle et sur le sentiment d’une dignité perdue. Dans une très belle encyclique, consacrée à la miséricorde et publiée en 1980, Jean-Paul II écrivait :
« La relation de miséricorde se fonde sur l’expérience commune de ce bien qu’est l’homme, sur l’expérience commune de la dignité qui lui est propre. Cette expérience commune fait que l’enfant prodigue commence à se voir lui-même et à voir ses actions en toute vérité (une telle vision dans la vérité est une authentique humilité) ; et précisément à cause de cela, il devient au contraire pour son père un bien nouveau : le père voit avec tant de clarté le bien qui s’est accompli grâce au rayonnement mystérieux de la vérité et de l’amour, qu’il semble oublier tout le mal que son fils avait commis. » [1]
Or c’est précisément cette mémoire et cette dignité ruinée par le péché que toute la culture contemporaine voudrait effacer. Tout semble conçu, dans notre société « post-moderne », pour distraire l’homme de sa vraie soif spirituelle et pour lui faire oublier ce qu’il est vraiment, un enfant de Dieu. Tout est fait pour diluer totalement la culpabilité et anéantir le sens du péché. N’importe quel pasteur peut en témoigner : nous sommes confrontés à de véritables amnésiques ambulants, non seulement ignorants de la foi et du catéchisme – la faute est à nous –, mais surtout privés du minimum de profondeur nécessaire pour faire retour sur eux-mêmes. Le pape Benoît l’exprimait ainsi :
« Un des aspects de l’esprit techniciste moderne se vérifie dans la tendance à ne considérer les problèmes et les mouvements liés à la vie intérieure que d’un point de vue psychologique, et cela jusqu’au réductionnisme neurologique. L’homme est ainsi privé de son intériorité, et l’on assiste à une perte progressive de la conscience de la consistance ontologique de l’âme humaine, avec les profondeurs que les Saints ont su sonder. Le problème du développement est strictement lié aussi à notre conception de l’âme humaine, dès lors que notre moi est souvent réduit à la psyché et que la santé de l’âme se confond avec le bien-être émotionnel. » [2]
La conséquence est que les prêtres ont beau prêcher la grâce, qui vient la chercher ? Elle ne peut rejoindre celui qui n’a aucune idée de l’amour de Dieu et de sa dignité d’homme. Tant de conditionnements tiennent l’homme dans son péché, ou ignorant de Dieu dans l’esclavage… Un enfant prodigue célèbre, Paul Verlaine, exprimait ainsi ses difficultés presque insurmontables devant la conversion :
« Seigneur, j’ai peur. Mon âme en moi tressaille toute.
Je vois, je sens qu’il faut vous aimer : mais comment
Moi, ceci, me ferai-je, ô Vous, Dieu, votre amant,
Ô Justice que la vertu des bons redoute ?Oui, comment? car voici que s’ébranle la voûte
Où mon cœur creusait son ensevelissement
Et que je sens fluer à moi le firmament,
Et je vous dis : de vous à moi quelle est la route ?Tendez-moi votre main, que je puisse lever
Cette chair accroupie et cet esprit malade !
Mais recevoir jamais la céleste accolade,
Est-ce possible? Un jour, pouvoir la retrouver
Dans votre sein, sur votre cœur qui fut le nôtre,
La place où reposa la tête de l’ apôtre ? » [3]
Il y a donc une urgence à annoncer la miséricorde de Dieu et sa paternité aimante, en dehors des églises. Ce travail incombe aux clercs, mais surtout aux laïcs qui sont aux avant-gardes des déserts spirituels de notre temps, ces périphéries existentielles si chères au pape François. Cela n’est pas nouveau : si nous lisons les actes des apôtres, nous voyons Pierre et Paul prêcher dans les synagogues mais nous les voyons aussi annoncer le Christ au tout venant dans un souci constant d’être « prêts à répondre de l’espérance qui est nous » (1 P 3, 16). Souvenons-nous en particulier d’une scène. Pierre et Jean montant au temple ne comptaient ni prêcher ni accomplir de miracle mais, abordés par le mendiant de la Belle Porte, ils lui ont annoncé le salut et l’ont guéri. Philippe sur la route de Gaza rejoint, sous l’impulsion de l’Esprit, le char de l’intendant de la reine de Candace, lui annonce l’Évangile et le baptise. À Philippes, Paul et Silas, libérés miraculeusement de prison, annoncent l’évangile à leur geôlier…
La nouvelle évangélisation, comme celle des premiers temps, se fait au quotidien, au travail, à l’école, à l’hôpital, dans les quartiers difficiles, dans les groupe d’amis, en famille, dans les rencontres en apparence fortuites que nous réservent les voyages ou les transports. Ceux qui prennent l’habitude de se mettre quotidiennement à la disposition de l’Esprit-Saint font très vite l’expérience de rencontres étonnantes où ils sont amenés à ouvrir à un frère une porte vers l’espérance et le salut. Soyons bien certains que Dieu est sans cesse actif, et nous précède dans le cœur de nos frères incroyants : « Mon Père est toujours à l’œuvre et moi aussi je suis à l’œuvre » (Jean 5, 17).
Beaucoup de gens sont en attente d’une parole. Sommes-nous de ces nouveaux évangélisateurs ? Avons-nous le désir ardent de faire connaître Jésus et l’humilité de l’annoncer comme des frères à d’autres frères et non comme des donneurs de leçon arrogants et sans amour ? Seule la vraie charité peut évangéliser. Il ne s’agit pas de proclamer l’évangile sans discernement, mais combien de fois de simples questions sur le sens de l’existence, ou des confidences sur une souffrance, une maladie, une difficulté, nous permettent-elles de témoigner du Christ ?
Où trouver l’accolade du Père ?
Si la première évangélisation ne peut aujourd’hui se faire sans les laïcs, la deuxième étape, celle proprement dite de la rencontre de la miséricorde ne peut se faire sans les prêtres. Car une fois retrouvée cette nostalgie de Dieu, comment concrètement retourner vers lui ? Où trouver ce Père miséricordieux qui l’attend pour l’accolade ? Verlaine demandait : « De vous à moi quelle est la route ? »
Toute la parabole tourne autour du cœur paternel : déchiré par l’absence du fils cadet, encore plus offensé par l’éloignement intérieur du fils aîné, il est en quête de la réconciliation finale… Faudra-t-il attendre la fin des temps pour toucher enfin ce cœur ? Le cardinal Ratzinger nous montre que cette figure du père est vraiment cruciale pour notre époque :
« Un célèbre théologien protestant a dit, il y a quelque temps : aujourd’hui, il faudrait raconter la parabole du fils prodigue de façon nouvelle, comme parabole du père perdu. De fait, la confusion de ce fils est finalement celle d’avoir perdu son père, qu’il ne veut plus voir. Mais cet enfant prodigue, c’est nous-mêmes. Son problème est le nôtre, celui de notre temps qui se vante d’être une société sans père. Selon Freud, nous avons cru que le père était l’incube du ‘surmoi’, celui qui limite notre liberté, celui dont nous avons à nous libérer. Et maintenant que cela est arrivé nous découvrons que, de cette manière, nous nous sommes affranchis de l’amour, et que nous nous sommes amputés de cela même qui nous fait vivre. Mais en même temps apparaît à nouveau quelque chose qui est ce qu’il y a de plus profond dans le ministère épiscopal et sacerdotal : le pouvoir de représenter le Père, le vrai Père de tous les hommes, dont nous avons besoin pour parvenir à vivre comme des êtres humains. Le prêtre peut le rendre présent par le don de sa paix, de sa grâce, par la parole recréatrice du pardon. » [4]
C’est précisément là que le rôle du prêtre est essentiel. Les diverses initiatives de l’Église (jubilés, célébrations de la miséricorde, etc.) viennent nous réveiller dans notre engourdissement pastoral. Elles doivent prendre des formes nouvelles adaptées à notre temps ; elles demandent une très grande disponibilité car le désir de se confesser ou de rencontrer un prêtre peut être très fugace chez les personnes éloignées de la foi. Beaucoup de temps est parfois requis pour écouter et confesser une personne qui n’a pas reçu le sacrement depuis de nombreuses années, ou qui porte une lourde faute. En Italie, presque toutes les paroisses proposent la confession pendant la messe. C’est très judicieux. La confession est de plus en plus rendue possible dans les écoles chrétiennes, ou pendant les loisirs, retraites ou pèlerinages organisés par les paroisses. Elle est de plus en plus souvent exigée pour les préparations au mariage. Dans les sessions du Renouveau charismatique, des laïcs sont parfois préposés à préparer les personnes souhaitant se confesser, car elles n’osent pas ou ne savent plus le faire. Tant de personnes s’approchent de l’Église pour recevoir, dès aujourd’hui, l’accolade du Père miséricordieux. Et cela comble de joie les prêtres, mais leur donne aussi une lourde responsabilité. Le pape François nous le rappelle :
« Chaque confesseur doit accueillir les fidèles comme le père de la parabole du fils prodigue : un père qui court à la rencontre du fils bien qu’il ait dissipé tous ses biens. Les confesseurs sont appelés à serrer sur eux ce fils repentant qui revient à la maison, et à exprimer la joie de l’avoir retrouvé. […] En résumé, les confesseurs sont appelés, toujours, partout et en toutes situations, à être le signe du primat de la miséricorde. » [5]
C’est aussi dans l’adoration eucharistique que le Père peut faire sentir cet amour miséricordieux. Autour de l’adoration, des communautés nouvelles proposent des « soirées miséricorde » alliant adoration, méditation, confession et prière individuelle de frères pour les personnes en marche vers la réconciliation.
Qui va payer ?
Le fils cadet quitte « le pays lointain où il avait vécu dans l’inconduite » (v.13). De nouveau, cela semble si simple… mais s’il en était réduit à garder les porcs, c’est certainement qu’il s’était endetté, peut-être qu’il avait commis quelque méfait, voire un crime dont il devait s’acquitter… Certaines de nos infidélités, malheureusement, peuvent coûter très cher… et même devenir un fardeau pour toute la vie… et pour l’éternité.
En réalité, nous gémissons dans ce monde marqué par le péché, qui nous enserre dans ses griffes et ne nous lâche plus, comme le propriétaire des porcs qui exploite l’enfant prodigue. C’est pour cela que saint Paul, en deuxième lecture, insiste sur la nouveauté apportée par le Christ : « Si donc quelqu’un est dans le Christ, il est une créature nouvelle. Le monde ancien s’en est allé, un monde nouveau est déjà né. » (2Co 5,17). Origène a bien souligné combien l’ancien monde, celui du péché, et la création nouvelle, celle du Christ, sont incompatibles :
« La cité dont ce personnage est un citoyen important, c’est le monde. Celui qui est délivré de cette cité, c’est-à-dire que le Christ délivre de ce monde, le Christ le perd. Car il dit : ‘Celui qui perdra son âme à cause de Moi, la sauvera.’ Jésus perdra donc d’une perdition salutaire celui qu’il a délivré de la cité de ce monde. Aussi, si nous voulons arriver au salut et être délivrés de ce monde, nous devons perdre nos âmes d’une perdition utile et nécessaire. Car il perd son âme en suivant le Christ, celui qui réprime ses désirs, retranche ses passions, châtie sa luxure et ses relâchements, ne fait nulle part sa volonté, mais celle de Dieu; c’est ainsi qu’onperd son âme, suivant l’Ecriture. Car la première vie est perdue, mais on en commence une nouvelle dans le Christ. Cette parole en rappelle une autre : Si nous mourons avec Lui, nous vivrons avec Lui (2 Tm 2,11), et cette autre : “ Si vous êtes morts avec le Christ aux éléments de ce monde, comment vous laissez-vous dogmatiser encore comme vivant dans le monde ? (Col 2,20). ” » [6]
J’aimerais donc proposer une suite à la parabole. Imaginons un fils aîné qui remplisse vraiment son rôle : envoyé par le père, il vient chercher son frère, il provoque en lui le « retournement » que nous avons évoqué, mais ensuite… restent les dettes à solder pour que son frère devienne libre.
S’il est généreux, l’aîné acceptera peut-être de sacrifier la part d’héritage qui lui revient afin de régler les dettes de son frère… Et si le frère était coupable de quelque crime ? Peut-être accepterait-il d’aller à sa place en prison… Allons jusqu’au bout : s’il avait mérité la condamnation à mort, prendrait-il sur lui le châtiment ? C’était la logique de la loi juive du Go’el (גאל), le Rédempteur ou racheteur : le plus proche parent devait se substituer au proche défaillant ou fautif et payer ses dettes ; voire même prendre sa place en captivité jusqu’à payer de sa vie si nécessaire (cf. Lv 25).
C’est exactement ce que Jésus – notre frère aîné – est venu accomplir sur cette terre : payer par sa Croix les dettes du péché qui nous maintenaient esclaves. Paul le dit ainsi aux Colossiens : « Il a effacé le billet de la dette qui nous a accablés en raison des prescriptions légales pesant sur nous : il l’a annulé en le clouant à la Croix » (Col 2, 14). Selon le Catéchisme, qui reprend saint Paul, Jésus a substitué son obéissance à notre désobéissance :
« Par son obéissance jusqu’à la mort, Jésus a accompli la substitution du Serviteur souffrant qui ‘offre sa vie en sacrifice expiatoire’, ‘alors qu’il portait le péché des multitudes… qu’il justifie en s’accablant lui-même de leurs fautes’ (Is 53). Jésus a réparé pour nos fautes et satisfait au Père pour nos péchés. » [7]
Encore capable de marcher ?
Revenons à la situation dramatique de l’enfant prodigue : si le «pays était éloigné » et que « personne ne lui donnait à manger », comment peut-il parcourir le chemin de retour vers la maison du Père ? Là aussi, l’aide du frère aîné est indispensable. Le peintre Rembrandt a bien représenté l’état déplorable du fils prodigue : vêtements déchirés, tête rasée comme un prisonnier, plaies sur le corps…
Il faudrait donc un frère aîné qui puisse marcher à son rythme, en lui offrant un appui fraternel, et une protection contre les dangers du voyage… Mais cela prend du temps, et une patience infinie. Le Christ est venu parmi nous, partager notre chemin, marcher sur nos routes, vivre nos vies, nous rencontrer en profondeur et nous accompagner patiemment. Savons-nous à notre tour adopter le rythme des personnes en convalescence spirituelle ou encore loin du but ? Comme prêtres et agents pastoraux, frères aînés de tant de pécheurs, nous nous sentons interpellés par ces paroles du pape François :
« La recherche de ce qui est toujours plus rapide attire l’homme d’aujourd’hui : Internet rapide, voitures rapides, avions rapides, rapports rapides… Et cependant on perçoit un besoin désespéré de calme, je veux dire de lenteur. L’Église sait-elle encore être lente : dans le temps, pour écouter ; dans la patience, pour recoudre et recomposer ? Ou bien aussi l’Église est-elle désormais emportée par la frénésie de l’efficacité ? Retrouvons, chers frères, le calme de savoir accorder le pas avec les possibilités des pèlerins, avec leurs rythmes de marche, la capacité d’être toujours plus proches, pour leur permettre d’ouvrir un passage dans le désenchantement qu’il y a dans leurs cœurs, de manière à pouvoir y entrer. » [8]
L’Eucharistie, repas de fête pour célébrer la miséricorde
Cette parabole est à la fois invraisemblable, dérangeante et très enthousiasmante. En effet, elle exprime le plus profond de notre vocation sacerdotale, ou de notre engagement dans l’Église : comme Jésus, notre frère aîné, sortir à la recherche du frère pécheur, et lui offrir la réconciliation avec le Père . D’où les premières paroles de la Bulle du pape François pour le Jubilé : « Jésus-Christ est le visage de la miséricorde du Père » ( Misericordiæ vultus).
Ajoutons que nous contemplons ce visage dans l’Eucharistie. La présence de Jésus-hostie, sur l’autel, creuse en nous la profondeur nécessaire pour nous convertir. Jésus offre à son Père, dans le sacrifice eucharistique, la satisfaction de toutes nos dettes. Il est celui qui a les paroles de la vie éternelle, que nous entendons semaine après semaine. Il est le pain qui nous fortifie sur le chemin de retour vers le Père. Il est lui-même, dans la communion, l’accolade la plus profonde de la Miséricorde. Loué soit-Il !
Attirons donc nos frères à la messe. Même s’ils sont encore en chemin, le fait d’assister à la liturgie les attire insensiblement vers le Père, par le Fils qui se donne, et sous la poussée discrète de l’Esprit. Pour cela, soignons la préparation de nos eucharisties, rendons-les belles et attirantes, assurons-nous aussi qu’elles soient recueillies. Prenons le temps de célébrer, de prêcher en parlant aux cœurs. La messe n’est pas une simple réunion amicale. C’est la rencontre concrète avec le Christ, la réactualisation non sanglante du sacrifice de celui qui nous réconcilie avec le Père et se relève vainqueur le troisième jour.
Devant l’Eucharistie, nous pouvons demander au Père de faire profondément l’expérience de sa Miséricorde, pour qu’elle jaillisse avec abondance sur toutes les âmes qui en ont besoin. Un auteur franciscain imaginait ainsi un dialogue entre saint François d’Assise et un frère :
« Dieu est semblable à ce père de famille qui disait à ses enfants devenus grands et avides de prendre leur indépendance : ‘Vous voulez partir, vous êtes impatients de faire votre vie chacun de votre côté, eh bien ! je veux vous dire ceci avant que vous ne partiez : ‘Si un jour vous avez un ennui, si vous êtes dans la détresse, sachez que je suis toujours là. Ma porte vous est grande ouverte jour et nuit. Vous pouvez toujours venir. Vous serez chez vous et je ferai tout pour vous secourir. Quand toutes les portes vous seraient fermées, la mienne vous est encore ouverte.’ Dieu est ainsi, frère Tancrède. Personne n’aime comme lui. mais nous devons essayer de l’imiter. Jusqu’à présent nous n’avons encore rien fait. Commençons donc à faire quelque chose.
– Mais par quel bout commencer, Père ? Dis-le moi, demanda Tancrède.
– La chose la plus urgente, répondit François, est de désirer avoir l’esprit du Seigneur. Lui seul peut nous rendre bons, foncièrement bons, d’une bonté qui ne fait plus qu’un avec notre être le plus profond. » [9]
L’Eucharistie nous portera ainsi spontanément au sacrement de la réconciliation. Là encore, parlons de ce sacrement autour de nous afin que nos frères en retrouvent le chemin et le goût, si besoin en témoignant de notre propre expérience. Une bonne résolution pour cela serait de chercher ce père dans le prêtre, et de prier pour qu’il le devienne toujours plus… en sachant se faire lui-même pénitent :
« Je ne me lasserai jamais d’insister pour que les confesseurs soient un véritable signe de la miséricorde du Père. On ne s’improvise pas confesseur. On le devient en se faisant d’abord pénitent en quête de pardon. N’oublions jamais qu’être confesseur, c’est participer à la mission de Jésus d’être signe concret de la continuité d’un amour divin qui pardonne et qui sauve. Chacun de nous a reçu le don de l’Esprit Saint pour le pardon des péchés, nous en sommes responsables. Nul d’entre nous n’est maître du sacrement, mais un serviteur fidèle du pardon de Dieu. » [10]
Alors, le Père, pourra célébrer la fête avec tous ses enfants réconciliés… Jésus emploie dans la parabole des termes très concrets pour évoquer cette fête : beau vêtement, bague, veau gras… Ils ont chacun une signification mystique que saint Ambroise nous dévoile :
« On tue encore le veau gras : ainsi, rendu par la grâce du sacrement à la communion aux mystères, on pourra se nourrir de la chair du Seigneur, riche de vertu spirituelle. Nul ne peut en effet, s’il ne craint Dieu, ce qui est le commencement de la sagesse (Ps 111,10), s’il n’a gardé ou recouvré le sceau de l’Esprit, s’il n’a confessé le Seigneur, prendre part aux mystères célestes. Quant à l’anneau, l’avoir c’est avoir et le Père et le Fils et l’Esprit Saint, car Dieu a mis sa marque (cf. Jn 6,28), Lui dont le Christ est l’image (2 Cor 4,4), et il a déposé comme gage l’Esprit dans nos cœurs (Jn 1,22), pour nous faire savoir que telle est l’empreinte de cet anneau qui est mis à la main, par qui sont marqués l’intime de nos cœurs et le ministère de nos actions. Nous avons donc été marqués, comme nous le lisons : “ En croyant, est-il dit, vous avez reçu le sceau de l’Esprit Saint ” (Ep 1,13). C’est justement d’ailleurs que le Fils nous décrit le père festoyant avec la chair du veau, victime sacerdotale que l’on offrait pour les péchés. Il a voulu montrer que la nourriture du Père, c’est notre salut, et que la joie du Père, c’est la Rédemption de nos péchés. »[11]
[1] Dives in Misericordia, n°68.
[2] Benoît XVI, encyclique Caritas in veritate, nº76, disponible ici .
[3] Paul Verlaine, Mon Dieu m’a dit…, dans Sagesse (1880).
[4] Joseph Ratzinger, Enseigner et apprendre l’amour de Dieu, Parole et silence 2016, p.231-232.
[5] Pape François, Bulle Misericordiævultus, nº17, disponible ici .
[6] Origène, Homélies sur les Nombres, Sources Chrétiennes 29, p.374.
[8] Pape François, Discoursaux évêques du Brésil, 27 juillet 2013, disponible ici .
[9] Eloi Leclerc, Sagesse d’un pauvre, DDB 1991, p.138.
[10] Pape François, Bulle Misericordiæ vultus, nº17, disponible ici .
[11] Saint Ambroise, Traité sur l’évangile de St Luc, Tome II, Sources Chrétiennes 52, p.95.