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Méditation : en route vers la fin du monde

Replaçons tout d’abord le discours eschatologique de Jésus dans son contexte. Il fait suite à la remarque d’un disciple sur le Temple. Voici comment Benoît XVI résume la scène :

« En sortant de la ville, un disciple fit remarquer à Jésus le spectacle des murs puissants qui soutenaient le Temple. La réponse du Maître fut surprenante : Il lui dit que, de ces murs, il ne serait pas resté pierre sur pierre. André l’interrogea alors, avec Pierre, Jacques et Jean: « Dis-nous quand cela arrivera, dis-nous quel sera le signe que tout cela va finir » (Mc 13, 1-4). Pour répondre à cette question, Jésus prononça un discours important sur la destruction de Jérusalem et sur la fin du monde, en invitant ses disciples à lire avec attention les signes des temps et à rester toujours vigilants. Nous pouvons déduire de l’épisode que nous ne devons pas craindre de poser des questions à Jésus, mais que dans le même temps, nous devons être prêts à accueillir les enseignements, même surprenants et difficiles, qu’Il nous offre. » [1]

Le sens des signes cosmiques

En nous appuyant sur saint Ambroise dans son Traité sur l’Évangile de Luc, essayons de déchiffrer le sens des signes apocalyptiques mentionnés par Jésus.

Le grand évêque de Milan commente d’abord « la terrible détresse » qui précède la fin. Il y voit les guerres, violences et épidémies et cite, pour son époque, les grandes invasions qui touchèrent l’Empire romain finissant, et la peste récurrente. Saint Ambroise mentionne aussi les conflits internes à l’homme :

« Or il y a d’autres guerres encore que soutient le chrétien, les combats des diverses convoitises, les conflits du désir ; et les ennemis domestiques sont bien plus pénibles que ceux du dehors. Tantôt la convoitise excite, tantôt la passion enflamme ; tantôt la crainte effraie, tantôt la colère secoue, tantôt l’ambition met en mouvement ; tantôt les esprits du mal essaient de terrifier. Ce sont des combats qui secouent, tels des tremblements de terre, les impressions mobiles de l’âme ébranlée. » [2]

Saint Ambroise voit, dans le premier signe de la fin (l’obscurcissement du soleil) un symbole de l’affaiblissement de la foi:

« Comme en effet beaucoup abandonneront la religion, la clarté de la foi sera voilée par le nuage de l’incrédulité : car le soleil céleste s’atténue ou grandit pour moi selon ma foi. Il en est ainsi quand plusieurs personnes considèrent le rayonnement du soleil de ce monde selon la réceptivité du spectateur le soleil semble plus pâle ou plus brillant; de même selon la dévotion de chaque croyant se répand sur lui la lumière spirituelle. » [3]

Deuxième signe selon Ambroise, le scandale des membres de l’Église qui font écran à la lumière divine :

« Et de même qu’en ses phases mensuelles la lune disparaît lorsque la terre s’interpose entre elle et le soleil, ainsi la sainte Église, lorsque les vices de la chair interceptent la lumière céleste, ne peut emprunter au rayonnement du Christ l’éclat de la divine lumière. Car souvent dans les persécutions c’est uniquement l’amour de cette vie qui arrête la clarté de Dieu. » [4]

Troisième « signe » : la chute de tant de personnes que nous considérons comme saintes, le scandale – c’est-à-dire l’occasion de chute – qu’elle provoque pour les petits, ceux dont la foi est peu assurée :

« Les étoiles tomberont c’est-à-dire ces hommes déjà étincelants de la gloire de la résurrection, ces hommes, astres du monde, possédant la parole de vie (Ph 2,15 ss.), ces hommes au sujet desquels il fut dit à Abraham que sa descendance resplendirait comme le ciel et les étoiles (Gn 15,5). » [5]

Quatrième signe : les puissances des cieux seront ébranlées. Ambroise y voit les vertus. À l’approche du Christ, elles seront ébranlées, c’est-à-dire à la fois mises à l’épreuve et renforcées chez les Saints. Pensons aux grandes figures qui se sont levées dans des temps troublés pour l’Eglise et le monde : Catherine de Sienne, en pleine crise de la Papauté ; François d’Assise, au sein d’une chrétienté devenue matérialiste, ou encore Marguerite-Marie et Claude La Colombière, en pleine crise janséniste.

Enfin, évoquant la venue du Fils de l’homme sur les nuées, Ambroise y voit les esprits bienheureux : anges, archanges et saints ainsi que la Vierge Marie, qui accompagneront le Christ lors de sa venue.

Les signes de notre temps

Dans une série de sermons célèbres, le cardinal Newman, fin connaisseur de l’histoire, méditait sur l’Antéchrist, une figure mystérieuse mentionnée par les Lettres de Jean, censée précéder les derniers temps et incarner l’opposition totale au Christ sous des aspects trompeurs : « Petits enfants, voici venue la dernière heure. Vous avez ouï dire que l’Antéchrist doit venir ; et déjà maintenant beaucoup d’antéchrists sont survenus : à quoi nous reconnaissons que la dernière heure est là. » (1Jn 2,18).

L’Antéchrist est, pour Newman comme pour saint Jean, présent dans les différentes phases de l’histoire. Newman diagnostiquait pour son époque – le XIXe siècle – les signes de la présence de l’Antéchrist. Son analyse garde toute son actualité. :

« S’il est vrai que l’ennemi du Christ et de son Église doive surgir de quelque extraordinaire éloignement de Dieu, n’y a-t-il pas lieu de craindre qu’en ces jours-mêmes une telle apostasie ne soit en train de se préparer, de prendre forme, de s’accélérer ? N’est-il pas vrai qu’en ce temps même se manifeste un formidable effort, pratiquement dans le monde entier […], pour se passer de la religion ? […] N’est-il pas vrai que, dans tous les pays, se développe un mouvement puissant et concerté pour renverser l’Église du Christ de son pouvoir et de sa position ? N’est-il pas vrai que l’on assiste à des tentatives fébriles et incessantes pour se débarrasser de la nécessité de la religion dans les affaires publiques ? » [6]

Newman en tire un appel à la vigilance pour nous tous, à ne pas se laisser berner par la stratégie diabolique. Sa description est poignante :

« Qu’il nous soit épargné d’être séduits par ces promesses flatteuses où Satan sait assurément cacher son poison. Pensez-vous qu’il soit assez malhabile dans son art pour vous proposer ouvertement et explicitement de le rejoindre dans son combat contre la Vérité ? Non, il vous présente des appâts pour vous attirer. Il vous promet la liberté civile ; il vous promet l’égalité ; il vous promet le commerce et la prospérité ; il vous promet l’exemption des impôts ; il vous promet des réformes. Telle est sa façon de masquer la véritable entreprise à laquelle il vous attelle. Il vous invite à l’insubordination envers vos dirigeants, envers vos supérieurs ; le faisant lui-même, il vous incite à l’imiter ; il vous promet l’illumination – vous offrant le savoir, la science, la philosophie, le développement de vos facultés. Il se raille des générations passées, il se raille de toute institution qui les respecte. Il vous souffle quoi dire, puis vous écoute, vous complimente, vous encourage. Il vous pousse à monter toujours plus haut. Il vous montre comment devenir des dieux. Puis il rit et plaisante avec vous, gagne votre intimité ; il prend votre main, glisse ses doigts entre les vôtres, les referme, et là vous lui appartenez. Nous qui sommes chrétiens, nous fils de Dieu, frères du Christ et héritiers de la gloire, allons-nous consentir à avoir part ou héritage dans cette entreprise ? » [7]

À la question des apôtres sur la fin du monde, Jésus répond non par une date mais par des signes. Pourquoi ? Jésus connaît notre curiosité et notre goût du sensationnel. Ce n’est pas cela qu’il souhaite encourager. Aussi répond-il sur un registre différent. Oui, ce monde aura une fin qui sera le triomphe de Dieu en son Fils, centre de l’histoire, mais avant tout cela, nous-mêmes, nos proches, nos sociétés et nos civilisations auront une fin et nous sommes appelés à y jouer un rôle décisif pour notre salut et le salut de tous.

Nous sommes donc appelés à lire les signes de notre propre temps : à notre époque aussi des catastrophes se produisent : guerres, violences, catastrophes, famines. Elles nous avertissent que tout passera et que nous devons nous préparer, et annoncer l’Évangile. Y sommes-nous attentifs ? Elles sollicitent aussi notre charité : nous laissons-nous toucher ?

À notre époque aussi, et peut-être plus particulièrement, la foi s’affaiblit, les scandales se succèdent, des maîtres humains déçoivent ou désertent. La charité se refroidit. Nous laissons-nous détourner, décourager ou effrayer ?

Le Seigneur nous invite précisément à la réaction inverse : rester fermes dans l’assurance du salut qui vient. Les événements effrayants et déroutants du monde doivent nous mettre en alerte, mais non pas nous troubler : plus ils s’accumulent, plus le règne de Dieu est proche. Est-ce notre espérance qui prévaut lorsque les épreuves morales, familiales ou physiques nous assaillent ?

Comment y parvenir ? Par la prière, nous dit le Catéchisme :

« En Jésus ‘le Royaume de Dieu est tout proche’, il appelle à la conversion et à la foi mais aussi à la vigilance. Dans la prière, le disciple veille attentif à Celui qui Est et qui Vient dans la mémoire de sa première Venue dans l’humilité de la chair et dans l’espérance de son second Avènement dans la Gloire (cf. Mc 13 ; Lc 21, 34-36). En communion avec leur Maître, la prière des disciples est un combat, et c’est en veillant dans la prière que l’on n’entre pas en tentation (cf. Lc 22, 40. 46). » [8]

Le cardinal de Lubac donne une description du vrai homme d’Église et le montre toujours tourné vers le retour du Christ, qui polarise toute sa vie :

« Toujours l’homme d’Église demeure ouvert à l’espérance. Pour lui, l’horizon n’est jamais fermé (…) Avec la communauté des croyants, il attend le retour de Celui qu’il aime. Il n’oublie pas que c’est par rapport à ce terme que tout ce qui passe doit être en fin de compte jugé. Mais il n’oublie pas davantage que l’attente doit être active et qu’elle ne doit détourner d’aucune des tâches d’ici-bas : elle ne les rend que plus urgentes et plus rigoureuses. Son attitude est donc eschatologique, mais à la manière de saint Paul, non à la manière des illuminés de Thessalonique (cf. 2Th) ; elle ne consiste pas, comme on semblerait quelque fois le penser, à négliger les devoirs du présent, à se désintéresser de la terre, ou à mettre la charité en vacances jusqu’à la fin du monde. » [9]

Nous pouvons, pour terminer, dire cette prière à saint Michel, composée par Léon XIII et récemment reprise par le pape François :

« Saint Michel Archange, défendez-nous dans le combat, soyez notre secours contre la malice et les embûches du démon. Que Dieu exerce sur lui son empire, nous vous le demandons en suppliant. Et vous, Prince de la Milice Céleste, repoussez en enfer, par la force divine, Satan et les autres esprits mauvais qui rôdent dans le monde en vue de perdre les âmes. Ainsi soit-il. » [10]

 


[2] Saint Ambroise, Traité sur l’Evangile de Luc II, SC 52, 10 sq.

[3] Ibid.

[4] Ibid.

[5] Ibid.

[6] Bienheureux Cardinal Newman, l’Antichrist, Ad Solem 1995, p. 46-48.

[7] Bienheureux Cardinal Newman, l’Antichrist, Ad Solem 1995, p. 49-50.

[8] Catéchisme, nº2612.

[9] Card. Henri de Lubac, Méditation sur l’Eglise, Cerf 2006, p.221.

[10] Prière à saint Michel Archange, du pape Léon XIII (1884), version latine : « Sancte Michael Archangele, defende nos in proelio; contra nequitiam et insidias diaboli esto praesidium. Imperetilli Deus, supplices deprecamur: tuque, Princeps militiae caelestis, Satana maliosque spiritus malignos, qui ad perditionem animarum pervagantur in mundo, divina virtute in infernum detrude. Amen »


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