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Dans les temps anciens, Dieu donnait la Loi comme chemin vers la justice ; il offrait la Sagesse à celui que le lui demandait. Sous la Nouvelle Alliance, il donne le Christ, comme chemin, vérité et vie ; le don de l’Esprit viendra à la Pentecôte inscrire la loi d’amour dans les cœurs.

De la justice à la perfection

Tous les textes de ce dimanche reflètent la quête profonde de l’homme qui a déjà acquis une bonne conduite morale : donner un sens à son existence et trouver pour toujours la plénitude de la vie.

Salomon avait certainement déjà fait tout un chemin intérieur pour demander le discernement. Dieu le lui fait remarquer : « parce que tu n’as pas demandé pour toi de longs jours, ni la richesse, ni la vie de tes ennemis… » (1 R3, 11). De même, le jeune homme riche pratique déjà les commandements parfaitement depuis sa jeunesse et Jésus le note : « une seule chose te manque… ».

L’un comme l’autre, pourtant, ont conscience que leur désir profond n’est pas satisfait. Ils ne cherchent pas à simplement accomplir la Loi mais sont en quête de perfection par amour pour Dieu.

Salomon veut être un bon roi, remplir pleinement la vocation reçue du Seigneur : « discerner entre le bien et le mal, gouverner ton peuple qui est si grand » (1R 3, 9). Humblement, il demande un esprit de discernement. Le jeune homme riche a entendu Jésus et quelque chose en lui a retenti. Il a beau pratiquer depuis toujours les commandements, quelque chose lui manque qu’il pense pouvoir trouver auprès de Jésus. Cet absolu, il l’appelle la vie éternelle, une expression qui n’existe pas dans l’Ancien Testament [1], et qu’il doit avoir entendue dans la bouche de Jésus : « Que dois-je faire pour obtenir la vie éternelle ? » Écoutons saint Jean Chrysostome décrire la beauté de sa démarche :

« Ce n’était pas un empressement médiocre que le jeune homme avait montré jusqu’alors ; il était comme un amoureux. Alors que les autres hommes s’approchaient du Christ pour le mettre à l’épreuve ou pour lui parler de leurs maladies, de celles de leurs parents ou d’autres gens encore, lui s’approche pour s’entretenir avec lui de la vie éternelle . » [2]

Le Christ fait à chaque homme de bonne volonté une proposition de vie en plénitude.
Cette proposition se résume par une phrase que l’on trouve en conclusion de l’exposition de la nouvelle loi chez Matthieu : « soyez parfaits comme votre père des Cieux est parfait » (Mt 5, 48) ; un écho de la parole de Dieu à Abraham : «je suis le Dieu puissant ; marche en ma présence et soit parfait » (Gn 17, 1).

Jésus est par excellence celui qui a reçu du Père la Sagesse ; il est l’incarnation de cette Sagesse qui dit toujours oui aux desseins de Dieu. Fils unique, Il est venu faire de nous, à son image, des fils adoptifs et nous invite à dépasser le cadre de la Loi pour apprendre à aimer comme Dieu : « vous avez entendu qu’il a été dit… eh bien moi, je vous dis… » (Mt 5). C’est désormais non plus la justice qui est visée, mais la surabondance de l’amour. Pour cela, le cœur doit être libéré de tout ce qui l’embarrasse. Le Cardinal Pierre de Bérulle (+ 1629) le résumait ainsi :

« Cette divine sapience [= sagesse] revêtue de notre humanité, nous tire doucement et fortement aux choses humbles et nous retire des choses grandes selon le sens du monde. Elle emploie à cet effet son Esprit, sa Parole et son exemple. Trois liens forts, trois moyens puissants, pour nous séparer de la terre, nous élever à lui et nous disposer à le suivre. Il répand son Esprit dans nos cœurs, il joint son exemple à sa parole pour nous tirer à lui et nous faire entrer en ses voies. Il est le Fils du Très Haut et il choisit les choses basses en sa naissance, en sa vie, en sa mort. Même il fuit les grandeurs lorsqu’elles lui sont offertes. Et toutefois les grandeurs ne lui peuvent être dommageables à cause de l’éminence de sa sainteté. Et toute grandeur lui appartient par essence, par naissance et par mérite. Pesant ces oracles et exemples divins, nous devons aimer une condition médiocre, en appréhender le changement, craindre qu’il n’arrive par un secret jugement de Dieu qui pénètre dans nos cœurs et peut-être nous répute indigne de sa récompense dans le ciel et nous donne ce peu de récompense dans la terre. » [3]

Ce détachement des biens terrestres n’est pas un effort demandé à quelques uns. Il est la vocation de tout chrétien, car tous sont appelés à la sainteté. L’appel à la plénitude de la vie chrétienne et à la perfection de la charité s’adresse à tous ceux qui croient au Christ, quels que soient leur rang et leur état (Lumen Gentium 40).

Comment répondre à cet appel

Jésus nous indique très pédagogiquement aujourd’hui comment répondre à cet appel à la sainteté. Dans un premier temps, il manifeste que tout part de l’observance des commandements. Nul ne peut plaire à Dieu s’il ne commence pas par les observer. Le premier est d’aimer Dieu : « nul n’est bon que Dieu seul ». En plaçant Dieu au-dessus de tout, l’homme entre dans le chemin de la vie.

Viennent ensuite les commandements horizontaux. Jésus n’a pas aboli la Loi, il l’a menée à sa perfection. Il est bon de le rappeler à une époque où l’on pense volontiers qu’une application des commandements n’est plus de mise mais qu’il « suffit d’aimer », que « seul l’amour compte ». Cette conception est dangereuse, car seul Dieu est la mesure de l’amour, seul Lui sait aimer, et Il nous donne les commandements comme chemin pédagogique dont notre faiblesse humaine a besoin. Il ne s’agit pas d’aimer comme la sensibilité nous l’inspire – on ne serait alors que dans l’émotion et l’égoïsme, et non dans l’amour –, mais comme Dieu aime. L’observance des commandements est la base sur laquelle peut s’édifier l’amour véritable.

Le chrétien est toutefois appelé à aller plus loin, à passer de la justice à l’imitation active du Christ. Il lui est demandé de se dépouiller pour faire place à Dieu.

Un mot sur les richesses au sens propre. Il est souvent dit que l’évangile du jeune homme riche n’est pas un plaidoyer contre l’argent et la richesse, mais qu’il faut y voir une image de ce qui nous entrave. Certes, Jésus appelle à tout quitter globalement comme le montre la suite du texte (liens humains, responsabilités, projets personnels, biens matériels) ; mais on ne peut nier que, parmi tous ces biens, la richesse, au sens propre, constitue un obstacle majeur.

C’est tout le sens du dialogue qui suit avec l’image du chameau. Il ne faut pas se le cacher, il y a un attachement aux richesses qui obscurcit l’âme, d’une part parce qu’il nécessite une attention constante et détourne le regard de Dieu, d’autre part parce qu’il est contraire à la justice sociale et fait scandale. La doctrine sociale de l’Église développe abondamment ce thème. Rappelons simplement ce passage du Catéchisme [4] où il nous est rappelé cette phrase de la Gaudium et Spes : « L’homme, dans l’usage qu’il fait [des biens terrestres], ne doit jamais tenir les choses qu’il possède légitimement comme n’appartenant qu’à lui, mais les regarder aussi comme communes : en ce sens qu’elles puissent profiter non seulement à lui, mais aux autres » (GS69).

Tous les saints sans exception, religieux ou laïques, ont aimé la pauvreté et se sont dépouillés de leurs biens matériels. Ayons donc soin de garder la mesure et de vivre sobrement, chacun selon notre état de vie et selon les personnes que nous avons à charge.

Le Seigneur nous appelle aussi à laisser, pour le suivre, d’autres biens. En cela nous sommes un peu tous l’homme riche de l’évangile. Ces biens, qui en soi n’ont rien de mauvais, nous empêchent de nous donner pleinement à Dieu. Ils sont aussi variés que les personnes : pour certains ce sera le désir de carrière, pour d’autres un certain culte de l’intelligence, pour d’autres le tourbillon d’une vie sociale, le goût de l’aventure, les loisirs et plaisirs de la table, le sport, l’accumulation de responsabilités. À tout cela, il peut nous être demandé de renoncer, en tout ou partie, pour donner la primauté à Dieu . Nous pouvons, cette semaine, en regardant nos agendas et en examinant nos pensées, voir à qui ou à quoi nous donnons le plus de temps au détriment de la prière, l’exercice de la charité, la méditation, les amitiés spirituelles…

Dans la dernière partie du dialogue, Jésus mentionne le cas bien particulier de ceux qui ont été appelés à tout quitter pour le suivre : c’est une allusion à la vie consacrée. Cet appel-là est radical, mais il n’a pas pour objectif de dépouiller l’homme de toute relation humaine. Son but est au contraire de l’enrichir, selon la loi du royaume qui établit que « tout homme qui fait la volonté de Dieu est un frère, une sœur, une mère » (Mc 3, 35).

Faiblesse de l’homme : pour les hommes cela est impossible mais pas pour Dieu

La rencontre de Jésus avec l’homme riche a des accents dramatiques car elle se termine sur un échec et une note de tristesse. Quelque chose ne s’est pas accompli, quelque chose que cet homme désirait pourtant et que Jésus voulait aussi pour lui, comme l’écrit saint Jean Chrysostome :

« Notre jeune homme, lui, est reparti les yeux baissés de tristesse, signe non négligeable de ce qu’il n’était pas venu avec de mauvaises dispositions. Il était seulement trop faible : il avait le désir de la Vie, mais une passion très difficile à surmonter le retenait. » [5]

Nous plaignons volontiers le jeune homme riche mais nous lui ressemblons en réalité souvent. Bernanos nous montre comment :

« S’engager tout entier… Vous le savez, la plupart d’entre nous n’engagent dans la vie qu’une faible part, une part ridiculement petite de leur être, comme ces avares opulents qui passaient, jadis, pour ne dépenser que le revenu de leurs revenus. Un saint ne vit pas du revenu de ses revenus, ni même seulement de ses revenus, il vit sur son capital, il engage totalement son âme. C’est d’ailleurs en quoi il diffère du sage qui sécrète sa sagesse à la manière d’un escargot sa coquille, pour y trouver un abri. Engager son âme ! Non ce n’est pas là simple image littéraire. […] On se dit avec épouvante que des hommes sans nombre naissent, vivent et meurent sans s’être une seule fois servi de leur âme, réellement servis de leur âme, fut-ce pour offenser le bon Dieu. Qui permet de distinguer ces malheureux ? En quelle mesure n’appartenons-nous pas nous-mêmes à cette espèce ? La damnation ne serait-elle pas de se découvrir trop tard, beaucoup trop tard, après la mort, une âme absolument inutilisée, encore soigneusement pliée en quatre, et gâtée comme certaines soies précieuses, fautes d’usage ? Quiconque se sert de son âme, si maladroitement qu’on le suppose, participe aussitôt à la vie universelle, s’accorde à son rythme immense, entre de plain-pied, du même coup, dans cette communion des saints, qui est celle de tous les hommes de bonne volonté auxquels fut promise la paix. » [6]

Les disciples font le même constat et se rendent compte que l’entreprise est au-dessus de leurs forces : « mais alors qui peut être sauvé ? » Jésus ne les détrompe pas : « pour les hommes c’est impossible » ; mais Il ajoute immédiatement : « mais pas pour Dieu, pour Dieu tout est possible. »

Il ne s’agit donc pas de compter sur nos propres forces pour pouvoir quitter tout ce qui constitue notre confort humain et marcher vers la sainteté. Ce dépouillement, nous devons demander au Seigneur de l’opérer en nous. Écoutons le pape François nous l’expliquer dans Gaudete et Exultate :

« Laisse la grâce de ton baptême porter du fruit dans un cheminent de sainteté. Permets que tout soit ouvert à Dieu et pour cela, choisis-le, choisis Dieu sans relâche. Ne te décourage pas, parce que tu as la force de l’Esprit Saint pour que ce soit possible ; et la sainteté, au fond, c’est la force de l’Esprit Saint dans ta vie (Ga 5, 22-23). Quand tu sens la tentation de t’enliser dans la fragilité, lève les yeux vers le Crucifié et dis-lui : « Seigneur, je suis pauvre, mais tu peux réaliser le miracle de me rendre meilleur ». Dans l’ É glise, sainte et composée de pécheurs, tu trouveras tout ce dont tu as besoin pour progresser vers la sainteté. Le Seigneur l’a remplie de dons par sa parole, par ses sacrements, la vie des communautés, le témoignage des saints et par une beauté multiforme qui provient de l’amour du Seigneur, « comme la fiancée se pare de ses bijoux » (Is 61, 10) . » [7]

Jésus nous demande donc de le suivre, en quittant ce qui nous embarrasse et nous entrave. Il sait que cela nous est difficile et nous invite à ne pas nous décourager comme le jeune homme riche, étouffé par ses biens, et à ne pas non plus présumer de nos forces, comme le fera Pierre, lors de la Passion. Donnons-lui notre volonté d’être tout à lui, notre désir de nous dépouiller et demandons-lui sa force et sa grâce pour l’accomplir. Nous pouvons terminer notre méditation par cette prière de saint Claude La Colombière :

« Sacré Cœur de Jésus, apprenez-moi le parfait oubli de moi-même puisque c’est la seule voie par laquelle on peut entrer en vous. Puisque tout ce que je ferai à l’avenir sera à vous, faites en sorte que je ne fasse rien qui ne soit digne de vous. Enseignez-moi ce que je dois faire pour parvenir à la pureté de votre amour duquel vous m’avez inspiré le désir. Je sens en moi une grande volonté de vous plaire et une grande impuissance d’en venir à bout sans une grande lumière et un secours particulier que je ne puis attendre que de vous. Faites en moi votre volonté, Seigneur ; je m’y oppose, je le sens bien mais je voudrais, ce me semble, ne pas m’y opposer. C’est à vous à tout faire, divin Cœur de Jésus-Christ. Vous seul aurez toute la gloire de ma sanctification si je me fais saint, cela me paraît plus clair que le jour. Mais ce sera pour vous une grande gloire et c’est pour cela seulement que je veux désirer la perfection. » [8]

 


[1] Sauf en Dn 12,2 et 2 Mac 7,9…

[2] Saint Jean Chrysostome, Homélies sur Matthieu, LXIII.

[3] Cardinal de Bérulle, La vie de Jésus, Cerf 1989, p.40.

[4] Voir tous le Catéchisme, nº2403-5 : « Le droit à la propriété privée, acquise ou reçue de manière juste, n’abolit pas la donation originelle de la terre à l’ensemble de l’humanité. La destination universelle des biens demeure primordiale, même si la promotion du bien commun exige le respect de la propriété privée, de son droit et de son exercice. « L’homme, dans l’usage qu’il en fait, ne doit jamais tenir les choses qu’il possède légitimement comme n’appartenant qu’à lui, mais les regarder aussi comme communes : en ce sens qu’elles puissent profiter non seulement à lui, mais aux autres » (GS 69, § 1). La propriété d’un bien fait de son détenteur un administrateur de la Providence pour le faire fructifier et en communiquer les bienfaits à autrui, et d’abord à ses proches. Les biens de production – matériels ou immatériels – comme des terres ou des usines, des compétences ou des arts, requièrent les soins de leurs possesseurs pour que leur fécondité profite au plus grand nombre. Les détenteurs des biens d’usage et de consommation doivent en user avec tempérance, réservant la meilleure part à l’hôte, au malade, au pauvre. »

[5] Saint Jean Chrysostome, Homélies sur Matthieu, LXIII.

[6] Georges Bernanos, Les prédestinés.

[7] Pape François, Gaudete et Exultate, n° 15.

[8] http://www.sacrecoeur-paray.org/prier/prier-le-coeur


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