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« Pour nous tous demeure en vigueur le conseil que Jésus donne à ceux qui provoquent des scandales : la meule et la mer » [1] .

C’est ainsi que s’exprimait le pape François en recevant, en 2014, des victimes d’abus sexuels commis par des ministres ordonnés.

Le scandale, mal spirituel

Commençons par définir avec précision ce qu’est un scandale. Le mot « skandalon », désigne une pierre, un obstacle destiné à faire sournoisement tomber autrui. Par extension, on parle de « scandale » pour désigner un comportement gravement contraire à la morale et au respect d’autrui, qui suscite l’indignation.

La définition du Catéchisme de l’Église Catholique, inspirée du texte d’aujourd’hui y introduit une notion spirituelle :

« Le scandale est l’ attitude ou le comportement qui portent autrui à faire le mal. Celui qui scandalise se fait le tentateur de son prochain . Il porte atteinte à la vertu et à la droiture ; il peut entraîner son frère dans la mort spirituelle . Le scandale revêt une gravitéparticulière envertu de l’autorité de ceux qui lecausent ou de lafaiblesse de ceux qui lesubissent. Il ainspiré à notreSeigneur cettemalédiction :  » Quiscandalise un de cespetits, ilvaudrait mieux pour lui qu’on l’ait précipité dans la mer avec unepierre au cou !” »

Ainsi, le scandale est plus qu’une souffrance infligée à autrui. Il vient briser la relation de la victime avec son Dieu. Il la porte à se détourner du Seigneur, voire à le nier ou à le maudire. Parce qu’il comporte cette dimension, le scandale a nécessairement quelque chose de diabolique. Ce n’est pas une simple errance, c’est l’œuvre du malin. Il y a, bien entendu, diverses sortes de scandales. Le catéchisme en cite plusieurs :

« Le scandale peut être provoqué par la loi ou par les institutions, par la mode ou par l’opinion. Ainsi se rendent coupables de scandale ceux qui instituent des lois ou des structures sociales menant à la dégradation des mœurs et à la corruption de la vie religieuse, ou à des conditions sociales qui, volontairement ou non, rendent ardue et pratiquement impossible une conduite chrétienne conforme aux commandements. Il en va de même des chefs d’entreprises qui portent des règlements incitant à la fraude, des maîtres qui « exaspèrent » leurs enfants (cf. Ep 6, 4) ou de ceux qui, manipulant l’opinion publique, la détournent des valeurs morales. » [3]

Nous pensons spontanément aux grands drames du XXe siècle qu’ont été les génocides juif, arménien, khmer, rwandais et aux complicités et silences qui les ont souvent accompagnés. Dans la longue liste des repentances voulues par Jean-Paul II lors du Jubilé, on se souvient de la dénonciation de l’esclavage, de l’usage de la violence au service de la vérité, de l’antisémitisme etc… Tous ces crimes sont atroces à cause des souffrances terribles qu’ils occasionnent. Ce qui en fait des scandales, selon la définition du catéchisme, c’est qu’ils poussent la victime au désespoir, à la violence, à la haine et au meurtre. On sait combien de personnes ont perdu la foi dans les camps de concentration ou les tranchées, combien aussi d’hommes opprimés par des conditions de vie inhumaines se sont révoltés contre un Dieu dont ils se croyaient abandonnés.

Des scandales qui nous concernent tous

Nous pensons a priori que ces scandales ne nous concernent pas, mais est-ce si sûr ? Beaucoup de métiers, ou de placements financiers, sont liés au commerce des armes, au libéralisme outrancier qui détruit les systèmes de production des pays pauvres, à l’industrie des métaux rares qui engendrent guerres et trafics, au travail des enfants ; il est facile, par solidarité mal comprise ou par profession, de participer à des crimes d’euthanasie et d’avortement ; ou encore de souscrire comme électeur ou comme citoyen à des idéologies racistes ou xénophobes. Autant de scandales qui exigent notre vigilance car les compromissions sont faciles.

Par ailleurs nous sommes, en tant que croyants, et a fortiori si nous sommes consacrés, une occasion de chute pour nos frères à chaque fois que nos comportements sont gravement en contradiction avec la foi et la morale que nous professons : adultère, impureté, violences familiales, comportements malhonnêtes, mensonges et médisances, manques de charité, etc…

Sous la plume de Marc, le Christ fait allusion « à ces petits qui croient en moi » : ces pauvres dont la seule richesse est la foi, la relation d’amitié avec le Christ. Les évêques, successeurs des apôtres, ont aujourd’hui le devoir de « promouvoir et servir l’unité de la foi et la discipline commune de l’ensemble de l’Église »[4] : il serait sacrilège de faire errer les brebis en les trompant sur la foi ou la morale. Ecoutons ce qu’en disait un converti, Julien Green : après des années d’errance morale dans l’homosexualité, il a pu retrouver la sérénité dans l’Église, sans critiquer la « rigueur » de l’enseignement d’alors, bien au contraire en le louant. On lit dans son journal :

« Il me fallut cette longue et difficile expérience d’une crise [morale] après l’autre pour apprécier la puissance de l’Église. Ses rigueurs mêmes me paraissaient rassurantes, parce qu’elle veillait ainsi sur ses enfants. On pouvait la trouver sévère jusque dans sa charité, mais elle avait une guerre à mener dans un monde déchaîné contre l’Évangile. C’était le Christ ou le chaos. En la retrouvant, j’eus la certitude d’avoir retrouvé le Christ, puisqu’elle était le Christ. Et à quoi bon ce voyage de l’utérus à la tombe sinon pour trouver le Christ ? La vie n’avait pas d’autre sens. Des années me furent nécessaires pour le savoir et pour savoir que ce serait une illusion de ne le chercher que pour soi, à l’exclusion du prochain, car il nous regarde par les yeux du prochain. Quelle que fût la manière dont je tentais de résoudre ce problème, je connus dans le catholicisme d’alors les heures d’angoisse et de joie communes à beaucoup de croyants, et je sentais autour de moi les solides murailles de la seule Église fondée par le Christ. L’espérance ne bronchait pas. » [5]

À chaque fois que nous sommes causes de chute, nous troublons nos frères, surtout ceux dont la foi n’est pas assurée, les petits. Souvenons-nous de cette triste phrase du Mahatma Gandhi : « J’aime le Christ mais je n’aime pas les Chrétiens ». Voici ce que disait une homélie anonyme du IIe siècle

« Lorsque les païens nous entendent dire : « à aimer vos amis vous n’avez pas de mérite, mais si vous aimez vos ennemis et ceux qui vous haïssent, alors on vous en saura gré ». Oui, lorsqu’ils écoutent ces paroles, ils sont pleins d’admiration pour cette extrême bonté. Mais lorsqu’ils voient que nous n’aimons pas ceux qui nous haïssent et pis encore, que nous n’aimons pas même nos amis, ils se moquent de nous et le nom de Dieu est blasphémé . » [6]

Le texte de cette semaine est l’occasion d’examiner honnêtement nos consciences sur tous ces points : compromission avec des structures de péché faisant scandale, inadéquation de nos actes à nos paroles, etc.

Éviter les scandales

Pour éviter de causer des scandales, Jésus nous invite à être vigilants dans trois domaines :

  • La main désigne le domaine de l’agir. Un terme moderne, « orthopraxis », désigne l’art d’agir justement. Examinons nos actions pour voir si elles sont conformes au bien et à la justice. Si ce n’est pas le cas, mettons-y fin radicalement. Selon une autre lecture, on peut rattacher à la main tout ce qui a trait à la violence, ou au vol ou au pouvoir excessif. Renonçons-y.
  • Le pied renvoie au chemin personnel que nous choisissons, aux choix existentiels. Certains portent au bien, d’autres ne peuvent conduire qu’à poser des actes contraires au bien. Renonçons à ce qui conduit au péché avant d’être placés devant des choix compliqués où nos forces pourraient venir à manquer : fréquentations et influences, choix de métiers aux limites de l’honnêteté et de la morale, activités et pratiques comportant des risques addictifs et moraux etc…
  • L’œil symbolise ce qui entre dans l’âme. On l’associe spontanément à la chasteté mais il n’y a pas que cela. Jésus proclame bienheureux les cœurs purs. Notre culture occidentale est aujourd’hui profondément imprégnée d’impureté et de violence, si bien que nous n’y prêtons même plus attention. Soyons vigilants sur ce qui entre en nous par les sens : sites internet, images, spectacles, conversations, ou lectures suggestives; renonçons-y comme au sensations liées aux substances toxiques ou aux activités à risque. Tout cela vient ensuite peupler notre cœur et nourrir notre vie intérieure… Or, c’est du cœur que sort ce qui rend l’homme impur (cf. Mt 15,18). Renonçons courageusement à tout cela, même si cela nous coûte dans un premier temps.

À l’inverse, recherchons ce qui est beau et permet à notre âme de s’élever, en assurant que tout ce que nous regardons et fréquentons nous fait tendre vers Dieu… Écoutons sainte Elisabeth de la Trinité :

« « Si ton œil est simple, tout ton corps sera lumineux » (Mt 6,22). Quel est cet œil simple dont le Maître nous parle sinon cette simplicité d’intention qui rassemble dans l’unité toutes les forces dispersées de l’âme et unit à Dieu l’esprit lui-même. C’est la simplicité qui rend à Dieu honneur et louange ; c’est elle qui Lui présente et Lui offre les vertus. Puis, se pénétrant et se traversant elle-même, traversant et pénétrant toutes les créatures, elle trouve Dieu dans sa profondeur. Elle est le principe et la fin des vertus, leur splendeur et leur gloire. J’appelle intention simple celle qui ne vise qu’à Dieu, rapportant toutes choses à Dieu. C’est elle qui place l’homme en présence de Dieu ; c’est elle qui lui donne lumière et courage ; c’est elle qui le rend vide et libre, aujourd’hui et au jour du jugement, de toute crainte. Elle est la pente intérieure et le fondement de toute la vie spirituelle. Elle foule aux pieds la mauvaise nature, elle donne la paix, elle impose silence aux bruits vains qui se font en nous. » [7]

Nous pouvons trouver de nombreux ministres dans l’histoire qui ont suivi ces conseils, non seulement pour ne pas tomber dans le scandale mais aussi pour accomplir tout un chemin de purification. Voici ce qu’en disait M. Olier, célèbre prêtre du XVIIe siècle :

« Qu’il est beau de voir des yeux morts à eux-mêmes et à leur amour-propre, morts à toute curiosité et recherche inutile, qui après reçoivent en eux, par une divine résurrection, une vie intérieure par l’Esprit qui est diffus en eux, et qui les meut selon son gré et divine conduite. Alors ces yeux sont des flambeaux d’amour divin ; ce sont des ministres de grâce, des miroirs de pureté, des spectacles de mort chrétienne : bref, des objets de sainteté qui apprennent la séparation de tout l’être présent et la recherche de Dieu seul, qui use de ses membres pour la simple conduite du corps, et non pas pour la vanité, pour la complaisance et pour matière de satisfaction à autrui. » [8]

Récents scandales dans l’Église

L’actualité de l’été dernier a été marquée par la révélation de nouveaux scandales d’abus sexuels sur mineurs. Ces révélations se succèdent et nous laissent à chaque fois plus écoeurés et découragés : comment est-ce possible, qui sont les personnes qui pratiquent de pareilles abominations, pourquoi la hiérarchie a-t-elle été complice, peut-on faire confiance aux hommes d’Église ?

Les paroles de Jésus que nous lisons aujourd’hui semblent spécialement destinées à dénoncer ces crimes. Abus des faibles par les forts, les « petits qui croient en moi » et qui ont été précipités dans l’horreur de la violence et de la perversité. L’abus sexuel sur mineur n’est pas seulement du domaine de l’impureté, mais du domaine du meurtre : il profane le corps, la psychologie et l’âme. Il tue la capacité de l’enfant à tisser des relations humaines confiantes, le précipite dans la dépression, les troubles psychiques et parfois le suicide. De plus, il détourne souvent les victimes de Dieu. Tous ceux qui ont couvert ces crimes sont eux aussi coupables d’une forme de meurtre.

Prions pour les victimes qui ne peuvent plus se reconstruire et qui vivent l’enfer de la souffrance innocente. Prions pour leurs proches et pour tous ceux que ces scandales ont détourné de l’Église et du Christ. Ne défendons jamais ceux qui ont pu couvrir ces atrocités.

Prions pour le pape François, afin qu’il sache discerner ce qu’il doit dire et faire ; qu’il puisse agir efficacement et venir à bout de l’omerta d’hommes d’Église irresponsables qui, sous couvert d’aimer et protéger l’Église, en viennent à sacrifier les pierres vivantes que sont les mineurs innocents. Prions pour que les évêques et responsables de communautés soient vigilants dans la formation des futurs religieux et prêtres. Prions pour que tombent les masques du passé, et que les criminels en puissance soient arrêtés avant d’agir. Veillons tous sur les jeunes, dans l’Église et ailleurs, car ces scandales sévissent partout, sans nous laisser impressionner par les hiérarchies et les préséances, sans nous laisser dissuader par les liens familiaux et amicaux. Soyons toujours du côté du petit et du faible : c’est le parti du Christ.

Avertissement du Christ

Les paroles de Jésus sont dures parce qu’Il nous aime et veut nous éviter le précipice, mais aussi parce qu’il connaît le cœur de l’homme et l’œuvre que Satan peut y réaliser. Voici une citation d’un grand spirituel, le bienheureux dom Columba Marmion :

« Écoutons Jésus. Tout le long de sa prédication, il nous parle de l’enfer, non exclusivement, ni de préférence, mais souvent et avec une clarté qui ne laisse aucune obscurité : ‘si ton œil est pour toi une cause de scandale, arrache-le ; mieux vaut t’en priver que d’être plongé dans la géhenne, au feu inextinguible’ (Mc 9,47). Après le jugement dernier, ‘les bons iront à la vie éternelle, les mauvais au supplice éternel’ (Mt 25,46). Pourquoi notre divin Maître parle-t-il de la sorte, avec tant de netteté ? C’est qu’il est la vérité même. Son âme contemplait sans cesse la majesté incommensurable du Père, la sainteté infinie ; elle connaissait les exigences de cette justice qui ne peut souffrir le mal sans le réprouver : ‘Craignez celui qui peut perdre le corps et l’âme dans la géhenne’ (Lc 12,5). Et n’est-il pas remarquable que cette recommandation, il la fait à ses disciples préférés, ‘à cause de l’amour qu’il leur porte’ : Dico vobis amicis meis… ? C’est parce que les apôtres sont ‘ses amis’, ses familiers, qu’il les avertit en termes aussi graves ; il désire ardemment les voir échapper aux rigueurs redoutables de la justice à venir. Amicis meis : à ce titre même, nous devons écouter Jésus, quand sa dilection le pousse à nous mettre en garde contre le péché et les châtiments qu’il encourt. » [9]

Les peines de l’enfer, la meule et la mer, que Jésus brandit sous nos yeux, ne sont pas une punition injuste imaginée par Dieu. Le Seigneur est bon, Il ne menace pas, mais avertit pour nous détourner à tout prix. Ces peines sont le sort que nous nous réservons à nous-mêmes, l’enfer que nous construisons de nos mains à partir de nos crimes et de nos souillures. C’est pourquoi l’enfer est tout aussi réel que les atrocités commises dont il est l’envers, le corollaire logique. Voici comment en parlait François Mauriac :

« Depuis des siècles, le monde scandaleux entend, sans en être troublé, les imprécations de ce Juif et se rit de la menace. Il ne craint pas d’être ‘salé par le feu’ (c’est l’expression même dont use Jésus). Le monde ne croit pas à ce feu qui, au lieu de la consumer, conservera la chair torturée. ‘La géhenne de feu inextinguible’ qui a terrifié tant de créatures humaines depuis que le Fils de l’homme en a décrit l’horreur avec une insistance presque intolérable, ce brasier où le ver même du cadavre ne mourra point, ne châtie pas seulement les grands crimes selon le code des nations ; il est le juste prix des souillures spirituelles, du trouble mortel jeté dans de jeunes êtres ; il venge les âmes assassinées. Jésus, à un monde qui corrompt l’enfance, qui défie le désir et l’assouvissement, qui donne un nom de dieu à chaque convoitise, a l’audace d’opposer une loi presque inhumaine de candeur, et confère une valeur absolue à la chasteté, à l’intégrité du cœur et de la chair. Aucune atténuation : il vaut mieux se couper un membre qui nous incline au mal que de la conserver dans ce saloir de flammes : ‘car tout homme sera salé par le feu…’ » [10]


[2] Catéchisme de l’Église Catholique n° 2284 et 2285

[3] Ibid. nº2286.

[4] Lumen Gentium nº23.

[5] Julien Green, Ce qu’il faut d’amour à l’homme, XVI, Pléiade (vol. VI) p. 946.

[6] Les Pères Apostoliques, Sagesses chrétienns, Cerf, p 159.

[7] Élisabeth de la Trinité, Carmélite, J’ai trouvé Dieu, Tome 1/A des Œuvres Complètes, Cerf 1985, p.109.

[8] Jean-Jacques Olier, L’âme cristal – Des attributs divins en nous, Seuil 2008, p.204.

[9] Dom Columba Marmion, Le Christ idéal du prêtre, Maredsous 1952, p. 97.

[10] François Mauriac, Vie de Jésus, Flammarion 1936, p.137.


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