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Méditation : le Christ guérit notre surdité spirituelle

Alors que le Christ et ses disciples se déplacent en Décapole, nous assistons à un bel acte de solidarité humaine : quelques personnes, ayant entendu parler des prodiges du Maître de Galilée, lui amènent « un sourd qui avait aussi de la difficulté à parler » (Mc 7,32). Cette entraide naturelle, qui n’est pas forcément motivée par la foi, est touchante par la compassion qu’elle révèle. Elle est toujours d’actualité : innombrables sont les malheureux de par le monde, portés au Christ par l’Eglise, les parents ou les amis, dans l’espoir vague ou certain – selon les cas – d’une guérison. Nous contemplons ainsi le Christ médecin, qui se penche sur l’humanité malade, et en particulier sur son infirmité spirituelle.

Difficile est l’existence d’un sourd, privé du moyen principal de communication avec ses semblables ; difficile est l’existence de l’homme après le péché originel, privé de la communion avec Dieu, de ce dialogue spontané qu’Adam pouvait établir avec son Créateur. Le pape Benoît XVI nous invite à lire l’épisode évangélique dans ce sens :

Il n’existe pas seulement la surdité physique, qui isole l’homme en grande partie de la vie sociale. Il existe également un affaiblissement de la capacité auditive à l’égard de Dieu, dont nous souffrons particulièrement à notre époque. Tout simplement, nous n’arrivons plus à l’entendre – trop de fréquences différentes parasitent nos oreilles. Ce que l’on dit de Lui nous semble préscientifique, et ne semble plus adapté à notre temps. Avec l’affaiblissement de la capacité auditive ou même la surdité à l’égard de Dieu, nous perdons naturellement également notre capacité de parler avec Lui ou à Lui. De cette façon, toutefois, nous perdons une perception décisive. Nos sens intérieurs courent le danger de s’éteindre. Avec la disparition de cette perception, l’étendue de notre rapport avec la réalité en général est également limitée de façon drastique et dangereuse. L’horizon de notre vie se réduit de façon préoccupante. [1]

Ce texte nous conduit à nous interroger sur notre propre surdité spirituelle.

Qu’est-ce que me dit Dieu actuellement dans la prière ? Est-ce que je parle sans cesse, ou est-ce que je L’écoute aussi ? Comment résonnent en moi les paroles de la messe dominicale ou quotidienne, les paroles de la consécration et du sacrement de pardon, celles des membres de ma communauté ou de ma famille, par lesquelles Dieu me parle ? Quelles sont les paroles de l’Ecriture dont je vis ces temps-ci ? Est-ce qu’elles inspirent mes actes ou est-ce que j’y reste sourd ?

La compagnie d’enfants sourds nous émeut spontanément. De la même manière, le chrétien devrait posséder une sensibilité fine qui le porte à s’émouvoir au contact de tant de personnes, qui, dans nos sociétés, souffrent physiquement, moralement ou spirituellement, et attendent notre attention. Est-ce que je sais écouter les autres ou bien est-ce que je me dérobe ?

Face à ce que j’entends, est-ce que ma capacité à parler s’améliore ? Est-ce que j’échange des paroles sans profondeur, dénuées de sens profond, ou bien est-ce que mes paroles sont ,réfléchies et annoncent la joie de la résurrection ? Cette deuxième dimension, celle de la parole et du témoignage est importante : elle permet de ne pas nous replier sur les dons spirituels que nous avons reçus, ce qui serait retomber dans une forme de surdité plus subtile encore que la première… Dans nos rencontres et nos difficultés à témoigner du Christ, supplions le Seigneur de prononcer un nouvel « Effata », pour que notre langue se délie de tous les respects humains et sache « parler correctement » au service de nos frères. Le pape Benoît XVI nous y invitait :

Nous n’imposons notre foi à personne. Un tel genre de prosélytisme est contraire au christianisme. La foi ne peut se développer que dans la liberté. Mais c’est à la liberté des hommes, à laquelle nous faisons appel pour s’ouvrir à Dieu, le chercher, lui prêter attention. Nous tous ici réunis demandons au Seigneur de tout notre cœur de prononcer à nouveau son “Effatà !”, de guérir la faiblesse de notre ouïe pour Dieu, pour son action et pour sa parole, et de nous rendre capables de voir et d’écouter. Nous lui demandons de nous aider à retrouver la parole de la prière, à laquelle nous invite la Liturgie et dont il nous a enseigné la formule essentielle dans le Notre Père. [2]

Face à la misère spirituelle de l’homme se dresse la tendresse de Dieu pour ses enfants infirmes, son désir de leur donner la vie humaine en plénitude, qui comporte le recouvrement de notre santé humaine et l’ouverture aux réalités spirituelles. Il envoie son Fils comme médecin, et nous le voyons à l’œuvre dans la page d’évangile de ce dimanche. Son action très concrète, avec ses doigts et sa salive, pourrait dérouter notre mentalité moderne, mais le Catéchisme l’explique ainsi :

La compassion du Christ envers les malades et ses nombreuses guérisons d’infirmes de toute sorte (cf. Mt 4, 24) sont un signe éclatant de ce ” que Dieu a visité son peuple ” (Lc 7, 16) et que le Royaume de Dieu est tout proche. Jésus n’a pas seulement pouvoir de guérir, mais aussi de pardonner les péchés (cf. Mc 2, 5-12) : il est venu guérir l’homme tout entier, âme et corps ; il est le médecin dont les malades ont besoin (cf. Mc 2, 17). Sa compassion envers tous ceux qui souffrent va si loin qu’il s’identifie avec eux : ” J’ai été malade et vous m’avez visité ” (Mt 25, 36). Son amour de prédilection pour les infirmes n’a cessé, tout au long des siècles, d’éveiller l’attention toute particulière des chrétiens envers tous ceux qui souffrent dans leur corps et dans leur âme. Elle est à l’origine des efforts inlassables pour les soulager. Souvent Jésus demande aux malades de croire. Il se sert de signes pour guérir : salive et imposition des mains, boue et ablution. Les malades cherchent à le toucher ” car une force sortait de lui qui les guérissait tous ” (Lc 6, 19). Ainsi, dans les sacrements, le Christ continue à nous ” toucher ” pour nous guérir. [3]

Dans le récit de la guérison du sourd-bègue, nous voyons à l’œuvre les deux mystères principaux du Christ :

– l’Incarnation : c’est par son humanité parfaite que Jésus rejoint notre humanité blessée. Jésus prend l’homme à l’écart, met ses doigts dans ses oreilles et touche sa langue avec sa propre salive. Comme pour l’aveugle de Siloé ou celui de Bethsaïde, Jésus rejoint ainsi intimement cet homme et le greffe sur son propre corps, sa propre vie, patiemment et par étapes ;

– la Rédemption : c’est par le don de tout son être, ici timpliqué dans la guérison de cet homme, mais pleinement réalisé sur la Croix que Jésus nous sauve. L’icône que nous avons proposée pour cette semaine le représente plastiquement : la guérison provient de la puissance de la Croix.

Le geste de Jésus suggère aussi sa nature divine. En touchant de ses mains les oreilles de cet homme et en en mettant sa salive sur sa langue, il remodèle l’homme abîmé par le péché et par le mal ; Il reprend l’acte créateur du début de la Genèse : « Le Seigneur modela l’homme avec la glaise du sol, il insuffla dans ses narines une haleine de vie et l’homme devint un être vivant » (Gn 1, 7).

Un détail du récit évangélique devrait aussi nous inspirer : « Jésus l’emmena à l’écart, loin de la foule » (v.33). Jésus guérit souvent en public, mais parfois il prend aussi à part celui qui a besoin de son secours. Il s’adapte à la personne et aux circonstances, en témoignant de son attention individuelle pour chaque homme. Le plus souvent, il demande la discrétion et le silence, et renvoie vers les prêtres. Ainsi l’action de grâce est rendue à son Père et non à lui. Notre attitude est souvent si opposée lorsque nous prenons une petite initiative en faveur de notre prochain ! Les ministres des sacrements, en particulier, devraient vivre cet effacement qui permet aux fidèles d’entrer en contact avec le Christ, sans l’écran d’une personnalité humaine trop épaisse. Le cardinal Daniélou, qui possédait une présence sociale très marquante, recherchait l’opposé comme il le note dans son journal :

Ne rien recevoir que de Dieu. Rentrer dans cette solitude, où je trouve l’univers entier. […] Me retirer sur la montagne, hors des prises du monde. ‘Anima mea sicut passer erepta est’ [mon âme comme un oiseau s’est échappée, Ps 124]. Là, rien n’arrête le regard, qui se repose en Dieu dans le Silence, la Nuit, la Paix. Tout converge en ce sens, ô Jésus. Mon attrait, ce que les autres attendent de moi, mon status, les hommes qui m’attirent, l’image que vous me proposez de ce que vous voulez de moi. Etre un homme de Dieu, et pour cela un homme qui converse avec Dieu. Et qui ne peut parler que de Dieu. Rompre le fil de mon discours. Le reprendre à neuf. Qu’il y ait accord entre ma vie et ma parole. Et si ce n’est pas possible, le silence vaut mieux. Que d’ailleurs, ô Jésus, les autres ne souffrent pas de cela. Que je ne les aime que mieux… [4]

Notre surdité spirituelle est guérie par le Christ, à travers ses ministres fidèles qui nous administrent les sacrements, en ouvrant nos cœurs à l’action de l’Esprit. Mais qui, par exemple, connaît le nom du prêtre qui l’a baptisé dans son enfance ou de celui qui pour la première fois lui a donné la communion ou le pardon de Dieu ? La guérison est venue, l’union avec le Christ est restée, mais le ministre s’est effacé…

Depuis l’Antiquité, la célébration du baptême s’est inspirée de cette scène de l’évangile où Jésus soupire et désire de tout son cœur notre libération en disant : « Effata ! ». A l’époque de saint Ambroise (4º siècle), les grands mystères du salut étaient cachés au public (discipline de l’arcane), les catéchumènes en étaient instruits, puis ils étaient interrogés… Le baptême venait réaliser cette ouverture de tout l’être à la vie éternelle. Saint Ambroise invitait ainsi ses auditeurs à se rappeler l’administration de leur baptême :

Ouvrez donc les oreilles et aspirez la bonne odeur de vie éternelle répandue sur vous par le don des sacrements. C’est ce que nous avons remarqué quand nous disions, en célébrant les mystères de l’ouverture : ‘ Effata, c’est-à-dire, ouvre-toi’, pour que tous ceux qui allaient venir à la grâce sachent ce qu’on leur demanderait et se souviennent de ce qu’ils auraient à répondre. [5]

Le pape François actualise cette exhortation de saint Ambroise :

À l’origine de notre vie chrétienne, dans le baptême, il y a précisément ce geste et cette parole de Jésus : « Ephata ! — Ouvre-toi ! ». Et le miracle s’est réalisé : nous avons été guéris de la surdité de l’égoïsme et du mutisme de la fermeture et du péché, et nous avons été insérés dans la grande famille de l’Église ; nous pouvons écouter Dieu qui nous parle et communiquer sa Parole à ceux qui ne l’ont jamais entendue, ou à ceux qui l’ont oubliée et enterrée sous les épines des préoccupations et des tromperies du monde. [6]

Les deux infirmités que mentionne l’évangile du jour sont ainsi guéries par le baptême : la surdité, pour que nous écoutions la Parole et que nous obtenions la foi ; le mutisme, pour que nous puissions transmettre cette Parole à nos frères. Lorsque nous voyons l’entrain et l’énergie d’un chrétien fraîchement converti par rapport à sa vie passée, nous pouvons nous exclamer avec les foules : « Il fait entendre les sourds et parler les muets ! » (Mc 7,37).

Au cours de notre méditation, nous pouvons enfin nous inspirer de ce passage du « Petit journal » de sœur Faustine, où nous trouvons un dialogue très poignant « entre le Dieu de Miséricorde et l’âme désespérée », qui montre la gravité de la surdité spirituelle. En voici le début :

Jésus : « Ame plongée dans les ténèbres, ne désespère pas, tout n’est pas encore perdu, entre en conversation avec ton Dieu qui est tout Amour et Miséricorde. » Mais malheureusement l’âme demeure sourde à l’appel de Dieu et se plonge dans des ténèbres plus grandes encore. Jésus l’appelle à nouveau : « Ame, entend la voix de ton Père miséricordieux. » Une réponse s’éveille en l’âme : « Il n’y a plus pour moi de Miséricorde. » Et elle tombe plus bas encore, dans une sorte de désespoir qui lui donne comme un avant-goût de l’enfer et la rend complètement incapable de se rapprocher de Dieu. Pour la troisième fois, Jésus s’adresse à l’âme mais l’âme est sourde et aveugle et elle s’endurcit peu à peu dans le désespoir. Alors des profondeurs de la Miséricorde divine un dernier effort est tenté et sans aucune coopération de l’âme, Dieu lui donne Sa dernière grâce. Si elle la dédaigne, Dieu la laisse alors dans l’état où elle-même veut être pour les siècles. Cette Grâce provient du Cœur Miséricordieux de Jésus, elle touche l’âme de sa lumière et l’âme commence à comprendre l’effort de Dieu ; mais la conversion dépend d’elle. Elle sait que cette grâce est la dernière pour elle. Et si elle montre le moindre frémissement de bonne volonté aussi petit qu’il soit, la Miséricorde divine accomplit le reste. Jésus : « C’est ici qu’agit la Toute-Puissance de Ma Miséricorde ! Heureuse l’âme qui profite de cette grâce ! Quelle immense joie emplit Mon Cœur lorsque tu reviens vers Moi ! Je te vois si faible, c’est pourquoi Je te prends dans Mes bras et Je te porte à la Maison de Mon Père. » [7]

 


[1] Benoît XVI, Homélie du 10 septembre 2006.

[2] Benoît XVI, Homélie du 10 septembre 2006.

[3] Catéchisme, nº 1503-4.

[4] Jean Daniélou SJ, Carnets spirituels, Cerf 1993, p.368.

[5] Saint Ambroise de Milan, Des sacrements, I,3 : Sources Chrétiennes 25 bis, p. 156.

[6] Pape François, Angélus du 6 septembre 2015

[7] Soeur Fautine, Petit Journal, nº 1485


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