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Être envoyé en mission par le Christ : c’est l’expérience des apôtres dans l’évangile (Mc 6). La liturgie met en regard cette expérience avec celle des prophètes de l’Ancien Testament, à travers la figure d’Amos (Am 7).

La première lecture : la mission du prophète Amos (Am 7)

Effectuons un voyage imaginaire au royaume d’Israël. Nous sommes au début du VIIIe siècle avant notre ère (après Salomon, avant l’Exil). Sous l’égide du roi Jéroboam II, la situation du peuple élu est devenue confortable : conquêtes territoriales, enrichissement grâce au commerce… Le livre des Rois nous présente ce moment privilégié lorsqu’il dresse le portrait de Jéroboam : « C’est lui qui recouvra le territoire d’Israël, depuis l’Entrée de Hamat jusqu’à la mer de la Araba, selon ce que le Seigneur, Dieu d’Israël, avait dit par le ministère de son serviteur, le prophète Jonas fils d’Amittaï » (2R 14,25).

Cette réussite extérieure a ses zones d’ombres : oppression et pauvreté de toute une partie de la population; cultes de dieux étrangers dans de nombreux sanctuaires. Le livre des Rois note ainsi sévèrement : « Il [Jéroboam II, fils de Joas] fit ce qui déplaît au Seigneur, il ne se détourna pas de tous les péchés de Jéroboam fils de Nebat, où celui-ci avait entraîné Israël » (v.24). Le Seigneur choisit alors un homme de fort caractère, Amos, pour dénoncer haut et clair ces déviations. Un choix étonnant : Amos est originaire du petit royaume de Juda (au Sud), il doit prophétiser à Béthel, un sanctuaire du Nord ; il est agriculteur, probablement riche (bouvier, et soignant les sycomores, Am 7,14). Il va devenir le premier « prophète écrivain », ouvrant la série biblique des « douze prophètes mineurs ». Sa prédication est très sévère et fustige notamment les riches, indifférents à la souffrance des pauvres, en voici un exemple :

« [Malheur aux notables d’Israël,] couchés sur des lits d’ivoire, vautrés sur leurs divans, ils mangent les agneaux du troupeau et les veaux pris à l’étable. Ils braillent au son de la harpe, comme David, ils inventent des instruments de musique ; ils boivent le vin dans de larges coupes, ils se frottent des meilleures huiles, mais ils ne s’affligent pas de la ruine de Joseph ! C’est pourquoi ils seront maintenant déportés, en tête des déportés, c’en est fait de l’orgie des vautrés ! Le châtiment sera terrible » (Am 6,4-7).

On comprend aisément qu’une telle invective, proférée par un agriculteur du sud dans un sanctuaire du nord (Béthel), ait irrité le prêtre en charge de ce sanctuaire, Amazias : celui-ci apostrophe donc le prophète (voyant, v.12, cf. Is 1,1), veut l’expulser dans sa terre d’origine (fuis au pays de Juda) pour préserver l’honneur du roi (c’est ici un sanctuaire royal). Il l’avait auparavant dénoncé à l’autorité en expliquant : « Ainsi parle Amos : ‘Jéroboam périra par l’épée et Israël sera déporté loin de sa terre’ » (Am 7,11). De fait, on ne pouvait être plus « politiquement incorrect » !

Une figure apparaît en arrière-plan : les « prophètes professionnels », ces antiques confréries d’illuminés qui prétendaient délivrer des oracles, reçus au cours de transes, et que Samuel avait décrit ainsi : « une troupe de prophètes descendant du haut lieu, précédés de la harpe, du tambourin, de la flûte et de la cithare, et ils seront en délire » (1Sam 10,5). Amazias se moque d’Amos en l’assimilant à eux (en faisant ton métier de prophète, v.12), mais Amos se défend d’appartenir à ce genre de charlatans : « Je n’étais pas prophète ni fils de prophète… » (v.14).

Munis de tout ce contexte, nous comprenons mieux le rôle de la première lecture : présenter le mystère de la vraie vocation prophétique. Non pas un privilège qui se transmettrait de père en fils, ou une profession parmi d’autres, mais un mystère qui a plusieurs points communs avec l’évangile du jour :

  • Amos tient directement sa vocation de Dieu et non de lui-même ou d’un  autre homme (le Seigneur m’a saisi quand j’étais derrière le troupeau), comme les apôtres que Jésus a spécialement choisis (il appela les Douze à lui, Mc 6,7), formant un groupe particulier parmi les disciples ;
  • Amos bénéficie d’une intimité spéciale avec le Dieu d’Israël, dont il connaît la volonté (c’est lui qui m’a dit), de même que les Douze à qui Jésus explique tout en privé (cf. Mc 4,34 : il expliquait tout à ses disciples en particulier)
  • Il est envoyé au-devant du Peuple élu pour y représenter le Seigneur (Va, tu seras prophète…), comme les apôtres dont le nom signifie la mission : « envoyés deux par deux » (Mc 6,7).

L’évangile : envoi des Douze (Mc 6)

L’appel d’Amos éclaire la vocation prophétique  des Douze, en particulier le ministère de la Parole : « Jésus parcourait les villages d’alentour en enseignant » (Mc 6,6), et c’est pour répandre cet enseignement qu’Il envoie ses apôtres : « Ils proclamèrent qu’il fallait se convertir » (v.12).

L’évangile dit que Jésus « commença à les envoyer » (v.7) : il s’agit donc  d’un premier essai, le début d’une longue série que Jésus, en bon pédagogue, initie. Dans ce premier exercice d’évangélisation, Jésus semble surtout vouloir éduquer les Douze à la foi, en leur donnant de faire l’expérience de la nouveauté du Royaume, qui s’oppose au règne de Satan. Le pape François relève la beauté de son geste :

« Il les envoie dans les villages, deux par deux, pour annoncer que le Royaume de Dieu est proche. Cela est très beau ! Jésus ne veut pas agir tout seul, il est venu pour apporter au monde l’amour de Dieu et il veut le diffuser avec le style de la communion, avec le style de la fraternité. C’est pour cela qu’il forme immédiatement une communauté de disciples, qui est une communauté missionnaire. Il les entraîne immédiatement à la mission, à partir… » Pape François, Angelus du 7 juillet 2013, https://w2.vatican.va/content/francesco/fr/angelus/2013/documents/papa-francesco_angelus_20130707.pdf

Nouveaux prophètes, les apôtres devraient connaître le même sort qu’Amos. Mais c’est l’inverse qui se produit : ils chassent les démons, guérissent et reçoivent apparemment une certaine audience.

Cet accueil est une grande nouveauté, d’autant plus que Marc nous raconte un événement douloureux, entre le départ des Douze en mission (6,6), et leur retour forts de leur succès (6,30): Jean-Baptiste, un autre prophète, est arrêté et décapité (6,14-29). Le récit de Marc suggère une différence entre le plus grand prophète de l’ordre ancien et les disciples de Jésus, comme pour bien signifier qu’une ère nouvelle s’est ouverte. De fait, il y a dans l’enseignement de Jésus quelque chose de nouveau et de particulier qui fait autorité. Le temps des persécutions pour les disciples viendra après la Crucifixion, mais dans ce premier temps d’inauguration du Royaume, les disciples rencontrent un certain succès.

La mission des Douze dépasse celle des anciens prophètes écrivains : ils reçoivent « autorité sur les esprits impurs » ; ils « guérissaient de nombreux malades ». En bref, ils accomplissent les mêmes œuvres que Jésus dans ce début d’évangile, parce que Jésus les investit directement de son pouvoir. Un bémol toutefois dans le récit de cette première mission : si la prédication des Douze intéresse, s’ils opèrent des guérisons et expulsions de démons, rien n’est dit explicitement des conversions.

Dans ces premiers chapitres de Marc se développent parallèlement un enthousiasme pour l’Évangile et une difficulté à y adhérer pleinement. Implicite chez les apôtres, dont la foi reste fragile (Mc 4, 40), cette difficulté devient, chez les élites, une franche hostilité qui aboutit au rejet du Christ; un rejet explicite à Nazareth (6,5), violent chez Hérode à travers Jean-Baptiste (6,17-29), croissant parmi les autorités religieuses (3,22). Jésus ne se fait aucune illusion et prépare ses disciples à cette opposition en leur disant comment se comporter en ce cas : « si on refuse de vous accueillir et de vous écouter… » (v.11).

Cette première mission des Douze présente donc le double aspect de la prédication chrétienne, modelée sur celle de Jésus. Celle-ci comporte, d’une part, le témoignage prophétique qui dénonce le péché du monde, et qui doit avertir les consciences endurcies pour qu’elles se tournent radicalement vers Dieu; c’est pourquoi les apôtres devront « secouer la poussière de leurs pieds », pour signifier qu’un village d’Israël qui rejetterait le Royaume serait assimilable aux villes païennes dont on ne veut pas être souillé. Ce que Jésus appelle un « témoignage », un avertissement solennel de la part de Dieu.

Mais la prédication consiste aussi à accomplir l’œuvre bienfaisante du Seigneur qui soigne les personnes dans toutes leurs dimensions : physique par la guérison des maladies, morale par la prédication, spirituelle par l’expulsion des démons… Une prise en charge holistique de la personne que nous retrouvons dans les sacrements : ce passage est l’un des fondements bibliques de l’Onction des malades, comme l’explique le Catéchisme :

« L’Église croit et confesse qu’il existe, parmi les sept sacrements, un sacrement spécialement destiné à réconforter ceux qui sont éprouvés par la maladie : l’Onction des malades. Cette onction sainte des malades a été instituée par le Christ notre Seigneur comme un sacrement du Nouveau Testament, véritablement et proprement dit, insinué par Marc [cf. Mc 6, 13], mais recommandé aux fidèles et promulgué par Jacques, apôtre et frère du Seigneur [cf. Jc 5, 14-15] » Catéchisme, nº1511, http://www.vatican.va/archive/FRA0013/__P4F.HTM

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[2] Catéchisme, nº1511.


Onction des malades

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