lecture

À l’écoute de la Parole

« Viens, Esprit Saint » : cette invocation, l’Église ne cesse de la répéter depuis sa naissance, marquée par l’effusion de l’Esprit. Cet Esprit Saint anime le cœur des croyants, il habite la vie de l’Église, il la porte à sa pleine réalisation. Le don de l’Esprit est bien entendu au centre de toute la liturgie de Pentecôte. L’événement lui-même est raconté dans les Actes (Ac 2), une lecture commune aux trois années liturgiques.

La première lecture : le récit de la Pentecôte (Ac 2)

Cinquante jours après la Pâque, les Juifs célèbrent la fête de la Pentecôte, qu’ils nomment « שׁבועות, Shavouot » : la fête des semaines, puisqu’elle a lieu une semaine de semaines (7*7=49 jours) après Pâques, pour la fin de la récolte. Elle commémore le don de la Loi dans le désert et l’Alliance entre Dieu et son peuple. Alors que Dieu avait jadis donné au peuple hébreu une Loi écrite lui permettant de se conformer à sa volonté, il inscrit désormais cette loi directement dans les cœurs en donnant aux croyants l’Esprit de son propre Fils, selon la prophétie de Jérémie :

« Voici l’alliance [nouvelle] que je conclurai avec la maison d’Israël après ces jours-là, oracle du Seigneur. Je mettrai ma Loi au fond de leur être et je l’écrirai sur leur cœur. Alors je serai leur Dieu et eux seront mon peuple » (Jr 31,33).

Habités par l’Esprit de Jésus, les croyants vont porter l’évangile à l’ensemble du monde connu. Le récit de ce jour est donc le début d’une aventure qui dure encore et qu’il faut replacer dans la dynamique de ce deuxième chapitre des Actes : entendant les apôtres parler en langues, certains auditeurs se moquent et les déclarent ivres (v.13). Pour la première fois, Pierre prend alors la parole en public et inaugure la première prédication de l’histoire de l’Église (Ac 2,14-36). Ses paroles bouleversent l’auditoire qui demande à embrasser la foi chrétienne. (vv. 37-41). Pierre administre le baptême aux néo-convertis, un baptême à grande échelle puisqu’il concerne trois mille personnes en un seul jour. La fin du chapitre décrit la vie de la communauté (vv.42-47), qui obéit à un schéma totalement nouveau : fréquentation commune et assidue de l’Eucharistie et de l’assemblée de prière, apostolat, partage des biens, charité fraternelle.

Il est par ailleurs significatif que Luc énumère le nom des nations représentées alors à Jérusalem et qui symbolisent l’univers entier : cette scène annonce, en effet, la mission universelle des Douze, décrite ensuite tout au long du livre des Actes. La Pentecôte est comme à une explosion de la grâce dont la violence va se faire ressentir dans l’univers entier. A la fois dans le temps, puisque l’annonce des Apôtres résonne encore vingt siècles après l’événement, et dans l’espace, puisque Paul ira jusqu’à Rome pour « proclamer le Royaume de Dieu et enseigner ce qui concerne le Seigneur Jésus Christ avec pleine assurance et sans obstacle » (phrase finale des Actes).

Quelque chose de bien réel et de très fort s’est donc passé ce jour-là, pour que les disciples aient ainsi changé de comportement. Le groupe des disciples de Jésus est devenu l’Église, habitée par l’Esprit. Cet événement fondateur est si important qu’il se répète à plusieurs reprises, comme des vagues secondaires d’un premier impact sur un lac.

Au chapitre 4 des Actes, l’Esprit-Saint fond sur la communauté réunie en action de grâces autour de Pierre et Paul à peine libérés : « quand ils eurent fini de prier, le lieu où ils étaient réunis se mit à trembler, ils furent tous remplis du Saint-Esprit et ils disaient la parole de Dieu avec assurance » (Ac 4, 31).

Au chapitre 10, l’Esprit descend sur le groupe rassemblé dans la maison de Corneille pour entendre prêcher Pierre : « Pierre parlait encore quand l’Esprit-Saint descendit sur tous ceux qui écoutaient la Parole. Les croyants qui accompagnaient Pierre et qui étaient juifs d’origine, furent stupéfaits de voir que, même sur les nations, le don de l’Esprit-Saint avait été répandu. En effet, on les entendait parler en langues et chanter la grandeur de Dieu » (Ac 10, 44-46).

Partout où les premiers disciples passeront, ils auront à cœur, en plus du baptême, de proposer le don de l’Esprit – l’embryon de notre confirmation – aux nouveaux croyants, qui parfois n’en ont jamais entendu parler. C’est ce que montre le dialogue entre Paul et les croyants d’Éphèse : « Il leur dit : ‘ Lorsque vous êtes devenus croyants, avez-vous reçu l’Esprit Saint ?’ Ils lui répondirent : ‘ Nous n’avons même pas entendu dire qu’il y a un Esprit Saint.’ » (Ac 19, 2) Paul les enseigne et les baptise puis appelle l’Esprit sur eux : « Ils se firent baptiser au nom du Seigneur Jésus. Et quand Paul leur eut imposé les mains, l’Esprit Saint vint sur eux, et ils se mirent à parler en langues mystérieuses et à prophétiser » (v.6).

La deuxième lecture : la chair et l’Esprit (Ro 8)

Le même saint Paul nous décrit magistralement, dans la lettre aux Romains, l’action de l’Esprit dans la vie du croyant. Comme à son habitude, l’apôtre des Nations construit son discours sur une opposition bien marquée. L’Esprit-Saint fait passer de la logique de la chair à celle de l’Esprit. En effet, l’homme peut ou bien vivre « sous l’emprise de la chair » (v.9), ou bien se laisser « conduire par l’Esprit de Dieu » (v.14).

Selon la chair, l’humanité est tournée vers elle-même et les seules réalités de cette terre. Elle est prisonnière de sa tendance au péché ; la théologie parle de « nature déchue ». Enfermés dans l’horizon de ce monde, sans remède face au mal moral qui la ronge, et donc sans espoir, elle est coupée de Dieu et va à la mort spirituelle : « car la tendance la chair est ennemie de Dieu, elle ne se soumet pas à la loi de Dieu, elle n’en est même pas capable. Ceux qui sont sous l’emprise de la chair ne peuvent pas plaire à Dieu » (vv 7-8).

Lorsque Paul parle de la chair, il ne pense pas seulement aux mauvaises « tendances charnelles », mais à toutes les formes de péché qui proviennent d’un raisonnement strictement humain privé de la lumière de l’Esprit-Saint. Dans la lettre aux Galates il en énumère les conséquences : « on sait bien tout ce que produit la chair : fornication, impureté, débauche, idolâtrie, magie, haines, discorde, jalousie, emportements, disputes, dissensions, scissions, sentiments d’envie, orgies, ripailles et choses semblables… » (Gal 5,19-21).

Une situation terrible que le Christ est venu rejoindre en s’incarnant, pour nous en libérer : « En effet, quand Dieu a envoyé son propre Fils dans une condition charnelle semblable à celle des pécheurs, pour vaincre le péché, il a fait ce que la loi de Moïse ne pouvait pas faire à cause de la faiblesse humaine : il a condamné le péché dans l’homme charnel » (v.3). Pour nous transmettre ce Salut, il nous a fait don de son Esprit, qui habite en nous, nous libère du péché et nous réconcilie avec Dieu : « tous ceux qu’anime l’Esprit de Dieu sont fils de Dieu » (v.14). Plus qu’une réconciliation, il s’agit donc d’une véritable adoption, qui fait de nous des « enfants de Dieu ». Nous sommes habités par un nouveau principe de vie et mus par l’Esprit du Christ dont les fruits sont multiples : « le fruit de l’Esprit est charité, joie, paix, longanimité, serviabilité, bonté, confiance dans les autres, douceur, maîtrise de soi… » (Gal 5,22). C’est cette même profusion de dons que la séquence Veni Sancte Spiritus, chantée avant l’Alléluia, énumère avec jubilation pour nous inviter à l’émerveillement : lumière, repos, fraîcheur, réconfort, purification, apaisement, guérison etc…

Pour nous qui sommes des croyants encore en chemin sur cette terre, un choix se présente à chaque instant : faire triompher l’Esprit, ou rester sous l’emprise de la chair. Paul nous avertit des conséquences de ce choix : « Si vous vivez selon la chair, vous allez mourir ; mais si, par l’Esprit, vous tuez les agissements de l’homme pécheur, vous vivrez » (v.13). Cette vie éternelle que Jésus est venu nous apporter comportera aussi le salut de notre corps, une autre œuvre de l’Esprit : « Celui qui a ressuscité Jésus, le Christ, d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous » (v.11).

Dans le même temps, Paul insiste : Jésus nous a vraiment libérés par sa Passion et le don de l’Esprit achève cette libération. Nous pouvons mener victorieusement le combat de la vie selon l’Esprit : « Or vous, vous n’êtes pas sous l’emprise de la chair, mais sous celle de l’Esprit puisque l’Esprit de Dieu habite en vous » (v 9) ; « vous n’avez pas reçu un Esprit qui fait de vous des esclaves et vous ramène à la peur » (v15).

La fête de Pentecôte célèbre ces réalités, en étant l’achèvement du mystère pascal : Jésus est mort pour nos péchés, il nous entraîne dans sa résurrection et le don de son Esprit nous permet de ne plus obéir qu’à lui. Benoît XVI l’exprime ainsi :

« Si, en un certain sens, toutes les solennités liturgiques de l’ Église sont grandes, celle de la Pentecôte l’est d’une manière particulière, parce qu’elle marque, au bout de cinquante jours, l’accomplissement de l’événement de la Pâque, de la mort et de la résurrection du Seigneur Jésus, à travers le don de l’Esprit du Ressuscité. » [1]

L’évangile : promesse de l’Esprit (Jn 14)

Dans l’intimité du Cénacle, Jésus nous dit en quoi consiste l’amour de Dieu : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole… Celui qui ne m’aime pas ne garde pas mes paroles… » (Jn 14,23-24). Il nous appelle à garder ses commandements, et laisse entendre que le désir humain de fidélité ouvre la voie à l’Esprit. C’est parce que l’homme veut rester fidèle à Jésus que celui-ci peut prier le Père d’envoyer le Défenseur, qui soutiendra et accompagnera « pour toujours » le croyant. Jésus est venu nous arracher à l’esprit du monde – au règne de la chair pour reprendre les termes de Paul – qui ne peut connaître l’Esprit du Christ, « l’Esprit de Vérité, que le monde ne peut pas recevoir, parce qu’il ne le voit pas ni ne le reconnaît. » (v.17)

On comprend alors la question de Jude, omise par la liturgie, qui s’inquiète du sort du monde parce qu’il ne fait pas encore cette distinction : « Seigneur, que se passe-t-il ? Est-ce à nous que tu vas te manifester et non pas au monde ? » (v.22).

La grande promesse de Jésus d’envoyer l’Esprit met toute la Trinité à l’œuvre, dans une action d’amour merveilleuse : le Christ intercède pour nous devant son Père, pour obtenir le don du Défenseur (v.16) qui est son propre Esprit. Il rendra amour pour amour aux croyants : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera et vous viendrons vers lui et nous nous ferons une demeure chez lui. » (v.23) Nous nous retrouvons soudain au centre de l’attention de la Trinité elle-même, objets de son amour tout-puissant ; nous sommes appelés gratuitement à devenir membres de cette communion sainte ( enfants de Dieu). Saint Claude La Colombière l’exprime de manière originale :

« Parmi toutes les créatures, il n’en est point où Dieu paraisse s’être plus appliqué, il n’en est point qui semble lui avoir plus coûté que l’homme. Les trois personnes divines y ont travaillé longtemps et en divers temps : elles se sont comme efforcées de le perfectionner, d’en faire leur ouvrage le plus admirable, de se faire elles-mêmes admirer dans ce chef-d’œuvre. Le Père ébaucha l’homme pour ainsi dire en le créant, le Fils a avancé l’ouvrage durant l’espace de trente-trois ans qu’il a vécu sur la terre : mais il faut avouer que c’est le Saint-Esprit qui l’a fini. » [2]

Jésus mentionne un point important quant au rôle de l’Esprit dans la vie de l’Église : « Il vous enseignera tout et vous rappellera tout ce que je vous ai dit » (v.26). On peut y voir une allusion à deux dons de l’Esprit-Saint : le don de science et le don d’intelligence. Le premier permet de comprendre les choses créées dans leur rapport avec la vérité divine. Voici ce qu’en dit le pape François :

« La science qui vient de l’Esprit Saint, toutefois, ne se limite pas à la connaissance humaine : c’est un don spécial, qui nous conduit à saisir, à travers la création, la grandeur et l’amour de Dieu et sa relation profonde avec chaque créature. » [3]

Le don d’intelligence, quant à lui, nous permet de pénétrer le sens profond des vérités divines, alors qu’elles restent mystérieuses en elles-mêmes. Voici, à nouveau le commentaire du pape François :

« Il ne s’agit pas de l’intelligence humaine, de la capacité intellectuelle dont nous pouvons plus ou moins être pourvus. Il s’agit en revanche d’une grâce que seul l’Esprit Saint peut donner et qui suscite chez le chrétien la capacité d’aller au-delà de l’aspect extérieur de la réalité et scruter les profondeurs de la pensée de Dieu et de son dessein de salut (…) ce don nous fait comprendre les choses comme Dieu les comprend, avec l’intelligence de Dieu. » [4]

Cette promesse de Jésus s’adresse d’abord aux apôtres et à leurs successeurs immédiats pour les assister dans leur mission, qui consiste – au début de l’Église – à mettre par écrit la Parole de Dieu (Écriture), et à transmettre tout le patrimoine spirituel laissé par Jésus (Tradition). Ils devront aussi, au cours des siècles, exercer le Magistère, qui explicite la Parole dans l’enseignement, et en tire une application concrète pour la vie chrétienne. Le Catéchisme y montre l’action de l’Esprit :

« Dans l’œuvre d’enseignement et d’application de la morale chrétienne, l’Église a besoin du dévouement des pasteurs, de la science des théologiens, de la contribution de tous les chrétiens et des hommes de bonne volonté. La foi et la mise en pratique de l’ É vangile procurent à chacun une expérience de la vie ‘dans le Christ’, qui l’éclaire et le rend capable d’estimer les réalités divines et humaines selon l’Esprit de Dieu (cf. 1 Co 2, 10-15). Ainsi l’Esprit Saint peut-il se servir des plus humbles pour éclairer les savants et les plus élevés en dignité. » [5]

Le rôle d’enseignement de l’Esprit-Saint se traduit également dans la prédication et le témoignage rendu au Christ. Il concerne surtout les clercs mais aussi, à leur mesure, tous les baptisés chargés de rendre compte de leur foi et d’évangéliser leurs frères. C’est la raison pour laquelle la première manifestation du don de l’Esprit à la Pentecôte (Ac 2) est le discours en langues qui permet de rejoindre tout homme quelle que soit sa langue, sa culture et aussi son niveau d’entendement : « Tous furent alors remplis de l’Esprit Saint et commencèrent à parler en d’autres langues, selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer. » (v.4)

Les apôtres commencent donc immédiatement leur ministère de transmission, prédication, conversion, témoignage… Avec une puissance et une autorité qui laissent pantois les auditeurs de ces modestes Galiléens. Saint Luc ne nous précise pas le sujet de leur témoignage, mais note simplement que la foule les entendait « parler dans nos langues des merveilles de Dieu » (v.11). C’est le grand discours de Pierre, comme nous l’avons déjà mentionné plus- haut (vv.14-36), qui manifestera le contenu de l’annonce (le kérygme), toute centrée sur la vie de Jésus. La promesse du cénacle (il vous enseignera tout) s’accomplit de façon immédiate et éclatante.

Ainsi s’accomplit un verset du Psaume 104 : «

Quelle profusion dans tes œuvres, Seigneur ! La terre s’emplit de tes biens…

» (v.24) Ce qui valait pour la Création est désormais vrai pour la Rédemption : les biens spirituels, par le ministère des apôtres et l’action de l’Esprit, remplissent toute la terre et ramènent au Créateur l’immense moisson des âmes…

 

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[1] Benoît XVI, homélie du 12 juin 2011.

[2] Saint Claude la Colombière, Œuvres complètes (édition Seguin, 1832), tome II, p. 3.

[3] Audience générale du 21 mai 2014.

[4] Audience générale du 30 avril 2014.

[5] Catéchisme, nº2038.


La Pentecôte (cathédrale de Saint Louis, MO)

La Pentecôte (cathédrale de Saint Louis, MO)


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