Quelle figure contradictoire que Jean-Baptiste ! Il est radical dans l’appel à la conversion, et il emploie une dureté de ton qui dérange nos habitudes et nos convenances. Comment se permet-il d’apostropher les foules, qui viennent implorer le pardon, par l’expression intolérante d’« engeance de vipères » (Lc 3, 7) ?
Pourtant, Jean est aussi celui qui retrouve toute douceur et humilité lorsqu’il parle du Messie, vers lequel toute sa vie est tendue : « Il vient, Celui qui est plus fort que moi ; je ne suis pas digne de dénouer la courroie de ses sandales. » (Lc 3, 16) Ou encore : « L’ami de l’époux est ravi de joie à la voix de l’époux… Il faut qu’il grandisse et que je diminue. » (Jn 3, 30) Jean s’efface devant la personne du Christ. Il n’est qu’une « voix qui crie dans le désert »… Dans un sermon célèbre, saint Augustin mettait en relation le Christ avec le Précurseur, comme la parole avec la voix :
« Jean était la voix, mais le Seigneur au commencement était la Parole. Jean, une voix pour un temps ; le Christ, la Parole au commencement, la Parole éternelle. Enlève la parole, qu’est-ce que la voix ? Là où il n’y a rien à comprendre, c’est une sonorité vide. La voix sans la parole frappe l’oreille, elle n’édifie pas le cœur. »
Saint Augustin, Sermon 193, 3.
Combiner l’appel à la conversion et l’effacement dans le désert, le don de soi dans la radicalité et la discrétion parfaite : une tâche difficile pour le chrétien d’aujourd’hui, que la figure de Jean-Baptiste vient inspirer. Comme l’écrivit Origène : « Quant à moi, je pense que le mystère de Jean, encore aujourd’hui, s’achève dans le monde. » (In Lucam 4) Saint Jean-Paul II soulignait également l’actualité du Précurseur :
« Lorsque, dans la liturgie de ce jour de l’Avent, l’Église nous répète l’appel de Jean-Baptiste clamé sur le Jourdain, elle veut que cette “préparation” réalisée de jour en jour, d’étape en étape, qui constitue la trame de toute notre vie, nous la réalisions en nous souvenant de Dieu. Parce qu’en fin de compte, c’est à la rencontre avec lui que nous nous préparons. Et toute notre vie sur la terre a définitivement sens et valeur quand nous nous préparons toujours, avec constance et cohérence, à cette rencontre. »
Pape Jean-Paul II, Homélie, 9 décembre 1979.
Notre méditation suivra ce parcours : l’Avent nous invite à la conversion, pour que nous devenions une voix qui transmette la parole de Dieu et non sa propre vacuité ; puis nous sommes invités à l’annonce : être une voix qui crie dans le désert de ce monde.
Conversion : sortir au désert
Appelé à une annonce sublime, Jean a appris par le jeûne et la prière à ne pas se mettre en avant, comme le suggère la mention de l’évangéliste : « Il demeurait dans les déserts jusqu’au jour de sa manifestation à Israël. » (Lc 1, 80) C’est le sens de sa longue préparation loin des hommes : une mission si grande comportait des tentations plus grandes encore. Romano Guardini nous présente cette période de sa vie :
« Ce garçon est appelé à une vie grande et lourde. La main du Seigneur s’est posée sur lui, l’éloignant de tout ce qui remplit d’ordinaire une existence humaine, lui assignant le désert comme demeure. Il y vit séparé de tous, dans l’austérité, croissant spirituellement, toute son âme tendue vers la volonté sainte qui se tourne vers lui. »
R. Guardini, Le Seigneur, op. cit., p. 49.
Sa mission de précurseur achevée, Jean reste humblement dans les entrailles de la prison d’Hérode en attendant sa décapitation… Une dernière fois, il précède humblement son Maître : d’abord par la naissance, puis par l’annonce, enfin par le martyre.
Reconnaissons tout d’abord l’urgence de la conversion, pour nous préparer comme Jean. La nécessité d’une « voix qui crie dans le désert » est d’une actualité brûlante dans les déserts de notre monde, mais où le Seigneur pourra-t-il trouver des voix dignes de lui ? Chiara Lubich décrivait l’apparition de la Parole dans le monde moderne, toujours aussi bruyant et éloigné de Dieu :
« Notre âme est souvent inondée par un tourbillon de voix provenant de toutes parts, surtout lorsqu’elle ne sait pas encore ce que signifie aimer Dieu. Ce sont des voix insonores, mais fortes : voix du cœur, voix de l’intellect, voix du remords, voix de l’amertume, voix des passions… et nous suivons tantôt l’une, tantôt l’autre, en remplissant notre journée d’actes qui concrétisent ces voix, ou au moins sont déterminés, de quelque façon, par ces voix. C’est pourquoi notre vie, même si nous sommes dans la grâce de Dieu, n’est illuminée que rarement par le soleil, et le reste s’immerge dans un ennui que condamne souvent une voix plus forte que les autres : il ne semble pas que ce soit cela la vraie vie, la vie en plénitude. Au contraire, si l’âme se tourne vers Dieu et commence à l’aimer, et si son amour est sincère, s’il est concret, s’il est de chaque instant, alors entre toutes ces voix qui accompagnent la vie, de temps en temps, elle en découvre une particulière. Plus qu’une voix, c’est une lumière qui ouvre une brèche, avec douceur, dans le concert compliqué de l’âme. C’est une pensée presque imperceptible qui s’offre à l’âme, peut-être plus délicate que les autres, plus subtile. Il s’agit, parfois, de la voix de Dieu. »
C. Lubich, Spesso l’amore non è amore in La dottrina spirituale, Mondadori, 2001, p. 190 (notre traduction).
Pendant l’Avent, nous ressentons ce désir de sortir du brouillard spirituel où nous errons comme des aveugles, et de nous affranchir du brouhaha assourdissant de ce monde. L’appel à la conversion personnelle est donc pressant. Laissons s’exprimer cette nostalgie de Dieu que l’Esprit Saint sème dans nos cœurs ; portons nos oreilles internes sur l’essentiel, cette présence du Seigneur au seuil de notre âme, qui frappe doucement et voudrait qu’on lui ouvre la porte. Saint Jean-Paul II l’a très bien expliqué en s’appuyant sur l’évangile de ce dimanche :
« Le terme “Préparez” est la parole de la conversion − en grec lui correspond l’expression metanoia ; à cela, on voit que cette expression s’adresse à l’homme intérieur, à l’esprit humain. Et c’est ainsi qu’il faut comprendre le mot “Préparez”. Le langage du prédécesseur du Christ est métaphorique. Il parle des voies, des sentiers qu’il faut “aplanir”, des montagnes ou collines qu’il faut abaisser, des ravins qu’il faut “combler” pour leur donner un niveau mieux approprié ; il parle enfin des chemins raboteux qu’il faut “niveler”. Tout ceci est dit par métaphore comme s’il s’agissait de se préparer à accueillir un hôte particulier à qui l’on doit rendre le pays accessible, le rendre attrayant et digne d’être visité. »
Pape Jean-Paul II, Homélie, 9 décembre 1979.
Voilà une belle interprétation spirituelle du passage d’Isaïe 40 : la terre qu’habite le peuple saint va bientôt être visitée par son Seigneur, il convient donc de la préparer. Que tous se mettent au travail pour offrir au grand Roi un pays digne de sa personne… Mais de quelle terre s’agit-il ? La vraie terre sainte, c’est l’âme de l’homme où Dieu veut résider ; c’est là qu’il veut naître de nouveau à Noël. Nous avons quelques semaines pour nous y préparer. Origène le décrit à merveille :
« Que chacun se considère soi-même, ce qu’il était avant de croire, et il découvrira qu’il a été une vallée basse, une vallée en pente rapide, plongeant vers les bas-fonds. Mais le Seigneur Jésus a envoyé l’Esprit Saint, son remplaçant. Alors toute vallée a été comblée, par les bonnes œuvres et les fruits de l’Esprit Saint. La charité ne laisse pas subsister en vous de vallée, si bien que, si vous possédez la paix, la patience et la bonté, non seulement vous cesserez d’être une vallée, mais vous commencerez à être la montagne de Dieu. […] Le texte poursuit : “Les passages tortueux deviennent droits.” Chacun de nous était tortueux, du moins s’il l’était et ne le reste plus aujourd’hui, car, par l’avènement du Christ qui s’est réalisé pour notre âme, tout ce qui était tortueux a été redressé. À quoi peut-il nous servir, en effet, que le Christ soit venu jadis dans la chair, s’il n’est pas venu aussi jusqu’à notre âme ? […] Donc Jésus mon Seigneur est venu ; il a égalisé nos aspérités et converti en routes unies tout ce qui était chaotique, pour faire de nous un chemin sans danger de chute, un chemin facile et très droit, pour que Dieu le Père puisse progresser en nous et que le Seigneur Jésus-Christ fasse en nous sa demeure et dise : “Mon Père l’aimera, nous viendrons chez lui, nous irons demeurer auprès de lui.” (Jn 14, 23) »
Origène, Homélies sur saint Luc, coll. « Sources Chrétiennes », n° 87, Cerf, 1962, p. 300-302.
N’ayons pas peur d’affronter ces misères et pauvretés internes, si l’Esprit nous y invite : dans le désert résonne bien la voix exigeante du Précurseur, mais nous y rencontrons le Christ notre frère dont la tendresse s’étend sur notre vie, une tendresse que saint Paul nous rappelait en deuxième lecture. Quel désert aride se cache en nous, qui a besoin d’être irrigué par la grâce ? Quel sentier tortueux de comportements ambivalents, quels ravins de péché et quelles montagnes d’orgueil et de vanité déforment encore notre cœur ?
Pour prendre une résolution concrète, il me suffit d’imaginer que ma rencontre définitive avec Jésus aura lieu dans une heure. Que voudrais-je alors avoir changé dans ma vie ? Le Seigneur, dans sa miséricorde, m’offrira sans doute quelques années de plus pour le réaliser, mais il faut commencer aujourd’hui…
Annonce : être une voix
Vient ensuite l’appel à témoigner, à devenir une voix qui interpelle autrui pour qu’il entre dans ce mouvement de conversion. La figure du Baptiste inspire tous ceux d’entre nous qui exercent un ministère dans l’Église, petit ou grand ; mais aussi chaque baptisé porteur de l’Évangile. Comme nous le rappelait le concile Vatican II :
« Les laïcs ont d’innombrables occasions d’exercer l’apostolat d’évangélisation et de sanctification. Le témoignage même de la vie chrétienne et les œuvres accomplies dans un esprit surnaturel sont puissants pour attirer les hommes à la foi et à Dieu ; le Seigneur dit en effet : “Que votre lumière brille devant les hommes pour qu’ils voient vos œuvres bonnes et glorifient votre Père qui est aux cieux.” (Mt 5, 16) Cet apostolat cependant ne consiste pas dans le seul témoignage de la vie ; le véritable apôtre cherche les occasions d’annoncer le Christ par la parole, soit aux incroyants pour les aider à cheminer vers la foi, soit aux fidèles pour les instruire, les fortifier, les inciter à une vie plus fervente, “car la charité du Christ nous presse” (2 Co 5, 14). C’est dans les cœurs de tous que doivent résonner ces paroles de l’Apôtre : “Malheur à moi si je n’évangélise pas” (1 Co 9, 16). »
Concile Vatican II, Décret Apostolicam Actuositatem, « L’apostolat des laïcs », 1965, nº 6.
« Voix de celui qui crie dans le désert… » Trois éléments sont à distinguer qui vont structurer notre méditation.
Tout d’abord, une voix : cette réalité si frêle et passagère pour l’homme par rapport aux forces qui l’entourent… Nous ne sommes qu’une voix et ne devons pas attendre de remerciements, de récompense, même sous la forme subtile du respect, des honneurs ou des promotions. Réjouissons-nous plutôt si quelques-uns, par notre ministère ou notre témoignage, s’ouvrent à la parole de Dieu et se convertissent, tout en nous souvenant que c’est là l’œuvre de Dieu et non la nôtre. Imitons saint Paul : « Je me suis fait tout à tous, afin d’en sauver à tout prix quelques-uns. » (1 Co 9, 22) Souvent, les fruits de notre témoignage restent cachés, comme ces catéchistes qui instruisent les enfants, mais ensuite ne voient pas les fruits mûrir dans la vie adulte des anciens élèves. Confions-les au Seigneur, le reste est sans importance. Comme l’écrit saint Paul aux Philippiens : « Celui qui a commencé en vous un si beau travail le continuera jusqu’à son achèvement. » (Ph 1, 6) Paul a semé par sa parole pour transmettre l’Évangile, mais il abandonne la croissance et les fruits dans les mains du Seigneur (cf. 1 Co 3, 6).
Au contraire, les paroisses et les institutions d’Église sont parfois occupées par des querelles de personnes qui défendent jalousement des places gardées, empêchent les autres de s’exprimer et agissent plus pour se faire valoir que pour laisser Dieu toucher les cœurs. Acceptons les missions que l’on nous confie, mais n’en recherchons pas d’autres, et surtout ne nous agrippons pas aux espaces de pouvoir que peut fournir une place particulière dans l’Église du Seigneur. C’était le dernier conseil que saint François de Sales, agonisant dans de terribles souffrances, avait laissé à ses religieuses de la Visitation :
« Je veux peu de choses ; ce que je veux, je le veux fort peu, je n’ai presque point de désirs, mais si j’étais à renaître, je n’en aurais point du tout. Si Dieu venait à moi pour me favoriser du sentiment de sa présence, j’irais aussi à lui pour l’accepter et correspondre à sa grâce ; mais s’il ne voulait pas venir à moi, je me tiendrais là et n’irais pas à lui ; je ne rechercherais pas d’avoir ce sentiment de sa présence, ainsi je me contenterais de la simple appréhension de la foi. Je dis donc qu’il ne faut rien demander ni refuser, mais se laisser entre les bras de la Providence divine sans s’amuser à aucun désir, sinon à vouloir ce que Dieu veut de nous. Saint Paul pratiqua excellemment cet abandon au même instant de sa conversion ; quand Notre Seigneur l’eut aveuglé, il dit tout incontinent : “Seigneur, que vous plaît-il que je fasse ?” Et dès lors, il demeura dans l’absolue dépendance de ce que Dieu ordonnerait de lui. Toute notre perfection gît en la pratique de ce point. »
Saint François de Sales, Dernier entretien, la veille de sa mort en 1622 à Lyon.
Sachons laisser la place et la parole aux autres ; ne nous mettons jamais en avant ; accueillons tous les membres de nos équipes comme des frères et non comme des rivaux. Soyons en tenue de service et non de cocktail ou de gala. Un auteur très impliqué dans la réforme liturgique, le bénédictin Adrien Nocent, nous invite à imiter le Précurseur :
« Ainsi, Jean nous est sans cesse présent durant la liturgie de l’Avent. En réalité, son exemple doit rester constamment devant les yeux de l’Église. Car l’Église et chacun de nous en elle, nous avons pour mission de préparer les voies du Seigneur, d’annoncer la Bonne Nouvelle. Mais la recevoir exige une conversion. Car entrer en contact avec le Christ suppose un arrachement à soi. Sans cette ascèse, le Christ peut être au milieu du monde, sans qu’il soit reconnu (Jn 1, 26). Comme Jean, l’Église et ses fidèles ont le devoir de ne pas faire écran à la lumière, mais de lui rendre témoignage (Jn 1, 7). L’Épouse qu’est l’Église doit céder la place à l’Époux ; elle est témoin, elle doit s’effacer devant celui dont elle témoigne. Rôle difficile que celui d’être présente au monde, fermement présente jusqu’au martyre, comme Jean, mais de ne pas pousser en avant une “institution”, au lieu de la personne même du Christ. Rôle missionnaire toujours difficile que celui d’annoncer la Bonne Nouvelle et non une race, une civilisation, une culture, un pays : “Il faut qu’il croisse et que je diminue.” (Jn 3, 30) Annoncer la Bonne Nouvelle, et non pas telle spiritualité, tel ordre religieux, telle action catholique spécialisée, tel clocher ; comme Jean, montrer à ses propres disciples où se trouve pour eux “l’Agneau de Dieu” et ne pas les accaparer comme si nous devions être nous-mêmes leur lumière. »
A. Nogent osb, Contempler sa gloire (Avent-Noël-Épiphanie), Éditions Universitaires, 1960, p. 58.
Cette tâche difficile, nous la voyons mise en œuvre par un Jean-Baptiste moderne, le pape François. Il confiait récemment l’une de ses douleurs intimes : être constamment sous le feu des projecteurs. Les médias pourraient se fixer trop sur sa personne, au détriment du Christ… Il a commenté la figure du précurseur dans ce sens – une leçon pour tous ceux qui ont des responsabilités dans l’Église :
« En somme, Jean-Baptiste pouvait se vanter, se sentir important, mais il ne l’a pas fait, il indiquait seulement ; il sentait qu’il était la voix et non la parole. Voilà le secret de Jean. Il n’a pas voulu être un idéologue. Il a été un homme qui s’est nié lui-même, pour que la parole grandisse. Voilà alors l’actualité de son enseignement : nous, comme Église, nous pouvons aujourd’hui demander la grâce de ne pas devenir une Église idéologisée […, mais] une Église qui écoute religieusement la parole de Jésus et la proclame avec courage, une Église sans idéologie, sans vie propre, une Église qui est mysterium lunae, qui prend la lumière de son époux et qui doit abaisser sa propre lumière pour que ce soit la lumière du Christ qui resplendisse. »
Pape François, Méditation matinale, 24 juin 2013 (transcription libre d’une homélie improvisée).
Une voix qui crie…
Nous pouvons avoir la tentation de rechercher le compromis, de ne vouloir froisser personne, de ne pas choquer. Or, ce que nous annonçons ne vient pas de nous, mais de Dieu. Étant les instruments du Seigneur, nous n’avons pas à mitiger et à adapter ce que nous avons nous-mêmes reçu, sous prétexte d’être à la mode, ou à nous conformer à une science de mauvais aloi. Ce serait céder à l’orgueil et se fourvoyer. Rappelons-nous l’exemple de tant de saints qui ont annoncé l’Évangile avec audace. Proche de nous, le bienheureux Pier Giorgio Frassati, cet étudiant de Turin à la parole nette et claire, nous invite à l’intrépidité. Lors de l’occupation de la Ruhr par les troupes françaises, en 1923, il n’hésitait pas à publier un article de soutien aux catholiques allemands où l’on peut lire :
« En ces moments tragiques et douloureux où un pied étranger foule le sol de votre patrie et vos foyers, nous vous envoyons, nous étudiants catholiques, l’expression de notre amour fraternel […] La paix véritable naît de l’amour chrétien pour le prochain et non pas tant de la justice. Or ces gouvernements préparent pour toute l’humanité un avenir fait de nouvelles guerres. La société moderne s’enlise dans les passions humaines et s’éloigne de tout idéal d’amour et de paix. Nous devons, vous et nous qui sommes catholiques, faire souffler l’esprit de bonté qui naît seulement de la Foi dans le Christ. »
L. Frassati, Pier Giorgio Frassati. Les jours de sa vie, coll. « Témoins de la lumière », Sarment, 2010, p. 134. Le pape Jean-Paul II disait de lui : « Sa vocation de laïc chrétien se réalisait à travers ses multiples engagements associatifs et politiques, dans une société en pleine fermentation, indifférente, voire hostile à l’Église. Dans cet esprit, Pier Giorgio sut donner une impulsion aux différents mouvements catholiques auxquels il adhéra avec enthousiasme, mais surtout à l’Action catholique, ainsi qu’à la FUCI, au sein de laquelle il trouva un véritable terrain d’entraînement à la formation chrétienne et des secteurs propices pour son apostolat. Dans l’Action catholique, il vécut sa vocation chrétienne avec joie et fierté, et s’engagea à aimer Jésus et à apercevoir en lui les frères qu’il rencontrait sur son chemin ou qu’il cherchait sur les lieux de la souffrance, de la marginalité et de l’abandon, pour leur faire sentir la chaleur de sa solidarité humaine et le réconfort surnaturel de la foi dans le Christ » (Pape Jean-Paul II, Homélie pour la béatification de Pier Giorgio Frassati, 20 mai 1990).
Ce n’est pas à une mission humaine que nous sommes appelés, et la popularité ne doit pas nous servir de mètre-étalon. Nous sommes envoyés pour annoncer le Christ et l’Évangile. Il convient certes de le faire charitablement et avec respect, mais nous n’avons ni à édulcorer le message, ni à prendre des précautions exagérées. N’ayons pas peur. La vérité qui nous est confiée est non seulement bonne pour tout homme, mais elle lui est indispensable, car elle lui ouvre la porte vers l’éternité bienheureuse, pour laquelle il est fait. Celui qui évangélise avec cette conviction est très souvent étonné de l’écho rencontré auprès de personnes qui auraient pu s’offusquer, se désintéresser ou exprimer un profond rejet, et qui finalement sont touchées. N’ayons donc pas peur d’être une voix qui crie sous le souffle de l’Esprit. Saint Jean-Paul II écrivait en ce sens dans son encyclique sur la mission :
« Aujourd’hui, l’appel à la conversion que les missionnaires adressent aux non-chrétiens est mis en question ou passé sous silence. On y voit un acte de “prosélytisme” ; on dit qu’il suffit d’aider les hommes à être davantage hommes ou plus fidèles à leur religion, qu’il suffit d’édifier des communautés capables d’œuvrer pour la justice, la liberté, la paix, la solidarité. Mais on oublie que toute personne a le droit d’entendre la Bonne Nouvelle de Dieu, qui se fait connaître et qui se donne dans le Christ, afin de réaliser pleinement sa vocation. La grandeur de cet événement est mise en relief par les paroles de Jésus à la Samaritaine : “Si tu savais le don de Dieu”, comme aussi par le désir inconscient mais ardent de la femme : “Seigneur, donne-moi cette eau, afin que je n’aie plus soif” (Jn 4, 10.15). »
Pape Jean-Paul II, Encyclique Redemptoris Missio, « La mission du Christ Rédempteur », 1990, nº 46.
… dans le désert
Nous sommes souvent une voix qui crie dans le désert. En dépit des apparences, nos familles, nos groupes d’amis, nos lieux de vie et ce monde en général sont autant de déserts où la vie spirituelle peine à fleurir. Déserts assoiffés d’une parole qui apporte la vie, la joie ; assoiffés surtout d’un visage, celui du Christ. Nous préférerions souvent prêcher et témoigner dans des pâturages bien verts, nos cercles de chrétiens pratiquants bien réconfortants, nos milieux sociaux et intellectuels, mais c’est dans l’inconfort du désert que la parole de Dieu est adressée à Jean-Baptiste. Les foules se pressaient pour l’écouter : l’Esprit crée la communion et permet aux multiples existences isolées, qui se meurent dans la solitude, de découvrir la beauté de la communion dans l’Église. Voilà comment le cardinal Ratzinger, dans une conférence sur la nouvelle évangélisation, décrivait cet aspect du témoignage :
« Ici nous devons également garder à l’esprit l’aspect social de la conversion. Certes, la conversion est avant tout un acte éminemment personnel, elle est personnalisation. Je me sépare de la formule “Vivre comme tout le monde” (je ne me sens plus justifié par le fait que tous font ce que je fais) et je trouve devant Dieu mon propre moi, ma responsabilité personnelle. Mais la vraie personnalisation est également toujours une nouvelle et plus profonde socialisation. Le “moi” s’ouvre de nouveau au “toi”, dans toute sa profondeur, en donnant naissance à un nouveau “Nous”. Si le style de vie répandu dans le monde comporte un risque de dépersonnalisation, de vivre non pas sa propre vie, mais la vie de tous les autres, dans la conversion doit se réaliser le nouveau “Nous” du cheminement commun avec Dieu. En annonçant la conversion, nous devons aussi offrir un parcours de vie, un espace commun du nouveau style de vie. On ne peut pas évangéliser uniquement par des paroles ; l’Évangile crée la vie, il crée une communauté de parcours ; une conversion purement individuelle n’a pas de consistance. »
J. Ratzinger, Conférence sur la nouvelle évangélisation, 10 décembre 2000.
Le pape François nous appelle sans cesse à aller vers les périphéries. N’ayons pas peur de sortir de nos cercles habituels. Ces périphéries peuvent, dans un premier temps, être très proches : personnes isolées et découragées, ou jeunes en désarroi dans nos familles ; voisins et collègues de bureau ignorant Dieu ; proches ou paroissiens vivant des situations personnelles sans issue et moralement dégradantes : SDF, prostituées, drogués… Ou encore, nous connaissons des situations personnelles délicates : divorcés remariés, personnes à tendance homosexuelle ; adeptes de croyances syncrétistes ou agnostiques en recherche… Les âmes ont soif de Dieu et sortent de leur retraite lorsqu’elles entendent la voix d’un Jean-Baptiste moderne et véritablement évangélique.
Enfin, n’oublions pas ces prophètes qui, après avoir tant prêché dans les déserts de ce monde, deviennent muets à cause de l’âge ou de la maladie. Le témoignage de fidélité de tant de prêtres et agents pastoraux, qui ont accumulé des décennies de travail dans la vigne du Seigneur, est une voix puissante qui devrait rejoindre l’étroitesse de notre cœur et y faire fleurir la gratitude. Dans une belle homélie pour le jubilé d’un prêtre, le cardinal Ratzinger nous y invitait :
« Pour le chrétien, aucune vie n’est inutile et sans valeur. Un prêtre ne devient jamais inutile, jamais il ne cesse d’être serviteur ; même lorsqu’il ne se trouve pas en mesure de gérer une paroisse, il peut encore, comme on vous l’a dit, administrer souvent les sacrements et, ainsi, édifier l’Église. Et lorsqu’il n’en est même plus capable, le prêtre peut, par ses souffrances, conduire spirituellement la prière de la communauté, œuvrer à la soutenir par sa prière. Et si cela même n’est plus possible, il demeure un signe, du fait que l’ombre des ailes de Dieu nous couvre toujours, et que, à l’heure où nos mains n’ont plus de force, sa droite nous soutient. C’est le moment, me semble-t-il, de réfléchir à tout ce que notre archidiocèse doit aux prêtres âgés ; combien il serait pauvre si ne l’irradiaient pas leur service prompt et joyeux, leur foi et leur prière, les sacrements qu’ils nous ont donnés. Et si je pense à mon propre cheminement, je dois avouer que l’exemple des prêtres âgés, la tranquillité, la paix, la sagesse, la foi et la fidélité qui rayonnaient d’eux ont beaucoup signifié à mes yeux, autant que l’encouragement, la force, les propos reçus des jeunes prêtres. Tous en cette paroisse, pleins de reconnaissance, en font l’expérience ; et nous tous, nous vous redisons merci, cher Monseigneur le Conseiller, en ce moment, où vous témoignez être entre les mains de Dieu, en un soir encore lumineux. »
J. Ratzinger, Enseigner et apprendre l’amour de Dieu, Parole et silence, 2016, p. 258.
Pour avancer dans notre méditation, nous pouvons reprendre la belle prière à l’Esprit Saint du saint pape Jean XXIII :
« Ô Saint-Esprit, achevez en nous l’œuvre commencée par Jésus ; donnez force et constance à la prière que nous faisons au nom du monde entier ; hâtez pour chacun de nous l’heure où nous accéderons à une profonde vie intérieure ; donnez son élan à notre apostolat, qui veut atteindre tous les hommes et tous les peuples, tous ceux qui sont rachetés par le Sang du Christ et tout son héritage.
« Mortifiez en nous notre présomption naturelle et élevez-nous jusqu’à la sainte humilité, la vraie crainte de Dieu, le courage généreux. Qu’aucune attache terrestre ne nous empêche de faire honneur à notre vocation ; qu’aucun intérêt, par lâcheté de notre part, ne lèse les exigences de la justice ; qu’aucun calcul ne réduise l’immensité de la charité aux étroitesses de nos petits égoïsmes. Que tout soit grand en nous : la recherche et le culte de la vérité, la promptitude de notre sacrifice, jusqu’à la croix et la mort ; et, enfin, que tout corresponde à la dernière prière du Fils à son Père céleste et à cette effusion de grâces que le Père et le Fils veulent répandre par vous, Esprit d’amour, sur l’Église et sur ses institutions, sur chaque âme et chaque peuple. Amen, amen, alléluia, alléluia. »Prière à l’Esprit Saint de Jean XXIII, in P. Chenaux, Les enseignements de Jean XXIII, Saint-Augustin, 2000, p. 115-116.