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En ce deuxième dimanche de l’Avent, nous sommes introduits à la venue du Christ par la prédication de Jean Baptiste, qui domine l’évangile. Il a préparé historiquement le ministère public de Jésus, en prêchant la conversion, et sa voix continue à préparer, dans l’Église, l’événement de Noël. C’est pourquoi il sera de nouveau présent la semaine prochaine.

L’Église nous propose de vivre l’Avent comme une montée vers Noël :

  • nous partons de notre situation actuelle, l’attente de la Parousie évoquée lors du premier dimanche de l’Avent ;
  • c’est ensuite Jean-Baptiste qui nous introduit au mystère du Christ (deuxième et troisième dimanches) ;
  • nous méditerons enfin sur l’annonce faite à Joseph (quatrième dimanche), pour « aboutir » à la naissance de Jésus.

L’Incarnation a historiquement déjà eu lieu mais elle se répète dans le temps de l’Eglise, en attendant le retour glorieux du Seigneur : c’est pourquoi l’ordre liturgique des célébrations est inverse de l’ordre chronologique des mystères du Salut.

La semaine dernière, Isaïe contemplait de loin l’avènement de la Paix (Is 2) ; cette semaine son espérance se précise : le don de la Paix viendra d’un descendant de David, dont la dynastie est nommée souche de Jessé. Son oracle, si beau, (Is 11) est au cœur de l’annonce de l’Emmanuel (chapitres 6 à 12). Alors que la maison royale de Juda est menacée, Dieu offre au roi Achaz le signe d’une naissance miraculeuse (Is 7), que nous célébrerons dans deux semaines. Ce descendant de David est idéalisé, il possèdera la plénitude de l’Esprit et de ses dons, et il restaurera la justice , une prérogative royale classique :

« Il ne jugera pas sur l’apparence… » (v.3). Alors que la corruption règne à Jérusalem, on attend de lui une profonde réforme morale : « la justice est la ceinture de ses hanches ; la fidélité est la ceinture de ses reins » (v.5). Mais à y bien regarder, ce roi n’a rien des rois de la terre : il a une prédilection pour le pauvre et le petit, pour la douceur. Il n’aura pas à faire usage de la force car sa parole et son souffle suffisent à faire disparaître le mal. Comme l’écrivait le Pape Benoît XVI :

« Au moment du Jugement nous expérimenterons et nous accueillerons cette domination de son amour sur tout le mal dans le monde et en nous » [1]

Il instaurera un nouveau paradis où la création est renouvelée dans une paix universelle : le serpent de Gn 3 n’est plus une menace et devient compagnon de jeu des enfants, le prédateur se convertit en ami de la victime (le loup habitera avec l’agneau…). Cela signifie que le riche et le pauvre, l’exploiteur et l’exploité, le puissant et le faible, deviendront enfin des égaux, grâce à la « connaissance du Seigneur qui remplira le pays comme les eaux recouvrent le fond de la mer » (v.9). Certaines de nos communautés chrétiennes nous offrent déjà, par leur charité mutuelle, un avant-goût de ce paradis comme le dit saint Grégoire le Grand en décrivant les communautés religieuses :

« Revêtus aux yeux de tous de l’habit religieux, nous sommes venus de situations sociales variées vivre ensemble notre foi et l’écoute de la parole du Seigneur tout-puissant, et, diversement pécheurs, nous avons été rassemblés jusqu’à n’avoir qu’un cœur dans la sainte Eglise, si bien que se réalise déjà manifestement ce qui est dit par Isaïe annonçant l’Église : ‘Le loup habitera avec l’agneau, et le léopard se couchera aux côtés du chevreau’. » [2]

La même espérance anime le Psaume 72 (71), qui était chanté lors du couronnement d’un nouveau roi lorsqu’ on demandait au Seigneur de lui donner le charisme de la justice pour bien gouverner son peuple , instaurer la paix et élargir sa puissance territoriale ( … de la mer à la mer). Comme dans le passage d’Isaïe, il prendra soin des plus pauvres qui sont les favoris du Dieu de l’Alliance : « Il aura souci du faible et du pauvre, du pauvre dont il sauve la vie » (v.13). C’est à travers ce roi idéal que Dieu répandra sa bénédiction sur toutes les familles de la terre, selon la promesse à Abraham (cf. Gn 12).

À la lumière de l’Evangile nous savons que seul Jésus est ce Roi idéal attendu par Israël et que le royaume appelé à s’étendre à tous les hommes est l’Église. Dans l’Évangile de ce jour, saint Matthieu nous fait entendre la voix de Jean-Baptiste dans le désert, annonçant la venue du Messie (Mt 3) . Il est fidèle à sa vocation de précurseur : celui-qui-court-devant. Il appelle tout le Peuple saint à la conversion (μετάνοια, métanoia, répété trois fois), pour se préparer à la venue de Celui qui va établir le royaume de Dieu. Le Catéchisme souligne l’importance d’une telle proclamation pour la vie de l’Église :

« Cet appel [à la conversion] est une partie essentielle de l’annonce du Royaume : ‘ Les temps sont accomplis et le Royaume de Dieu est tout proche ; repentez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle ’ (Mc 1,15). Dans la prédication de l’Église cet appel s’adresse d’abord à ceux qui ne connaissent pas encore le Christ et son Évangile. » [3]

Jean-Baptiste, avec sa vigueur d’ascète du désert, anime ce grand mouvement de repentir à l’intérieur du Peuple saint, qui conduit les multitudes à recevoir le baptême de conversion. Mais il apostrophe durement une branche du judaïsme, les pharisiens et sadducéens, que l’Evangile présente souvent comme des hypocrites. Il les plonge dans la perspective d’un jugement redoutable [4] .

La voix de Jean-Baptiste tremble donc de la colère qui vient, et fait écho aux avertissements de Jésus la semaine dernière. Il reproche en particulier aux Pharisiens qui se disent fils d’Abraham (v 9), de se reposer sur les privilèges de la naissance, sur l’appartenance à une caste religieuse reconnue, et sur la pratique de rites extérieurs alors que leur cœur est loin de Dieu. Cela s’adresse aussi à nous si notre attitude est celle d’une parfaite confiance dans notre statut et nos bonnes œuvres plutôt que dans la grâce de Dieu.

Saint Paul exploite aussi ce thème dans la Lettre aux Romains (Ro 15) : la communauté chrétienne doit être un lieu de paix malgré la diversité de ses membres. A son époque la cohabitation était difficile entre les convertis qui

étaient auparavant Juifs, et ceux qui provenaient du paganisme, dans une même Eglise. Mais personne ne peut se vanter de mériter le salut : les nations reçoivent le Christ par pure miséricorde (v.9), et les Juifs parce que Dieu est fidèle à ses promesses (v.8). C’est le Seigneur Jésus qui nous unit dans la louange du Père. Conclusion : il faut accueillir chacun comme le Christ vous a accueillis pour la gloire de Dieu (v.7). Ce n’est pas facile, mais l’Ecriture nous aide en ouvrant notre âme à l’espérance (v.4) : un homme qui sait espérer, le regard tendu vers son Seigneur qui l’attire irrésistiblement, peut dépasser toute difficulté.

Regardons nos assemblées liturgiques ou nos congrégations : elles ont certes quelques défauts, mais on peut y admirer la diversité de leurs membres. Bien des cultures, bien des origines, bien des opinions personnelles y sont présentes, qui pourraient sembler irréconciliables dans le monde. Dans l’Eglise, elles s’effacent pour réaliser déjà l’unité dans la louange : «

Ainsi, d’un même cœur, d’une seule voix, vous rendez gloire à Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ. » (Ro 15,6).

 


[1] Benoît XVI, encyclique Spe Salvi, nº47. 

[2] Il continuait ainsi : « Oui, grâce à la cordialité d’une sainte charité, le loup habite avec l’agneau, puisque des hommes qui furent des détrousseurs dans le monde fraient tranquillement, en paix, avec des gens sociables et doux. Et le léopard se couche aux côtés du chevreau, parce qu’un homme moucheté des taches de tous les péchés s’accorde dans l’humiliation avec celui qui se méprise et s’avoue pécheur. […] Voilà ce qu’est la charité, qui enflamme des âmes dissemblables, les embrase, les fond, et en façonne comme un seul ouvrage de bel or. Mais quand les élus aiment ainsi, il est indispensable qu’ils s’élancent vers celui qu’ils doivent mériter de voir dans le ciel avec une éternelle joie. […] Aussi le texte ajoute-t-il là : « Et un petit enfant les mènera. » Qui est-il, ce tout-petit, sinon celui dont il est écrit : « Un enfant nous est né, un fils nous a été donné » ? Il mène ces hommes qui cohabitent pour que leur cœur n’aille pas s’attacher aux choses terrestres ; Il attise chaque jour en eux la flamme du désir intérieur. » (Grégoire le Grand, Homélies sur EzéchielSources chrétiennes 360, 187-189).

[3] Catéchisme de l’Église catholique, nº1427, disponible ici

[4] Saint Grégoire nous offre aussi une belle explication de la cognée à la racine des arbres : « L’arbre de ce monde, c’est l’ensemble du genre humain. La cognée, c’est notre Rédempteur. Manche et fer en quelque sorte, il se laisse tenir par son humanité, par sa divinité il coupe. Cette cognée est déjà placée à la racine de l’arbre, car si elle attend par la patience, on voit cependant ce qu’elle va faire. Tout arbre en effet qui ne fait pas de bon fruit sera coupé et jeté au feu, car quiconque s’est perverti trouve toute prête la flamme dévorante de la géhenne, parce qu’il a dédaigné de porter ici-bas le fruit de l’œuvre de bienfaisance. » (Grégoire le Grand,Homélies sur l’Evangile, XX, 10, Sources Chrétiennes 485, p. 461).

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Saint Jean-Baptiste


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