Désirer la paix dans le monde
Le prophète Isaïe a été le témoin de scènes de violence inouïe : il suffit de se rappeler la campagne militaire de Sennachérib, qui a ravagé le Royaume du Nord (cf. Is 36-37) et dont des bas-reliefs au British Museum nous montrent des détails frappants. Femmes éventrées, nourrissons fracassés contre les pierres, etc. De là naît son désir de paix et sa vision prophétique :
« Ils briseront leurs épées pour en faire des socs et leurs lances pour en faire des serpes. On ne lèvera plus l’épée nation contre nation, on n’apprendra plus à faire la guerre » (Is 2, 4).
Plus de 2700 ans après, notre monde a-t-il vraiment changé ? Rappelons-nous les horreurs du siècle dernier et de notre époque… Nos instruments de guerre sont de plus en plus sophistiqués et nous ne sommes pas bien sûrs que ceux qui accusent les autres d’utiliser des armes de destruction massive ne soient pas ceux qui provoquent le moins de dégâts. Rappelons-nous aussi tout ce qui conduit à la guerre : le commerce des armes, les trafics, l’asservissement des plus pauvres par les plus forts etc. Le pape François avait voulu dénoncer cette situation lors d’une veillée de prière pour la paix :
« Que de violence naît à ce moment, que de conflits, que de guerres ont marqué notre histoire ! Il suffit de voir la souffrance de tant de frères et sœurs. Il ne s’agit pas de quelque chose de conjoncturel, mais c’est la vérité : dans chaque violence et dans chaque guerre, nous faisons renaître Caïn. Nous tous ! Et aujourd’hui aussi, nous continuons cette histoire de conflit entre les frères, aujourd’hui aussi, nous levons la main contre celui qui est notre frère » [4] .
En ce temps de l’Avent, nous déplorons ce règne de la mort pour désirer la paix, une paix qui ne pourra venir que de Dieu. Nous élevons une supplication ardente : Viens, Seigneur Jésus, viens établir la paix dans ce monde qui en a tant besoin !
Commencer par la paix dans mon cœur
Nous savons bien que la paix extérieure n’est possible que si les hommes retrouvent la paix intérieure. Écoutons ces paroles pleines de sagesse de l’Imitation du Christ :
« Conservez-vous premièrement dans la paix : et alors vous pourrez la donner aux autres. Le pacifique est plus utile que le savant » [5] .
C’est alors que l’exhortation de saint Paul dans la deuxième lecture vient nous rejoindre. Il met le doigt sur notre division interne, sur notre déchirement comme chrétiens qui vivons déjà dans la lumière mais souffrons de l’emprise des ténèbres :
« Conduisons-nous honnêtement, comme on le fait en plein jour, sans ripailles ni beuveries, sans orgies ni débauches, sans dispute ni jalousie, mais revêtez le Seigneur Jésus Christ » (Ro 13, 13).
Ne nous voilons pas la face : la télévision nous offre chaque jour un spectacle affligeant « d’orgies et de débauches ». Sommes-nous vraiment immunisés contre cela ? Il suffit de voir nos lieux de travail, nos foyers, nos paroisses pour découvrir les « disputes et jalousies » qui empoisonnent notre vie. C’est tout cela qui détruit la paix, qui nous attache aux ténèbres.
Voici donc une résolution possible pour cette première semaine de l’Avent : je ferai un geste concret pour la paix, par exemple en cherchant la réconciliation avec un membre de ma famille, un collègue, une connaissance. C’est ainsi que je montrerai à Jésus que je veux sortir du sommeil de mon égoïsme et de mon indifférence et me mettre en chemin vers sa venue à Noël. Le pape François continuait ainsi son cri lors de la veillée de prière :
« Regarde la douleur de ton frère, et n’ajoute pas une autre douleur, arrête ta main, reconstruis l’harmonie qui s’est brisée ; et cela non par le conflit, mais par la rencontre ! » [6]
En faisant ce geste, nous contribuerons alors à l’avènement de la paix sur terre. Une nouvelle expérience enrichira notre vie : devenir lumière pour les autres, participer à ce grand embrasement de charité qui conduira à l’avènement du Christ . Saint Grégoire le Grand reprenait ainsi l’image de saint Paul :
« Nous tous, qui suivons la vérité, sommes-nous autre chose, en cette vie, qu’une aurore ? Car nous accomplissons déjà des actes qui relèvent de la lumière, et pourtant, sur certains points, bien des restes de ténèbres demeurent en nous » [7] .
En définitive, d’où viendra la paix dans le monde si ce n’est du Cœur du Christ, doux et humble ? En multipliant nos gestes de réconciliation, nous laisserons son Cœur régner peu à peu dans le nôtre et nous aiderons la miséricorde à triompher, selon ce mot de Jésus à sœur Faustine :
« Le genre humain ne trouvera pas la paix tant qu’il ne se tournera pas vers la source de Ma Miséricorde » [8] .
Attendre Jésus au sein de l’Église
Ce dimanche, saint Paul utilise la même image que le Seigneur dans l’Évangile : les « ripailles et beuveries » sont celles de notre monde qui ne cherche que sa propre jouissance, dans une insouciance incroyable qui ressemble à l’époque de Noé :
« À cette époque, avant le déluge, on mangeait, on buvait, on se mariait, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche. Les gens ne se sont doutés de rien, jusqu’au déluge qui les a tous engloutis : tel sera aussi l’avènement du Fils de l’homme » (Mt 24, 38-39).
Noé qui construit son arche, le maître de maison qui veille contre le voleur : il y a donc un lieu de sécurité, un lieu où nous pouvons attendre avec confiance le retour du Seigneur. C’est l’Église, havre de paix, qui garde vivante la présence du Seigneur dans les sacrements et qui est guidée par l’Esprit .
Elle œuvre pour la paix entre les peuples ; elle nous aide maternellement à réformer notre cœur ; elle est l’épouse fidèle qui attend le retour de Jésus. L’Avent est une période très propice pour expérimenter cette maternité, comme le soulignait le pape Benoît XVI dans une homélie :
« Au cours du temps de l’Avent, nous sentirons l’Église nous prendre par la main et, à l’image de la Très Sainte Vierge Marie, nous exprimer sa maternité en nous faisant faire l’expérience de l’attente joyeuse de la venue du Seigneur, qui nous embrasse tous dans son amour qui sauve et réconforte » [9] .
Nous pouvons à présent prier de nouveau le psaume de la messe, en nous imaginant ce moment extraordinaire, à la fin des temps, lorsque viendra la Jérusalem céleste, et que nous chanterons avec tous les saints de tous les temps :
« Quelle joie quand on m’a dit : ‘Nous irons à la maison du Seigneur !’ Maintenant notre marche prend fin devant tes portes, Jérusalem ! » (Ps 122, 1-2)
[1] Augustin, La cité de Dieu, 18, 54, 1. Il écrit aussi : « La loi du Seigneur et sa parole ne sont pas demeurées à Sion et à Jérusalem : elles en sont sorties pour se répandre dans tout l’univers » (10, 32).
[2] Collecte de la messe du jour.
[3] Catéchisme de l’Église catholique, nº 681, disponible ici.
[4] Homélie du pape François lors de la veillée de prière pour la paix, 7 septembre 2013, disponible ici :
Il continuait ainsi : « Aujourd’hui aussi nous nous laissons guider par les idoles, par l’égoïsme, pas nos intérêts ; et cette attitude continue : nous avons perfectionné nos armes, notre conscience s’est endormie, nous avons rendu plus subtiles nos raisons pour nous justifier. Comme si c’était une chose normale, nous continuons à semer destruction, douleur, mort ! La violence, la guerre apportent seulement la mort, parlent de mort ! La violence et la guerre ont le langage de la mort ! »
[5] Thomas de Kempis, Imitation de Jésus-Christ, livre II, 3 : L’homme pacifique. Il continuait ainsi : « Un homme passionné change le bien en mal, et croit le mal aisément. L’homme paisible et bon ramène tout au bien. Celui qui est affermi dans la paix ne pense mal de personne ; mais l’homme inquiet et mécontent est agité de divers soupçons : il n’a jamais de repos, et n’en laisse point aux autres. Il dit souvent ce qu’il ne faudrait pas dire, et ne fait pas ce qu’il faudrait faire. Attentif aux devoirs des autres, il néglige ses propres devoirs. Ayez donc premièrement du zèle pour vous-même, et vous pourrez ensuite avec justice l’étendre sur le prochain ».
[6] Homélie du pape François lors de la veillée de prière pour la paix, 7 septembre 2013, disponible ici :
Voici le paragraphe entier : « Que chacun s’applique à regarder au fond de sa conscience et écoute cette parole qui dit : sors de tes intérêts qui atrophient le cœur, dépasse l’indifférence envers l’autre qui rend le cœur insensible, vaincs tes raisons de mort et ouvre-toi au dialogue, à la réconciliation : regarde la douleur de ton frère, je pense aux enfants : seulement à ceux-là… regarde la douleur de ton frère, et n’ajoute pas une autre douleur, arrête ta main, reconstruis l’harmonie qui s’est brisée ; et cela non par le conflit, mais par la rencontre ! Que se taisent les armes ! La guerre marque toujours l’échec de la paix, elle est toujours une défaite pour l’humanité ».
[7] Saint Grégoire le Grand, Commentaire sur le livre de Job.
[8] Sœur Faustine, Petit journal, n° 698, disponible ici
[9] Homélie du pape Benoît XVI, 27 novembre 2010, disponible ici. Voir tout le passage : « Au cours de cet Avent, il nous sera donné, une fois de plus, de faire l’expérience de la proximité de Celui qui a créé le monde, qui oriente l’histoire et qui a pris soin de nous jusqu’à arriver au sommet de sa complaisance : en se faisant homme. C’est précisément le grand et fascinant mystère du Dieu avec nous, et même du Dieu qui se fait l’un de nous, que nous célébrerons au cours des prochaines semaines, en nous mettant en marche vers Noël. Au cours du temps de l’Avent, nous sentirons l’Eglise nous prendre par la main et, à l’image de la Très Sainte Vierge Marie, nous exprimer sa maternité en nous faisant faire l’expérience de l’attente joyeuse de la venue du Seigneur, qui nous embrasse tous dans son amour qui sauve et réconforte. »