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Méditation : Comment rencontrer le Ressuscité ?

Les lectures nous font écouter le témoignage des apôtres, qui ont été choisis par le Seigneur pour être les témoins de son œuvre de salut : ses actions et paroles, ses enseignements et miracles, et surtout sa Passion et sa Résurrection. Nous aimerions bénéficier du même contact qu’eux avec le Ressuscité, lorsqu’il est venu partager leur repas au soir de Pâques ; nous voudrions qu’Il vienne ouvrir nos intelligences au mystère des Écritures ; nous souhaiterions éprouver leur joie profonde et devenir des témoins comme eux. Tout cela est possible : saint Luc nous présente dans cette scène les principaux « canaux » par lesquels nous pouvons rejoindre le Ressuscité. Nous allons en explorer quelques-uns, comme nous y invite le pape François :

« Pour nous aussi, il existe de nombreux signes où le Ressuscité se fait reconnaître : l’Écriture Sainte, l’Eucharistie, les autres sacrements, la charité, ces gestes d’amour qui portent un rayon du Ressuscité. Laissons-nous illuminer par la Résurrection du Christ, laissons-nous transformer par sa force, pour qu’à travers nous également, dans le monde, les signes de mort laissent place aux signes de vie. » [1]

 Le témoignage des saints nous guide. Nous constatons qu’ils ont vécu les mêmes difficultés que nous, avec la même distance qui nous sépare naturellement de Jésus ressuscité. Ils ont pourtant été rejoints par le Christ de manière très concrète et de la même manière que les apôtres, nous montrant que la proximité avec le Ressuscité est un don surnaturel qui va au-delà de notre imagination et nos désirs. Comment la présence du Christ s’est-elle manifestée dans leur vie ?

La paix

Commençons par la paix : le Seigneur apporte toujours la paix à ses disciples, « La paix soit avec vous ! » (Lc 24,36), un salut qui rappelle le titre de Prince de la Paix qu’Isaïe donnait au Messie dans ses prophéties (Is 9,5).

De façon similaire, le Seigneur a voulu rassurer sœur Faustine alors qu’elle vivait de profondes tribulations, et lui a indiqué comment il prendrait soin de son âme, en lui envoyant un confesseur de confiance :

« Le soir le Seigneur me dit : « Ma fille, que rien ne t’effraye ni ne te trouble. Garde une paix profonde ! Tout est dans ma main. Je te ferai tout comprendre par la bouche du Père Andrasz. Sois comme un enfant envers lui ! » […] Quand je me suis approchée du confessionnal, j’ai ressenti dans mon âme une si grande facilité pour lui parler de tout, que plus tard, j’en fus moi-même très surprise. Ses réponses établirent une paix profonde dans mon âme. Ses paroles étaient, sont et resteront toujours des colonnes flamboyantes, qui ne cesseront d’éclairer mon âme dans son élan vers la plus haute sainteté. » [2]

On peut aussi penser à la paix ressentie par Marguerite-Marie lorsqu’elle entre au couvent de la Visitation de Paray, après avoir visité d’autre lieux, et sent que le Seigneur la veut dans cette maison. Puis Dieu lui envoya le Père Claude La Colombière pour discerner avec elle l’authenticité de ces visions. Ou encore, la paix de Catherine Labouré reconnaissant le portrait de St Vincent de Paul qui lui est apparu en rêve, en entrant chez les Sœurs de la Charité. On se souvient enfin d’Ignace trouvant la paix de l’âme en lisant la vie des Saints alors que les livres de chevalerie le laissaient exalté mais insatisfait.

La paix est l’un des signes de l’action et de la présence de Dieu. Les décisions et les actions qui nous laissent en paix portent sa marque. Quelle est mon expérience de cette paix ? Y suis-je attentif, est-ce que je sais y reconnaitre le Ressuscité ? Pour trouver cette paix, je dois aussi savoir me retirer et prendre le temps de la prière dans le silence, pour que puisse descendre la paix de Dieu jusqu’au fond de mon être.

L’âme fidèle sait reconnaître dans cette paix la présence du Seigneur : elle lui permet de « suivre l’Agneau partout où il va » (Ap 14,4), dans la confiance d’être sur le bon chemin, même si les circonstances extérieures semblent affirmer le contraire.

Les Écritures

Lorsque Jésus apparaît en ce soir de Pâques, il conquiert petit à petit le cœur de ses disciples qui passent de la crainte à la joie ; pour leur faire accomplir la conversion totale qui est celle de la foi, il lui faut aussi convertir leurs intelligences. Saint Luc le note explicitement : « Alors il ouvrit leur intelligence à la compréhension des Écritures » (Lc 24,45). Les pèlerins d’Emmaüs quelques versets plus haut disaient : notre cœur n’était-il pas brûlant au-dedans de nous quand il nous parlait en chemin et nous expliquait les Ecritures ?

Lorsque Luc mentionne les « Ecritures », il s’agit pour lui de l’Ancien Testament, qui relate la première Alliance et annonce le don du Messie. Nous avons vu en première partie quels passages de l’Ancien Testament peuvent être lus comme des prophéties de la Passion et de la Résurrection, mais le mystère du Christ dans sa globalité est préfiguré par bien d’autres textes. En réalité c’est tout l’Ancien Testament qui prend sens à travers le Christ et qui l’annonce. Le récit des disciples d’Emmaüs le dit bien : « en commençant par Moïse et parcourant tous les Prophètes, il leur interpréta dans toutes les Ecritures ce qui le concernait » (Luc 24, 27).

Saint Irénée nous invite à considérer ces Écritures comme inspirées par le Christ lui-même, qui y a caché par avance son propre mystère :

« Si quelqu’un lit l’Écriture dans cette perspective, il y trouvera une expression concernant le Christ, et une préfiguration de l’appel nouveau. Car c’est lui, ‘le trésor caché dans le champ’, c’est à dire dans le monde (Mt 13,38). Trésor caché dans les Écritures, car il était signifié par des symboles et des paraboles, qui, humainement parlant, ne pouvaient pas être comprises avant l’accomplissement des prophéties, c’est-à-dire avant la venue du Seigneur (…) Si donc quelqu’un lit les Écritures de cette manière, il sera un disciple parfait, ‘pareil au maître de maison qui tire de son trésor des choses nouvelles et des choses anciennes’ (Mt 13,52) ». [3]

Cette action d’ouvrir les intelligences à la compréhension des Écritures, le Christ ressuscité continue à l’accomplir tout au long de l’histoire de l’Église et jusqu’aujourd’hui. Les Écritures se sont enrichies du Nouveau Testament : le témoignage des apôtres est devenu Écriture sacrée. En lisant l’évangile, les Actes et les lettres de Paul, Pierre, Jean et Jacques, nous apprenons à connaître et à aimer Jésus, à découvrir le visage du Père, à nous laisser guider par l’Esprit, pour parvenir à la révélation totale que nous dévoile l’Apocalypse.

La parole de Dieu n’est pas un récit ou un simple texte de sagesse. Elle est vivante et nous rejoint personnellement dans les circonstances concrètes de notre vie. Elle doit nous toucher et brûler notre cœur, comme pour les disciples d’Emmaüs. Est-ce ainsi que nous la lisons ? Beaucoup d’entre nous ont la très bonne habitude de faire un examen de conscience avant de terminer leur journée. Il serait également très utile de faire, plusieurs fois par semaine, le point sur la Parole : elle m’a touché, elle m’a éclairé. Il faut bien sûr, pour cela, prendre le temps de la lire, de l’entendre à la messe et aux offices, et de l’accueillir. Nous verrons alors qu’il y aura toujours une phrase, une expression qui viendra nous rejoindre. Le Christ ressuscité nous rejoint par la Parole de Dieu.

Les plaies du Crucifié

Jésus ressuscité montre toujours ses plaies à ses apôtres : elles sont d’abord un signe pour qu’ils reconnaissent son identité personnelle avec le Crucifié, mais elles sont surtout la source de la Miséricorde divine, comme nous l’avons médité la semaine dernière. Les Pères de l’Église ont beaucoup insisté, comme le Nouveau Testament, sur ces signes de la Passion qui marquent le Ressuscité. Saint Grégoire le Grand écrivait ainsi ingénieusement :

« Les passages d’Évangile lus hier et aujourd’hui nous stimulent à chercher avec soin pourquoi on y lit que le Seigneur, notre Rédempteur, a mangé du poisson grillé après sa Résurrection. […] Que peut bien symboliser, à votre avis, le poisson grillé [piscem assum], sinon le Médiateur entre Dieu et les hommes, qui a souffert [passum] ? Car il a daigné se cacher dans les eaux du genre humain ; il a voulu se laisser prendre dans le filet de notre mort et être, pour ainsi dire, rôti par la souffrance au temps de sa Passion. » [4]

Les sacrements

Comment le Seigneur nous permet-il aujourd’hui de toucher ses plaies ? Ce sont d’abord les sacrements, en particulier ceux qui manifestent plus particulièrement sa miséricorde : l’Eucharistie, le pardon, le sacrement des malades.

Dans l’Eucharistie, le Seigneur se donne à nouveau ; le pain consacré est son corps livré et ressuscité. Nous revivons le mystère du Calvaire de manière réelle. Il nous montre, sous le voile des espèces, son corps meurtri et ressuscité ; il nous le donne en nourriture. Dans le sacrement du pardon, ses blessures répandent sur nous le sang et l’eau qui purifient, guérissent et apaisent. Dans le sacrement des malades – qui n’est pas réservé aux mourants – le Seigneur vient rejoindre celui qui souffre comme il le faisait pendant sa vie terrestre. Sa présence et son réconfort sont parfois sentis de manière très sensible par les fidèles et les effets sont souvent étonnants. Sa voix résonne : « La paix soit avec vous ! »

Les martyrs

Très tôt dans son histoire, l’Église a découvert qu’il lui était donné de participer à ces plaies glorieuses et de s’identifier ainsi au Christ miséricordieux. C’est la vocation particulière des martyrs : des femmes et des hommes configurés au Christ jusque dans sa Passion.

À chaque génération, les chrétiens sont soutenus dans la foi par ces compagnons martyrs à la foi inébranlable ; ils sont parmi nous ce Christ vivant présentant ses plaies aux disciples incrédules : « voici mes mains et mes pieds ! ».

Le temps des martyrs n’est pas un temps révolu, bien au contraire. Le XXº siècle a compté plus de martyrs que tous les autres siècles de l’Église et cette tendance se prolonge au XXIe. L’opinion publique pense spontanément aux Chrétiens d’Orient, mais les Chrétiens sont également persécutés pour leur foi en Inde, au Pakistan, dans de nombreux pays d’Asie et d’Afrique. Dans certaines dictatures, ils ont été persécutés et tués pour leur défense de la justice, de la vérité et des pauvres, et le sont encore. Souvenons-nous du Père Maximilian Kolbe (franciscain), d’Edith Stein (carmélite), de Giuseppe Girotti (dominicain), sous le nazisme. Souvenons-nous des martyrs assomptionnistes de Bulgarie sous le communisme. En 2015, l’Église a béatifié Mgr Oscar Romero, abattu en pleine messe par la dictature d’extrême-droite salvadorienne, en 1980. Elle instruit actuellement la cause de Cyprien et Daphrose Rugamba, membres de la Communauté de l’Emmanuel, assassinés avec plusieurs de leurs enfants, devant le Saint Sacrement, pendant le génocide rwandais, pour avoir refusé la discrimination ethnique entre Tutsis et Hutus.

Suis-je sensible à cette présence des martyrs dans l’Église et sont-ils une source d’inspiration et de foi pour moi ?

Les pauvres

Le Seigneur ressuscité est également présent dans les pauvres. Ce n’est pas seulement pour eux-mêmes que nous sommes appelés à servir les pauvres mais parce que mystérieusement le Christ est présent dans celui qui souffre, qui manque de l’essentiel et continue à crier « j’ai soif ». Mère Teresa de Calcutta disait sentir concrètement la présence du Seigneur lors de ses rencontres avec les pauvres. Reprenant une thématique chère à Saint Jean Chrysostome, le pape François ne cesse de nous appeler à découvrir le Seigneur dans le pauvre, tout autant que dans les sacrements :

« Si nous voulons rencontrer réellement le Christ, il est nécessaire que nous touchions son corps dans le corps des pauvres couvert de plaies, comme réponse à la communion sacramentelle reçue dans l’Eucharistie. Le Corps du Christ, rompu dans la liturgie sacrée, se laisse retrouver, par la charité partagée, dans les visages et dans les personnes des frères et des sœurs les plus faibles. Toujours actuelles, résonnent les paroles du saint évêque Chrysostome : ‘Si vous voulez honorer le corps du Christ, ne le méprisez pas lorsqu’il est nu ; n’honorez pas le Christ eucharistique avec des ornements de soie, tandis qu’à l’extérieur du temple vous négligez cet autre Christ qui souffre du froid et de la nudité’ (Hom. In Matthaeum, 50, 3 : PG, 58) ». [5]

Pour trouver le Christ dans le pauvre – qu’il s’agisse d’une pauvreté matérielle, morale ou spirituelle – il faut qu’il y ait rencontre ; nous ne pouvons donc pas aller vers les pauvres avec l’idée de faire seulement une bonne action et en repartant très vite. Il faut qu’ils deviennent pour nous des frères et que nous les rencontrions en vérité, en acceptant de les aimer et d’être aimés d’eux.

Conclusion : la transformation de nos plaies

En cette soirée de Pâques, tout se transforme : les signes de la Passion deviennent source de joie pour les disciples ; les cœurs peureux se laissent remplir de l’Esprit d’audace ; les intelligences lentes à croire ce qu’ont annoncé les Prophètes (Lc 24,25) s’ouvrent à la foi. Dans nos célébrations eucharistiques, le Christ ressuscité vient à notre rencontre pour prolonger en nous ces transformations, il nous invite à le rencontrer dans les Écritures, dans les sacrements, dans la présence des martyrs et dans les pauvres.

Il existe aussi, en chacun de nous, une réalité cachée qui attend la venue du Ressuscité : nos plaies personnelles, ces blessures qui proviennent de notre histoire marquée par le péché, le nôtre et celui d’autrui, et qui marquent notre psychologie, notre vie spirituelle, nos relations avec autrui. Le Christ ressuscité veut les transformer en sources de grâce. Nos plaies personnelles sont ainsi assimilées aux plaies du Ressuscité, et par elles l’Esprit peut s’écouler. Merveilles cachées de la Miséricorde !

Sainte Faustine, transformée par la Miséricorde, nous invite à prier ainsi :

« Ô mon Dieu, que tu es bon, que ta miséricorde est grande, tu me visites avec de si grandes grâces ; moi, qui ne suis qu’une véritable poussière ! Tombant à tes pieds le visage contre terre, ô Seigneur, je confesse dans la sincérité de mon cœur que je n’ai en rien mérité la plus petite de tes grâces, et si tu me les accordes si largement, c’est ton inconcevable bonté, voilà pourquoi plus grandes sont les grâces que reçoit mon cœur, plus il s’enfonce dans une profonde humilité. » [6]


[2] Sainte Faustine (Héléna Kowalska), Petit Journal, nº219.233.

[3] Saint Irénée, Contre les Hérésies, IV, 26,1.

[4] Saint Grégoire le Grand, Homélies sur les Evangiles, nº24, 18 avril 591, Migne t. 76, col. 1311.

[5] Pape François: message pour la journée mondiale des pauvres, 19 novembre 2017.

[6] Sainte Faustine (Héléna Kowalska), Petit Journalnº1160-61.


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  • L’entrée à Jérusalem (chapelle du Palais, Palerme)