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Méditation

De la perplexité à la vie éternelle

Nous allons suivre Nicodème et passer, comme lui, de la perplexité à la confiance : perplexité d’un mystère qui nous dépasse, confiance en Dieu qui nous offre la vie éternelle. Il nous faudra pour cela passer par le mystère du mal présent dans l’histoire et dans notre propre vie.

La perplexité de Nicodème

« En ce temps-là, Jésus disait à Nicodème… » : la proclamation de l’évangile s’ouvre par cette petite expression, qui ne se trouve pas dans l’évangile de Jean, mais que la liturgie se permet d’ajouter pour situer le passage. Elle vient nous rappeler le contexte de ce discours théologique très profond : Jésus s’est d’abord adressé à un homme, dans un dialogue nocturne, et nous pouvons tout à fait nous mettre à sa place pour que le message nous atteigne personnellement.

À nous aussi, qui cherchons Dieu et avons déjà compris certaines vérités, Jésus vient parler au cœur, dans le secret et l’intimité de la nuit, c’est-à-dire dans ces moments où tout s’arrête et se calme afin que l’essentiel puisse apparaître. Il est très important de ménager ces moments de calme profond où rien ne nous distrait de Dieu, comme Nicodème qui, ayant vu agir Jésus et l’ayant entendu prêcher, est allé ensuite le trouver, le soir, pour approfondir avec lui directement ce qu’il avait entendu. Nous sommes enseignés par la parole, instruits par les lectures pieuses, nourris et transformés par la messe ; mais sans méditation et sans oraison, il est très difficile d’avancer dans le mystère du Christ. Prenons ce temps de l’oraison en tête à tête avec le Christ.

Nicodème est un Juif pieux. Il est certainement très modeste pour accepter de se laisser enseigner par ce jeune rabbin. C’est une deuxième condition importante : l’humilité. Pensons-nous en savoir assez sur Dieu pour en vivre jusqu’à la fin de notre vie, ou bien cherchons-nous à approfondir sans cesse le mystère de la personne de Jésus ? Cette tentation peut toucher particulièrement les intellectuels, les érudits, les « docteurs de la Loi » modernes et les « bons chrétiens pratiquants ». La foi n’est pas affaire d’acquisition de connaissances à la manière humaine, ni de bonnes pratiques. C’est une affaire d’amour et d’illumination de l’intelligence par l’Esprit Saint. Lorsqu’on aime quelqu’un, on est avide de le laisser parler de lui-même pour le connaître toujours mieux, pour partager ses joies, ses projets, tout ce qui le fait vivre. Sommes-nous ainsi avec Jésus, le Bien-Aimé de nos âmes ?

Jésus va introduire Nicodème à des mystères qui le dépassent et qui, dans un premier temps, troublent son intelligence et son cœur. Il commence – juste avant le passage de ce jour – par lui dire qu’il doit renaître de l’eau et de l’Esprit. Nicodème ne comprend pas : « Comment un homme peut-il naître, étant vieux ? […] Comment cela peut-il se faire ? » (Jn 3, 4.9.) L’intelligence de cet homme est déroutée, malgré toute sa science et sa foi juive, ou peut-être à cause d’elles.

Nous-mêmes pouvons, à notre tour, entendre dans la prière qu’il nous faut repartir à zéro sur un point ou, plus globalement, tout reprendre sous la conduite de l’Esprit, et non plus sous notre propre contrôle, même si nous sommes déjà adultes ou avancés en âge, même si notre vie est construite. Nicodème est dérouté, mais ne se rebelle pas. Et nous ? Sommes-nous prêts à être dérangés, à tout recommencer avec Jésus ?

Jésus adresse alors à Nicodème une question étonnée qui ressemble à un reproche : « Tu es Maître en Israël, et ces choses-là, tu ne les saisis pas ? » (v. 10.) Nous croyons nous aussi savoir théologiquement ou intellectuellement certaines choses, mais l’essentiel nous manque. Acceptons-le. Nicodème aurait pu se sentir humilié par Dieu, mais il n’en est rien. Cette remarque va, à l’inverse, le conduire plus loin. Au chapitre 7, Jésus opère une guérison le jour du Shabbat, tient des propos qui peuvent paraître scandaleux sur son origine divine et annonce les fleuves d’eau vive qui jailliront de son cœur… Nicodème plaidera alors la cause de Jésus en demandant qu’il soit entendu : « Notre loi juge-t-elle un homme sans d’abord l’entendre et savoir ce qu’il fait ? » (Jn 7, 51.)

Quelle est notre attitude personnelle face aux vérités de foi que nous ne comprenons pas, face aux exigences de l’Évangile qui nous paraissent difficiles ? Est-ce que nous nous butons et fermons notre cœur, ou bien, comme Nicodème, est-ce que nous cherchons humblement à dépasser notre perplexité et notre trouble pour « entendre » ce que l’Évangile veut nous dire ? Notre époque est passée maîtresse dans l’art de refuser ce qui, intellectuellement, ne cadre pas avec sa logique et ce qui moralement lui coûte et lui pèse. En s’engageant sur cette voie, elle dit implicitement que Dieu n’est pas Dieu ou que Dieu n’est pas bon. Prenons Nicodème pour modèle, tenons bon l’exigence de la foi, faisons confiance à Dieu, jusqu’à ce que la vérité nous soit pleinement révélée.

Le bienheureux Marie-Eugène commente ainsi la scène évangélique :

« Le coup est direct, presque dur, donné par un homme sans lettres à un docteur de la Loi. Nicodème l’accepte sans protester. Il écoute maintenant et il comprend. L’humiliation a ouvert son intelligence et, par cette blessure bienfaisante, Jésus verse à flots la lumière. […]. Mystère de l’Incarnation et mystère de la Rédemption sont révélés à Nicodème en ces premiers mois de la prédication de Jésus, alors que tous les autres ignorent. Nicodème a compris. Il se souviendra et, au jour où se réalisera le drame du Calvaire, tandis que les apôtres auront fui devant le mystère de la Croix, lui-même vaillamment sortira de l’ombre et apportant “une centaine de livres d’un mélange de myrrhe et d’aloès” se joindra à Joseph d’Arimathie pour rendre les suprêmes devoirs au Divin Crucifié [1] . »

Trois raisons de regarder la Croix

Si nous agissons comme le monde, nous resterons dans l’incompréhension des mystères de Dieu, ne gardant de la vérité que la portion que nous pouvons accepter sans difficulté et qui ne nous demande pas d’effort. Si, à l’inverse, nous acceptons d’être d’abord déstabilisés, Jésus va nous révéler le sommet du mystère : celui de la Croix qui éclaire toute chose. C’est ce que présente la suite du texte de Jean, le passage que nous lisons aujourd’hui : « De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle. »

Jésus a commencé par inviter Nicodème à renaître, en vivant selon l’Esprit. Mais comment devenir dociles à l’Esprit, alors même que nous sommes sans cesse tirés vers la terre par notre péché ? C’est précisément le propre du serpent, depuis la chute, que de ramper dans la poussière, de ne pouvoir s’élever : « Tu marcheras sur ton ventre et tu mangeras de la terre tous les jours de ta vie. » (Gn 3, 14) C’est aussi le propre du pécheur, qui se complaît dans la bassesse de misérables biens, illusoires et passagers. Nous pouvons toutefois renaître grâce à celui que Dieu a identifié pour nous au péché, au serpent, pour nous sauver, celui qui seul peut être élevé, car il vit de l’Esprit et non de la chair. Car le Christ a pris sur lui le poids de nos fautes pour nous ouvrir la vie éternelle.

Dans le désert, Dieu n’a pas simplement guéri les Israélites des morsures de serpent, ce qu’il aurait pu faire directement. Il a guéri leur corps, en guérissant leur âme de leur incrédulité. Ce n’est pas le serpent d’airain, un animal sans vie, qui sauve, c’est le regard porté sur lui comme don de Dieu. Il en va de même de la Croix.

Le Seigneur nous invite à contempler la Croix, une attitude difficile, car de prime abord la Croix nous fait peur et nous effraie, ce qui est normal car nous voyons la Croix et non le Christ source de vie qui y est pendu. C’est un grand acte de foi et de confiance qui nous est demandé là. Il y a trois raisons principales de regarder la Croix.

Regarder le mal en face

Tout d’abord, en voyant le serpent d’airain, les Israélites regardaient une image de leur propre péché. Ainsi de nous-mêmes : c’est d’abord la reconnaissance de nos fautes qui permet au salut d’entrer dans nos vies. Or, nous aimerions souvent entrer dans la vie éternelle sans avoir à reconnaître nos fautes. C’est même une idée assez à la mode : toutes nous fautes ne sont rien face à l’amour de Dieu qui nous pardonnera tout. Cela est faux. Dieu ne peut pas pardonner ce que nous ne reconnaissons pas comme faute. Il nous demande donc de regarder courageusement notre péché en face.

La première raison de regarder la Croix est donc de faire la vérité sur nous-mêmes. Nos fautes peuvent nous paraître légères, mais elles sont en réalité aussi horribles que ce serpent venimeux, et elles ont valu au Fils de Dieu humiliation, injustice, torture de la flagellation et de la couronne d’épines, crucifixion par asphyxie et déréliction intérieure. Où en sommes-nous de ce point de vue-là ? Ne gardons-nous pas une certaine indulgence pour nos fautes, au moins certaines d’entre elles ? On entend parfois dire de certains péchés : « Il n’y a pas de quoi fouetter un chat », ce à quoi un religieux de saint Vincent de Paul répondait : « Peut-être, mais il y a tout de même de quoi crucifier un Dieu. »

Dieu nous demande également d’ouvrir les yeux sur les croix qui nous entourent, d’accompagner nos frères dans l’épreuve et de prendre notre part de la lutte contre le mal sous les formes qu’il revêt pour notre temps, même si cela peut nous mettre en porte-à-faux. Ce mal a pu prendre avant nous le visage de l’exploitation du pauvre, du nationalisme violent, du racisme. Il prend aujourd’hui celui de l’indifférence, de l’individualisme, de la déconstruction de l’homme et de la famille, du rejet de Dieu. Quelle est mon attitude face au mal de la société ?

Victoire du Christ

La seconde raison de regarder la Croix, le serpent de bronze, est de constater que toutes ces fautes, tout ce que l’histoire du monde compte de péché et de mal, cela a été vaincu à la Croix, car sur le bois de la Croix fut cloué « le billet de la dette qui nous accablait » (Col 2, 14). Le Christ a tout porté, tout vaincu. En sommes-nous persuadés ? Ou bien traînons-nous, malgré le repentir et la confession, l’impression que le tort fait ou subi demeurera à jamais ? Or, nous dit encore l’Épître aux Colossiens, « Dieu a dépouillé les puissances de l’univers ; il les a publiquement données en spectacle et les a traînées dans le cortège triomphal du Christ » (Col 2, 15).

Plus encore, Jésus nous a donné, par la Croix, de quoi vaincre le mal. Nous pouvons puiser dans les grâces du Calvaire. Voici ce que disait, par exemple, le pape François à de jeunes mariés :

« Le remède que Dieu offre au peuple [dans le désert] vaut aussi, en particulier, pour les époux qui “ne supportent pas le chemin” et sont mordus par les tentations du découragement, de l’infidélité, de la régression, de l’abandon… À eux aussi, Dieu le Père donne son Fils Jésus, non pour les condamner, mais pour les sauver : s’ils se confient à lui, il les guérit par l’amour miséricordieux qui surgit de sa Croix, par la force d’une grâce qui régénère et remet en chemin, sur la route de la vie conjugale et familiale [2] . »

À la Croix, Jésus a aussi porté toutes nos épreuves, nos angoisses, nos maladies, notre mort, c’est-à-dire qu’il a détruit toute l’œuvre de Satan. Elle a été engloutie dans son sacrifice et dans sa victoire. Mystiquement, tous nos combats sont gagnés grâce à la Croix, et l’adversaire anéanti. C’est une réalité. C’est à ce titre, et parce que nous avons reçu l’Esprit Saint, que nous pouvons encore aujourd’hui demander des grâces : conversion, discernement, délivrance, guérison. C’est ce que relatent les Actes des Apôtres que nous lirons pendant le temps de Pâques. En être convaincu demande un grand acte de foi, car le résultat n’est pas toujours visible dès cette vie. Il l’est toutefois souvent pour qui demande. Mais bien sûr, à vue humaine en effet, le mal peut sembler souvent triompher. En dépit de toute apparence, Dieu garde nos propres existences dans le creux de sa main. Le Christ a vaincu le monde et, quoi qu’il arrive, rien n’échappe à son pouvoir. Il aura le dernier mot et son plan d’amour s’accomplira.

Nous doutons parfois que Dieu soit présent, qu’il dirige nos vies et le sens de l’histoire ; nous avons la tentation de lui tourner le dos et de reprendre tout en mains nous-mêmes, ou bien encore de désespérer… Nous refusons alors de regarder la Croix, elle nous est insupportable et c’est tout à fait naturel. Ceux qui vivent de grandes épreuves connaissent bien cette étape terrible. Les hommes de notre époque refusent la Croix, la cachent et la repoussent désespérément le plus longtemps possible. Mais, pour nous chrétiens, la Croix n’est pas vide, elle porte le Sauveur du monde et nous n’y sommes pas seuls.

Face aux morsures des serpents, Moïse a institué un remède très étonnant qui pourrait faire sourire nos mentalités rationalistes : regarder un objet en bronze, au lieu de prendre des dispositions humaines pour extraire le poison. Sommes-nous comme les Hébreux qui fixent leur regard sur le serpent avec foi, ou bien cherchons-nous à nous sauver par nous-mêmes ?

Nous sommes invités par les textes de ce jour à renouveler notre confiance en Dieu, en regardant vers le Seigneur crucifié, sans peur : oui, la Croix est là, mais, par Jésus-Christ, elle est victorieuse et glorieuse. Nous pouvons dire à Jésus que nous croyons fermement en lui et nous accrocher à sa parole : « Courage, j’ai vaincu ce monde. » (Jn 16, 33)

Il en va de même de l’histoire humaine. Si nous relisons la première lecture, nous pouvons opter pour une vision pragmatique des événements, conforme à notre mentalité moderne : le royaume de Juda était un petit peuple qui avait osé se rebeller contre Babylone. L’Empire perse, qui lui succède sous la conduite géniale de Cyrus, a adopté une politique de syncrétisme religieux pour maintenir en paix la multitude des peuples qui l’habitent. Le retour d’exil s’inscrit dans cette page de l’Histoire universelle, n’y cherchons pas d’intervention miraculeuse… C’est le point de vue humain, mais ce n’est pas l’explication retenue par l’auteur sacré.

En effet, le texte des Chroniques nous rappelle que Nabuchodonosor, avec sa cruauté destructrice, et Cyrus, le « souverain éclairé », sont tous deux soumis à la Providence divine, à leur insu. Ils en sont des instruments, l’un pour le châtiment, l’autre pour l’accomplissement des prophéties. Le Catéchisme formule cela comme suit :

« Ainsi voit-on l’Esprit Saint, auteur principal de l’Écriture sainte, attribuer souvent des actions à Dieu, sans mentionner des causes secondes. Ce n’est pas là “une façon de parler” primitive, mais une manière profonde de rappeler la primauté de Dieu et sa Seigneurie absolue sur l’histoire et le monde et d’éduquer ainsi à la confiance en Lui. La prière des Psaumes est la grande école de cette confiance (cf. Ps 22 ; 32 ; 35 ; 103 ; 138…) [3] . »

Le croyant sait que Dieu est provident, qu’il utilise les causes secondes, souvent cachées, voire paradoxales, pour parvenir à ses fins. Bossuet, le célèbre prédicateur et évêque de Meaux, a longuement exposé cela dans son Discours sur l’histoire universelle. Sa conclusion, adressée au Dauphin, est admirable :

« Souvenez-vous, Monseigneur, que ce long enchaînement des causes particulières, qui font et défont les empires, dépend des ordres secrets de la Divine Providence. Dieu tient du plus haut des cieux les rênes de tous les royaumes ; il a tous les cœurs en sa main : tantôt il retient les passions, tantôt il leur lâche la bride ; et par là il remue tout le genre humain. Veut-il faire des conquérants : il fait marcher l’épouvante devant eux, et il inspire à eux et à leurs soldats une hardiesse invincible. Veut-il faire des législateurs : il leur envoie son esprit de sagesse et de prévoyance ; il leur fait prévenir les maux qui menacent les États, et poser les fondements de la tranquillité publique. Il connaît la sagesse humaine, toujours courte par quelque endroit ; il l’éclaire, il étend ses vues, et puis il l’abandonne à ses ignorances : il l’aveugle, il la précipite, il la confond par elle-même : elle s’enveloppe, elle s’embarrasse dans ses propres subtilités, et ses précautions lui sont un piège [4] . »

Voilà une leçon pour notre époque troublée : les empires s’effondrent, les idoles se multiplient, le jugement des législateurs plonge dans les ténèbres, beaucoup d’appuis humains et de certitudes s’effondrent aussi dans notre propre vie. En dépit de tout cela, nous savons que Dieu garde l’histoire dans le creux de sa main.

Signe de l’amour

La troisième raison de regarder la Croix est d’y contempler l’amour infini, l’amour qui se donne jusqu’au bout. C’est là qu’il apparaît dans toute sa profondeur et toute sa gloire. Seul Dieu aime ainsi. C’est bien lorsque nos amis font pour nous l’impossible que nous mesurons leur attachement. Jésus est allé jusqu’à mourir pour nous de la mort la plus douloureuse et la plus infâme qui soit. Saint Paul commente :

« Alors que nous n’étions encore capables de rien, le Christ, au temps fixé par Dieu, est mort pour les impies que nous étions. Accepter de mourir pour un homme juste, c’est déjà difficile ; peut-être quelqu’un s’exposerait-il à mourir pour un homme de bien. Or, la preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ est mort pour nous, alors que nous étions encore pécheurs. » (Rm 5, 7)

C’est peut-être la chose la plus importante à méditer à ce stade du Carême : cet amour infini dont nous n’avons pas idée, que nous n’avons pas mérité et auquel nous ne pouvons pas répondre dignement, mais que nous pouvons simplement contempler et accueillir humblement en rendant grâces.

Le Seigneur nous invite aussi à accepter généreusement les souffrances et contrariétés qui nous frappent et à les offrir en union avec lui. Elles portent un fruit que nous ne soupçonnons pas.

Lumière et ténèbres

Très significativement, le texte de Jean passe directement de l’explication de la Croix au thème de la lumière.

Le signe de la lumière parcourt tout l’évangile de Jean. Dès le Prologue, il nous dit que le Verbe était la vie, « et la vie était la lumière des hommes » (v. 4) ; « la lumière véritable qui éclaire tout homme » (v. 9). Au chapitre 3 qui nous occupe aujourd’hui, Nicodème vient symboliquement de nuit et reçoit la révélation de la lumière. Au chapitre 8, Jésus déclare : « Moi, je suis la lumière du monde » (Jn 8, 12), avant de guérir un aveugle-né au chapitre 9. La veille de sa mort, il annonce : « Pour peu de temps encore, la lumière est parmi vous. Marchez tant que vous avez la lumière. » (Jn 12, 35)

Il n’y a pas d’autre lumière que celle du Christ, et Jésus nous montre la radicalité du choix : ou bien l’on se place dans la lumière, ou bien l’on s’enfonce dans les ténèbres. Il n’y a pas de demi-mesure. Nous avons tous besoin de la lumière, de celui qui intérieurement nous guide, nous montre le chemin et nous fait passer la mort. Pour cela, beaucoup sont d’accord de suivre le Christ. L’inconvénient est qu’opter pour la lumière conduit à être complètement exposé à la vérité, au regard de Dieu et, dans une certaine mesure, au regard des autres. Or, nous avons tous une part de ténèbres, une part de nous qui ne veut pas être exposée, qui veut rester secrète, car elle poursuit une autre logique. Pensons au nombre de choses que nous n’avons jamais dites sur nous-mêmes à ceux qui nous connaissent le mieux, parce que nous n’en sommes pas fiers – actions mauvaises – ou bien parce que nous voulons garder un domaine privé – égoïsme… Pensons aussi au nombre de fois où nous avons travesti la vérité pour nous protéger ou nous excuser.

Jésus nous appelle à être des demeures sans recoin, totalement visitables et inondées par la lumière. Regardons, cette semaine, toutes nos zones de replis égocentriques, ténébreuses ou carrément peccamineuses, et ouvrons tout à la lumière du Christ.

La lumière est l’irradiation de l’éternité. La sainteté est lumineuse. Paul de Tarse, sainte Marguerite-Marie ou sainte Faustine, qui ont été favorisées de visions du Christ, ont témoigné de la lumière qui émanait de sa personne. Paul en est même devenu provisoirement aveugle. De même toutes les personnes qui ont vu Marie. Lucia, la voyante de Fatima, a dit pour résumer son apparence : Era luz, « Elle était lumière ». Le Seigneur nous l’a dit : « Et moi quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. » (Jn 12, 32) C’est bien vers cela que nous tendons.

Nous n’avons pas seulement l’espérance d’être libérés de nos fautes et sauvés de la mort, mais d’être unis à Dieu dans un amour sans fin. C’est ce qui sépare le serpent de bronze de la Croix. Les Hébreux ne voyaient que le reflet de leur propre péché, le serpent, réduit à néant ; mais, sur la Croix, nous voyons beaucoup plus : nous contemplons le visage de l’Aimé, qui nous conduit vers l’amour infini dont nous vivrons avec le Père pour toute l’éternité. Laetare… Nous pouvons alors nous réjouir d’avance avec Bossuet :

« La vie bienheureuse est d’être avec lui dans la gloire de Dieu son Père : la vie bienheureuse est de voir la gloire qu’il a dans le sein du Père dès l’origine du monde : la vie bienheureuse est que Jésus-Christ soit en nous comme dans ses membres, et que l’amour éternel que le Père a pour son Fils s’étendant sur nous, il nous comble des mêmes dons : la vie bienheureuse, en un mot, est de connaître le seul vrai Dieu, et Jésus-Christ qu’il a envoyé ; mais le connaître de cette manière qui s’appelle la claire vue, la vue face-à-face et à découvert, la vue qui réforme en nous et y achève l’image de Dieu, selon ce que dit saint Jean, “que nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu’il est” (1 Jn 3, 2). Cette vue sera suivie d’un amour immense, d’une joie inexplicable et d’un triomphe sans fin. Un Alléluia éternel et un Amen éternel, dont on entend retentir la céleste Jérusalem, font voir toutes les misères bannies et tous les désirs satisfaits ; il n’y a plus qu’à louer la bonté divine [5] . »


[1] . Marie-Eugène de l’Enfant Jésus, op. cit, p. 339.

[2] . Pape François, Homélie, 14 septembre 2014.

[3] . CEC, nº 303-304.

[4] . J.-B. Bossuet, Discours sur l’histoire universelle, partie III ( les Empires), chap. 8 : Conclusion, coll. « La Pléiade », Gallimard, 1936, p. 1024-1025.

[5] . J.-B. Bossuet, Discours sur l’histoire universelle, op.cit., p. 847.


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  • L’entrée à Jérusalem (chapelle du Palais, Palerme)