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À l’écoute de la Parole

Pauvre Jérémie ! Persécuté par ses contemporains, affligé intérieurement de multiples angoisses, au comble de la souffrance, il nous partage ses tribulations dans la première lecture : « Moi, Jérémie, j’entends les calomnies de la foule… » (Jr 20,10). De même le disciple de Jésus, offrant son témoignage dans le monde, est soumis à de multiples tribulations : c’est à lui que le Christ s’adresse dans l’évangile (Mt 10). Il nous invite à la confiance : l’épreuve que Jérémie a vécue, Jésus la vivra lui aussi, mais de manière beaucoup plus radicale et Il en sortira vainqueur. Le prophète et le Messie nous offrent ainsi deux exemples qui éclairent notre chemin. Le grand Bossuet en a bien décrit la relation :

« Non seulement les prophètes voyaient Jésus-Christ, mais encore ils en étaient la figure, et représentaient ses mystères, principalement celui de la Croix. Presque tous ils ont souffert persécution pour la justice, et nous ont figuré dans leurs souffrances l’innocence et la vérité persécutées en Notre-Seigneur. »[1]

La liturgie nous propose ce dimanche un extrait des « confessions » de Jérémie (Jr 20), un texte étonnant où le prophète se plaint à Dieu de sa vocation et veut la rejeter : « La parole du Seigneur a été pour moi source d’opprobre et de moquerie tout le jour ; je me disais : ‘Je ne penserai plus à lui, je ne parlerai plus en son Nom’ ! » (v.8-9) Comment en est-il arrivé là ? A l’origine de son appel se trouve la parole du Seigneur, qu’il doit transmettre au Peuple :

« Alors le Seigneur étendit la main et me toucha la bouche; et le Seigneur me dit : ‘Voici que j’ai placé mes paroles en ta bouche. Vois! Aujourd’hui même je t’établis sur les nations et sur les royaumes, pour arracher et renverser, pour exterminer et démolir, pour bâtir et planter.’ » (Jr 1,9-10)

La parole du Seigneur est dure à entendre, car elle dénonce le péché et les injustices, puis invite à se soumettre militairement à Babylone ce qui, pour Israël, semble incompréhensible… Toute la vie de Jérémie s’identifie à cette parole qui est violemment rejetée par ses destinataires. Bossuet nous décrit un moment critique de ce drame :

« On ne voulut pas croire le saint prophète; et les princes après l’avoir fait battre de verges, le jetèrent dans le cachot (Jr 37) noir et profond, dont le fond était de la boue. Jérémie y fut descendu avec des cordes, et on l’y laissa longtemps, afin qu’il y mourût : car il n’y avait plus de pain dans la ville et on le laissait mourir de faim : et les princes dirent au roi : ‘Nous vous prions que cet homme meure : car il abat le courage de ce qui reste dans cette ville de gens courageux, en disant qu’il faut se rendre.’ Le voilà donc accusé de crime d’Etat par les seigneurs : et le roi acquiesça à leur sentiment… » [2]

On comprend donc les plaintes que le prophète adresse à son Seigneur. Toute sa vie est en elle-même un témoignage de fidélité, mais quel sens cela a-t-il puisqu’il souffre sans être entendu, sans arriver à toucher les cœurs ? L’extrait que nous lisons ce dimanche dévoile la grandeur de la foi de Jérémie, comme une torche qui apparaît soudain dans les ténèbres de la nuit :

   Dieu se tient fermement au côté de son prophète, ne permet son humiliation que pour un moment et lui fera justice : « Le Seigneur est avec moi, tel un guerrier redoutable : mes persécuteurs trébucheront… » (v.11) ; « c’est à toi que j’ai remis ma cause » (v12)

   Dieu pénètre les cœurs et ne se conforme pas au jugement des hommes : « Toi qui scrutes l’homme juste, toi qui vois les reins et les cœurs… » (v.12) ;

   Jérémie a pleine confiance en Lui et anticipe son action de libération : « Il a délivré le malheureux de la main des méchants » (v.13).

Ce chapitre du livre de Jérémie décrit en réalité ce qui arrive à tout disciple du Seigneur selon un schéma en trois points : enthousiasme, découragement devant l’épreuve, dépassement par la foi. D’une certaine manière, nous l’avons tous vécu. Jérémie fait, dans un premier temps, l’expérience de Dieu – « tu as voulu me séduire et je me suis laissé séduire… ». Puis vient l’épreuve de la réalité, les difficultés et la tentation du renoncement. C’est l’occasion de faire un acte de foi en Dieu qui est fidèle et a toujours le dernier mot : la mission confiée a un sens et finira par porter du fruit.

Lorsque, dans l’Évangile de ce jour, Jésus s’adresse à ses disciples, on a l’impression qu’il se penche vers Jérémie pour répondre à sa prière et lui insuffler a posteriori cette foi et cette confiance… Nous sommes au cœur du « Discours missionnaire » (Mt 10), Jésus a choisi les douze apôtres (vv.2-4) : « Il les envoya en mission avec les prescriptions suivantes… » (v.5).

Au-delà des Douze, ses exhortations s’adressent à tous les disciples qui vont le suivre après sa Résurrection, par exemple la communauté de Matthieu. Ils vont être soumis à de rudes persécutions : « Méfiez-vous des hommes : ils vous livreront aux sanhédrins et vous flagelleront dans leurs synagogues ; vous serez traduits devant des gouverneurs et des rois, à cause de moi, pour rendre témoignage en face d’eux et des païens… Et vous serez haïs de tous à cause de mon nom… » (vv.17-18.22).

Les chrétiens persécutés et, plus généralement, ceux qui sont fidèles à leur témoignage trouvent alors dans la vie de Jérémie, et dans les expressions du Psaume de ce dimanche (69), une description de leurs propres tribulations. La liturgie met sur nos lèvres : « C’est pour toi que j’endure l’insulte… L’amour de ta maison m’a perdu… » Comme Jérémie, le chrétien, configuré à son Seigneur, partage logiquement le sort d’un Dieu méprisé et bafoué : « on t’insulte, et l’insulte retombe sur moi… » (v.10). Dans ce contexte dramatique, le Christ nous donne plusieurs raisons pour grandir dans la confiance :

   La vérité triomphera : les persécuteurs peuvent bien manier le mensonge ou la calomnie, le Dieu de vérité aura le dernier mot : « Rien n’est caché qui ne sera connu… » (v.26) ;

   Les hommes ont un pouvoir limité, celui de torturer le corps, et c’est pourquoi ils s’acharneront férocement sur les martyrs ; mais ils ne peuvent influer sur le salut final et il faut plutôt craindre Satan, « celui qui peut faire périr dans la géhenne l’âme aussi bien que le corps » (v.28) ;

   Cependant Satan sera vaincu par la Résurrection du Christ : « Prenez courage, j’ai vaincu le monde » (Jn 16, 33)

   Le Père veille sur la vie de chacun des disciples au cœur même de l’épreuve, et les tribulations ne doivent pas nous voiler sa Providence amoureuse et délicate : « même les cheveux de votre tête sont tous comptés » (v.30) ;

   Le jour du Jugement viendra, et le Christ se fera notre avocat devant le Père : « moi aussi je me déclarerai pour lui devant mon Père qui est au Cieux » (v.32).

Nous avons donc confiance en Dieu car Il est Père et nous nous abandonnons entre ses mains. Le discours de Jésus n’est donc pas une vague exhortation gratuite, mais se fonde sur sa propre expérience de la paternité de Dieu et sur toute son œuvre comme Fils.

Sa Pâque en sera le fondement perpétuel, lorsque le discours cèdera le pas aux actes et le portera à l’amour suprême : par sa Passion, Il s’identifiera aux souffrances du croyant et priera lui aussi le Psaume 69, du fond du Shéol : « Réponds-moi, Seigneur ; dans ta grande tendresse, regarde-moi » (v.17). La réponse du Père, sa Résurrection, nous offrira la source définitive de joie, et l’assurance du triomphe final : « Vie et joie, à vous qui cherchez Dieu ! » (v.33).

⇒Lire la méditation


[1] Bossuet, Discours sur l’histoire universelle, Partie II, chap. IV (David, Salomon, les Rois, les prophètes), Pléiade p. 804. Il continuait ainsi : « On voit Elie et Elisée toujours menacés. Combien de fois Isaïe a-t-il été la risée du peuple et des rois, qui à la fin, comme porte la tradition constante des Juifs, l’ont immolé à leur fureur ? Zacharie fils de Joïada est lapidé : Ezéchiel paraît toujours dans l’affliction : les maux de Jérémie sont continuels et inexplicables : Daniel se voit deux fois au milieu des lions. Tous ont été contredits et maltraités ; et tous nous ont fait voir par leur exemple, que si l’infirmité de l’ancien peuple demandait en général d’être soutenue par des bénédictions temporelles, néanmoins les forts d’Israël, et les hommes d’une sainteté extraordinaire étaient nourris dès lors du pain d’affliction, et buvaient par avance, pour se sanctifier, dans le calice préparé au Fils de Dieu ; calice d’autant plus rempli d’amertume, que la personne de Jésus-Christ était plus sainte. »

[2] Bossuet, Jérémie et Jonas, figures de Jésus-Christ, CI Journée (Jérémie dans le cachot ténébreux), p. 293, disponible ici.


Jérémie

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  • Le Christ, bon Pasteur (musées du Vatican)